Citations de Emil Cioran (2656)
Quand il me faut mener à bien une tâche, que j’ai estimée par nécessité ou par goût, à peine m’y suis-je attaqué, que tout me semble important, tout me séduit, sauf elle.
Les philosophes sont bien trop orgueilleux pour avouer leur peur de la mort, et trop prétentieux pour reconnaitre à la maladie une fécondité spirituelle.
Il est des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
Je n’admirerais pleinement qu’un homme déshonoré –et heureux. Voilà quelqu’un, me dirais-je, qui fait fi de l’opinion de ses semblables et qui puise bonheur et consolation en lui seul.
« Les rêves sont menteurs ; chier dans son lit, il n’y a que ça de vrai. »
Regarder sans comprendre, c’est cela le paradis. L’enfer serait donc le lieu où l’on comprend, où l’on comprend trop…
Les nuits où nous avons dormi sont comme si elles n'avaient jamais été. Restent seules dans notre mémoire celles où nous n'avons pas fermé l'œil : nuit veut dire nuit blanche.
La théologie n'a pas encore pu élucider qui est le plus seul : Dieu ou l'homme. Est venue la poésie, et nous avons compris que c'était l'homme…
Je n'aime pas les prophètes, ni non plus les fanatiques qui n'ont jamais douté de leur mission ni de leur foi. Je mesure la valeur des prophètes à leur capacité de douter, à la fréquence de leurs moments de lucidité. Bien que seul le doute les rende réellement humains, il est, chez eux, plus troublant que chez les autres hommes. Le reste n'est qu'intransigeance, sermon, morale et pédagogie. Ils prétendent instruire les autres, leur apporter le salut, leur révéler la voie de la vérité et changer leur destin, comme si leurs certitudes valaient mieux que celles de leurs disciples. Le critère du doute permet seul de distinguer les prophètes des maniaques.
Le rôle des périodes de déclin est de mettre une civilisation à nu, de la démasquer, de la dépouiller de ses prestiges et de l'arrogance liée à ses accomplissements. Elle pourra ainsi discerner ce qu'elle valait et ce qu'elle vaut, ce qu'il y avait d'illusoire dans ses efforts et ses convulsions.
Nous n'adoptons pas une croyance parce qu'elle est vraie (elles le sont toutes), mais parce qu'une force obscure nous pousse. Que cette force vienne à nous quitter, et c'est la prostration et le krach, le tête-à-tête avec ce qui reste de nous-même.
Toute morale n'a d'autre but que de transformer cette vie en une somme d'occasions perdues.
Les profondeurs du mal confèrent une supériorité irritante ; peut-être les hommes ont-ils adoré Dieu par jalousie envers le Diable.
Au mieux, tu passeras la première partie de ta vie en quête de ce dont tu n'auras de cesse de te défaire durant la seconde. Au pire, tu t'en contenteras.
Le péché n'est pas d'être triste mais d'aimer la tristesse. Je l'ai cultivée par tous les moyens, à vrai dire par besoin et nullement par coquetterie. J'ai aimé les rengaines espagnoles, hongroises, argentines, j'ai aimé la tristesse sous toutes ses formes, à toutes les latitudes, à tous les niveaux, du plus bas au plus élevé.
Ne me demandez plus mon programme : respirer, n’en est-ce pas un ?
“Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.”
En permettant l'homme, la nature a commis beaucoup plus qu'une erreur de calcul : un attentat contre elle-même.
Les moyens de vaincre la solitude ne font que l'augmenter. En voulant nous éloigner de nous-mêmes par l'amour, l'ivresse ou la foi, nous ne réussissons qu'à renforcer plus profondément notre identité. On est encore plus soi-même auprès d'une femme, dans l'alcool, ou en Dieu. Même le suicide n'est qu'un hommage négatif que nous rendons à nous-mêmes.
C'est étrange comme nous cherchons à oublier par l'amour ce que tous les bleus du ciel et toutes les mythologies de l'âme ne peuvent nous faire oublier. Mais les bras d'une femme ne peuvent pas nous cacher la vérité, bien qu'ils nous tiennent plus chaud que les lumières lointaines de Dieu.