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Critiques de Gabriela Adamesteanu (28)
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Fontaine de Trevi

C’est le dernier volet de la trilogie avec au centre le personnage de Letitia Branea – Arcan, qui suit Vienne le jour et Situation provisoire. Quelques années ont passées, Letitia après son avortement a suivi Petru, son mari à l’étranger. Elle vit maintenant en France, elle a abandonné la littérature pour devenir kinésithérapeute. Mais elle revient dans une Roumaine très différentes, celle de maintenant ou presque, avec comme prétexte des tentatives pour essayer de récupérer les biens de la famille de son père, ce qui est devenu possible après les transformations politiques du pays. Et elle a écrit un roman qu'elle voudrait bien faire publier. Mais rien n’est simple dans la nouvelle Roumanie, comme d’ailleurs dans la tête de Letitia, entre ses deux vies, celle d’ici et celle de là-bas. Ses souvenirs reviennent dans sa tête de dame d’environ soixante ans consciente que la plus grande partie de sa vie est derrière elle. C’est aussi le moyen d’évoquer l’histoire de la Roumanie et les transformations en œuvre dans la société qui s’est mise en place après la chute du communisme, même si cet héritage pèse toujours sur les destins et consciences.



C’est sans doute un livre intéressant et bien pensé. J’ai toutefois moins adhéré à ce dernier volume qu’aux deux précédents. Il y a quelque chose d’un peu trop bien construit peut-être justement, ce qui peut donner un sentiment de quelque chose de démonstratif, Letitia en devient presque un moyen d’illustrer plus qu’un vrai personnage de chair et de sang. Elle est dans ce tome d’une lucidité presque trop forte, en étant capable de voir et de comprendre, d’expliquer, en se détachant des affects, en situant presque trop justement les choses. L’avortement est un exemple de cette visée explicative : les mécanismes, les raisons, et la manière dont se passent les choses, est presque plus journalistique que vraiment vécue par une vraie personne. Certes cela est très clair et précis, mais il manque un ressenti, un affect, qui est quand même ce que l’on attend d’un roman.



Il y a quand même une sorte de nostalgie, la douceur des souvenirs, même s’ils évoquent une période difficile, la mémoire des êtres chers qui sont partis. La sensation aussi que la situation telle quelle est devenue n’est pas non plus idéale, même si moins inhumaine, et que d’autres souffrances et renoncements sont bien là, sans doute plus insidieuses mais présentes tout de même. Et l’avenir ne s’annonce pas radieux.



Le bilan d’une vie se mêle au bilan d’un demi-siècle d’histoire. Ambitieux, par moments prenant, par moments drôle, d’un humour assez féroce, j’avoue que j’ai quand même un peu décroché dans certains passages. Sans doute par méconnaissance de l’histoire roumaine dans certains passages, mais aussi parce qu’il m’a moins convaincue que d’autres romans de l’auteure.

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Fontaine de Trevi

Doit-on encore s'attaquer aujourd'hui à un roman de plus de 500 pages écrit par une Roumaine en résidence d'écriture en France (« pour l'écriture de ce livre, l'autrice a bénéficié d'une résidence à la Maison des écritures de Neuvy-le-Roi, soutenue par […] et la ville de Neuvy-le-Roi » ; elle rend d'ailleurs bien hommage dans le roman à cette commune) et sorti initialement en 2018 ? Peut-être que oui. En tout cas, même si j'ai sauté des passages (oui, je le reconnais ouvertement), moi je l'ai fait.



Gabriela Adameșteanu a de la suite dans les idées, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce roman est une suite logique des aventures de son personnage phare Letiția Arcan, née Branea. Pour le pitch ou le résumé, je reprends les mots de Gabrielle Napoli, qui, en juin 2022, saluait la sortie en France de cette traduction dans la revue « En attendant Nadeau » : « Désormais femme accomplie dans ce troisième ouvrage, Letiția, qui avait émigré en France pour rejoindre son époux, Petru Arcan, universitaire en manque de reconnaissance, revient à Bucarest pour récupérer son héritage, ce qui ne va pas sans difficulté. le récit se déroule au cours d'une seule journée et entremêle l'époque de la jeunesse roumaine de Letiția et son regard désormais averti sur ce passé qui n'est jamais complètement passé. » Selon la même critique « La société roumaine que Letiția décrit semble jetée en avant dans une volonté, parfois cocasse, d'enterrer le passé, alors même que Gabriela Adameșteanu dans Fontaine de Trevi l'exhume, mais pour le rendre toujours plus vivant en montrant qu'aucune véritable modernité ne peut faire fi de son héritage. »



En effet, ce roman imposant serait un roman sur la mémoire, sur l'exil et le « mal du pays », sur l'Histoire et ces cicatrices.



À propos du « mal du pays » je note deux occurrences directement en français dans le texte : « Aurélie, [l]a psychothérapeute [de Letiția] à Saint-Pierre-des-Corps, soutient que j'ai le mal du pays, et que cela expliquerait mon retour à l'écriture. », et « Parfois, un coin de rue de Bucarest se superposait à un coin de rue de là-bas – une illusion d'optique, l'espace d'un instant, qui me rendait la ville brusquement familière : Petru [le nouveau mari de Letiția] dit que c'est le mal du pays. C'est là qu'est née en lui l'idée d'emménager dans une petite bourgade de France : en Allemagne, il ne se sentait pas dans son élément, il n'avait pas vraiment réussi à apprendre la langue. » Tout est dit au fond sur la tentation, oh combien pernicieuse, du retour « aux sources ». Double retour pour la narratrice qui avait écrit un livre avant de quitter la Roumanie.



En dépit de (trop ?) nombreuses pages sur la politique d'après décembre 1989, le principal problème du personnage est précisément de savoir comment la continuité est possible, comment le passé peut être réconcilié avec le présent. Je paraphrase ici un critique roumain qui loue les qualités de cette oeuvre récompensée de plusieurs prix littéraires en Roumanie.



« Je peux constamment revenir, moi, parce que je n'ai pas eu les mêmes attentes que lui ou d'autres, qui ont été déçues. Je savais dès le début que je ne mettrais pas l'Occident à ma botte : je n'avais pas de quoi. Je suis partie pour voir le monde, puisque ma vie était déjà manquée ! Je ne devrais pas me dire ça, ce n'est peut-être pas vrai, mais qu'y puis-je ? Malgré mes thérapies, cette idée-là revient tout le temps. L'essentiel, c'est que je sois en vie et assez libre pour vivre autrement – voilà comment je me suis toujours donné du courage. Voilà pourquoi je peux habiter, sans prétentions, dans les deux mondes. Ou bien entre les deux ? Ou bien dans aucun des deux ? Ces questions-là, je n'ai pas du tout envie d'y réfléchir. » Lorsqu'elle affronte ses deux vies passées, ses deux territoires Occident vs. Roumanie, la narratrice parle de « deux mondes ». Comment les réconcilier autrement qu'en revenant (elle multiplie les allers-retours) en Roumanie ?



Lorsqu'elle revit son passé, elle évoque également un avortement clandestin dans des scènes assez « cliniques », prétexte pour l'écrivaine de reprendre cette tare roumaine du communisme. Mais en 2023, est-ce encore nécessaire ? Moi, j'ai eu une l'impression qu'elle enfonçait « des portes ouvertes », même si, le faire de manière littéraire, révèle toute même un grand talent d'écriture.



Si l'exil apparaît comme une fuite en avant, le retour au pays comme quête d'un passé à ressusciter pour mieux se l'approprier est une idée intéressante de premier abord, et assez fréquente en littérature. Mais force est de constater qu'ici il y a également un intérêt plus matériellement et moralement « discutable », car Letiția cherche à récupérer son héritage familial. Très bizarrement les mots « spoliation » et « confiscation » sont totalement absents (sauf erreur de ma part) du roman. Je me suis posée des questions similaires, étant moi aussi une exilée. J'ai trouvé d'autres réponses, assez différentes de ce personnage. le passé peut tout aussi bien être « revu » à bonne distance du pays d'origine, qui finit par s'éloigner progressivement.



Je trouve au final que de nombreux sujets délicats sont à peine effleurés et qu'au fond la romancière ne veut pas trop se risquer à en débattre. Mais ce n'est que mon humble avis. D'où aussi la difficulté à attribuer des étoiles. Heureux ceux qui ont choisi de ne pas s'exprimer à travers la notation. Comme je n'aime ni les « demi-étoiles », ni la « prolixité » même si je la comprends la plupart du temps, je pencherais plus pour un ferme trois étoiles plutôt que 3,5.



P.S : pour ceux qui seraient tentés par cette lecture, je mentionne qu'il y a, en fin d'ouvrage, une longue liste des personnages qui permet de mieux suivre.

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Fontaine de Trevi

Ce grand classique de la littérature roumaine « Fontaine de Trevi » est une référence. Un outil majeur pour les étudiants (es), en langue roumaine et en histoire.

La fontaine de Trevi dont le symbole est la mer. Serait-ce ici, le point qui relie la Roumanie et la France ? Ou bien celui de Letitia (narratrice de ce récit) dont la photo la montre en train de jeter une pièce roumaine dans la fontaine ?

« Sur la photo qu'aurelien a agrandie on voit très bien que c'est une pièce roumaine! Des mythologies et des rites préchrétiens. L'orthodoxie roumaine ! ».

Cette épopée d'une extrême richesse est une déambulation sur cinquante ans.

C'est Letitia, roumaine le maître d'oeuvre de ce récit. Ce roman le troisième d'un triptyque, après « Vienne le jour », et « Situation provisoire », clôture le cycle de Letitia. Tous peuvent se lire individuellement.

L'autrice, Gabriela Adamesteanu a écrit ce dernier lors d'une résidence d'écriture en France.

Oeuvre de renom, l'ubiquité au garde à vous, Letitia vit en France et retourne de manière constante en Roumanie pour tenter de récupérer son héritage. Petru Arcan, son mari, ressent les périples de Letitia comme autant de jours inefficaces et pointe du doigt l'idiosyncrasie roumaine. « Voilà le pays où tu fais la navette, sous le prétexte d'un héritage, sur lequel tu ne mettras jamais la main, jamais de la vie. Et tu veux encore me traîner là-bas, dans ce pays où tout le monde te jette à la figure sa biographie falsifiée… Ensuite, après 1990, même les gens remplis de bon sens ont perdu la boule ! Regarde ton ami Aurelien Morar ! L'anti communiste d'aujourd'hui, hier secrétaire de la propagande du Parti communiste … Vous ceux du « dehors » vous ne reconnaissez rien de bon ici, parce que vous ne pourriez plus justifier votre départ ».

Letitia retrouve les siens, les amis d'antan. Soulève les diktats, les faux-semblants, ce qui fut de cette Roumanie, elle Letitia Arcan en 2016.

Bucarest, 1990, la paix retrouvée. Après les drames incommensurables, les jeunes roumains, manifestants ou pas, écrasés par les chars. Jetés en prison, ou comme Serban Dumitriu, fauché par une balle le 21 décembre 1989. La fontaine de Trevi est en deuil.

Letitia rassemble l'épars. Manichéenne, lucide et la quête de son héritage pour acter la résilience. Les confiscations, les frustrations, les orphelins quasi abandonnés, la faim aux abois et les petits corps souillés par manque de froid. Les joues froides sans baisers de tendresse maternelle. Les avortements clandestins, celui de Letitia, où elle a échappé à la mort et se trouve mutilée à vie. La Roumanie est une blessure et un sanglot long. Elle dont les images pavloviennes refont surface. L'amant, les déchirures, les rencontres et les abandons. Elle revient, repart. Foule sa terre-mère et se blottie dans les draps des souvenirs. Tant d'années sont passées et tout reste. Letitia aussi écrit comme Gabriela. Serait-ce le double cornélien des héroïnes d'une écriture mémorielle et insistante ? Ne rien oublier, jamais. Le pays natal est un manteau de pluie. De noir et de blanc, précis et spectral. La métamorphose sera pour demain.

Le roman est envoûtant, tiré au cordeau. On ressent la renaissance d'une époque si près de nous encore. le poids d'un livre profond et vertigineux. Les rêves blessés, les frustrations, les déchirures irrévocables. Letitia et ses courages, Letitia et ses luttes. Elle incante l'histoire d'une Roumanie sous le joug d'une dictature cruelle, lâche et minable. Les sentiments invincibles, parfois fluctuants au gré de l'évènementiel, la chute d'Icare.

Entre le passé et le présent « Dans quel monde vous vivez, Letitia ! Qu'est-ce que c'est devenu, cet Occident ! À Nice, pareil… À Berlin...À Stockholm... ». « Mais y-a-t-il encore un endroit sur terre qui soit dépourvu de ces écervelés ? ».

L'héritage est une parabole. Ce n'est pas seulement l'argent, c'est une question d'honneur et d'intégrité pour Letitia. Et la conclusion de ce qui fut de l'adversité, de ce mal au ventre, de ce bébé perdu, arraché parce que Letitia voulait la liberté. Être son choix. Des pillages aux filatures, des tortures et des barbelés sur le coeur. Ce grand roman est une saga qui sonne juste. Sa fulgurance est une page d'Histoire dévorante et hypnotique.

« Fontaine de Trevi » superbement traduit par Nicolas Cavaillès est un grand texte mémoriel. Un livre absolu digne d'un génie évident. La Roumanie requiem. Publié par les Éditions Gallimard.



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Situation provisoire

Critique de Alexis Liebaert pour le Magazine Littéraire



Prenez quelque chose d'aussi banal que l'adultère. Là où l'homme de Dieu excommunie, le serviteur de l'État inscrit en rouge dans le dossier des amants : « éléments peu fiables », voire «vipères lubriques». On comprend mieux, dès lors, que la belle Laetita et le jeune Sorin multiplient, depuis des années, les précautions visant à garder secrète leur histoire d'amour. Et comment qualifier autrement cette furie charnelle qui les jette l'un contre l'autre sur le lit de l'appartement de banlieue minable que leur prête un ami ?

Nous sommes en Roumanie sous le « règne » de Nicolae Ceaus?escu, une période qui hante tous les romans de Gabriela Adamesteanu. Rien de très surprenant : la romancière appartenait à la catégorie des « dalmatiens », ceux dont le curriculum vitæ était à l'image du pelage de ces chiens, parsemé de taches noires. Sérieux handicap, en effet, que d'être la fille d'un prêtre orthodoxe et d'une mère spécialiste d'économie dans un monde où les mots « religion » et « intellectuel » riment aux yeux du pouvoir avec « asocial » ou, pis, « potentiellement séditieux ». D'où cette entrée en littérature à l'âge de 33 ans, plus de dix ans après ceux de sa génération, pour cause de rejet viscéral du réalisme socialiste.

Mais revenons à nos deux amants et à leur clandestinité. Pour dire les choses sans fard, ils ne sont pas non plus « blanc-bleu » aux yeux des caciques de la Securitate, la redoutable police politique du Génie des Carpates. Sorin est, même s'il ne le sait pas (ses parents adoptifs lui ont dissimulé la vérité), le fils naturel d'un « légionnaire », ces miliciens fascistes qui, dans les années 1930, précédèrent les communistes dans le rôle de bourreaux du pays. Les choses ne sont pas plus faciles pour Laetitia, fonctionnaire comme lui et romancière à ses heures, dont les parents appartenaient à la catégorie honnie des bourgeois aisés, avant de se voir confisquer leurs biens par la révolution en marche. Une ascendance que lui reproche amèrement son mari, bloqué dans son ascension au sein du corps enseignant de l'université. Au pays du « Camarade », l'autre dénomination de l'ogre, on est tenu pour responsable des agissements de ses parents comme de ceux de son conjoint.

On l'aura deviné, même si la relation entre eux reste la colonne vertébrale autour de laquelle il s'organise, ce roman tire sa force de cette plongée dans la réalité quotidienne de vies soumises aux foucades du tyran et de ses sbires. Un exercice dans lequel Gabriela Adames?teanu excelle, nous racontant un monde dont la paranoïa destructrice laisse sans voix. Nous voici donc pénétrant, en compagnie de Sorin et de Laetitia, dans « L'Édifice », le bâtiment abritant « L'Institution », mystérieux service chargé de rédiger « Le Traité exhaustif de la République socialiste de Roumanie ». Ici, tout n'est que complot, chacun surveille l'autre, sous les yeux de chefaillons toujours prompts à rapporter aux « organes » les délits réels ou imaginaires de son voisin de bureau. Dans cet enfer, que Gabriela Adames?teanu raconte dans une langue d'une élégante simplicité, le bonheur n'est évidemment pas à l'ordre du jour. Nos deux tourtereaux finiront par être usés, broyés par la grisaille, la mesquinerie de ce monde sans grandeur. À l'amour succédera la lassitude, puis la rancune. Il ne faisait pas bon s'aimer au pays du Conducator.

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Situation provisoire

Un très bon livre, presque un "grand" livre... Ceci dit, la littérature du ou issue du rideau de fer est fréquemment d'une incroyable profondeur.
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Situation provisoire

Gabriela Adamesteanu est un grand écrivain qui s'est hissée à la place qu'elle occupe aujourd'hui au prix de beaucoup de luttes et de ténacité. Son livre est empreint de toute cette frustration, de cette peur au quotidien, qui paralysent et contre lesquelles il est difficile de lutter. Letitia Arcan et Sorin Olaru, ses héros sont traqués, épiés par cet oeil multiforme qu' était la Securitate où même s'aimer était interdit. L'écriture est belle, âpre et exigeante et la lecture en est passionnante de bout en bout. Ceux d'entre vous qui ont vu le film de Cristian Mungiu: 4 mois, 3 semaines, 2 jours palme d'or en 2007 et qui l'ont aimé comprendront ce qui les attend: une impression d'étau qui se resserre inexorablement. Il serait dommage de passer à côté d'un tel roman.
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Situation provisoire

Il s’agit du deuxième volume de la trilogie dans laquelle le personnage principal est Letitia Branea ou plutôt maintenant Letitia Arcan, car elle a épousé Petru. Mais leur mariage ne se porte pas bien et Letitia a une liaison au long cours avec Sorin Olaru, l’un de ses collègues. Compliquée à gérer, Sorin emprunte l’appartement d’un ami, il faut dissimuler, mentir, ne rien laisser voir. En arrière plan, de plus en plus présent au fur et à mesure du l’avancement du roman, la situation politique et sociale de la Roumanie de l’ère Ceaușescu. Décrite non par les événements fixés dans l’histoire, sinon incidemment, mais par la manière dont les gens vivent leurs conséquences. La quasi interdiction du divorce par exemple, pour les fonctionnaires, les gens qui ont quelque chose à perdre à être mal vu, qui fait que Letitia ne peut se permettre de quitter Petru pour tenter de vivre une vraie histoire avec Sorin. Les personnages principaux appartiennent à une sorte de classe moyenne instruite, qui a des ambitions, qui se sent un potentiel, qui n’est pas la plus à plaindre sur le plan matériel, même si la dégradation de la situation la touche progressivement. Le durcissement du régime entame peu à peu les marges qu’elle s’est octroyées, mais il y a la peur de tomber encore plus bas. D’autant plus que le pire est possible : au-delà d’un réel sombre, il y a un passé proche encore plus terrifiant. Qui resurgit petit à petit. Car le père adoptif de Sorin a côtoyé les frères Branea, les oncles de Letitia qu’elle même n’a pas connu, et dont elle ne sait presque rien. L’histoire de la famille, et au-delà celle de la Roumanie va refaire surface, par-à-coups, par petites touches, jamais complètement clairement, car on ignore des choses, ou on préfère ne pas savoir.



J’ai eu un plus de mal à entrer dans ce deuxième tome, l’histoire de l’adultère de Letitia m’a paru un peu longue, et pas forcément très intéressante. J’ai eu aussi un peu de mal à suivre un certain nombre d’événements liés à l’histoire roumaine. Mais après un tiers du roman j’ai de nouveau été happée. Gabriela Adameşteanu maîtrise à la perfection l’art de bâtir une structure romanesque, et tout commence à un moment à prendre forme, à faire sens. Les liens entre le passé et le présent apparaissent, les fils se nouent. C’est un tableau très sombre, certes, mais très juste, des relations humaines viciées par le contexte dans lequel évoluent les personnages, celui de mensonge, de la délation, un contexte qui pousse en haut ceux qui sont sans scrupules, sans morale, prêts à tout. Letitia, l’éternelle candide, dépourvue d’ambition, laisse glisser tout sur elle, ne s’aperçoit pas de grand-chose, dans une forme d’innocence assumée. Nous avons le sentiment de savoir avant elle, y compris ce qui la touche au plus près. Car petit à petit l’horreur quotidienne se révèle, ainsi que les êtres, comme Sorin, dont l’image finale est bien pitoyable, entre médiocrité et opportunisme, le tout dissimulé derrière une façade lisse et rassurante de bonnes manières et de délicatesse apparentes.



Gabriela Adameşteanu dresse un tableau saisissant de la violence des rapports sociaux, dans un univers qui l’exacerbe certes, mais qui est présente partout et de tout temps. Lorsqu’elle décrit les licenciements massifs, ceux qui sont appelés et repartent avec leur enveloppe de renvoi, en larmes, alors que les autres observent et malgré tout se réjouissent de ne pas être parmi les exclus, voire qui jubilent, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec d’autres situations de même type, ailleurs, dans d’autres temps. Et on peut se demander comment on réagirait, comment on ferait face dans la même situation. Le roman est très subtil, n’assène pas, mais pose la question des valeurs, de choix que l’on fait, parfois en refusant justement de choisir, des compromis plus ou moins bancals que l’on construit pour survivre, pour garder une image acceptable de nous-mêmes.



J’ai très envie de découvrir la suite.
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Situation provisoire

La grande Gabriela Adamesteanu fut le porte-drapeau de la dissidence roumaine. Avec Situation provisoire, elle signe un récit terrible sur le viol de la vie privée en régime totalitaire.
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Situation provisoire

Gabriela Adameşteanu maîtrise parfaitement cette capillarité du récit qui fait que les personnages – nombreux – ne soient jamais nets : des branches occultées (ou tenues en réserve par le régime oppressif) de leur arbre généalogique peuvent à tout instant refaire surface. Le tissu tendu à outrance des relations peut se déchirer à tout moment.
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Situation provisoire

Situation provisoire c’est une vie qui s’écoule entre les draps froissés d’une garçonnière et les commérages de bureaux pour Létitia. Mariée au bourru Petru pour lequel elle n’éprouve que des sentiments de lassitude et de culpabilité mêlées, elle guette chacun des gestes, chacun des regards conspirateurs de son collègue Sorin pour des rendez-vous clandestins.



Cet amour au goût d’interdit pourrait être frivole, distractif, une parenthèse de joie et de liberté. Mais sous la Roumanie qui n’en finit pas avec le communisme stalinien, la romancière dessine une relation désenchantée, baignée par un sentiment de tristesse et d’amertume lancinantes pour Sorin et Lety qui appartiennent à cette génération d’après-guerre coincée entre deux temps, deux mouvements, deux révolutions.

Ils naviguent dans un monde « où les modèles sont des idoles déchues », ils ont été éduqués par le Régime, « c’est lui qui [leur] a serré la cravate de pionnier autour du cou, lui qui [leur] a mis en main le carnet de l’Union des Jeunesses communistes ». Ils ont appris à ne dire à personne ce qu’ils entendaient à la maison, surtout les histoires de famille qui ont tremblé toute leur vie. L’auteure prend bien le temps de dérouler l’histoire de ces familles bourgeoises inévitablement traversée par l’histoire politique du pays, sous l’œil inquisiteur de Moscou puis de la Securitate.

Ici et nulle part ailleurs, ce sont des histoires de famille qui sédimentent et laissent une empreinte indélébile sur les dossiers personnels et les histoires d’amour … de sorte que, même si Létitia préfère se laisser porter par ses rêves littéraires, elle garde en elle des réflexes de méfiance marxiste et une mémoire saturée de vieilles histoires qui la conduisent à porter un regard distant et écœuré.



C’est donc un récit dense qui laisse peu de place aux moments de légèreté et d’allégresse. On assiste à une progression lente vers quelque chose qui mène à un sentiment d’impuissance des personnages, écrasés par les fantômes du passé et par le poids de leur résignation face à un futur voilé. Gabriela Adamasteanu ne cesse de rappeler que l’État policier est partout, il voit tout, entend tout et sait tout ; et ce qu’il ne sait pas, il l’invente. De fait, il épuise toute résistance et toute patience, broie les individus comme les intentions nobles.

Ce sentiment d’impuissance est d’autant plus fort qu’il est au cœur d’une relation entre des personnages indécis et timides qui ont choisi une vie hasardeuse, faite d’improvisation et d’heures volées au quotidien. Dés lors, rongée par le doute et une insatisfaction croissants, la voix intime de Létitia est parfois étouffante pour le lecteur. On se désespère parfois de ses envies avortées, de son aveuglement, des crises d’angoisse permanente, de son mutisme et de son immobilisme … et si c’était finalement une évolution des sentiments qui dépasse la question de l’emprise politique ?

Roman magnifique et exigeant.

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Une matinée perdue

Gabriela Adamesteanu est une grande voix de la littérature roumaine d'aujourd'hui. Fille de pasteur, née dans une famille intellectuelle à une époque où il fallait baisser la tête, elle dépeint la vie quotidienne avec acuité : les petites gens des campagnes, les bourgeois au ventre mou, la soumission à la Securitate ...
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Une matinée perdue

Vica rend visite à sa belle-sœur Ivona. Comme chaque mois, celle-ci va lui remettre un peu d'argent, bienvenu pour mettre du beurre dans les épinards lorsqu'on dispose d'une toute petite retraite. Malheureusement, ce jour-là, la porte ne s'ouvre pas et Vica reste dehors à attendre, à attendre des heures et des heures le retour de son amie. Avant la rencontre des deux commères (car la porte va finir par s'ouvrir) c'est près d'un siècle d'histoire de la Roumanie qui va défiler, à travers les souvenirs de celle qui a connu les jours fastes et les jours sombres d'une famille, jadis très riche et puissante mais dépouillée de ses biens par le régime communiste. Ivona, qui raconte à son tour (derrière sa porte), a une tout autre vision des mêmes personnages et des mêmes événements. C'est là toute l'originalité de ce roman, assez long à lire mais très attachant par la forte personnalité des personnages et leur destin hors du commun. Chacune parle avec son langage, populaire pour Vica, châtié et mâtiné de français pour Ivona (on est aristocrate ou on ne l'est pas !) et l'on sent leur profond attachement l'une pour l'autre malgré le fossé qui les sépare et qui continuera à les séparer jusqu'à leur mort. La force de ce texte tient à son ancrage dans une réalité mouvementée, celle des peuples de l'Europe centrale, au destin si tourmenté, et à un réel bonheur d'écriture.
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Une matinée perdue

Un livre attachant, les personnages nous font revivre les différentes époques de la Roumanie prise entre l'Allemagne et les Russes, les incidences pour les roumains : petite ou grande bourgeoisie, ainsi que pour ceux qui ont travaillé toutes leurs vies. Les descriptions nous montrent une vie rude où tout se mérite mais aussi les stratégies de certains et les soumissions d'autres.



Un petit bémol, il faut persévérer au début pour s'y retrouver parmi tous les personnages et aussi les époques.
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Une matinée perdue

Publié en 1984, Une matinée perdue (Dimineață pierdută) est le deuxième roman de Gabriela Adameșteanu qui connut un grand succès à sa sortie. C’est un roman très riche sur le plan épique et très profond sur celui de la psychologie des personnages, qui sonne vrai de par l’attention accordée aux menus détails et moderne dans sa construction, mais qui a quelques longueurs (assumées) à mon humble avis. Le roman commence et se termine dans le présent quand Vica Delcă fait sa tournée de visites. Elle commence par sa belle-sœur où elle fait en vitesse la vaisselle et gronde Gelu, son neveu. Elle se rend ensuite chez Ivona Scarlat, épouse d’avocat, descendante de la grande bourgeoisie de jadis. Elle y reste discuter jusqu’à ce que tombe soudain la nuit et la nouvelle de la mort de son mari. Chez Ivona elle regarde une photo de famille qui introduit le plan du passé du roman. On retourne en 1916. Vica a connu personnellement une bonne partie des nouveaux personnages : Muti, la mère d’Ivona, Margot, la sœur de la première. Elle a beaucoup entendu parler du Professeur Mironescu, le père biologique d’Ivona, du colonel Ioaniu, son beau-père, de Titi Ialomițeanu. Ce jour caniculaire d’août 1916, une mystérieuse scène mémorable a lieu. C’est elle qui constitue le liant entre les nouveaux personnages appartenant à un monde différent de celui de la protagoniste. La guerre y est également évoquée et les grandes lignes de la vie des nombreux personnages nous conduisent à nouveau jusqu’au présent. Une belle fresque sociale.

Une liste de personnages historiques cités dans le roman en fin d’ouvrage, ainsi que des notes du traducteur permettent de mieux comprendre le contexte historique, mais il est vrai que pour le lecteur français cela peut sembler encore insuffisant.
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Une matinée perdue

comment puis je noter un livre que j abandonne? (d ailleurs, le mot est difficile pour ceux qui, déjà, culpabilisent d arrêter un livre) il est bon ce bouquin, il est très bien écrit, il faut un certain talent pour donner aux gens de la campagne et/ou peu éduqués ce phrasé particulier, toutes ces fautes de syntaxe qui donnent vie aux personnages. mais voilà, je trouve que ça n avance pas. des redites, des longueurs. l histoire en elle même me paraît plutôt vide, mais superbement écrite, ce qui m a aidé à passer plus de la moitié du livre. enfin, je ne connais pas la Roumanie, mais ce récit, à de rares exceptions faites, aurait pu se dérouler ailleurs. je n y ai pas appris grand chose. Pour le style, il faut aller y faire un tour. pour le reste, mon avis vaut juste le poids d un avis.
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Une matinée perdue

Une œuvre ambitieuse, à la structure complexe, qui tient en grande partie ses promesses. Nous commençons par suivre Vica, une vielle femme, qui décide ce jour-là de faire des visites. Le trajet est une occasion de se remémorer, son enfance difficile, son mariage, sa carrière d’épicière. Les rencontres et les lieux où elle se rend éveillent aussi des souvenirs. Elle commence par aller chez sa belle-sœur, chez qui elle ne trouve que son neveu. Puis, elle décide d’aller chez Ivona, dont elle a fréquenté la famille de bourgeoisie aisée depuis des décennies, essentiellement en tant que couturière. Elle évoque les membres de la famille, les jugeant ainsi que leurs comportements sans complaisance. Ivona de son côté évoque les mêmes souvenirs sous un autre angle et dans un autre langage. Une photo de 1916 va être l’occasion de faire plus ample connaissance avec certains des personnages, de leur point de vue cette fois, puisque nous suivons chacun d’entre eux de l’intérieur. Le roman continue avec le journal du professeur Mironescu, le père d’Ivona, qui raconte en arrière fond d’événements personnels, les débuts de la première guerre mondiale en Roumanie. Nous revenons ensuite à Vica et Ivona, pour connaître une conclusion de cette journée. Le roman se clôt quelques années plus tard avec Vica.



Riche et dense, le livre décrit à la fois des individus, comme de l’intérieur, leur donnant la parole, avec chacun son langage, par exemple très populaire chez Vica et exagérément châtié chez Ivona. Les ambigu1ïtés et ambivalences des personnages sont creusées, des jugements contradictoires peuvent s’exprimer dans des laps de temps très courts par exemple. Les personnages réagissent en fonction de leurs préjugés, de leurs états émotionnels, de leurs expériences, de leurs égoïsmes aussi. C’est le panorama des différents points de vue qui permet au final au lecteur de se faire sa propre opinion. Les différences de classes sont impitoyablement explorées, dressant au-delà des individus, un tableau sociale, tout en esquissant aussi l’histoire roumaine de la période, vue par le prisme du vécu des individus lambda. Dès le titre, le livre joue sur deux registres : celui des destinées individuelles (la matinée perdue par Vica qui ne trouve dans un premier temps personnes à domicile, ou celle d’Ivona envahie par Vica) et celle de la Roumanie, dont l’indépendance n’a débouché que sur le clientélisme, la corruption, l’impuissance, entraînant des catastrophes successives.



Le parti pris de partir des discours des personnages entraîne forcément une lenteur dans le schéma narratif, les mêmes événements reviennent sous des angles différents, il y a les inévitables ressassements des faits, surtout des plus douloureux, les réactions affectives. Jusqu’au deux tiers du roman, je trouvais que cela fonctionnait merveilleusement bien et donnait une grande profondeur et richesse au livre. Une petite perte de rythme survient à mon sens ensuite pendant une centaine de pages, ces deux parties (le journal du professeur et le retour chez Ivona de plus en plus hystérique en attendant la révélation finale) auraient méritées d’être un peu resserrées à mon avis. L’épilogue en revanche clôt le livre d’une manière convaincante.



Globalement, c’est une très belle lecture, pas très loin d’être un immense coup de coeur.
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Une matinée perdue

Roman choral qui décrit sans concession la société roumaine à travers le destin de plusieurs personnages qui se croisent au fil des époques. De l'aristocrate à l'ouvrier, l'auteur nous plonge dans la dureté et l’âpreté d'un monde où nul ne fut épargné. Entre bassesse et grandeur l'âme, les personnages oscillent au gré des aléas de la vie politique roumaine.

Ce beau roman m'a ouvert l'esprit sur les difficultés que purent rencontrer les roumains au cours du XXéme siècle, Cependant, les choix narratifs deviennent indigestes à mesure que l'on avance dans la lecture. J'ai eu du mal à le finir tant les radotages entre Vica et Ivona sont répétitifs. Dommage.



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Une matinée perdue

” Une matinée perdue” est la métaphore d ‘une désillusion personnelle et collective, d’ une promesse non tenue, d ‘une vie gaspillée par les événements extérieurs.
Lien : http://pasiondelalectura.wor..
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Une matinée perdue

Une femme âgée,pauvre depuis sa naissance,qui a dû lutter toute sa vie

contre la misère en s' usant au travail,rend visite à d' anciens riches devenus pauvres à cause du régime communiste qui les a spoliés...

C'est un "roman-chorale",dans lequel le narrateur change à chaque

chapitre:on a donc plusieurs visions et versions des mêmes faits.Se

développe alors une étrange antipathie,mesquine et cruelle:la pauvresse

n'a que mépris pour les riches qui n'ont jamais travaillé et ne savent rien

faire de leurs doigts;ces derniers dédaignent la femme du peuple, ignorante

et sans éducation...Analyse impitoyable d'une société fragile,égoïste,

souvent corrompue,qui n'a pas encore atteint le niveau de la démocratie.

Dommage que ce commérage devienne envahissant ,interminable,

fatalement répétitif:deux cents pages en trop,hélas!!
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Une matinée perdue

Un livre que j'ai lu avec beaucoup de plaisir lors d'un voyage en Roumanie. On y découvre la vie de Vica et de son entourage à Bucarest, avec en toile de fonds l'histoire du pays au début du XXième siècle et sous la période communiste. J'ai également apprécié le franc parler de Vica qui m'a fait rire à plusieurs reprises - ce qui n'est pas courant dans les livres traitant de la vie quotidienne sous le communisme.
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