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Manifeste incertain tome 4 sur 9
EAN : 9782882503923
192 pages
Noir sur blanc (03/09/2015)
3.65/5   10 notes
Résumé :
Des récits entrelacés, évoquant trois penseurs jugés réactionnaires : F. Nietzsche, E. Renan et A. de Gobineau, autour des questions de l'élitisme, du racisme et de la religion. L'auteur se remémore également deux années qu'il a passées, livré à lui-même, dans une école libre au début des années 1970. Le présent, enfin, est abordé à travers une analyse de la télévision et de la mode culinaire.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Quand je pense qu'il y a peu, j'étais venue chercher dans ma petite bibliothèque préférée le tome 5 de ce manifeste incertain consacré à Van Gogh et que je repartais, guillerette mais un peu inquiète, avec 5 bouquins de près de 250 pages, me demandant si je n'avais pas un peu surestimé mon enthousiasme pour un auteur dont je n'avais, somme toute, encore jamais entendu parlé… Sauf bien sûr chez mon gourou de la lecture, François Busnel dans l'antre de sa Grande Librairie ! D'où ma recherche avide de ces merveilleux tomes dans les rayonnages de ce lieu de perdition mentionné ci-avant…

Mes petits neurones fébriles se sont délectés des 3 premiers tomes (si, si je vous assure, c'est parfois fébriles, les neurones…), mais à l'ouverture de ce tome 4, je me suis demandée vers quoi Frédéric Pajak allait bien pouvoir nous embarquer, maintenant ? Nous avions assisté à la fin tragique de Walter Benjamin dans le tome 3. Alors allait-il s'attacher à une autre figure de l'Histoire ou allions-nous partager ses souvenirs et réflexions sur notre monde, passé, présent et à venir ? Et bien, c'est un peu tout cela à la fois, dans un équilibre et avec une finesse éblouissante : précision du dessin qui fait mouche, profondeur de la pensée qui sait s'attacher aux bons mots, avec une telle légèreté que son évidence nous submerge…

Ce que je retiens et que je voudrais vous faire partager :

– cette analyse du pouvoir de la télévision (tout ce temps de cerveau occupé et si mal employé) et de la malbouffe (dis-moi ce que tu manges, je te dirais ce que tu es) qui offre une vision assez pessimiste des femmes et hommes de notre société.

– et cette différence de classe qui perdure jusque dans nos assiettes : aux citadins les plus pauvres les aliments bourrés de pesticides, de mauvaises graisses et de fructose, aux plus riches les produits sains, non transformés et goûteux ! Enfin, pour ceux qui sont sensibles à l'importance d'une alimentation saine…

« Chez lui, l'infortuné citadin n'a ni étable ni verger. Il n'a pas d'espace à lui, pas de temps, pas de patience. Et il n'a pas les moyens de se payer un poisson pêché du matin dans une rivière propre ni plumer une pintade heureuse. Il a faim et il boufferait n'importe quoi à la pause déjeuner ou en sortant du travail. D'ailleurs il bouffe n'importe quoi. »

– la seconde guerre mondiale et ses atrocités ne sont jamais loin dans ce manifeste. Ici c'est de Gobineau qu'il nous présente. Ces thèses raciales – et racistes – ont été reprises par les nazis. Voilà, l'origine de tant de maux ; mais si cela n'avait pas été lui, cela aurait été un autre. À croire que l'Histoire arrive toujours à ses fins.

– les souvenirs d'enfance de Frédéric Pajak, dans cette école hors norme, où on ne travaillait pas beaucoup, mais qui semble pourtant avoir contribué à faire de lui, l'homme qu'il est aujourd'hui. J'ai trouvé très beau ce passage où il revient sur les lieux de son enfance, submergé par l'émotion :

« A mi-voix, je les salue, ces grands arbres qui m'ont offert leur ombre et le tendre bruissement de leurs feuilles. Je sais qu'ils me reconnaissent. Leurs bras se soulèvent à peine dans le faible vent qui chatouille mon crâne. Ils rendent le salut à l'enfant revenu, le pâle poète qui venait ici tant et tant déguster sa solitude. Tout me revient à présent. J'ai la gorge étranglée, la poitrine étouffée. J'ai aimé ces arbres et ces collines comme un fou adore son dieu. Pour tout dire, c'est bien cette nature qui m'a fait oublier Dieu. Elle est le corps du monde, et son âme exacte. Il suffit d'y croire. »

– et en fin d'ouvrage, un très court chapitre « le temps perdu » qui est admirable de lucidité, de pensée vive et de bon sens !

Si vous ne devez lire que quelques pages de ce Manifeste Incertain, ouvrez celles-ci !
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Dans chaque manifeste incertain, Frédéric Pajak fait découvrir un type qui vaut le détour et qu'on a souvent voulu oublier avec l'arrivée des jours modernes et l'injonction surmoïque de la société de consommation (« jouis ! »), un type un peu compliqué, un type solitaire, un type qui a été contraint de voir le monde dans son plus grand dénuement. Dans les précédents manifestes, ce type s'appelait Fernando Pessoa, ou bien Nietzsche, une fois encore Ezra Pound, et cette fois Gobineau. A côté de l'histoire biographique du personnage, Frédéric fait intervenir des touches d'histoire personnelle, d'autres moments retentissants de l'existence dans le dépaysement ou dans l'assommante habitude des jours. Jusqu'à ce que plus rien ne ressemble à rien, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le son du vent, les visages des inconnus, des saveurs. Pour nous rappeler que tout finalement part de là, pour ramener l'oeuvre à sa source matérielle, pour faire taire les péroraisons de la raison poétique.


Pajak a le goût de la citation. Gobineau se laisse percevoir à travers ses errances, sa solitude, et l'étiolement progressif de ses illusions.


« La foi, en somme, ne m'est pas difficile du tout ; j'admets tout en principe et le plus surnaturel du surnaturel ne me fâche pas ; je trouve tout simple que la science et la raison n'y puissent mordre, et science et raison je les renvoie à leur cuisine. Mais la grande difficulté est, au fond, que cela m'est parfaitement égal. Toutes les vérités théologiques admises ou rejetées n'ont pas la moindre influence sur mon coeur, tout en pouvant en avoir beaucoup sur mon esprit. »


« Dans la vie, il y a l'amour, et puis le travail, et puis rien. »


Sa théorie raciale ne vise pas une pratique. Elle se fonde d'abord sur des croyances personnelles, que la vérité ne vient même pas confirmer puisque Gobineau s'éprend de Clémence Monnerot, une créole de Martinique. L'esseulement semble lui faire prendre conscience progressivement de l'inanité de toutes les théories. Seule la vie compte, et elle ne laisse pas beaucoup de traces dans l'esprit d'un homme. Frédéric se souvient : « Les rues vides sous le ciel vide. A peine quelques arbres sur la grande place ont-ils daigné frissonner dans l'épaisseur de l'air de l'été. Nous jouions dans la rue. Il y avait peu de voitures, des tracteurs, souvent. A quoi jouions-nous ? Je ne m'en souviens plus. »


Il règne dans ce livre un climat venteux. La vie s'y évanouit sans bruit et sans douleur. On se souvient de quelques petites choses, de vies tremblotantes, et c'est tout ce qu'il y a de plus étrange, de meilleur peut-être.
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Dans la littérature il est des voix particulières, et celle de Frédéric Pajak résonne comme aucune autre. Son Manifeste incertain fait toujours plus d'émules et c'est grande joie. Refusant le terme essai, ses livres illustrés sont autant flâneries biographiques que réflexions - parfois même critiques - sur le monde moderne. Précédemment hantée par Nietzsche, Cesare Pavese et surtout Walter Benjamin, l'oeuvre protéiforme de Pajak donne maintenant à découvrir le cas Gobineau et, pour un très bref passage, celui de Witold Gombrowicz, auteur polonais pour lequel le dessinateur-philosophe avait même entrepris un voyage en Amérique du Sud, mais, découvrant qu'il détestait de plus en plus cet écrivain, l'abandonna en chemin pour se pencher principalement sur un penseur oublié du dix-neuvième et mort à Turin en 1882 : Joseph Arthur de Gobineau. Oublié ? Pas tant que ça... Il y a ceux qui se souviennent de Gobineau pour ses malheureuses théories raciales, mais il y a aussi - et heureusement - ceux qui se rappellent de lui comme d'un grand écrivain, un penseur hors norme, un orientaliste généreux et ouvert. Parmi ces derniers, il y a notre Nicolas Bouvier, qui plaça une citation de Gobineau en épigraphe à ses "Réflexions sur l'espace et l'écriture", à savoir : "Pendant quelques mois, vous n'aurez rien à faire qu'à marcher devant vous, où vous voudrez, comme vous voudrez, vite ou lentement ; rien ni personne ne vous presse. J'ai connu cette vie ; et je la pleure éternellement." Bouvier ne s'y était pas trompé, et Pajak non plus quand il écrit: "Il y a quelque chose d'émouvant que brouille le portrait réprobateur que l'on fait de lui. Cette émotion ne se lit pas dans son idéologie. C'est la même émotion qui me prend en songeant à Fourier, Stirner, Bakounine, Marx, Schopenhauer, Nietzsche. Cette avidité à vouloir embrasser son temps, et tout le temps humain, et le monde, et l'univers, pour en extirper une vérité, voire toute la vérité." (Page 42). Ainsi, avec le même talent développé dans les premiers trois volumes, qui dressaient un magnifique quoique mélancolique portrait de Walter Benjamin, Pajak s'aventure à faire une biographie de Gobineau en réfléchissant à sa trajectoire, ses relations (il a été ami avec Talleyrand), ses amours, pour les femmes, mais aussi pour l'Orient et le romantisme, l'inconnu et la littérature (mais n'est-ce pas la même chose?). C'est que Gobineau fait partie de cette race d'hommes qui appréhendent les choses et le monde par le texte ; il a lu Homère, Thucydide, Virgile, Dante, Machiavel. Pajak mêle son regard sur le monde à celui de Gobineau, le résultat est cette oeuvre, un quatrième volume du Manifeste Incertain, où le plaisir des yeux nourri par la série de dessins en noir et blanc est accompagné par le plaisir de lire un formidable texte où se confondent les souvenirs d'enfance de l'auteur, le portrait de Gobineau, la critique de la cuisine française et celle, plus philosophique peut-être, de la réalité commerciale de notre époque... Un travail magnifique, essentiel même.
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Où il est quesion d'une croisière en paquebot jusqu'au Brésil ainsi que de la vie de Gobineau et de son oeuvre ; où l'auteur évoque une enfance livrée à elle-même dans une école libertaire, véritable surgeon de "Libres enfants de Summerhill" dont il conserve un souvenir mêlé : "J'ai connu l'horreur de la liberté dictée et cette illusion des choses facultatives. Mais j'ai connu aussi la liberté qui se gagne, la meilleure, dans nos longues escapades faites d'insouciance."
Et où enfin, loin des sentiers battus, le lecteur respire un air plus pur : loin des anathèmes, Pajak en effet s'interroge sur les circonstances biographiques et politiques qui ont produit les pensées ténébreuses du 20 ème siècle, et surtout sur les raisons de leur retentissement.
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critiques presse (1)
ActuaBD
09 septembre 2015
Une expérience unique de dessin, mais aussi d’écriture.
Lire la critique sur le site : ActuaBD
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
La télévision est hiérarchisée comme n'importe quelle entreprise, sauf que c'est l'audience qui fait la hiérarchie. C'est son seul critère. Un trublion peut dire n'importe quoi, tant qu'il fait de l'audience.
Tout le monde ne regarde pas la télévision, mais elle occupe une grande partie du temps de loisir. Après la Seconde Guerre, dès que le téléviseur est entré chez les gens, il a occupé leur vie. C'est bien d'une occupation qu'il s'agit.
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"L'Histoire autorisée se nourrit d'images, quelles que soient la qualité et la vérité de ces images. Elle fait feu de tout bois. Rien ne ressemble moins à une ville bombardée que des images télévisées. On se souvient de la nullité des images de Bagdad bombardée par les Américains : diffusées en boucle par des journalistes aux ordres des états-majors, elles ne laissaient voir que des lueurs verdâtres scintillantes, comme dans une discothèque.

Aucune image publicitaire d'un plat de spaghettis ne peut donner le goût d'un plat de spaghettis, et le plus large sourire d'une cagole n'y fera rien. Une image reste une image. Les images télévisées, aussi "réalistes" soient-elles, montrant des hommes, des femmes et des enfants assassinés par des balles ou par une arme chimique ne révèlent pas la réalité de la tuerie, c'est-à-dire la mort. Et l'image d'un mort, filmée quelques instants, parmi des milliers d'autres images, ne saurait rendre compte de ce temps arrêté : il y faudrait l'éternité. Et pourquoi pas ?

La messe, autrefois, passait pour une manière de spectacle de l'histoire biblique. Elle procédait d'une mise en scène, d'un rituel. La télévision, en diffusant des images de l'Histoire événementielle, accomplit un rituel équivalent. Mais elle ne peut l'accomplir sans la publicité, son "souteneur", dont les images ne mentent pas, puisqu'elles ne prétendent à rien d'autre qu'à propager le commerce. La publicité est le langage exact de la réalité, et le commerce instaure la seule réalité qui agite les sociétés - ce qui ne signifie pas qu'aucune réalité n'est possible.

Les rapports humains sont obligatoirement assujettis au commerce. Le travail, les loisirs, la politique, la science, la guerre, l'art : tout est, d'une manière ou d'une autre, tributaire du commerce. Seul l'amour lui échappe - je ne parle pas de la sexualité tarifée - ; c'est un sentiment qui a pour lui d'être très ancien, antérieur au commerce. Il porte la trace indélébile d'un monde variable - et de sa promesse. Je dis "véritable", parce que je pressens un monde dans le monde, caché, pelotonné, vivant. Je le connais dans l'amour, je le devine dans la peinture, la poésie, la musique. Arthur Rimbaud en savait quelque chose : "La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde". "
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Peu après je mets le feu à la buanderie de l'internat. Les pompiers interviennent avant que les flammes dévorent les étages. Dommage. C'est mon ultime méfait. Je sais que je ne recommencerai pas. Quelques chose de ma puérilité s'est accompli. Je dirai bientôt ma colère d'exister d'une autre manière. Cela ne manquera pas d'une certaine douceur contemplative qui est bien dans mon caractère, je le sens.
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L'Italie a tout perdu : son âme d''enfant emmailloté", sa foi brûlante et païenne, sa passion de l'harmonie universelle ; à présent ses Italiens meurent devant leur télévision - particulièrement vulgaire. Ils ne sont plus grand-chose, ne s'intéressent à rien, pas même à eux. Seule leur cuisine les sauve du Jugement dernier. Plaise à Dieu qu'elle leur survive.
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Gobineau, resté seul à Téhéran, n’a pas le temps de trouver le temps long. Il se sent « plus persan que les Persans ».
Il se lève à six heures, se couche à dix, ne boit que de l’eau, mange peu. La journée, il lit le Coran avec l’aide d’un mollah, s’entoure d’érudits et de philosophes avec lesquels il étudie les doctrines secrètes du soufisme. Plongé dans la culture persane, il en étudie les moindres replis.
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Vidéo de Frédéric Pajak
Lecteur, écrivain, dessinateur, Frédéric Pajak déploie son imaginaire depuis 2012 dans un livre sans fin, "Le Manifeste incertain " : au rythme d'un volume par an, cette entreprise littéraire s'achève cette année avec la parution de son 9e volume "Avec Pessoa". Si chaque volume est consacré à la biographie d'une figure que L Histoire a longtemps malmené, ils tissent entre eux une toile plus vaste, l'incertitude comme fil rouge.
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