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Citations de Elias Canetti (237)


1919 - à Zurich - il a 14 ans

J'étais attentif à elle (sa maman) autant qu'elle l'était de moi ; quand on est si proche d'une personne, on finit par avoir un sens infaillible des émotions qui la parcourent.
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Elle (la maman) entreprit de lire avec moi Schiller en allemand et Shakespeare en anglais.
Elle revenait ainsi à ses anciennes amours, au théâtre, cultivant en même temps le souvenir de mon père avec qui elle avait tant parlé de ces choses autrefois. Elle s'efforçait de ne pas m'influencer. Elle voulait savoir, après chaque scène, comment je l'avais comprise, et c'était toujours moi qui parlais le premier, elle n'intervenait qu'après coup. Parfois, il se faisait tard, elle oubliait l'heure, nous continuions à lire : elle s'enthousiasmait pour quelque chose et je savais alors que la lecture ne se terminerait pas de sitôt. Cela dépendait aussi un peu de moi. Plus mes réactions étaient sensées et mon commentaire éloquent, plus l'expérience passée remontait avec force en elle. Quand elle s'enthousiasmait pour l'une ou l'autre de ces choses auxquelles elle était si profondément attachées, je savais que la veillée était faite pour durer : l'heure à laquelle je me coucherais n'avait alors plus aucune importance ; elle ne pouvait pas davantage se passer de moi que moi d'elle, elle me parlait comme à un adulte, faisait l'éloge de tel acteur dans tel rôle, critiquait éventuellement tel autre qui l'avait déçue, encore que ce dernier cas ne se produisît que rarement. Elle parlait de préférence de ce qui lui avait plu d'emblée, sans réserve ni restriction. Les ailes de son nez frémissaient au-dessus des narines largement ouvertes, ce n'était plus moi que voyaient ses grands yeux gris, ce n'était plus à moi qu'elle s'adressait. Quand elle était la proie de ce genre d'émotions, je sentais bien qu'elle parlait à mon père et peut-être m'identifiais-je alors effectivement à lui sans même m'en apercevoir.
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Quand il rentrait de l'affaire, mon père se mettait aussitôt à parler avec ma mère. Ils s'aimaient beaucoup en ce temps-là, ils avaient une langue bien à eux, inconnue de moi, l'allemand, la langue qui les ramenait au temps heureux où ils étaient étudiants à Vienne. Ils parlaient de préférence du Burgtheater où ils avaient vu, avant même de se connaître, les mêmes pièces et les mêmes acteurs, et ils n'en finissaient plus alors d'évoquer leurs souvenirs. J'appris plus tard qu'ils étaient tombés amoureux l'un de l'autre au cours de semblables conversations et, alors qu'ils n'avaient pas réussi, séparément, à réaliser leur rêve de théâtre - tous deux auraient voulu devenir comédiens, - ils parvinrent ensemble à faire accepter l'idée d'un mariage qui suscitait de nombreuses résistances.
Issu de l'une des plus anciennes opulentes familles sépharades espagnoles de Bulgarie, grand-père Arditti s'opposait au mariage de sa fille cadette, sa préférée, avec le fils d'un parvenu d'Andrinople. Grand-père Canetti ne devait sa réussite qu'à lui-même. Pour un orphelin abusé qui tout jeune, s'était retrouvé dans la rue, livré à lui-même, il n'avait pas trop mal réussi : aux yeux de l'autre grand-père, il restait un comédien et un menteur. "Es mentiroso " - "C'est un menteur" lui avais je moi-même entendu dire, un jour que j'étais là, l'écoutant sans qu'il s'en doutât. De son côté, grand-père Canetti se plaçait au-dessus de l'orgueil de ces Arditti qui le prenaient de si haut avec lui. N'importe quelle jeune fille de bonne famille pouvait convenir à son fils et il estimait que c'était s'abaisser inutilement que de vouloir se marier précisément avec la fille Arditti!


page 38
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L'Atermoyeur descend le matin chercher son courrier, regarde ses lettres sans les ouvrir et les trie. Les plus urgentes, il les cache si bien qu'il n'y aura plus aucun moyen de les retrouver. Pour les moins urgentes, il se donne moins de mal. Mais toutes sont mises de côté. Il n'y a pas une journée qu'il ne commence en s'occupant de son courrier. Quand tout est réglé, il peut souffler un peu et se mettre à oublier. Le plus sûr, pour lui, est de se recoucher tout de suite après s'être occupé de son courrier. Car, quand il se réveille, il ne sait déjà plus ce qu'il y avait dedans : sinon, il faudrait qu'il se mette à changer les cachettes. Il n'est pas facile d'oublier tant de choses à la fois.

L'ATERMOYEUR.
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Maladie de sa mère, hospitalisée en préventorium, courtisée par un médecin.

Il voulut poser sa main sur ma tête, sans doute pour me féliciter encore mais par le geste cette fois. Je lui échappai en me baissant très vite et il eut l'air légèrement interloqué. "Un fier petit bonhomme ma chère ! Ne se laisse toucher que par sa maman!" Le mot "toucher" m'est resté présent à l'esprit ; il me détermina à haïr cet homme, à le haïr du fond du cœur. Il ne fit plus un geste dans ma direction mais chercha à me désarmer par la flatterie. Et il devait continuer sur ce mode en y mettant autant d'entêtement que d'invention et sans lésiner sur les cadeaux longuement mûris grâce auxquels il escomptait briser ma résistance. Mais comment aurait-il pu imaginer que la volonté d'un enfant à peine âgé de onze ans était égale, voire supérieure à la sienne ?

C'est qu'il faisait une cour très empressée à ma mère ; il avait conçu, disait-il (mais on ne devait me rapporter ses paroles que bien plus tard) une vive inclination à son endroit, la plus vive inclination de sa vie. Il était prêt à divorcer pour elle. Il voulait se charger des trois enfants, aider ma mère à les élever. Tous trois pourraient étudier à l'université de Vienne ; pour ce qui était de l'aîné, de toute façon il deviendrait médecin et, s'il en avait envie, il pourrait s'occuper du préventorium plus tard. Ma mère se fermait à moi : elle se gardait bien de tout me dire sachant que cela m'aurait anéanti. J'avais l'impression qu'elle restait trop longtemps, qu'il ne voulait plus la laisser partir. "Tu es complètement guérie" lui disais-je à chacune de mes visites. "Rentre donc à la maison, je te soignerai". Elle souriait. Je parlais comme un grand, à la fois comme un homme et comme un médecin qui savait exactement ce qu'il y avait lieu de faire. J'aurai voulu la prendre à bras-le-corps et la porter dehors. "Une nuit, je viendrai te voler" lui dis-je.
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Parmi les choses les plus importantes qui murissent en nous, il y a les rencontres différées.
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Elias Canetti
Le souvenir d’un seul être que l’on a perdu peut vous donner de l’amour pour tous les autres. Qui le Christ a-t-il perdu ? La lacune des Evangiles.
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La Terre abandonnée, surchargée de lettres de l’alphabet, étouffée sous les connaissances et plus aucune oreille qui soit à l’écoute dans le froid.
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Jeter tous les livres, oublier tout ce bazar. Tout ce qui est dans les livres est faux, seule comptent la vie elle-même et l’expérience et le travail, le travail dur. Jusqu’à ce que les os vous en craquent.
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Cimetières d'étoiles
ça commence avec le fait de compter les morts. Chacun devrait, par sa mort, devenir unique comme Dieu. Un mort plus un autre ne font pas deux. Les vivants se laisseraient plus aisément compter, mais quoi de plus vain que ce genre d'addition ?
Des villes et des campagnes entières peuvent porter le deuil, comme si tous les hommes, tous, fils et pères, étaient tombés au front. Mais si le nombre de ceux qui sont tombés s'élève à onze mille trois cent soixante-dix, elles ne cesseront d'aspirer à atteindre le million.
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Mais quand le temps de paix est passé, la guerre sainte reprend ses droits. "Mahomet, dit un des meilleurs connaisseurs de l'Islam, est le prophète de la lutte et de la guerre... Ce qu'il a commencé par faire dans son milieu arabe, c'est le testament qu'il laisse ensuite à l'avenir de sa communauté : guerre aux infidèles, extension non pas tellement de la foi que de sa sphère d'influence, qui est la sphère même de la puissance d'Allah. Ce qui compte pour les guerriers de l'Islam n'est pas tellement la conversion que la soumission des incroyants."
Le Coran, le livre du prophète inspiré par Dieu, ne laisse aucun doute là-dessus. "Quand les mois saints sont passés, tuez les incroyants où que vous les trouviez ; saisissez-vous d'eux, refoulez-les et tendez-leur toutes les embuscades que vous pourrez."
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Il s'efforce de leur insuffler de la grandeur d'âme. Mais il n'éveille que la folie des grandeurs.
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Elle (la mère de Canetti ) avait acquis la conviction que toutes les religions se valent . Elle pensait qu'il fallait se référer à ce qu'elles avaient en commun et régler sa conduite là-dessus . Des guerres sanglantes , impitoyables , avaient été menées au nom de telle ou telle religion , c'était une raison supplémentaire de s'en méfier . sans compter que la religion détournait l'homme de certaines graves questions qui restaient à résoudre . Elle était convaincue que les hommes étaient capables du pire ; la preuve irréfutable de la faillite de toutes les religions résidait , à ses yeux , dans le fait qu'elles n'avaient pa su faire obstacle à la guerre . Quand des ecclésiastiques de toutes les confessions allèrent jusqu'à bénir les armes avec lesquelles des hommes qui ne se connaissaient même pas s'entre-tueraient bientôt .
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Le geste de l’idiot profond, dans sa nécessité, m’émeut davantage que celui du Tout-Puissant.
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Heureux ceux qui sèment et ne récoltent pas
car ils vagabonderont au loin.

Heureux les généreux, dont la jeunesse en gloire
a renchéri sur la lumière des jours et son extravagance,
ils jetteront leurs ornements aux carrefours.

Heureux les fiers, dont la fierté déborde des rebords de leur âme,
et devient comme l'humilité du blanc,
quand l'arc-en-ciel s'élève des nuages.

Heureux ceux qui savent que leur coeur crie dans le désert,
sur leurs lèvres le silence fleurira.

Heureux sont-ils, car ils seront réunis au coeur du monde
enveloppés du manteau de l'oubli,
et l'éternité sans paroles sera leur lot.

Avraham ben Yitzhak, 1928, in "The Hebrew poem itself", p. 60. Traduction et commentaire de Dan Pagis.

אשרי הזורעים ולא יקצורו
כי ירחיקו נדוד

אשרי הנדיבים אשר תפארת נעוריהם
הוסיפה על אור הימים ופזרונם
והם את עדים התפרקו על אם הדרכים

אשרי הגאים אשר גאותם עברה גבולי נפשם
ותהי כענות הלובן
אחרי העלות הקשת בענן

אשרי היודעים אשר יקרא לבם במדבר
ועל שפתם תפרח הדומיה

אשרים כי יאספו אל תוך לב עולם
לוטי אדרת השכחה
והיה חוקם התמיד בלי אומר
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Tombant des rayons, des livres s'abattent sur le sol. De ses longs bras, il les rattrape et les porte, pile après pile, dans le vestibule. Il les entasse bien haut contre la porte de fer et il construit, avec ses vingt-cinq-mille livres, une puissante redoute. Bientôt, il atteint le plafond. Devant le bureau, de grandes flammes s'élèvent. Il installe l'échelle au milieu de la pièce, grimpe sur le sixième échelon, surveille le feu et attend. Quand les flammes l'atteignent, il rit à pleine voix, comme il ,'a jamais ri de sa vie.
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Mais l'esprit ne se nourrit pas de romans. On paye trop cher la plaisir hypothétique qu'ils apportent : ils arrivent à désagréger le caractère le plus ferme. Ils vous apprennent à vous mettre à la place de toutes sortes de gens. On prend goût à ces changements perpétuels. On se confond avec les personnages qui vous plaisent. On admet tous les points de vue. On s'abandonne de bon gré à des buts qui vous sont étrangers et l'on perd pour longtemps les siens de vue. Les romans sont comme des coins que l'écrivain, ce comédien de la plume, enfonce dans la personnalité fermée de ses lecteurs. Mieux il calcule les dimensions du coin et la résistance qu'il rencontrera, et plus grande sera la fissure. Les romans devraient être interdits par l'Etat.
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Notes (1942-1994)
1992
 
 
Il cessa de respirer et continua de lire.

p.414
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Il n'est pas de direction qui impressionne l'homme davantage que celle de la chute; toutes les autres ont en comparaison quelque chose de dérivé, de secondaire. La chute est ce que l'on redoute le plus dès l'enfance, et la première chose contre laquelle on soit armé dans la vie. On apprend à s'en garder ; à partir d'un certain âge, toute défaillance en ce domaine est ridicule ou dangereuse. La pluie, au contraire de l'homme, est ce qui doit tomber. Rien ne tombe aussi fréquemment et diversement que la pluie.
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Il n'est pas douteux que beaucoup d'interdits ne sont portés que pour étayer la puissance de ceux qui peuvent en châtier et en pardonner la transgression.
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