Citations de Elias Canetti (240)
Notes (1942-1994)
1992
Un assassin exigeant : l'homme à assassiner ne lui
plaît pas.
p.294
La profondeur de tels yeux est incommensurable. Rien de ce qui s'y enfonce n'en atteint le fond. Rien de ce qui s'y perd n'en reparaît. Le lac de ce regard est sans mémoire; il exige et reçoit. Tout ce qu'on possède lui est donné, tout ce qui compte, tout ce dont on est fait au plus profond de soi-même. Il est impossible de dérober quoi que ce soit à ce regard. Aucune violence n'est exercée, rien n'est arraché. Tout s'offre de soi-même, avec bonheur, comme si cela n'existait, ne s'était fait que dans ce but unique.
On le sentait instantanément, mais qui aurait eu la force et la perspicacité de se le dire? Comment admettre cette chose monstrueuse : des yeux plus vastes que l’être auxquels ils appartiennent. Dans leur profondeur trouve place tout ce qu’on a pu s’imaginer et maintenant que cela se voit offrir un espace où se déployer, tout cela veut être dit
“E-li-as Ca-net-ti ?” répéta le père d’un ton interrogateur et hésitant. Il répéta plusieurs fois mon nom pour lui-même en en séparant nettement les syllabes. Dans sa bouche mon nom prenait de l’importance, devenait plus beau. Il ne me regardait pas, mais au contraire, fixait son regard devant lui comme si le nom avait été plus réel que moi et comme s’il avait mérité d’être appris.
Je l’écoutais, surpris et touché. Dans sa mélopée, mon nom me semblait appartenir à une langue particulière, inconnue de moi. Il le soupesa généreusement quatre ou cinq fois et je croyais entendre le cliquetis des poids. Je ne ressentais aucune inquiétude, il n’était pas un juge. Je savais qu’il découvrirait le sens et le poids de mon nom et lorsqu’il l’eut fait, il me dévisagea de ses yeux rieurs.
Il était là, debout, comme s’il avait voulu me dire : le nom est bon.
Une seule jeune femme laide, par son vain espoir, redonne son prix à l'amour devenu bon marché.
L'ennui mortel que répandent ceux qui ont raison et qui le savent.
L'homme réellement intelligent ne montre pas qu'il raison.
Un ascétisme sans puanteur, qu'elle sorte d'ascétisme est-ce donc?
Les jours qu'on ne compte pas sont le bonheur de la vie et les ans qu'on compte en sont la raison.
"Trouver une seule esplication vaudrait mieux que de devenir propriétaire de tout l'empire perse."
Il serait réjouissant d'engloutir les idées qui vous ont dominé pendant toute votre vie, de les engloutir à une telle profondeur qu'elles n'émergeraient plus qu'en rêve.
On doit juger les "grands hommes" avec dureté. On doit les traiter eux-mêmes traitent les autres. Ils ne sont "grands que là où ils sont durs. La miséricorde, qu'ils ne connaissent pas, n'a pas à rayonner sur eux parce qu'elle les présenterait sous un faux jour. On doit les doit les voir avec la cruauté qu'ils utilisent entre eux et avec laquelle ils piétinent les autres ; le reste est mystification.
Chaque homme à besoin d'une sphère légitime de répression où il lui soit loisible de mépriser, de dédaigner, et d'exalter son orgueil par-delà les mer. Le choix de cette sphère - il a lieu très tôt généralement - est très probablement l'évènement majeur de l'existence. Un éducateur, ici, peut réellement servir à quelque chose : il doit attendre longtemps, faire preuve d'une sympathie prudente et, lorsqu'il a trouvé ce qui est bon, délimiter vigoureusement cette sphère. Ce qui importe justement, ce sont ces limites. Il faut qu'elles soient puissantes et en mesure de résister à toute attaque, car elles doivent protéger tout le reste de la personnalité des convoitises rapaces de l'orgueil. Il ne suffit pas qu'un tel se dise : Je suis un grand peintre", il faut qu'il ressente qu'en dehors de cela il est très peu de chose et bien moins que beaucoup d'autres. La sphère de l'orgueil lui-même doit être spacieuse et aérée. Ses sujets ont intérêt à vivre à distance les uns des autres, largement répartis à l'extérieur. Ce n'est qu'en de rares et particulières occasions qu'on leur laisse sentir qu'ils sont des sujets. Ce qui compte uniquement, c'est que chacun porte en soi la boule de verre et en protège l'air raréfié. On respire bien dans la sphère, paisiblement aussi, puisque l'air est pur et qu'on y est seul. Il n'y a que les fripons et les déments pour désirer qu'elle s'accroisse jusqu'à devenir une prison pour tous. Le sage la surveille, afin qu'il puisse toujours la prendre en main ; et s'il lui permet, pour s'amuser, de se dilater et de grandir un peu, il n'oublie jamais qu'elle doit se rapetisser à nouveau et se retrouver dans sa main avant qu'il ne s'en détourne pour s'occuper de choses plus ordinaires.
Il faut les nourrir, ces merveilleux espoirs, bien qu'ils soient sans effet et n'offrent qu'une occasion de se tromper soi-même. Ils ne se réaliseront jamais, pas même pour un bref instant ; mais aucune illusion n'est pourtant plus sacrée et n'exige à ce point que nous ne l'étouffions pas.
Seule une image peut nous enchanter sans réserve ; un homme ne le pourra jamais. C'est là l'origine des anges.
Car à l'époque où les sagesses orientales se mirent à attirer d'innombrables adeptes, quand le renoncement aux visées de ce monde devint un phénomène de masse, il s'y mêla toujours une hostilité envers l'Esprit tel qu'il s'était développé dans les civilisations européennes. Ce fut une démolition générale, on en voulut surtout à la rigueur d'esprit; en refusant de participer au monde tel qu'il était, on se débarrassait du même coup de ses responsabilités envers lui. On n'allait pas se sentir coupable de choses dont on refusait de se mêler. "Vous l'avez bien mérité", devint une attitude très répandue.
j'avais inventé un raisonnement qui m'était propre et qui me permettait de me justifier à moi-même cette activité.
Un homme au souffle prodigieusement long, qui s'impose les phrases les plus courte.
Tous les animaux disparus. N'ayant plus d'animaux pour modèles, les hommes ne tendront-ils pas à devenir interchangeables?
L'âge de la terre se modifiait, selon lui, en fonction du nombre de ses habitants.
Il la pria de lui sortir des yeux.