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Critiques de Frédéric Pajak (79)
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Autoportrait

Emprunt à la Bibliothèque Buffon ( près du Jardin des Plantes)



J'ai une vive admiration pour cet artiste- écrivain dont j'ai suivi avec passion la très intéressante entreprise éditoriale et personnelle du "Manifeste incertain" où le dessinateur-auteur a poursuivi à travers artistes maudits (Van Gogh...,), solitaires ou suicidaires (Pavese, Niezstche, etc) une autre sorte d'autobiographie et de récit de son mal-être !



Dans cet autoportrait plus directement nommé, Pajak nous parle de sa jeunesse,de ses doutes,de ses difficultés à trouver sa place dans ce monde...tout en nous interrogeant sur l'art et la difficulté de l'autoportrait,à travers le parcours de quelques artistes , comme Van Gogh,Kokoschka,Max Beckmann,Paul Gauguin, Delacroix,Antonin Artaud, Claude Monet,Felix Vallotton, Ferdinand Hodler,Dürer, Matisse,Albert Welti,etc.



"Ce sont eux (artistes),néanmoins, qui ont farfouillé dans la figure humaine, depuis les parois des grottes jusque sur ces pauvres feuilles sur lesquelles s'acharnait Louis Soutter.La figure humaine est réapparue sous mille formes devenues mille styles."(p.140)



Album très éclairant sur le parcours d'un artiste talentueux et torturé, comme bon nombre des artistes et écrivains qu'il a choisis de mettre à l'honneur et ces choix ne sont pas anodins...des personnalités complexes aussi lumineuses que parfois très sombres.Un mal de vivre créateur que l'on sent toutefois persistant et profond pour Pajak...



"Mais l'autoportrait,encore une fois,est un art du silence.Il ne peut rapporter qu'un visage précis, étourdi, une grimace délibérée ou involontaire-même si Bram van Velde rétorque : " Peindre,c'est chercher le visage de ce qui n'a pas de visage."

Le décor d'un visage et sa posture sont toujours troublants.Le corps se dresse devant le miroir et le miroir devient le voyeur ."

(p.132)



J'allais omettre que Pajak,de façon plus succincte parle aussi de l'"autoportrait" en Littérature, avec quelques évocations d'écrivains comme Guillermo Cabrera Infante,Pessoa,Montaigne,Jorge Luis Borges,Giovanni Papini,etc
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Un certain Frédéric Pajak

"Les véritables héros de mes livres sont des sentiments : la solitude, le chagrin d'amour, la mélancolie, le deuil."

(p. 145)



Déjà plus de dix jours que j'ai littéralement "avalé" cet ouvrage passionnant, le temps d'un trajet en train de Paris à Murat ( Cantal) pour des vacances fortement attendues, chez des amis !



Malheureusement, freinée par l'absence d'ordinateur depuis le 24 septembre...ma critique est restée depuis au brouillon, sur papier !!!



Ayant enfin réussi à squatter un ordi chez une gentille camarade-voisine, je "pose" mes impressions de lecture, des plus enthousiastes... et fourmillant d'informations sur ce graphiste-peintre-écrivain, Frédéric Pajak, dont j'ai découvert par hasard, il y a déjà fort longtemps son travail extraordinaire sur le noir.....Mes deux premiers coups de coeur sont parmi les tout premiers volumes du "Manifeste incertain": "Une immense solitude" et "Le Chagrin d'amour".

Parmi les derniers, j'ai été bouleversée et "captée" littéralement par le "Van Gogh"...



Ce très bel ouvrage, est en harmonie complète, avec les autres tomes du "Manifeste incertain", même maquette et présentation... comprend une très foisonnante iconographie, qui m'a permise , entre autres, de prendre connaissance de ses peintures, ainsi que de ses caricatures et dessins de presse dont j'ignorais tout... ainsi que des peintures de Jacques Pajak, son père, lui-

même artiste-peintre.



Pour ma part, ce sont ses textes-essais dessinés que je connaissais et suivais avec passion; Ce fabuleux travail de graphiste, cette finesse et expressivité du trait sur le noir et le blanc...me subjuguent de façon inconditionnelle...



Les entretiens présentés ici, avec F.P., ses amis, nous offrent une vision très élargie et palpitante du parcours de cet "artiste global"... J'ai adoré toutes les précisions concernant précisément son travail de dessinateur, véritable prouesse d'orfèvre sur le noir, le blanc, le gris... J'ai appris en même temps que F.P. avait commencé à 15 ans chez un imprimeur...qu'il maîtrisait à fond la fabrication de "l'Objet-Livre", et se montrait toujours très exigeant en la matière.



Très révélateur d'apprendre le sort très inégal de chacun de ses livres... dont l'échec -coup de poing du "Martin Luther, l'inventeur de la solitude", qui fut totalement incompris...

En lisant en détails l'origine de chacun de ses ouvrages, je comprends mieux pourquoi ils me touchent autant .. et résonnent très loin en moi.



"Charles Ficat, éditeur et écrivain ---

Dans l'oeuvre de Frédéric Pajak, il y a un long sanglot. Une tristesse inconsolable. "(p. 110)





"Jacques Zwahlen, ami d'enfance----

Frédéric excellait dans le rôle du procureur. Il se montrait drôle et percutant, manifestant une lucidité psychologique hors du commun. Avec son vécu d'enfant abandonné et d'adolescent maltraité, il s'est lancé dans un exercice à haut risques. S'il a réussi au-delà de toute espérance, c'est parce qu'il est parvenu à exprimer une pensée quasi extra-lucide à fleur de peau. Et tout cela avec un humour imperturbable, une ironie décapante, une constante autodérision, mêlés à une sensualité savamment filtrée-distillée, je dirais, avec une immense pudeur de sentiment. (...) En s'épanouissant dans l'essai dessiné, il est devenu une personnalité morale et artistique de référence. C'est un parcours impressionnant. Un vrai tour de force. "(p. 35)





Après ce volume d'entretiens, qui est une vraie mine d'or... [ **à recommander à tous les passionnés de ce graphiste-écrivain mais aussi à tous les curieux sensibles , à la littérature ,au dessin et à l'art... sans omettre les amateurs attirés par le Beau conjugué à et la contestation..].je poursuivrai avec la lecture d'"Autoportrait"... Toutefois que de bonheurs futurs en perspective, car il semble rester d'autres projets pour nourrir et

compléter ce "Manifeste incertain" qui me fait songer à une sorte de testament artistique , littéraire et personnel...global.



Une lecture captivante et un régal absolu pour les yeux !... A ne pas manquer , vraiment!!
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Mélancolie

Toujours très « époustouflée », inconditionnelle face au talent et à l’originalité de Frédéric Pajak…qui allie, comme ses extraordinaires dessins noir et blanc, les mêmes contrastes dans les textes, tour à tour sous le couvert de la confidence et de la rencontre toute personnelle d’artistes, peintres et écrivains…



"Les véritables héros de mes livres sont des sentiments : la solitude, le chagrin d'amour, la mélancolie, le deuil." [ « Un certain Frédéric Pajak « , p. 145 ]



Un enthousiasme certain pour les textes et le talent de ce dessinateur ; ainsi j’ai interrogé la base de ma médiathèque et j’ai réservé ce volume « Mélancolie » que je ne connaissais pas…



« Mélancolie » met en scène dans une première partie l’amour-détestation de l’auteur pour l’Italie, ses souvenirs personnels parallèlement à l’évocation d’ artistes, d’écrivains ayant été fascinés par la péninsule dont Ernest Renan ; de très beaux passages sur un écrivain mal connu et pas lu, à sa juste valeur, Joseph Delteil…évocation de Paul Léautaud et de son mauvais caractère !



Pajak parle d’autres voyages et d’autres artistes qui le captivent particulièrement: Malevitch, Jean Scheurer, etc.



« Malévitch m’a longtemps hanté- et c’est peu dire-au point que je me suis identifié, non pas à lui, mais à son Carré noir sur fond blanc, ce même carré noir que ses proches avaient accroché sur le devant de la camionnette qui portait son cercueil en mars 1935, depuis la gare de Leningrad jusqu’à Moscou. Une petite foule accompagna sa dépouille.

Si je devais me changer en tableau, je voudrais être celui-là. « (p. 157)



Désespoir, amour de la Vie, présence toujours constante du suicide…boulimie, curiosité, tous azimuts, envers la création artistique, réflexions, questionnements philosophiques ou plus exactement, existentiels ; de nombreuses évocations de la mort dont celle du père de l’artiste, c’est une œuvre des plus singulières que celle de Frédéric Pajak…



« Nous sommes les spectateurs muets du monde. Quelque chose nous appartient de cette espèce grandiose, qui ne nous appartient pas. Le monde est à nous et il n'est pas à nous. (p. 109)”

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Manifeste incertain, tome 5

Le coup de coeur de cette rentrée... ou plus exactement un "coup au coeur" total, bouleversant et dérangeant...



Que dire ?... cet ouvrage m'a littéralement chavirée.. et pourtant je pensais connaître le parcours de Vincent van Gogh. Une longue histoire avec cet artiste: en 1979, je me rendais à Amsterdam pour visiter le musée qui lui est consacré...j'avais découvert avec fascination ses dessins que l'on dit maladroits, alors que je les trouvais d'une force et d'une émotion incroyables, ainsi que ses toiles inspirées de son vif intérêt pour le Japonisme... Ensuite, j'ai lu comme tant d'autres le texte de qualité de Viviane Forrester " Van Gogh ou l'enterrement dans les blés"... et ironie du sort, je débutais mes fonctions de Libraire du secteur des "Musées Nationaux" au Musée d'Orsay, en 1988, par une manifestation autour de

ce peintre, manifestation qui virait à "la vangogmania" comme nous ironisions... chaque jour, commandant et vendant des "palettes du catalogue d'exposition"...Il s'agissait d'un angle de vue précis, choisi sur son oeuvre, "Van Gogh à Paris"...



Sans omettre une sorte de "pélérinage incontournable" au cimetière d'Auvers sur Oise, où les deux frères, Théo et Vincent sont inhumés côte à côte, dans des sépultures modestes, recouvertes de lierre...



Je reviens au travail de Frédéric Pajak que j'ai dévoré littéralement : un talentueux mélange de mots et d'images...rendant un hommage vibrant à Vincent van Gogh, l'artiste et l'homme en tourment.



Ce texte accompagné d'images, de dessins en noir et blanc, nous prennent littéralement aux tripes. Un long chemin de souffrances existentielles, de doutes sur le sens de sa vie et de son art... Long parcours âpre où le seul roc infaillible, vaillant est le frère cadet, Théo, mécène, marchand d'art, frère indulgent, protecteur, qui en dépit de toutes les moqueries, ainsi que les avis négatifs exprimés envers les tableaux de Vincent, croit durablement, et avec une belle ténacité plus que méritoire au talent original de son aîné...incompris



"Ce robuste et vrai artiste, très de race, aux mains brutales de géant, aux nervosités de femme hystérique, à l'âme d'illuminé, si original et si à part au milieu de notre piteux art d'aujourd'hui, connaîtra -t-il un jour- tout est possible- les joies de la réhabilitation, les câjoleries repenties de la vogue ? Peut-être. "

L'article se conclut par ces mots : "Vincent van Gogh est, à la fois, trop simple et trop subtil pour l'esprit bourgeois contemporain. Il ne sera jamais pleinement compris que de ses frères, les artistes très artistes... et des heureux du petit peuple... du tout petit peuple..." (p. 217-218) [ Critique d'art, Gabriel-Albert Aurier]



Les dessins en noir et blanc intensifient la narration de Frédéric Pajak, qui rend avec force et conviction la vie dramatique de cet artiste, parmi les plus incompris et mal-aimés, mort à 37 ans ! ... avec les oeuvres sublimes que l'on connaît, et qui se vendent aujourd'hui à des sommes astronomiques ... sans oublier toutes celles détruites par des personnes ignares... ou bradées pour quelques sous misérables ...





Il est question d'art, d'exigence artistique extrême, mais aussi d'une sublime histoire de fraternité...unique en son genre.

Un ouvrage authentique qui comme l'oeuvre de l'artiste honoré ne ressemble à aucune publication existante...qui nous retourne artistiquement, émotionnellement, et humainement.



Je ne peux qu'adhérer de tout coeur à la poignante déclaration de l'auteur vis à vis de ce créateur sur lequel on a tant écrit... et son appréhension toute personnelle, intime de l'oeuvre et de l'homme :



"A la relecture de ses -Lettres-, m'est revenue cette insistance qu'il [Vincent van Gogh] a à se décrire comme un "raté",à n'en pas démordre. Les ratés, les exclus, les laissés-pour compte, les chiffonniers, les glaneuses: tout ce malheureux monde que L Histoire rejette sur ses bas-côtés, il en hurle l'existence. Sa vie témoigne de cette vérité, de cette part blâmée de l'humanité. Qu'y a-t-il à ajouter ? Tout a été écrit sur Vincent.

Mais j'ai besoin de vivre un peu à ses côtés, non pas de lui prêter ma voix, mais de me perdre en lui pour mieux le retrouver, et pour ne plus l'oublier. Jamais. (p.10)"



Je suis à la fois euphorique de cette lecture, et "marquée" par la gravité de ce chemin exacerbé de douleurs, de mal-être intenable. Un très beau livre... où les images et les mots nous secouent à chaque page. J'avais déjà infiniment apprécié d'autres ouvrages de Frédéric Pajak, sur Nieztsche et Pavese à Turin, "penseurs "dans une période de mal-être et de doutes lancinants, "L'Immense solitude"..., "Le Chagrin d'amour", avec la destinée du poète d'Apollinaire...mais où on rencontre également Emily Dickinson, Catherine II, Stendhal, Picasso, Marcel Duchamp, Picabia et tant d'autres amoureux malheureux...



Je ne rentre pas plus dans les détails de cette narration, en dehors des éléments qui concernent les nombreux artistes qui ont marqué Vincent van Gogh, dont un autre peintre malmené et incompris, Monticelli...qu'il vénérait. Ce dont je ne me souvenais aucunement .!!..



Une lecture à ne pas manquer surtout ... pour tous les passionnés de van Gogh mais aussi par les beaux-arts, les réflexions, questionnements qu'entraînent certaines destinées créatrices, les parcours artistiques hors du commun, qui enrichissent notre humanité !!





[ ****Une petite précision sur ce Manifeste de l'Incertain dont ce 5ème tome met en avant le peintre , Van Gogh; dans les trois premiers, le lecteur croise Walter Benjamin, un écrivain allemand qui s'est suicidé en France, en 1940. le 4ème volume évoque trois penseurs: Nietzsche, E. Renan et A. de Gobineau.]

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Marcel Bascoulard

Découverte incroyable de cet artiste et « clochard céleste »… grâce à un texte lu en avant-première, grâce à un prêt de mes camarades-libraires : « Ce qui manque à un clochard » de Nicolas Diat [Robert Laffont, août 2021 ]…[ Librairie Caractères - Issy-les-Moulineaux ]



Ce gros coup de coeur m'a donné la curiosité de poursuivre quelques recherches, et j'ai eu l'heureuse surprise de découvrir à ma médiathèque le catalogue de l'exposition qui lui avait été consacrée à Paris, à la Halle Saint-Pierre…en 2015



Catalogue très impressionnant comprenant plus de 300 oeuvres de l'artiste, le texte illustré, et très dense de Patrick Martinat narrant l'existence romanesque et tragique de Marcel Bascoulard, une page de présentation de Frédérik Pajak louant le style de Marcel Bascoulard… introduisant les 150 oeuvres à pleine page, reproduites ensuite…



Dessins humoristiques, ses photographies, ses tentatives incomprises du côté de l'Art abstrait, et ses dessins à l'encre, à la plume, des ruelles, coins et recoins de Bourges, sans oublier les magnifiques représentations de la cathédrale de Bourges ; mes préférences vont aux représentations de celle-ci, de nuit ! Toutefois, tout est magnifique, comme ciselé ; un vrai travail d'orfèvre… une ville magnifiée, dessinée à l'infini…paysages, ruelles, maisons anciennes, détails architecturaux, détails de la cathédrale… mais jamais d'humains à l'horizon, ni présents, ni suggérés !



Je me permets de transcrire un extrait explicite de la page de commentaire de Frédérik Pajak sur le talent de ce dessinateur :

« le dessinateur a disposé son décor à la fois simple et foisonnant. Il l'a vidé de toute présence animée : aucun passant ne traîne sur le chemin, aucun passant ne traîne sur le chemin, aucun habitant ne se présente alentour, ni chien, ni chat, ni même un oiseau. Touts est là, à sa place, et le large ciel se déploie au-dessus de la vanité du monde, un grand ciel si calme, si terriblement ordinaire. Bascoulard ne semble pas tenir à la vie, et surtout pas à sa représentation. Il offre à notre regard sa vision dépouillée- et pourtant descriptive et virtuose. Partout, on devine l'usure des choses, parce que les traits à peine appuyés se resserrent, se superposent et les abîment. Elles sont en assez bon état, ces choses : les maisons sont habitées, sans doute, les trains circulent, c'est presque certains, et pourtant elles semblent abandonnées, désaffectées. Il y a certes de la mélancolie, de la désolation ou de la nostalgie dans ses dessins, mais ces sentiments ne sont pas ostentatoires. Comme si le dessinateur s'en méfiait. Et l'on peut se poser la question : que veut-il exprimer, au juste ? le temps suspendu, peut-être.

La foisonnante simplicité du temps suspendu. Cela a suffi à son art. «

p. 132)



« Bascoulard ,Dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée. »--Marcel Bascoulard , personnage "emblématique " de la ville de Bourges, y ayant vécu entre 1940 et 1978… dont l'existence très prématurément fut marquée par de très lourds drames…



[***ne pas manquer le texte suivant à sa sortie le 26 août 2021 : « Ce qui manque à un clochard » de Nicolas DIAT [Robert Laffont, 2021 ]



Ma chronique : https://www.babelio.com/livres/Diat-Ce-qui-manque-a-un-clochard/1331528/critiques/2673712



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L'immense solitude

Lecture mai 2007 - remanié cette chronique janvier 2019



Je suis depuis un long moment une inconditionnelle du travail de cet artiste original et si complet [texte et Dessins ]...



"Cesare Pavese, lui, contemple la ville (Turin ) presque du seul oeil de la neurasthénie, comme s'il aimait s'attarder dans sa part d'ombre : les usines, les ouvriers exténués, la tristesse poisseuse des quartiers d'industrie- d'une mélancolie funeste."



A première vue, Friederich Nietzsche et Cesare Pavese n'ont rien en commun. Et pourtant !

Tous deux sont orphelins de père. Tous deux ont grandi dans un entourage exclusivement féminin. Tous deux n'ont jamais su se faire aimer d'une femme. Tous deux sont également poètes...Tous deux deux ont eu une vie brève,solitaire et poignante... Et tous deux ont amplement écrit sur la ville de Turin; et son atmosphère si particulière !



De cette ville, qui fut un temps la capitale de l'italie, Nietzsche n'en a dit que l'abord exaltant, aristocratique et baroque, tandis que Pavese en a recraché toute la tristesse, avec ses vastes quartiers industriels, ses usines qui noircissent le ciel, ses ouvriers exténués.

C'est à Turin que Nietzsche perd définitivement la raison. Il a 44 ans. Et c'est à Turin que Pavese se suicide dans une chambre d'hôtel. Il a 42 ans. le philosophe allemand meurt le 25 août 1900. L'écrivain piémontais meurt le 26 août 1950. Un demi-siècle plus tard, à un jour près...



En cherchant des rapprochements entre ces deux artistes exceptionnels, l'auteur pénètre , dans leur drame intime, dans les blessures inguérissables de leur enfance; et l'on revit, à travers les extraordinaires dessins en noir et blanc de Pajak, les derniers instants tragiques qui les ont conduit tous deux, à la folie et à la mort !

"Je ne sais plus où poser les yeux afin de trouver un moi-même qui soit un peu moins misérable" [Pavese]



Friedrich Nietzsche vivra ses dix dernières années comme un enfant, et même pire, de façon végétative !



A la fin de ma lecture, un passage fort intéressant nous apprenait que le peintre Georgio de Chirico était captivé par l'oeuvre de Nietzsche...



Deux artistes, deux êtres en profonde souffrance dont Frédéric Pajak retrace le mal-être de façon incroyable par les mots et par son talent de dessinateur Il exprime au plus près...leurs détresses !!



"Je scribouille, je vomis des poésies, pour avoir un terrain, un point sur lequel m'arrêter et dire "c'est moi". Afin de me prouver à moi-même que je ne suis pas rien." [Pavese]





© Soazic Boucard- Janvier 2019
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Manifeste incertain, tome 5

Vincent van Gogh. Depuis des années, je lis, regarde, cours après tout ce qui parle de lui. Avec parfois de beaux coups de coeur et quelques déceptions. Et puis j'ai découvert le van Gogh de Frédéric Pajak… Là où d'autres nous offre leur érudition, lui nous prend par la main et nous donne à voir, à aimer, cet être saugrenu, un peu barré, un peu illuminé, qui deviendra, à force de passion et d'acharnement, le peintre que nous admirons. Ce n'est pas un critique qui parle, c'est avant tout un artiste, qui laisse le mythe de côté pour évoquer le peintre en devenir et sa fragile humanité. Peut-être est-ce ce qui fait la différence ? Pajak a en plus des mots, son trait d'encre noire pour nous livrer son Van Gogh. Il remet l'homme au centre de sa création. Cet homme hors norme, un peu fou, avec ce désir d'absolu et cette intransigeance qui va le conduire à ne jamais abandonner cette quête du trait, du rendu parfait, non de la réalité, mais de ce qui est vu !



"Il voudrait pouvoir dessiner en quelques traits ; il voudrait croquer les passants dans les rues et sur les boulevards, et explorer ainsi des motifs nouveaux".



"Toute oeuvre nouvelle balbutie longtemps avant d'exploser à la face de ses voyeurs. Vincent est en grand apprentissage ; jeté au milieu des peintres de la peinture nouvelle, il cherche sa propre éloquence."



C'est ce cheminement auquel nous invite Frédéric Pajak, des mineurs du Borinage aux paysans, en passant par la capitale de France, pour finir par l'explosion des couleurs du midi et l'accablement devant cette tâche immense !



Comme van Gogh qui peint sans se préoccuper de ce qui plaît, se vend, s'expose, Pajak suit son bonhomme de chemin avec son Manifeste Incertain en racontant et croquant ce qui lui importe et non ce qu'un éditeur attend de lui. L'histoire nous montre que c'est souvent le meilleur moyen de ne pas vivre de son art. Mais qu'importe… Ce n'est tout compte fait pas un choix, mais une nécessité !



Je me suis souvent demandée, si j'avais été une de ses contemporains, quel accueil j'aurai réservé à Van Gogh ? Aujourd'hui, tout le monde, à la quasi unanimité, s'extasie sur son travail d'artiste, ses oeuvres et connaît plus ou moins sa vie : de ses accès de folie, sa relation fraternelle indestructible avec Théo, à son oreille coupée et sa mort tragique.

Van Gogh, c'est un mythe : celui de l'artiste sans le sou, qui meurt dans un dénuement terrible alors que les ventes de ses peintures s'élèvent actuellement à des millions de dollars… Combien d'entre nous aurait donné 10 francs pour l'achat d'une de ses croûtes ? Combien d'entre nous s'attardent aujourd'hui dans les ateliers ou expo d'artistes et sortent quelques billets pour l'achat d'une oeuvre d'un(e) illustre inconnu(e) mais qui peut-être… ? Je crois que là on tient un début de réponse…



Bien sûr, tous ne seront pas Van Gogh, mais à combien donnons-nous la chance, les moyens de pouvoir continuer de créer ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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Manifeste incertain, tome 9 : Avec Pessoa

En allant travailler à la médiathèque , j’ai eu le Bonheur de trouver ,exposé sur une table, le dernier tome du Manifeste incertain, sur Pessoa [tome IX]… Même si il y a un certain pincement de savoir que c’est l’ultime volume de cette vaste entreprise du « Manifeste incertain… ». Comme le dit fort bien un(e) autre camarade babéliote… pour nous consoler, il nous reste un autre bonheur possible : la RELECTURE de la série !



Pajak nous éclaire sur ce « Manifeste incertain » qui l’a accaparé un certain nombre d’années



« Les destins que j'ai sollicités, je ne les ai pas choisis: ils se sont imposés à moi au hasard des lectures et des rencontres. hasard ? certes. Mais ils ont en commun d'avoir été un temps ignorés de tous. Ratés magnifiques, ils ont été vengés par la postérité. Walter Benjamin, Vincent Van Gogh, Emily Dickinson, Marina Tsetaieva: j'aurais pu ajouter Franz Kafka et Robert Walser, sans compter des poètes, et des peintres que le conformisme du marché dédaigne encore.

J'ai donc vu par les yeux des autres, par ferveur ou par curiosité. Ainsi la figure de Walter Benjamin: son obscure dialectique m'est restée, au fond bien étrangère, mais son destin m'a durablement ému. (p. 15)”



Un très beau portrait central de Pessoa nous accueille avec la couverture… Toujours la même admiration pour les dessins-tableaux noir et blanc de Frédéric Pajak…qui sont un vrai régal pour le yeux…



Au parcours de « L’intranquille poète » Pessoa, alternent des souvenirs de l’auteur, en France, en Chine, ses observations de l’actualité, de la crise sociale, sa défense du mouvement des « gilets jaunes », ses désillusions sur notre monde, notre soit-disante démocratie (bien malade), etc.



Alternent le parcours si complexe, si paradoxal de l’écrivain-poète portugais, Pessoa et les souvenirs, récits de voyages de Pajak (dont l’Algérie, le désert du Hoggar, où il part à 20 ans, alors qu’il a des idées suicidaires.).

Comme souvent dans les narrations de cet auteur-dessinateur, les états d’âme sombres de ses « héros » choisis font écho aux siens propres….



Frédéric raconte Pessoa, et se raconte lui-même à travers cette personnalité littéraire, insaisissable, et difficilement compréhensible ; ses voyages, ses doutes, un bilan de cette publication du « Manifeste incertain » dont il nous raconte le noyau central : l’Incertitude, le Doute constant; il nous raconte aussi la genèse d’autres de ses publications dont celle d’ une « gazette illustrée » que fut « Station-Gaieté » publiée entre 1977 et 1984, débutée en Suisse, poursuivie ultérieurement à Paris… [publiée par le Dépôt mondial d’exploration passionnelle, section Switzerland [puis] Gazette du bureau pour la création du monde [ Paris ] !!]



On apprend moult choses sur « l’homme intranquille » qu’est Pessoa, personnalité « paradoxale » au dernier degré…Figure déroutante, utilisant des hétéronymes, homme attiré par l’ésotérisme, les sociétés secrètes… proclamant qu’il n’aime pas les autres… attaché de façon excessive à sa mère, Maria-Magdalena…n’ayant jamais voulu vivre, ou s’engager sentimentalement. Comme une sorte d’homme désincarné, dont l'unique obsession reste son "oeuvre d'écriture" à assumer, envers et contre tous !!..



.A la fin de l’ouvrage, en dépit de l’abondance d’informations et de documentation enregistrées, quelle n’est pas notre surprise de constater que Pessoa nous restera un MYSTERE aussi complet qu’au début de notre lecture. Ce n’est pas fréquent… de faire rencontre aussi déroutante !!



Pris beaucoup de plaisir et d’intérêt à lire cet ultime volume du « Manifeste incertain »… même si je suis restée bien perplexe sur l’épilogue, tourné vers la figure de « Jésus-Christ »…

Frédéric Pajak , paradoxal, insaisissable comme l’énigmatique Pessoa, son dernier « anti-héros » choisi !!...



je ne commenterai pas ce dernier point, d’abord car j’en suis incapable, que je préfère rappeler tous les moments épatants passés avec les différentes publications de ce « manifeste incertain ». Que pour me consoler de cette ultime parution, je songe à une relecture de l’ensemble… et lire aussi, pour la première fois, le volume sonsacré à la poétesse, Emily Dickinson ! Bravo et MERCI, Monsieur Pajak, pour ce double talent d’écrivain et de dessinateur, dont nous avons abondamment profité !







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Manifeste incertain, tome 8 : Cartographie ..

Toujours la jubilation de découvrir une nouvelle publication du dessinateur- écrivain, Frédéric Pajak...dont je suis depuis longtemps le travail et cette série du "Manifeste incertain", dont cette "Cartographie du souvenir est le 8ème tome !...

L'ouvrage débute par des récits personnels, au demeurant: un beau-père puissant et odieux, prenant son gendre-artiste pour un raté, passant son temps à le dénigrer, l'humilier...

Seuls le pouvoir et l'argent ont grâce à ses yeux...suivent le récit de deux voyages en Chine, dont le premier en 1982, où il commencera à peindre... [ Nous avons d'ailleurs ses réalisations de l'époque...réalisées sur du papier de riz, oeuvres toujours en noir et blanc ]et un autre séjour , à Taïwan, très récent...



Un album patchwork... qui mêle à la fois des souvenirs plus ou moins lointains de Frédéric Pajak, ses coups de gueule liés à l'actualité, dont une part non négligeable sur le mouvement des Gilets jaunes, qu'il rapproche de la révolte de ouvriers de l'usine Lip, à Besançon, en 1973. .. ce texte très ancré dans le présent... se poursuit par deux textes narrant deux grandes figures atypiques de la littérature française : Ernest Renan, et Paul Léautaud, "le misanthrope forcené" et heureux de l'être !!





La partie consacrée à Léautaud est nettement plus conséquente, avec une partie biographique et une autre partie assez détonante des rapports complexes de l'écrivain avec Matisse et les artistes qui ont voulu faire son portrait !!...

L'ouvrage se termine sur un court texte mettant en scène la rencontre de l'écrivain, en Suisse vaudoise, avec une fille "simplette", Stella, vivant seule dans la montagne avec ses bêtes, et faisant des fromages... qui disparaît soudainement... Cela m'a fait curieusement songer à l'écrivain suisse romand, C.F. Ramuz...



J'apprécie toujours la beauté et l'épure de ces dessins en noir et blanc... ainsi que ces textes au style poétique...même si nous pouvons trouver que cet opus peut apparaître "décousu"...éparpillé...Cette lecture possède toujours à mes yeux, une sorte d'enchantement par la puissance des illustrations...et le caractère inquiet de la prose lyrique de Frédéric Pajak...

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Manifeste incertain, tome 4

Quand je pense qu’il y a peu, j’étais venue chercher dans ma petite bibliothèque préférée le tome 5 de ce manifeste incertain consacré à Van Gogh et que je repartais, guillerette mais un peu inquiète, avec 5 bouquins de près de 250 pages, me demandant si je n’avais pas un peu surestimé mon enthousiasme pour un auteur dont je n’avais, somme toute, encore jamais entendu parlé… Sauf bien sûr chez mon gourou de la lecture, François Busnel dans l’antre de sa Grande Librairie ! D’où ma recherche avide de ces merveilleux tomes dans les rayonnages de ce lieu de perdition mentionné ci-avant…



Mes petits neurones fébriles se sont délectés des 3 premiers tomes (si, si je vous assure, c’est parfois fébriles, les neurones…), mais à l’ouverture de ce tome 4, je me suis demandée vers quoi Frédéric Pajak allait bien pouvoir nous embarquer, maintenant ? Nous avions assisté à la fin tragique de Walter Benjamin dans le tome 3. Alors allait-il s’attacher à une autre figure de l’Histoire ou allions-nous partager ses souvenirs et réflexions sur notre monde, passé, présent et à venir ? Et bien, c’est un peu tout cela à la fois, dans un équilibre et avec une finesse éblouissante : précision du dessin qui fait mouche, profondeur de la pensée qui sait s’attacher aux bons mots, avec une telle légèreté que son évidence nous submerge…



Ce que je retiens et que je voudrais vous faire partager :



– cette analyse du pouvoir de la télévision (tout ce temps de cerveau occupé et si mal employé) et de la malbouffe (dis-moi ce que tu manges, je te dirais ce que tu es) qui offre une vision assez pessimiste des femmes et hommes de notre société.



– et cette différence de classe qui perdure jusque dans nos assiettes : aux citadins les plus pauvres les aliments bourrés de pesticides, de mauvaises graisses et de fructose, aux plus riches les produits sains, non transformés et goûteux ! Enfin, pour ceux qui sont sensibles à l’importance d’une alimentation saine…



« Chez lui, l’infortuné citadin n’a ni étable ni verger. Il n’a pas d’espace à lui, pas de temps, pas de patience. Et il n’a pas les moyens de se payer un poisson pêché du matin dans une rivière propre ni plumer une pintade heureuse. Il a faim et il boufferait n’importe quoi à la pause déjeuner ou en sortant du travail. D’ailleurs il bouffe n’importe quoi. »



– la seconde guerre mondiale et ses atrocités ne sont jamais loin dans ce manifeste. Ici c’est de Gobineau qu’il nous présente. Ces thèses raciales – et racistes – ont été reprises par les nazis. Voilà, l’origine de tant de maux ; mais si cela n’avait pas été lui, cela aurait été un autre. À croire que l’Histoire arrive toujours à ses fins.



– les souvenirs d’enfance de Frédéric Pajak, dans cette école hors norme, où on ne travaillait pas beaucoup, mais qui semble pourtant avoir contribué à faire de lui, l’homme qu’il est aujourd’hui. J’ai trouvé très beau ce passage où il revient sur les lieux de son enfance, submergé par l’émotion :



« A mi-voix, je les salue, ces grands arbres qui m’ont offert leur ombre et le tendre bruissement de leurs feuilles. Je sais qu’ils me reconnaissent. Leurs bras se soulèvent à peine dans le faible vent qui chatouille mon crâne. Ils rendent le salut à l’enfant revenu, le pâle poète qui venait ici tant et tant déguster sa solitude. Tout me revient à présent. J’ai la gorge étranglée, la poitrine étouffée. J’ai aimé ces arbres et ces collines comme un fou adore son dieu. Pour tout dire, c’est bien cette nature qui m’a fait oublier Dieu. Elle est le corps du monde, et son âme exacte. Il suffit d’y croire. »



– et en fin d’ouvrage, un très court chapitre « le temps perdu » qui est admirable de lucidité, de pensée vive et de bon sens !



Si vous ne devez lire que quelques pages de ce Manifeste Incertain, ouvrez celles-ci !
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Manifeste incertain, tome 2

Retour sur cette lecture hors norme : le manifeste incertain de Frédéric Pajak. Dans ce tome 2, l'auteur poursuit sa déambulation dans les rues de Paris, Venise ou Berlin. Walter Benjamin est toujours le fil conducteur de ce récit, qui entremêle souvenirs de l'auteur, considérations sur le présent, le passé et ce qui fait l'histoire... On a cette impression de suivre le déroulement de sa pensée, de ses réflexions, comme s'il nous racontait tout cela, accoudé au comptoir d'un troquet parisien. Paris ! Cette merveille que les édiles abîment, dénaturent, violentent... jusqu'à en faire une ville perdue, sans substance et sans âme.



Paris n'est plus ce qu'il était, du temps où Benjamin apprenait « à s'égarer dans les rues comme dans une forêt. » Ils ne sont plus en son coeur, ces Titis parisiens qui nous faisaient sourire ou râler, ces maîtres des rues, qui occupaient la place et se foutaient de nous, les « provinciaux » qui montaient à la Capitale, des petits cailloux d'espoir plein les poches, du temps où elle faisait encore rêver...



Maintenant, « à ceux qui ont de quoi l'acheter, Paris se vend de bonne grâce, mais sans un merci, sans faire risette. Et pour ceux que la vie abîme, mal logés, mal nourris, et qui savent trop bien qu'il ne donne rien pour rien, Paris est simplement, bassement, cruellement désespérant. Sans pour autant devoir en mourir, ils traînent leur détresse dans les rues, se heurtent à la nervosité des gens qui vont au travail, ou qui le quittent ».



Frédéric Pajak illustre cette pensée avec toute une galerie de têtes de chiens, tous au regard désespéré, implorant... Quand j'ai lu ce passage, il résonnait particulièrement avec l'actualité (qui n'en est déjà plus une, la dernière née chassant l'autre), un sourire naissant au coin des lèvres...

Berlin n'a pas plus de chance au grand jeu de construction des architectes contemporains. Seule Venise reste Venise...



Walter Benjamin s'éreinte toujours dans une errance éperdue, luttant contre le temps, le nazisme qui étreint et contamine de plus en plus de ses contemporains. Entre langueur et excès, il aimerait se débattre, mais ne sait comment.



Parler de Benjamin, c'est mettre en lumière cette autre histoire, celle que nous n'apprenons pas, que nous n'avons jamais apprise. Celle des petites gens, des circonstances, des hommes accidentels qui ont porté aux marches de la gloire, les soi-disant grands hommes ! Les vrais héros de l'histoire, ce sont eux ! Avalés par l'oubli...

Peut-on vraiment ressusciter cette histoire effacée ? Tout cela n'est-il qu'affaire d'éternelle ré-écriture et air du temps ?



Quant à lui, Benjamin « ne cède pas à la pression de l'actualité, et il s'en tient strictement à sa position de sentinelle d'une Histoire non révélée, une Histoire dont le présent est redevable du passé des vaincus. »



Ce tome 2 se clôt sur une demande de nationalité française, restée sans réponse.



« Benjamin a aimé Paris, qui l'a si peu aimé en retour. Et pourtant son nom restera attaché à la ville, dans ce qu'elle a de plus inavoué : son instinct d'utopie. »
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Manifeste incertain, tome 5

Une biographie écrite et dessinée de Vincent Van Gogh bien sympathique, qui nous donne une idée bien précise de la vie d'errance que fut celle de Vincent Van Gogh, de l'évolution de sa peinture « Fini les gueules pitoyables, les dos courbés, les pommes de terre, les horizons vides : place à la lumière, aux couleurs, à la vibration de l'air. », des dures conditions de vie que furent les siennes, par choix parfois..., de la misère dans laquelle il a vécu une majeure partie de sa vie. « Ce n'est plus une peinture, c'est une blessure mal refermée. »

Une seule peinture vendue de son vivant, c'est quand même dingue ! Son frère a toujours cru en lui, en son talent. Il fut un des seuls êtres finalement à l'avoir aidé, accompagné, soutenu, avec bien sûr le Dr Gachet d'Auvers-sur-Oise.

Les dessins, tous en noir et blanc représentent les oeuvres de Van Gogh et illustrent plus ou moins les propos de l'auteur.

Très intéressant, très fouillé, bien documenté.

Et pour moi, un complément appréciable après la savoureuse lecture que j'ai eu de La valse des arbres et du ciel, dans lequel Jean-Michel Guenassia imagine les dernières semaines de sa vie.

Si l'envie vous vient de marcher dans les pas de Vincent Van Gogh, n'hésitez, ce livre vous tend les bras !
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Le Chagrin d'amour

Un bel ouvrage consacré au "Chagrin d'amour", à travers la littérature et les arts, en passant par le propre parcours de l'artiste. Des dessins, croquis exclusivement en noir, occupent les trois quart de chaque mise en page, avec en alternance récit, commentaires de Frédéric Pajak, ainsi que des extraits de textes, correspondances dont une très abondante partie, consacrée à Guillaume Apollinaire... Nous rencontrons aussi au fil des pages, Emily Dickinson, Piet Mondrian, Marcel Duchamp, Catherine II, Pablo Picasso, Kafka, Max Jacob, Louis Aragon, etc.

Un ouvrage magnifique, rendu poignant par les dessins en noir, en parfaite harmonie avec la thématique de ce texte...
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Manifeste incertain, tome 1

“On peut aimer le travail, la raideur des gestes obligatoires. On peut aussi aimer le chaos, l’hésitation, la maladresse, l’erreur. On peut aimer ne pas choisir, ou même choisir de ne pas choisir.” Le Manifeste incertain déambule dans l’entre-deux. Ni bande dessinée, ni roman, ni vraiment texte illustré, sa forme louvoie entre texte et image, tandis que le fond semble se nourrir de fragments épars. Bouts de récits, citations, détails historiques, bribes autobiographiques : comme un naufragé qui assemble des débris pour construire son radeau, Frédéric Pajak dérive, s’appuie sur l’Histoire pour tenter d’appréhender la sienne, puise dans son expérience pour comprendre le passé. Remonte à sa grand-mère Eugénie, à ses bizutages adolescents, à sa timidité maladive ou au destin tragique de deux néo-nazis croisés un matin d’hiver de 1980.



Jamais aussi à l’aise que lorsqu’il s’agit, dans un mélange de poésie et d’érudition, de tourner autour de son sujet pour mieux le capturer, l’auteur de L’Immense Solitude convoque Beckett, Céline, le peintre Bram Van Velde ou le dramaturge Ernst Toller. Avant de se laisser attirer, comme un satellite, par la figure de Walter Benjamin, auteur insaisissable, écrivain-philosophe-traducteur-journaliste, penseur de l’ère de la culture de masse. En se concentrant sur les années 1932-1933, lorsque Benjamin, fuyant Berlin, trouve refuge sur l’île d’Ibiza, le Manifeste incertain met en perspective les méditations du Berlinois sur le roman avec le basculement de l’Europe dans l’extrémisme. Et se mue du même coup en une réflexion sur le rôle de l’intellectuel, bringuebalé par la fureur du XXe siècle, son fascisme carnassier, ses illusions passionnées, et ses désillusions plus terribles encore.



Et les illustrations là-dedans ? D’un noir et blanc au réalisme photographique, elles sont, nous explique l’auteur, “comme des images d’archives : morceaux de vieilles photos recopiées, paysages d’après nature, fantaisies. [Elles] vivent leur vie, n’illustrent rien, ou à peine un sentiment confus.” Elles apportent un contrepoint, un éclairage différent. Parfois même, quand le lien entre le dessin et le récit semble inexistant, leur puissance expressive est telle qu’elles insinuent une inquiétude diffuse. La plupart du temps, les personnages sont de dos, leurs traits dissimulés dans l’ombre, ou gâchés par un contre-jour menaçant. Quand on croise leur regard, il est dérangeant, exorbité, bizarrement dissonant. De quoi ajouter encore à la beauté désenchantée d’un ouvrage traversé, une fois encore chez Frédéric Pajak, par le spectre de la solitude. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a choisi de se pencher sur Walter Benjamin, qui écrivait : “Le lieu de naissance du roman est l’individu dans sa solitude.”



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Nietzsche au piano

Nietzsche et la musique



Friedrich Nietzsche a voué une passion pour la musique qu'il considérait comme l'art ultime. S'il est passé à la postérité pour ses écrits, Frédéric Pajak retrace ici son parcours de mélomane, ami puis ennemi de Richard Wagner, de compositeur et de critique.



François Cavanna avait trouvé une jolie formule, «Beethoven était tellement sourd que, toute sa vie, il a cru qu'il faisait de la peinture», que l'on peut la paraphraser pour résumer ce récit de Frédéric Pajak en disant que Nietzsche était tellement possédé par cet art que toute sa vie, il a cru qu'il faisait de la musique.

En retraçant la biographie du philosophe, Frédéric Pajak va s'attacher à nous faire découvrir le mélomane. Une passion née dans l'enfance. Il n'a pas dix ans quand il se met au piano et commence à composer en même temps qu'il s'essaie à la poésie et à l'écriture.

Durant toutes ses années de formation, il va poursuivre dans cette voie, cherchant des modèles tout en cherchant à percer grâce à ses compositions. jeune Nietzsche écrit et compose. À Bonn et Bâle, il étudie la théologie et la philologie, suit les cours de Burkhardt sur la civilisation grecque avant de devenir à son tour professeur. En 1868, à Leipzig, il rencontre Wagner et Cosima, la femme aux côtés du maître, qui va le fasciner. Durant les années qui suivent, il va passer de l'amitié à l'admiration. «C’est le plus grand génie et le plus grand homme de notre époque, véritablement incommensurable ! Toutes les deux, trois semaines, je passe quelques jours dans sa propriété du lac des Quatre Cantons et je considère ce rapprochement comme la plus grande conquête de mon existence, au même titre que celle que je dois à Schopenhauer».

Il publie Wagner à Bayreuth. Il est du reste l'un des artisans du Festival bavarois, connaît tout des œuvres du compositeur de la tétralogie. Mais déjà des critiques se font jour. Elles vont devenir de plus en plus vives, jusqu'à devenir Le cas Wagner et entraîner une rupture brutale entre les deux hommes qui se tenaient jusque-là en haute estime.

Frédéric Pajak montre bien le renoncement de la musique wagnérienne et la découverte de celle de Bizet, une vraie révélation pour celui qui, avant de sombrer dans la folie, aura toujours considéré que la musique était un art majeur.

Peut-être même faut-il voir dans l'absence de reconnaissance de ses œuvres musicales, la dépression et les problèmes psychiques de l'auteur de Ainsi parlait Zarathoustra.

Avec sa plume élégante et avec l’aide d'une documentation fournie que l’auteur a déjà rassemblé pour Nietzsche et son père et L’immense solitude, on découvre combien durant cette fin de XIXe siècle l'esprit des Lumières et l'envie de confronter la science et les arts, de jeter des passerelles entre les disciplines était forte. Un petit livre fécond qui souligne aussi la musicalité de l'écriture du philosophe. Une autre preuve de l'enrichissement d'un art lorsqu'il se marie avec un autre.

NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


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Manifeste incertain, tome 7

En ouvrant ce 7ième tome du Manifeste incertain de Frédéric Pajak, je ne voyais qu'elle : Emily Dickinson. Et pourtant, elle a coulé entre mes doigts, filé à une vitesse folle ; sans que je m'en rende compte j'étais déjà en Russie, auprès de Marina. C'est là tout le talent de Pajak, vous faire oublier l'objet de vos attentes et adorer ce que vous n'étiez pas vraiment venu chercher.



Je connaissais si peu de Marina Tsvetaieva, que j'ai appris énormément : ce qu'elle a vécu, comment elle est morte et cet acharnement à écrire, à créer. Plus fort que tout. Que sa vie, que celle de ses filles, de ses amours...



"Nos poèmes, ce sont nos enfants. Ils sont plus âgés que nous parce qu'ils vivront plus longtemps que nous. Plus longtemps que nous depuis l'avenir. Voilà pourquoi ils nous sont aussi parfois étrangers". Marina Tsvetaieva.



Frédéric Pajak nous fait toucher du doigt le désarroi de cette créatrice, engluée dans la pauvreté, l'asservissement à sa condition de femme et de mère : "Je suis de nouveau du matin au soir cousue, soudée, collée à la maison, à ses besoins. Dès le matin marché, cuisine et après le repas, promenade avec Murr - Thé - dîner - (Vaisselle ! vaisselle ! vaisselle !) - tout comme avant."



L'espace de création se rétrécie comme peau de chagrin ; l'exil face aux répressions, l'isolement et le manque d'argent vont renforcer son besoin de création autant que l'étouffer. Entre aspiration et réalité, le chemin est difficile, presque impossible. Et pourtant, elle crée ! Mais à quel prix...



Frédéric Pajak retourne sur les traces de Marina, pose ses pas dans les siens et nous livre d'elle un portrait sublime. Il met en mots et en dessins toute une époque, un pays aux prises avec les affres de l'acharnement politique répressif.

Et Marina au milieu de tout cela...



Marina a cette si belle pensée pour Rainer Maria Rilke : "Je suis toujours persuadée qu'au moment de mourir il viendra me chercher. Il me fera passer dans l'autre monde, comme moi en ce moment, je le fais passer de l'allemand au russe (par la main)".



Sur la page blanche de fin, je l'ai aperçu cette main...
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Manifeste incertain, tome 3

Me revoilà partie sur les chemins, avec dans les mains ce troisième tome du Manifeste Incertain de Frédéric Pajak. Entre textes et dessins, je suis les traces laissées par Walter Benjamin : son internement à Nevers, sa fuite vers le Sud pour tenter de rejoindre un bateau qui le mènerait aux États-Unis. En vain. Acculé, il se suicidera après avoir réussi à gagner la frontière espagnole, ne voulant pas tomber dans les mains de la Gestapo.

En parallèle, l'auteur nous parle du destin d'Ezra Pound, poète américain que je ne connaissais pas, qui a adhéré sans retenue au fascisme triomphant en Italie, à cette époque. Rejeté par Mussolini, condamné et interné après la guerre, il y laissera sa raison. Deux histoires, deux engagements, deux hommes totalement différents. Tous pourtant acteurs de cette Histoire dont Pajak nous fait régulièrement le procès. Avec raison, souvent.



Qu'en retenons-nous ? Ce qu'on veut bien nous en dire, nous en montrer ? Pourquoi gardons-nous toujours le pire et non le meilleur des conflits et des cassures de l'Histoire ?



« Si les nazis ont inventé le Blitzkrieg, la société civile les imitera avec succès. le commerce mondial en adoptera les méthodes : Information furtive, communication instantanée. Tout ce qui apparaît doit disparaître au plus vite. L'instantanéité fait figure de religion. »



Frédéric Pajak essaie de redonner place et sens aux oubliés de l'Histoire, aux « sans-noms » qui pourtant en ont été les acteurs, au même titre que les têtes de gondole qui en font la une !



« Il ne s'agit pas de savoir comment les choses se sont réellement passées. Il s'agit de réveiller les morts, tous les morts, sans exception. Il faut entendre la voix de ceux qu'on a fait taire, la voix des misérables, des anonymes, des exclus de l'Histoire officielle. Seules ces voix retrouvées donneront une réalité au présent. Elles en sont le garant invisible et muet. »



Je lisais il y a peu le témoignage de Nujeen Mustafa, originaire de Syrie dont certaines réflexions entrent en résonance avec ce manifeste Incertain :



« Staline a tué 6 millions de personnes dans ses goulags et pendant les Grandes Purges. le régime d'Hitler a été encore plus meurtrier : 11 millions de morts et 17 millions de réfugiés. Je peux vous parler de Staline et d'Hitler, mais d'aucune de leurs victimes. Est-ce que ce sera la même chose avec Assad dans cinquante ans ? Sans doute. Les gens sauront tout de lui mais rien des bonnes gens de la Syrie. Nous ne serons que des nombres, Nasrine, Bland, moi et tous les autres, tandis que le tyran entrera dans L Histoire. Cette pensée est effrayante. » Nujeen, L'incroyable périple.



Et cette réflexion sur les bonnes gens dont on ne sait rien et toutes ces mauvaises gens, qui dégoulinent des pages de nos livres d'Histoire. J'arrête là sur cette parenthèse, qui est pourtant loin d'être hors sujet : les livres se parlent et se répondent, c'est bien connu ! A nous de savoir les écouter…



« Un siècle de divers avenirs radieux s'est consumé dans l'horreur et la pitié ; et nous voilà : vieux et jeunes enfants d'un temps suspendu, qui n'avons plus guère la force de rêver, n'en ressentons qu'à peine la nécessité, parce que l'idéologie moderne ne provoque aucun rêve »



… pour pouvoir s'asseoir ensemble à la table de la fraternité !



I have a dream…
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Manifeste incertain, tome 1

Ce manifeste incertain, il trottait dans la tête de Frédéric Pajak depuis de longues années. En gestation depuis l'enfance, à vrai dire, avec ce désir chevillé au corps "d'un livre, mélange de mots et d'images. Des bouts d'aventure, des souvenirs ramassés, des sentences, des fantômes, des héros oubliés, des arbres, la mer furieuse".



Frédéric Pajak consigne et croque tout ce qui l'interpelle, l'interroge, le surprend, l'exècre. Noircissant au fil des ans, une multitude de carnets : mots ou lignes de fuite, fusain ou encre de chine, simple stylo bille... avec cette attention à l'Histoire, la Petite au détriment de la Grande – celle qu'on ne nous dicte ni ne nous apprend –, pour ne pas faire table rase des Hommes précédents, avalés par l'oubli de la société dominante et de l'air de son temps.

Ces hommes et ces femmes traversent ce livre, comme ils doivent peupler, non pas seulement l'imaginaire, mais la réalité psychique de leur auteur ; ils n'ont rien d'évanescents. Ils sont là, sous nos yeux, prenant vie sous la force du trait, la puissance du noir et blanc et ses tonalités infinies...



Cette histoire-là, Frédéric Pajak nous l'offre comme on partage des pensées, un récit fondateur auquel il donne vie à la force du trait et des mots, dans un équilibre d'une justesse qui force l'admiration.



Quand on pense au manifeste, on a d'abord à l'esprit cette déclaration politique, fixe et revendicatrice. Une idée forte d'engagement aussi. Cette incertitude, qui lui est accolée vient mettre à mal, tempérer cette première impression. L'incertain ouvre à tous les possibles, celui de se tromper, de corriger, de pouvoir revenir sur les affirmations d'avant... Rien n'est figé. Quelle liberté accordée ! Quel espace pour penser, respirer et comprendre !



Quels sont les acteurs de ce tome 1 ? Poulette, sa grand-mère, débordante d'amour qui ouvre ce manifeste, laissant la place quelques pages plus loin à Beckett et les frères Van Velde, d'une austérité qui protège, comme un rempart :



"Je n'aime pas parler. Je n'aime pas qu'on me parle. La peinture, c'est du silence."



Et... Walter Benjamin : sa vie, ses errances, sa fuite en avant... comme si le voyage pouvait être un remède, une échappatoire à toutes les atrocités que nous réservent cette époque, trop occupée à couver en son sein toutes les haines qu'elle nourrit, pour en voir la finalité...



Avril 1932, il embarque sur un bateau à Hambourg.



"Il est écrivain. Écrivain ? Ou peut-être penseur, lecteur, traducteur ? ... Il a au moins la réputation d'être un auteur incompréhensible. Philosophe ?"



Il est surtout complètement paumé. Cette certitude de devoir dire, penser, embrasser tout ce bouillonnement du peuple, lui le bourgeois désargenté, qui ressent cette tragédie qui arrive, sans savoir comment lancer l'alerte... "il froisse la syntaxe à force de sanglots ravalés, de sentences amères. Il s'adresse à l'homme perdu d'après le 30 janvier 1933, l'homme nu qui "crie tel un nouveau-né dans les couches sales de cette époque".



On quitte Walter Benjamin à la fin du mois de septembre 1933, délaissant Ibiza pour Marseille. On aura navigué au fil des pages entre les lieux et les époques, mêlés, tissés, tous intimement liés, aux souvenirs de l'auteur...



Une lecture à vivre ! Je suis déjà plongée dans le tome 2, cheminant avec Frédéric Pajak, Paris au temps de ses pavés et de sa gouaille qui ressurgit entre les SDF et nos indifférences...
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Manifeste incertain, tome 5

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Une incompréhension !



Le livre de l'écrivain Frédéric Pajak « Manifeste incertain 5 – Vincent van Gogh une biographie » publié en 2016 m'a surpris et contrarié.

Incontestablement il s'agit d'un beau livre. L'auteur associe le mot au dessin tout en n'étant nullement une BD dans laquelle les bulles graphiques expliquent les images. Ici, les dessins monochromes d'une belle qualité accompagnent le texte narratif.

Tout au long du livre, la vie de Vincent défile. Sur les dernier mois à Auvers-sur-Oise, quelques pages sont consacrées à la fin tragique de Vincent qui est un résumé des « Souvenirs sur Vincent van Gogh » publiés, âgées, par Adeline Ravoux, la fille de l'aubergiste Ravoux. La thèse sur la mort du peintre qui serait accidentelle selon le livre de Steven Naifeh et Gregory White Smith est évoquée. Pajak ne prend pas parti : il cite simplement.



Grâce à mes lectures, recherches et écrits, je connais bien la vie, le parcours artistique et les oeuvres de Vincent van Gogh. Ce livre ne m'a donc rien appris de nouveau sur l'artiste.

Par contre, certains passages du dernier chapitre intitulé « Vincent », m'ont interrogé. L'auteur donne son propre ressenti en forme de conclusion.



« Vincent n'a pas peint des tableaux : il a peint des « études ». Études, c'est-à-dire essais, tentatives de voir l'invisible. Car Vincent croyait en une réalité cachée dont le peintre serait le révélateur. Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. (…) Pourquoi donc les foules se pressent-elles devant ses toiles, clouées au mur comme autant d'échecs ? (…) Peu leur importe la maladresse du peintre, ses défaites, la laideur manifeste de ses tableaux hollandais. (…) Vincent ne se contentait pas de dévoiler la laideur ; il la peignait affreusement. Non par volonté, par provocation, mais parce qu'il ne savait pas faire autrement. Peignant affreusement la laideur, il a rompu radicalement avec la tradition. »



Aurais-je mal compris les propos de Frédéric Pajak dont le livre est pourtant un hommage à l'artiste ? Ces quelques phrases du chapitre final m'ont laissé très mal à l'aise. Comment pouvait-on décrire ainsi la recherche artistique de Vincent van Gogh ?



Je vais tenter de donner ma propre impression sur la peinture de Vincent.

Ma première rencontre avec Van Gogh au musée d'Orsay n'avait pas été un franc succès. Etonnante « Eglise d'Auvers », difforme et grimaçante sous un ciel plombé ! Je ne détestais pas... Ce style me déroutait. Trop de couleurs. Des touches hachurées posées en pâte épaisse. Une peinture directe, sans fioritures. Je ne percevais pas sa singularité.

J'étais allé au Van Gogh Museum à Amsterdam pour tenter de trouver une explication, car l'essentiel de son oeuvre se trouvait dans ce musée : à peine dix années de peinture de 1880 à 1890 et un nombre étonnant de toiles peintes par ce forçat de travail.



Van Gogh m'avait bluffé ! Assis sur la balustrade faisant face au dernier tableau de la collection du musée : « Champ de blé aux corbeaux », je fixais, incrédule, les blés torturés de hachures orangées et ocre. Un chemin tortueux s'éclatait en trois branches agressives. le ciel sombre, orageux, terrifiant, écrasait les blés. Un vol de corbeaux noirs donnait un aspect hallucinant à ce paysage de désolation.

Les mains crispées sur la balustrade où j'étais assis, un visiteur, les yeux écarquillés rivés sur les blés, semblait atteint du même mal que moi.

- C'est d'une tristesse ! dis-je à voix basse.

- It's wonderful… Isn't it ?

- Je n'ai jamais aimé les corbeaux. Ce sont des oiseaux de malheur…

- What a worrying sky !

Noyés dans notre rêve personnel, nous conversions inconsciemment dans deux langues différentes et nous nous comprenions. le langage de l'art n'a pas de frontières…

Je quittai la balustrade. Mon voisin continuait à parler, seul… Ses doigts crispés sur la balustrade tremblaient légèrement.



Je n'avais rien compris à Paris... Je saisissais pourquoi les toiles de van Gogh me dérangeaient autant. Cette technique toute en force maîtrisée donnait l'impression qu'un fauve s'était jeté sur la toile pour y planter ses griffes ? Ce « Champ de blé aux corbeaux » peint en juillet 1890 à Auvers-sur-Oise était un des derniers tableaux de l'artiste avant son geste désespéré.

Mon opinion était faite. Plus de doute, ce peintre était de la race des meilleurs ! Deux siècles après l'âge d'or hollandais, avec une technique complètement différente, son oeuvre était du niveau d'un Rembrandt et même… pourquoi pas… de Vermeer.



Pas un instant je n'avais rencontré les peintures malhabiles ou laides dont parle Frédéric Pajak dans la conclusion de son livre…

Tout au long du parcours dans le musée, j'avais vu des toiles étonnantes de maitrise picturale, de fraîcheur (« Branches d'amandier en fleurs »), des coloris somptueux (« Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries »), de la poésie naïve (« Promenade au bord de la seine, près d'Asnières »), et puis des autoportraits étonnants (« en chapeau de paille », « en chapeau de feutre », « au chevalet »), des vases de fleurs aux vives tonalités (« Iris », « Tournesols »).

Une explosion de couleurs… En Arles, sous le soleil de Provence, le style si personnel de l'artiste s'était définitivement installé. le passage éclair de Gauguin et la fameuse scène de l'oreille coupée ne l'avaient pas empêché de continuer sa route, seul, incompris, mais lui-même… unique.

En quittant le musée, j'arborais le même regard ébloui que les autres visiteurs s'en allant à regret. Un très grand peintre… Un génie…



Je crois que si Frédéric Pajak avait été avec moi ce jour là, il aurait changé la fin de sa biographie…



« Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions. »



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Manifeste incertain, tome 4

Dans chaque manifeste incertain, Frédéric Pajak fait découvrir un type qui vaut le détour et qu’on a souvent voulu oublier avec l’arrivée des jours modernes et l’injonction surmoïque de la société de consommation (« jouis ! »), un type un peu compliqué, un type solitaire, un type qui a été contraint de voir le monde dans son plus grand dénuement. Dans les précédents manifestes, ce type s’appelait Fernando Pessoa, ou bien Nietzsche, une fois encore Ezra Pound, et cette fois Gobineau. A côté de l’histoire biographique du personnage, Frédéric fait intervenir des touches d’histoire personnelle, d’autres moments retentissants de l’existence dans le dépaysement ou dans l’assommante habitude des jours. Jusqu’à ce que plus rien ne ressemble à rien, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le son du vent, les visages des inconnus, des saveurs. Pour nous rappeler que tout finalement part de là, pour ramener l’œuvre à sa source matérielle, pour faire taire les péroraisons de la raison poétique.





Pajak a le goût de la citation. Gobineau se laisse percevoir à travers ses errances, sa solitude, et l’étiolement progressif de ses illusions.





« La foi, en somme, ne m’est pas difficile du tout ; j’admets tout en principe et le plus surnaturel du surnaturel ne me fâche pas ; je trouve tout simple que la science et la raison n’y puissent mordre, et science et raison je les renvoie à leur cuisine. Mais la grande difficulté est, au fond, que cela m’est parfaitement égal. Toutes les vérités théologiques admises ou rejetées n’ont pas la moindre influence sur mon cœur, tout en pouvant en avoir beaucoup sur mon esprit. »





« Dans la vie, il y a l’amour, et puis le travail, et puis rien. »





Sa théorie raciale ne vise pas une pratique. Elle se fonde d’abord sur des croyances personnelles, que la vérité ne vient même pas confirmer puisque Gobineau s’éprend de Clémence Monnerot, une créole de Martinique. L’esseulement semble lui faire prendre conscience progressivement de l’inanité de toutes les théories. Seule la vie compte, et elle ne laisse pas beaucoup de traces dans l’esprit d’un homme. Frédéric se souvient : « Les rues vides sous le ciel vide. A peine quelques arbres sur la grande place ont-ils daigné frissonner dans l’épaisseur de l’air de l’été. Nous jouions dans la rue. Il y avait peu de voitures, des tracteurs, souvent. A quoi jouions-nous ? Je ne m’en souviens plus. »





Il règne dans ce livre un climat venteux. La vie s’y évanouit sans bruit et sans douleur. On se souvient de quelques petites choses, de vies tremblotantes, et c’est tout ce qu’il y a de plus étrange, de meilleur peut-être.

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