On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose.
La seule chose qui élève l'homme au-dessus de l'animal est la parole ; et c'est elle aussi qui le met souvent au-dessous.
La maxime stoïcienne selon laquelle nous devons nous plier sans murmure aux choses qui ne dépendent pas de nous, ne tient compte que des malheurs extérieurs, qui échappent à notre volonté. Mais ceux qui viennent de nous-mêmes, comment nous en accommoder ? Si nous sommes la source de nos maux, à qui nous en prendre ? à nous-mêmes ? Nous nous arrangeons heureusement pour oublier que nous sommes les vrais coupables, et d’ailleurs l’existence n’est tolérable que si nous renouvelons chaque jour ce mensonge et cet oubli.
Il n'y a qu'un homme contre qui je dois me défendre toujours : c'est moi-même.
Certains se demandent encore si la vie a un sens ou non. Ce qui revient en réalité à s'interroger si elle est supportable ou pas. Là s'arrêtent les problèmes et commencent les résolutions.
Si le dégoût du monde conférait à lui seul la sainteté, je ne vois pas comment je pourrais éviter la canonisation.
Ne nous suicidons pas tout de suite, il y a encore quelqu’un à décevoir.
Les hommes travaillent généralement trop pour pouvoir encore rester eux-mêmes. Le travail : une malédiction que l’homme a transformée en volupté. Oeuvrer de toutes ses forces pour le seul amour du travail, tirer de la joie d’un effort qui ne mène qu’à des accomplissements sans valeur, estimer qu’on ne peut se réaliser autrement que par le labeur incessant — voilà une chose révoltante et incompréhensible. Le travail permanent et soutenu abrutit, banalise et rend impersonnel. Le centre d’intérêt de l’individu se déplace de son milieu subjectif vers une fade objectivité ; l’homme se désintéresse alors de son propre destin, de son évolution intérieure, pour s’attacher à n’importe quoi : l’œuvre véritable, qui devrait être une activité de permanente transfiguration, est devenue un moyen d’extériorisation qui lui fait quitter l’intime de son être. Il est significatif que le travail en soit venu à désigner une activité purement extérieure : aussi l’homme ne s’y réalise-t-il pas — il réalise.
Ce que j’ai ressenti au cours des années s’est mué en livres et c’est comme si ces livres s’étaient écrits d’eux-mêmes.
Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.
Espérer, c'est démentir l'avenir.
Mes doutes, je les ai acquis péniblement ;
mes déceptions, comme si elles m'attendaient depuis toujours,
sont venues d'elles même.
Le monde ne mérite pas qu'on se sacrifie pour une idée ou une croyance.
Pourquoi les hommes tiennent-ils absolument à réaliser quelque chose? Ne seraient-ils pas incomparablement mieux, immobiles sous le ciel, dans un calme serein? Qu'y a-t-il donc à accomplir? Pourquoi tant d'efforts et d'ambition? L'homme a perdu le sens du silence.
Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?
"À cet ami qui me dit s’ennuyer parce qu’il ne peut pas travailler, je réponds que l’ennui est un état supérieur, et que c'est le rabaisser que de le mettre en rapport avec l’idée de travail."
Il n'y a pas de sensation fausse.
« Aucune amitié ne supporte une dose exagérée de franchise. »
« Je ne l’ai rencontrée que deux fois. C’est peu. Mais l’extraordinaire ne se mesure pas en termes de temps. Je fus conquis d’emblée par son air d’absence et de dépaysement, ses chuchotements (elle ne parlait pas), ses gestes mal assurés, ses regards, qui n’adhéraient aux êtres ni aux choses, son allure de spectre adorable. « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? » était la question qu’on avait envie de lui poser à brûle-pourpoint. Elle n’eût pu y répondre, tant elle se confondait avec son mystère ou répugnait à le trahir. Personne ne saura jamais comment elle s’arrangeait pour respirer, par quel égarement elle cédait aux prestiges du souffle, ni ce qu’elle cherchait parmi nous. Ce qui est certain c’est qu’elle n’était pas d’ici, et qu’elle ne partageait notre déchéance que par politesse ou par quelque curiosité morbide. Seuls les anges et les incurables peuvent respirer un sentiment analogue à celui qu’on éprouvait en sa présence. Fascination, malaise surnaturel !
A l’instant même où je la vis, je devins amoureux de sa timidité, une timidité unique, inoubliable, qui lui prêtait l’apparence d’une vestale épuisée au service d’un dieu clandestin ou alors d’une mystique ravagée par la nostalgie ou l’abus de l’extase, à jamais inapte à réintégrer les évidences !
Accablée de biens, comblée selon le monde, elle paraissait néanmoins destituée de tout, au seuil d’une mendicité idéale, vouée à murmurer son dénuement au sein de l’imperceptible. Au reste, que pouvait-elle posséder et proférer, quand le silence lui tenait lieu d’âme et la perplexité d’univers ? Et n’évoquait-elle pas ces créatures de la lumière lunaire dont parle Rozanov ? Plus on songeait à elle, moins on était enclin à la considérer selon les goûts et les vues du temps. Un genre inactuel de malédiction pesait sur elle. Par bonheur, son charme même s’inscrivait dans le révolu. Elle aurait dû naître ailleurs, et à une autre époque, au milieu des landes de Haworth, dans le brouillard et la désolation, aux côtés des sœurs Brontë…
Qui sait déchiffrer les visages lisait aisément dans le sien qu’elle n’était pas condamnée à durer, que le cauchemar des années lui serait épargné. Vivante, elle semblait si peu complice de la vie, qu’on ne pouvait la regarder sans penser qu’on ne la reverrait jamais. L’adieu était le signe et la loi de sa nature, l’éclat de sa prédestination, la marque de son passage sur terre ; aussi le portait-elle comme un nimbe, non point par indiscrétion, mais par solidarité avec l’invisible. »
(Exercice d'admiration à propos de Susanna Soca, poétesse uruguayenne)
Méfiez-vous de ceux qui ont tourné le dos à l'amour, à l'ambition, à la société. Ils se vengeront d'y avoir renoncé.