Citations de Emil Cioran (2656)
Qu'on me montre ici-bas une seule chose qui a commencé bien et qui n'a pas fini mal.
7 juillet 1967
Tout présent est déjà mort. Il n’y a de vivant que l’avenir. Cela est si vrai qu’on ne peut agir qu’en oubliant l’aujourd’hui pour ne songer qu’à demain. Le remords, tourné vers le passé, est le grand ennemi de l’acte.
Le secret de l’ici-bas, je dirais le miracle, ce n’est pas l’espoir, c’est la possibilité d’espérer. La vie s’épuise dans cette possibilité, la vie est cette possibilité même. p 518
Les véritables confessions ne s'écrivent qu'avec des larmes.
La vie n'est possible que par les déficiences de notre imagination et de notre mémoire.
Lorsque tu fais le bilan, durant des heures de solitude, tu comprends très bien que tu n’as jamais rencontré personne, que les amours et les amitiés ne sont même pas des illusions, que tu n’as jamais été que toi-même, seul, maladivement seul, condamné et malheureux.
(extrait de « Il n’y a personne », article, 1943)
Bien que j’aie de la vie une sombre conception, j’ai toujours eu une grande passion pour l’existence. Une passion si grande qu’elle s’est inversée en une négation de la vie, parce que je n’avais pas les moyens de satisfaire mon appétit de la vie. Ainsi, je ne suis donc pas un homme déçu, mais un homme intérieurement abattu par trop d’efforts.
Le non-sens du devenir
Dans la tranquillité de la contemplation, lorsque pèse sur vous le poids de l'éternité, lorsque vous entendez le tic-tac d'une horloge ou le battement des secondes, comment ne pas ressentir l'inanité de la progression dans le temps et le non-sens du devenir? A quoi bon aller plus loin, à quoi bon continuer? La révélation subite du temps, lui conférant une écrasante prééminence qu'il n'a pas d'ordinaire, est le fruit d'un dégoût de la vie et de l'incapacité à poursuivre la même comédie. Lorsque cette révélation se produit la nuit, l'absurdité des heures qui passent se double d'une sensation de solitude anéantissante, car - à l'écart du monde et des hommes - vous vous retrouvez seul face au temps, dans un irréductible rapport de dualité. Au sein de l'abandon nocturne, le temps n'est plus en effet meublé d'actes ni d'objets; il évoque un néant croissant, un vide en pleine dilatation, semblable à une menace de l'au-delà. Dans le silence de la contemplation résonne alors un son lugubre et insistant, comme un gong dans un univers défunt. Ce drame, seul le vit celui qui a dissocié existence et temps : fuyant la première, le voici écrasé par le second. Et il ressent l'avance du temps comme l'avance de la mort.
Après avoir, en pure perte, tout tenté du côté des mystiques, il ne lui restait plus qu'une issue : sombrer dans la sagesse...
[Bonne année à tous !... Qu'elle soit remplie de sagesse... ou pas]
N'importe quel peuple, à un certain moment de sa carrière, se croit élu. C'est alors qu'il donne le meilleur et le pire de lui-même.
Dès que quelqu'un se convertit à quoi que ce soit, on l'envie tout d'abord, puis on le plaint, ensuite on le méprise.
"L'heure du crime ne sonne pas en même temps pour tous les peuples.
Ainsi s'explique la permanence de l'histoire."
Emil Cioran
Les grands exploits ont rejoint les contes de fées et les manuels. Les entreprises glorieuses du passé, comme les hommes qui les suscitèrent, n'intéressent encore que pour les belles paroles qui les ont couronnées. Malheur au conquérant qui n'a pas d'esprit ! Jésus lui-même, pourtant dictateur indirect depuis deux millénaires, n'a marqué le souvenir de ses fidèles et de ses détracteurs que par des bribes de paradoxes qui jalonnent sa vie si adroitement scénique. Comment s'enquérir encore d'un martyr s'il n'a pas proféré un mot adéquat à sa souffrance ? Nous ne gardons la mémoire des victimes passées ou récentes que si leur verbe a immortalisé le sang qui les éclaboussées. Les bourreaux eux-mêmes ne survivent que dans la mesure où ils furent bons comédiens : Néron serait oublié depuis longtemps sans ses saillies de bouffon sanguinaire.
Quand, aux côtés d'un mourant, ses semblables se penchent vers ses balbutiements, ce n’est pas tant pour y déchiffrer une dernière volonté, mais bien plutôt pour y entendre un bon mot qu’ils sauront citer plus tard afin d’honorer sa mémoire. Si les historiens romains n'omettent jamais de décrire l'agonie de leurs empereurs, c'est pour y placer une sentence ou une exclamation que ceux-ci prononcèrent ou sont censés avoir prononcée. Cela est vrai même pour les agonies les plus communes. Que la vie ne signifie rien, tout le monde le sait ou le pressent : qu’elle soit au moins sauvée par un tour verbal ! Une phrase aux tournants de leur vie, voilà à peu près tout ce qu’on demande aux grands et aux petits. Manquent-ils à cette obligation, ils sont à jamais perdus ; car on pardonne tout, jusqu’aux crimes, à condition qu’ils soient exquisément commentés.
La connaissance à petite dose enchante; a forte dose, elle déçoit. Plus on en sait, moins on veut en savoir. Car celui qui n'a pas souffert de la connaissance n'aura rien connu.
On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir.
Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?
Tel que relevé pour "Les fils de la pensée" https://filsdelapensee.ch/
Dieu me paraît inconcevable ordinairement, mais à certains moments, je puis concevoir que je m'adresse à lui, sans que j'y croie réellement.
Trois heures du matin. Je perçois cette seconde, et puis cette autre, je fais le bilan de chaque minute.
Pourquoi tout cela? Parce que je suis né.
C'est d'un type spécial de veilles que dérive la mise en cause de la naissance.
Comme on ne saurait hiérarchiser les conceptions de la vie, tout le monde a raison et personne.
La musique est une illusion qui rachète toutes les autres.
On devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu'on n'oserait confier à personne.