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Critiques de Herman Melville (524)
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Moby Dick

Herman Melville prend d'emblée un parti osé : écrire une sorte de monographie romanesque sur la baleine et la chasse qui lui est faite au milieu du XIXème siècle.



Choix doublement hasardeux d'une part parce qu'à l'époque la connaissance des cétacés n'est pas mirobolante et d'autre part, parce que le sujet de la chasse à la baleine n'est ni très fédérateur ni très palpitant, a priori. Comme quoi, l'auteur démontre qu'on peut faire un véritable chef-d'oeuvre avec n'importe quoi, qu'il n'y a pas de mauvais sujet ou de petites portes d'entrée pour faire un grand roman, qu'il suffit d'un grand talent, et ça, Melville en a à revendre.



Il aborde, à travers le prisme de la baleine, l'univers dans son entier, où j'ai remarqué, pêle-mêle : l'économie, le consumérisme, l'écologie, les relations raciales entre les hommes, le système social d'un microcosme, les valeurs humaines, les passions, les mythes et les religions, l'histoire, la philosophie, le développement technique, la compétition athlétique, la législation, la solidarité, la folie, bref, le monde, à l'image de ses interminables océans où se meuvent nos augustes mammifères marins.



Quelle étrange activité tout de même quand on y songe ; il s'agit d'un bateau de pêche, mais à la vérité, on y chasse. On y chasse quoi ? le plus grand prédateur carnivore du monde, le grand cachalot aux terribles mâchoires. On le chasse comment ? À l'arme blanche (sachant qu'à l'époque, les chasseurs utilisaient déjà le fusil pour pratiquement tous les autres types de chasse). On le chasse où ? Sur la Terre entière et son vaste océan, autant dire une goutte d'eau dans une piscine. Dans quelle zone ? Dans la mince et improbable zone de contact entre ce géant des profondeurs aqueuses et ce frileux minuscule primate aérien. Avouez qu'il y a de quoi s'arrêter sur une activité aussi singulière.



Nous suivons donc le brave Ishmaël, en rupture avec le monde citadin de New York, qui s'embarque à la fois pour oublier, se sentir vivre, donner un sens à sa vie, et aussi se faire des petites montées d'adrénaline au passage. Une manière de Kerouac avant l'heure en quelque sorte.



Notre matelot par intérim, rencontre à Nantucket — le grand port baleinier de la côte est — un harponneur coupeur de tête, Queequeg, qui deviendra un ami indéfectible. Les deux gaillards s'embarquent sur le Péquod, un baleinier de réputation acceptable, à la tête duquel officie un obscur capitaine qui sème le froid dans le dos, avec son regard farouche et sa jambe de bois, ou, plus précisément, avec sa jambe d'ivoire taillée dans une mâchoire de cachalot.



On découvre vite que ce vieux fou de capitaine se contrefiche que des gars, voire un équipage complet risque sa peau, pour peu que lui, Achab, puisse assouvir sa vengeance envers celui qui lui a retaillé les mollets, à savoir, Monsieur Moby Dick en personne, un cachalot étonnamment blanc, doué d'un caractère assez vicieux (du point de vue de l'humain) pour qui essaie de lui planter un harpon dans la carcasse.



Vous avez compris que Melville fait de ce roman bien plus qu'un basique roman d'aventures, que de bout en bout, il lui donne une consonance biblique et que le nom d'Achab n'est pas choisi au hasard et qu'il fait visiblement référence au Livre des Rois de l'Ancien Testament où Achab, un roi d'Israël, estimait ne rien posséder tant qu'il n'aurait pu mettre la main aussi sur la vigne de Naboth. On peut en dire autant de beaucoup des noms utilisés dans le roman et qui renvoient quasiment tous à des passages de la Bible.



Le personnage du capitaine Achab est donc particulièrement intéressant, avec sa manie qui tourne à la folie de vouloir à tout prix la dernière parcelle de l'océan qui lui résiste, sa science et son caractère taciturne qui le rendent comparable au Capitaine Nemo de Jules Verne, mais je sens qu'il est grand temps de ne pas vous en dire plus si je ne veux pas déflorer davantage le noeud de l'intrigue pour celles et ceux qui auraient encore le bonheur de ne pas connaître la substance de cet immense monument de la littérature mondiale, père de tout un courant de la littérature américaine, en passant du Vieil Homme Et La Mer au célèbre Sur La Route.



Qu'est-ce qu'Herman Melville cherche à nous dire avec l'essence de ce livre ? On pourrait hasarder des milliers d'interprétations car, dans cette oeuvre, tout est parabole, tout est symbole, tout est à interpréter (bien que l'auteur s'inspire à la base de faits réels, notamment issus du livre d'Owen Chase à propos du baleinier Essex). Selon notre propre jus culturel on y lira des choses résolument différentes. Je me bornerai donc à n'en livrer que deux, plus que jamais d'actualité.



La première interprétation, c'est celle de l'homme qui essaie de maîtriser, de contrôler, de juguler la nature, la fantastique et surpuissante nature qui, quand il se sent trop fort, trop sûr de lui, lui rappelle qu'il n'est qu'un homme, un tout petit homme, et qu'Elle est grande, qu'Elle est éternelle tandis que lui est dérisoire, horriblement mortel et risiblement fragile.



Le cachalot géant l'a rappelé au capitaine Achab et le monde nous le rappelle à nous périodiquement, avec un tsunami, une sécheresse, un tremblement de terre, un glissement de terrain, que sais-je encore, un avion qui s'abîme en mer, tellement petit, tellement frêle dans cet océan qu'on n'arrive même pas à en retrouver la moindre miette...



La seconde interprétation, si l'on se souvient qu'Herman Melville s'est appuyé sur des éléments réels : le capitaine Achab s'inspire du capitaine baleinier Edmund Gardner, Moby Dick de Mocha Dick, du nom de l'île Mocha au large du Chili et que les informations monographiques de l'auteur proviennent en grande partie du travail d'un passionné anglais en 1831, Thomas Bill.



Bref, à cette époque, l'Atlantique est déjà largement écumé et il ne reste que bien peu de cachalots à y chasser. Les Américains, dont Gardner, s'aventurent à contourner le cap Horn pour aller faire une curée dans le Pacifique. Les populations locales, notamment chiliennes, ont voué une sorte de culte à Mocha Dick, espèce de grand démiurge qui lutta contre l'envahissante pression des baleiniers américains. Donc, surpêche et lutte des pays du sud contre les pays du nord, ça ne vous rappelle rien ?



Mais tout ceci, bien évidemment, n'est que mon tout petit avis planctonique qui évolue gauchement au milieu de l'océan de ceux qui l'ont dit et pensé mieux que moi, autant dire, une larve de krill, presque rien.



P. S. : la science a maintenant établi le pourquoi des fameuses attaques de cachalots vis-à-vis des baleiniers. Il est vrai que le mystère était doublement étrange : d'une part, seuls les individus mâles (et donc solitaires) attaquaient les bateaux, alors qu'on sait que les baleiniers étaient friands de tomber sur des groupes de femelles avec leurs petits. On aurait raisonnablement pu s'attendre à ce que des mères cherchent à défendre leur petit et s'en prennent aux vaisseaux responsables du désastre. Il n'en est rien. Alors pourquoi ?



Eh bien, c'est là que la littérature nous aide parfois à résoudre des énigmes et Moby Dick, en particulier, nous livrait une partie de la réponse, aux chapitres CXII et CXIII. Quel est le problème biologique posé ? Des mâles solitaires s'en prennent parfois — mais pas toujours — à des baleiniers. Essentiellement, de nuit. Étrange, non ? Comment ces mâles savent-ils, de nuit, qu'il s'agit d'un bateau qui pourrait éventuellement être un ennemi ?



On sait maintenant que c'est le plus parfait des hasards qui fait que les mâles cachalots communiquent en émettant des sortes de claquements agressifs à l'égard des autres mâles de leur espèces. Or, comme les baleiniers restaient parfois trois ans en mer, ils avaient à bord une forge, laquelle fonctionnait le plus souvent de nuit, car de jour, on était affairé à chasser la baleine. Et, précisément les bruits de marteau sur l'enclume imitent à s'y méprendre les claquements agressifs des mâles cachalots. Il était donc là, ce fameux mystère des attaques ciblées. Si n'importe quel autre type de bateau avait fait le même genre de bruits, l'addition aurait été la même à la fin : un bon vieux coup de boule de cachalot en plein dans la carène (mais pas dans l'étrave, car les cachalots ne se font pas face comme des béliers ou des cerfs).



Ci-dessous, les deux passages des chapitre CXII et CVIII :

« Cela fait, le charpentier reçut l'ordre de terminer la jambe pour la même nuit et de se procurer tous les accessoires nécessaires, indépendamment de ceux qu'on pourrait prélever sur la jambe suspecte encore en usage. En outre, ordre fut donné de monter la forge de la cale où elle dormait et, pour gagner du temps, le forgeron fut prié de se mettre sur-le-champ à forger toutes les pièces de fer paraissant nécessaires. »



« Debout à son établi, le charpentier lime activement, à la lumière de deux falots, le morceau d'ivoire, destiné à la jambe, serré dans son étau. Des plaques d'ivoire, des lanières de cuir, des mandrins, des vis et des outils de toute sorte sont étalés devant lui. Sur l'avant, à la flamme rouge de la forge, on voit le forgeron au travail. »
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Bartleby

Je préférerais ne pas.

Le mantra du copiste Bartleby face à toutes les demandes de son chef de bureau a marqué l'histoire de la littérature.

Formule magique, le « Sésame ferme toi » du gratte papier, fait encore sortir de la fumée des chapeaux des philosophes les plus pointus qui tentent de révéler le sens profond de cette nouvelle. Une merveille écrite en 1853 d'une encre bien sympathique. C'est ainsi que ce texte court a pu générer des annuaires entiers de théories obscures. Foucault ne dérida pas Deleuze qui batailla.

Rien que la traduction du « I would prefer not to » compte plus d'écoles que de mots : Je préférerais ne pas, Je ne préférerais pas, j'aimerais mieux pas, Pas préférer moi je… Bon, la dernière est de moi ou de maître Yoda, mais l'important, c'est de participer. Sauf pour Bartleby, qui ne veut plus rien faire.

L'histoire est pourtant simple. le sympathique directeur d'une étude juridique embauche un nouveau copiste au bon profil de scribouillard : terne, émacié, transparent. Nul besoin d'être un grand clerc, puisque le patron est déjà notaire, pour comprendre que la recrue n'est pas d'un tempérament innovant. Il rejoint une équipe d'énergumènes dont on ne connait que les surnoms : Pincettes, Dindon et Gingembre aux rendements variables selon l'heure de la journée et l'état de fraîcheur.

Peu à peu, voire très peu, le morne besogneux entame une résistance passive vis-à-vis des consignes du narrateur qui étale son impuissance à gérer cette situation inédite. Son employé ne lui dit jamais vraiment non, il n'a pas de carte syndicale, mais il n'obéit pas et fait seulement acte de présence pesante. Cette attitude obsède le notaire qui voit son train-train rassurant dérailler, sa petite vie de bureau aux sages ambitions, tourmentée par cet être désincarné, ce rebelle immobile.

Le récit se situe à Wall Street au milieu du 19ème siècle, quand la bureaucratie entre dans l'adolescence, un âge bête qu'elle ne quittera pas. Les immeubles de New York ne grattent pas encore le ciel mais certains employés ne touchent déjà plus terre. Point de télétravail, de travail devant la télé ou d'open un peu space, juste un système présenté comme abêtissant que l'ex employé des postes en charge des lettres mortes ne peut ou ne veut plus assumer. Il fuit ce monde, par une lutte inactive, sa négation passive comme seul préavis à sa disparition. Le rapport à l'autorité artificielle est également interrogé dans cette histoire sans fin, car elle n'a pas vraiment de début.

Bartleby n'a plus de «tuner». Il est copiste, l'ancêtre de la photocopieuse, la copie usée d'une copie d'une copie dont les mots deviennent presque invisibles. L'homme s'efface derrière des tâches à l'utilité relative.

Quand le notaire, d'une nature faible et d'une patience inconnue d'un manager de notre temps, se rend compte que Bartleby s'est approprié les lieux et vit jour et nuit dans son bureau, la situation devient ubuesque. L'homme ne préférant pas être congédié, c'est l'étude du notaire qui va déménager dans de nouveaux locaux. Les futurs occupants, à défaut de machine à café, qui n'existe pas encore, vont hériter de Bartleby, toujours dans les murs, toujours entre quatre murs.

Pendant cette lecture, j'ai vraiment oscillé entre le plaisir du comique de situation et la pitié pour ces personnages pathétiques. Je suis certain de ne pas avoir saisi toutes les nuances de cette histoire qui déborde d'intelligence et qui préfigure l'univers de Kafka, comme une source éternelle de réflexion.

Moby Dick a éclaboussé le reste de l'oeuvre d'Herman Melville mais cette nouvelle intemporelle mérite sa postérité et d'être emportée sur un radeau de sauvetage voguant vers une île déserte, pour fuir sans regret le monde confiné de Bartleby.

Vite lue, lentement pensée, jamais oubliée.

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Moby Dick

En préliminaire je tiens à préciser que je ne suis pas un littéraire et je précise de surcroit que si je suis sensible à la beauté et à la grandeur des textes et aux effets de style ,j'ai la fâcheuse habitude de considérer les romans et tous les autres types de textes littéraires comme des sources historiques ou autres ( même les textes contemporains ) ...



Je ne reviendrais pas sur les aspects grandioses et envoutant de Moby Dick qui en font un fabuleux roman d'aventure édifiant ...

Ce texte est moins un texte épique que un conte moral selon mon humble avis ..

Sur le contexte général , je voudrais insister sur le fait que ce texte est quasiment un commentaire biblique qui tourne autour du Mal , qui est ici étudié dans ces différents aspects ( typologie ) mais surtout dans ses conséquences et ses procédés ..

Il s'agit d'un véritable monument de la littérature anglo-saxonne et sa résonnance fut immense dans ces sociétés où la bible était intimement connu de toute personne du fait des œuvres de mise à disposition des deux testaments bibliques A LA PORTEE D'UN LARGE PUBLIC QUI LES CONNAISSAIENT ET LES RESSENTAIENT INTIMEMENT et qui jonglait spontanément avec ces connaissances ...

Le lecteur contemporain ne doit pas faire l'impasse sur cette donne au risque de tâtonner dans ses efforts pour comprendre intimement ce texte intimisme et intense sur la lutte du bien et du mal dans chaque conscience où les idées se déchainent comme les éléments et qui représente surtout le lieu où le libre arbitre ne semble pas toujours avoir sa place ,ce qui légitime le fait et la nécessité de présenter au public des imago apparemment soumises à la fatalité et destinées à nourrir une profitable réflexion .

Il ne me semble pas utile ici de présenter ce roman en détail et je ne souhaite pas non plus « spoiler « ,aussi je me contenterais de revenir sur les aspects et valeurs bibliques qui seront une piste utile pour appréhender ce texte à la manière des lecteurs contemporains de sa rédaction , qui soyez-en certains n'ont pas manqué de faire des associations d'idées avec des épisodes bibliques qui se télescopaient avec leurs expériences personnelles ...

Ismaël premier fils d'Abraham porteur d'espoir et au destin grandiose mais avortée en grande partie , car non dépositaire de l'alliance avec la divinité finalement .

Il symbolise la réponse humaine à la stérilité de la matriarche Sarah et il n'est « que cela » finalement .C'est un personnage très touchant , aimé de de dieu et qui de par sa destinée devra faire son chemin seul et qui devra compter sur ses propres ressources morales et matérielles pour réussir sa vie dans un anonymat biblique assez remarquable et lourd de sens ..

N'est-ce pas le destin de la plupart des êtres humains qui ont vécu et qui vivront jamais .. ??

Achab , roi d'Israël et persécuteur des prophètes sectateur à certains moments des dieux aux cultes interdis par l'alliance sacrée ..

Achab mourra et les chiens laperont son sang royal .

Achab est dans l'erreur et il symbolise la volonté qui se nourrit d'hubris au dépend de la sagesse qui consiste en grande partie à être clairvoyant en matière de dessins divins .

Achab est aussi à plaindre et dieu n'a pas fait que s'acharner contre lui et il a su répondre à ses prières lorsqu'elles furent sincères ..

Il est touchant car le repentir ne lui est pas inaccessible et parce que il témoigne de ce que la volonté ne suffit pas toujours pour s'affranchir de l'erreur de jugement et pour ne pas courir à sa perte.

Elijah fait référence à Elie ( Eliyahou ) le prophète de la rédemption , des temps messianiques et de la libération D'Israël ..

Il a prophétisé la venue du rejeton de David mais il reviendra aussi annoncer la parousie en même temps qu'il sera le témoin de l'effort des hommes pour accueillir ou rejeter la rédemption ..

Ill est donc prophète mais témoin sacré également ..

Cet aspect est à mettre en rapport avec l'Ismaël et l'Achab du roman ..

YONAS ( yns ) prophète est la clef de la compréhension du personnage ( ou de la métaphore ? ) du cachalot blanc ..

Il séjourna dans le ventre d'un grand poisson dans la grande mer ( Yam hagdola –la méditerranée ) .. son nom est ambigu car en hébreu il signifie colombe et en araméen : -grand – poisson ...

Il se lèvera pour prophétiser la chute de Ninive que dieu épargnera car ses habitants jeuneront en signe de repentir et au contraire d'Achab qui mourra dans la honte posthume ...

Le cachalot est blanc comme la colombe ...

Jonas est par ailleurs le seul prophète capable de s'apitoyer de la mort d'une simple plante !

Le cachalot du roman avale Achab plus qu'il ne le mange ...

Ce roman est beaucoup plus que la simple figuration de la lutte du bien et du mal .

Il est le témoignage que rien n'est simple décidément et que la victoire du bien ne peut être que le résultat de la volonté et de l'effort et que ce drame se joue et se rejoue perpétuellement dans chaque conscience qui fut et qui sera et qui fera ou dira (asah – léaguide ) des choses ou des paroles ( dévarim débarim ) ...



Moby Dick est quasiment la scénarisation d'une psychè , c'est l'effet que me fait ce texte ...

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Moby Dick

Une lecture qui peut paraître parfois fastidieuse à cause de l’aspect didactique de nombreuses pages. De longs passages sont consacrés à la chasse à la baleine et à ses principes, ce qui peut s’avérer assez ennuyeux. Mais ce long roman reste une magnifique épopée. Achab et Moby Dick sont des figures mythiques, l’apogée de leur affrontement étant les trois jours de chasse. On peut aussi relever l’importance de la religion et établir un parallèle entre Moby Dick et la baleine ayant avalé Jonas (bénédiction ou malédiction divine ?).
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Moby Dick



Me voici enfin devant ce géant de la littérature, cet immense classique faisant figure de référence dont on entend même parler sans savoir de quoi il en retourne : oui Moby dick ça me dit quelque chose c’est quoi déjà? Un groupe de rock non?



Trêve de plaisanterie nous voilà face à l’histoire d’une vie, la quête d’une existence, un graal après lequel pas seulement le capitaine Achab courra toute sa vie mais après lequel chacun d’entre nous court à sa manière et à sa vitesse mais inexorablement.. le but d’une vie qu’il soit conscient ou inconscient mais qui fait avancer les choses, qui fait avancer le monde.



Ode fantastique, quasi mystique, Herman Melville (Melvill de naissance) nous entraîne à la poursuite de Moby Dick, la plus célèbre des baleines n’ayant pourtant jamais existé! L’écriture est simple, sans fioriture, mais belle et entraînante, ce qui correspond bien à l’ambiance générale de ces marins harponneurs de baleines. A savoir qu’Herman Melville a lui même été chasseur de baleines et que Moby Dick n’aura connu son succès littéraire que de nombreuses années après sa mort.
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Bartleby

En 1853, après l'accueil mitigé réservé à Moby Dick, Melville se met à écrire des nouvelles, dont la première d'entre elles est « Bartleby, the Scrivener : A Story of Wall-Street ». le texte, délaissé pendant un siècle par la critique américaine, a connu ensuite un grand succès, particulièrement auprès des philosophes et écrivains pour lesquels la nouvelle a longtemps constitué un objet de fascination et a suscité de multiples interprétations. Les traductions et les commentaires se sont ainsi succédé sous de nombreux titres différents : Bartleby l'écrivain, Bartleby le scribe, Bartleby : une histoire de Wall Street, et plus simplement Bartleby. Toutefois, presque toutes ces lectures évitent le texte pour se focaliser essentiellement sur la formule « I would prefer not to » ou le personnage qui l'incarne, négligeant ainsi l'intrigue.



Ainsi que le rappelle le sous titre, le récit se déroule à Wall Street, au milieu du XIXe siècle à l'époque où New York, la ville natale de Melville, va devenir la place financière majeure du monde occidental. Dans une petite étude, un avocat a déjà trois collaborateurs originaux qui correspondent guère au personnel attendu chez un avocat d'affaires de Wall Street, lorsqu'un personnage mystérieux apparaît ; il s'agit de Bartleby, un copiste consciencieux et silencieux. le narrateur est l'avocat qui entreprend de raconter, des années après, un épisode de sa vie, son quotidien dans son étude, et tout particulièrement ses mésaventures dans le recrutement de ses employés qui lui compliquent l'existence. Bartleby se révèle être un employé modèle qui respecte toutes les formes à la lettre, mais qui ne laisse jamais transparaître de signe d'émotion, ou de trace d'« humanité ordinaire », comme le relève le narrateur. On ne sait rien de Bartleby et son attitude interpelle, ce qui installe progressivement un suspense teinté d'une certaine tension. Le premier incident se produit rapidement, lorsque l'avocat demande à Bartleby de recopier un document. Il réitère trois fois sa demande et, à la surprise générale, Bartleby répond systématiquement, d'un ton parfaitement calme, « je préfèrerais ne pas (le faire) » : « I would prefer not to ». Au fil des pages, Bartleby abandonne inexorablement toute activité, ses comportements extravagants se multiplient et s'enchaînent, au point où celui-ci devient une véritable épreuve pour son entourage. Alors qu'on s'attend à ce que Bartleby obéisse normalement aux demandes de son patron, il refuse obstinément de faire ce pour quoi il est payé, comme si cela était normal, puis refuse même de sortir de l'étude où il s'est installé pour dormir.



L'originalité de Bartleby tient du fait qu'il ne refuse jamais directement mais use d'une expression qu'il oppose à toute sollicitation et qu'il utilise tout au long du récit « J'aimerais mieux pas » ou « Je (ne) préférerais pas », variant selon les traductions. Cette formule ambigüe « I would prefer not to » n'est pas vraiment correcte en anglais, contrairement à « I‘d rather not », incarnant la résistance passive du personnage, mais participe toutefois d'un registre soutenu, presque précieux, et d'une politesse extrême. Comme l'a écrit Deleuze « elle résonne comme une anomalie ». Elle n'oppose pas un refus strict, mais laisse une possibilité avec l'ouverture du « I would prefer » et la fermeture du « not to ».

En dépit de nombreuses interprétations, l'énigme de Bartleby reste entière mais la plupart des commentateurs ont relevé une certaine culpabilité qui marque le récit du notaire, en effet, son manque de réaction et son extrême tolérance paraissent invraisemblables. Melville a réussi à transformer une petite histoire d'apparence anecdotique en ce qui est aujourd'hui considéré comme un des sommets de la littérature américaine.

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Moby Dick

Malgré le manque de reconnaissance de son vivant, Herman Melville figure aujourd'hui comme l'une des figures incontournables de la littérature américaine. Aujourd'hui considéré comme une oeuvre fondatrice de la littérature des XIXe et XXe siècle, Moby Dick a fait l'objet de plusieurs traductions en français. Lorsque le livre paraît en 1851 Herman Melville est déjà très connu, pourtant les critiques sont mitigées et le livre ne sent vend pas aux États-Unis. Il n'a pas offert aux critiques et aux lecteurs ce qu'ils attendaient de lui, de paisibles croisières exotiques, de pacifiques récits de voyages maritimes. Avec ses interrogations métaphysiques, la baleine blanche l'a emmené loin des rivages tranquilles de la notoriété bourgeoise américaine.



Le roman fut négligé durant près de 70 ans et il faudra attendre la traduction de Jean Giono, en 1941, pour pouvoir le lire en français ; trois autres traductions ont suivi, la dernière étant celle de la Pléiade. Pourquoi autant de traductions ? La dernière ne souffre pas de la lourdeur trop souvent inhérente aux traductions « universitaires », mais existe, vivante, dans une belle langue française, qui se lit avec plaisir, et où elle a le mérite de bénéficier d'un demi-siècle d'études sur Melville, absentes au temps de Giono. Aujourd'hui Moby Dick fait partie des oeuvres que chacun pense connaître dès l'énoncé de leur titre, pourtant sans en connaître "les vraies richesses" et caractéristiques. Les commentaires et analyses sont nombreux, y compris dans Babelio, sans toutefois en résoudre tous les mystères et interrogations.



Toujours dangereuse, la pêche à la baleine avait déjà fait l'objet de récits avant le roman de Melville. Toutefois ici, c'est différent, car la baleine fantasmée envoute le capitaine, et se rajoute la vengeance métaphysique que poursuit un capitaine Achab que la haine aveugle, emporté par le désir de mort : celle qu'il veut infliger au cachalot. Melville transforme rapidement le bateau en un théâtre de multiples passions où il y embarque un échantillon d'humanité très diverse et prend un malin plaisir à retarder l'apparition de l'énigmatique capitaine qui n'aura de cesse de traquer le monstrueux prédateur.



Le roman de Melville cache dans ses soutes de nombreux trésors et se transforme peu à peu en une étourdissante odyssée de tous les dangers, aux confins de la condition humaine. L'allégorie de la baleine et de sa poursuite effrénée par le capitaine témoigne d'une relation particulière entre vérité et narrativité. La confrontation entre le capitaine Achab et Moby Dick, objectif lointain de l'ensemble du roman, n'en occupe en fait qu'une petite partie ; elle est comme la mort par rapport à la vie. En effet, plus que la chasse effective du capitaine Achab, qui n'occupe que les trois derniers des cent trente-cinq chapitres, Moby-Dick est le voyage en mer du narrateur, Ismaël, à la recherche de « l'insaisissable fantôme de la vie ».

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Bartleby

Premier contact avec Herman Melville avec la lecture de "Bartleby le scribe", environ 40 pages au format numérique, suivies d'une biographie de l'auteur écrite par Philippe Jaworski dans cette édition.

Disons le tout de suite c'est une lecture qui a tout de l'ovni littéraire, c'est une histoire inclassable et... surprenante.

Qui est Bartleby le scribe ? c'est ce que nous allons vouloir savoir désespérément tout au long de cette nouvelle.

Il y a du Monty Python côté atmosphère, le burlesque en moins, tous les personnages de ce conte étrange sont hautement improbables, les situations et dialogues sont souvent absurdes et pourtant il y a quelque chose de magique dans ce récit, surtout par les promesses qu'il nous fait miroiter.

Bartleby ne ressemble à personne que vous puissiez connaître, c'est ce qui est si intrigant.

“Je préférerais ne pas” : telle est la réponse, invariable et d'une douceur irrévocable qu'oppose Bartleby...

Là s'arrête mon intérêt car la fin m'a vraiment désappointé, j'ai du mal avec les promesses qui ne sont pas tenues, avec l'absence de justification en général, pas très gênant, ce ne sont que 40 pages vite lues...

Passé ma déception (car oui je m'attendais vraiment à quelque chose de grandiose), j'ai eu un sourire, ça m'a rappelé la blague des "petites boules rouges", que je ne raconterais pas ici car il s'agirait d'une forme de spoiler...



J'ai quand même passé un bon moment de lecture, mais du coup j'ai relégué Moby dick assez loin dans mes projets de lecture...
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Moby Dick

QUEL CHOC !!!

Je m'apprêtais à tranquillement lire un roman d'aventure, un peu sur le modèle de l'Île au trésor de Stevenson. Erreur grave ! De l'aventure, certes on en a, mais la narration est tellement entrelardée de morceaux hétérogènes, que le fil du récit se perd totalement.



L'argument général tient en peu de mots. Ismaël, jeune marin de commerce cherche à s'engager sur un baleinier. Il s'embarque à bord du Péquod en compagnie d'un ami harponneur du nom Quequeg (un sauvage originaire des îles des mers du sud). Ce navire baleinier est commandé par le capitaine Achab, habité par l'idée fixe de tuer une baleine blanche du nom de Moby Dick.

Le Péquod, après avoir largement parcouru la planète à la poursuite de cette dernière, engage un combat qui sera fatal à tout l'équipage, excepté Ismaël qui en réchappe, et peut ainsi nous rapporter toute l'aventure. Cette histoire sur l'ensemble de l'ouvrage ne représente qu'environ un tiers de l'ensemble.

Bien sûr, du début à la fin Ismaël (le narrateur) ne nous entretient que de baleines et uniquement de ça, et ce, sous toutes les formes possibles. De quelles manières les chasse-t-on ? Qu'est-ce qu'une baleine ? En quoi elle diffère des poissons ? Comment est constituée sa physiologie interne ? Qui appartient à la famille des cétacés ? Toutes questions qui ne semblent avoir qu'un intérêt purement encyclopédique. Cependant tous ces chapitres qui annoncent des propos strictement scientifiques et rationnels s'achèvent par des envolées poétiques au souffle cosmique. Si, par exemple, l'on prend le chapitre, intitulé La fontaine, consacré au jet d'air et d'eau produit par les cétacés lorsqu'ils remontent à la surface, il débute d'une manière platement descriptive et s'achève par une image d'une beauté ineffable.

« L'idée que nous nous faisons du monstre puissant et brumeux s'élève et s'ennoblit à le voir voguer solennellement dans le calme des tropiques, sa vaste tête surmontée d'un dais de vapeur engendrée par son recueillement incommunicable, cette vapeur que vous verrez souvent glorifiée par un arc-en-ciel comme si le ciel lui-même mettait son sceau sur ses pensées. » Chapitre 86, la fontaine.





La version française que j'ai eue la chance de lire est due au travail talentueux d'Henriette Guex-Rolle. À aucun moment je n'ai senti des formulations artificielles ou plaquées ; le texte que j'avais sous les yeux coulait naturellement en français, ce qui je pense a dû être un travail colossal si l'on considère l'étrangeté des images poétiques. Plusieurs fois, j'ai ressenti le besoin de faire une lecture à haute voix, tant les mots que j'avais sous les yeux résonnaient fortement. Et cela fonctionnait parfaitement bien à l'oral et aurait pu être proféré devant un public, ce qui selon moi est un indice de qualité rédactionnelle.







De par ses envolées lyrico-poétiques ce roman n'est pas sans rappeler «  les travailleurs de la mer », toutefois contrairement à Hermann Melville, Victor Hugo ne nous abandonne pas, il reste présent, on le sent toujours là qui nous guide. Hugo place chaque élément du récit afin qu'il s'insère comme une brique indispensable à l'architecture de l'ensemble. Or Moby Dick n'apparaît pas selon un plan prédéterminé, sous une forme clairement charpentée. Non, j'ai plutôt ressenti une espèce de flux, de poussée interne, enfin quelque chose d'assez organique, un peu comme un arbre dont les branches se déploient au hasard des conditions propices. Ce livre est habité d'une impressionnante force vitale. Il y a un fond très archaïque, quelque chose qui s'apparente aux récits mythologiques antiques du type de l'Odyssée. Toutefois la référence incontournable est l'Ancien Testament. Moby Dick est sans doute une baleine, mais c'est surtout un « léviathan », un être terrible et monstrueux qu'aucune force humaine ne peut vaincre. Afin que la référence au Texte Sacré soit tout à fait claire, Melville situe d'emblée dans le prologue son récit dans un contexte biblique.



Et Dieu créa les grandes baleines : GENÈSE

Léviathan laisse derrière lui un sillage lumineux l'abîme semble couvert d'une toison blanche. JOB

L'Eternel fit venir un grand poisson qui engloutit Jonas. JONAS

Là se promènent les navires

Et ce Léviathan que tu as formé pour se jouer dans les flots. PSAUMES

  Ce jour-là, Yahvé châtiera de son épée dure, grande et forte

Léviathan, serpent fuyard,

Léviathan, serpent tortueux ;

Et il tuera le dragon de la mer. ISAÏE



Ces citations viennent tout de suite après une recherche étymologique sur l'origine du mot baleine, car : « Au commencement était le verbe ».



Moby Dick n'est donc pas un uniquement un très gros cachalot, mais un être funeste engendré par le Créateur dans le but de punir tous ceux qui ne respectent pas la Loi ; toute rencontre avec ce monstre est nécessairement fatale pour celui qui le défie. Or le capitaine Achab l'ose, il ne craint pas la Création et son Auteur, c'est un blasphémateur. À noter que le nom « Achab » est issu de l'ancien testament. Achab désigne un roi impie d'Israël qui se vouait à un faux dieu (Baal) et défiait Yahvé en combattant le prophète Élie. Ce roi sacrilège mourut criblé de flèches, et les chiens se désaltérant de son sang : cette mort était conforme aux prédictions d'Élie. Ainsi, de par son nom même, le capitaine du Péquod vit sous la marque d'une malédiction. Il est prédestiné à combattre Moby Dick et par là à braver la création. Achab agit malgré lui : une force le possède. Et la puissance de cette possession est telle que tout l'équipage est entraîné dans cette aventure funeste ; même ceux, qui à l'instar du second, Starbuck, ont conscience de l'issue inéluctablement fatale de l'aventure, ne peuvent résister à cette force morbide. Cette faiblesse de la volonté humaine devant la puissance divine est manifestée dans un sermon sur Jonas, au début du roman, et résonne comme une prophétie.



«  O père – Toi dont je connais avant tout la colère – mortel ou immortel, me voici sur le point de mourir. J'ai lutté pour être tien, plus que pour appartenir à ce monde ou m'appartenir à moi-même. Et pourtant ce n'est rien.. Je t'abandonne l'Éternité, car l'homme, qu'est-il pour prétendre à la durée de son Dieu ? »



Ne reste plus dès lors à l'homme qu'à se consoler de sa petitesse en chantant la grandeur de la création. Et l'on peut considérer que la presque totalité de Moby Dick n'est qu'une sorte de vaste chant. Melville le met en œuvre en utilisant des formes très diverses : comme nous l'avons vu, par des prédications, mais sont également utilisées des formes théâtralisées. Par exemple, le chapitre 40 emprunte au modèle de la tragédie antique, avec choeur et contre choeur ce qui aboutit à une scansion incantatoire. Mais aussi sur le mode plus traditionnel du dialogue, avec entrée en scène et didascalies (indications de jeux de scène) dans le chapitre 108 dont le titre : « Achab et le charpentier. Le pont. Premier quart de nuit » me semble annoncer le caractère théâtral de la séquence, mais l'indication suivante va apparaître beaucoup plus explicitement théâtrale : « Achab s'avance. Au cours de la scène suivante le charpentier continue à éternuer à intervalles ». D'une manière générale l'oralité est cultivée dans l'ensemble du texte. Et là, je pense notamment au chapitre 48, dans lequel on trouve un passage qui n'est qu'une suite de jurons, d'interjections, ou de simples cris ; les répétitions et les assonances y ont une bonne place. Je ne résiste pas au plaisir de vous en donner un extrait dans la version originale, que Nastasia-B m'a gentiment fourni.



« Hurrah for the gold cup of sperm oil, my heroes! Three cheers, men? all hearts alive! Easy, easy; don't be in a hurry? don't be in a hurry. Why don't you snap your oars, you rascals? Bite something, you dogs! So, so, so, then:?softly, softly! That's it?that's it! long and strong. Give way there, give way! The devil fetch ye, ye ragamuffin rapscallions; ye are all asleep. Stop snoring, ye sleepers, and pull. Pull, will ye? pull, can't ye? pull, won't ye? » Chapitre 48 : première mise à la mer.





Au fur et à mesure de la lecture il m'est apparu que si une adaptation théâtrale n'avait pas été faite, ce roman eût mérité que l'on s'y attelât. Après une petite recherche, j'ai effectivement trouvé une adaptation théâtrale française, qui a été jouée vers la fin des années 80, manifestement dans une mise en scène assez innovante, par le Roy Hart theatre (compagnie basée dans les Cévennes). Mais bien entendu l'adaptation la plus célèbre est celle que John Huston a faite pour le cinéma en 1956 ; et je ne vais pas manquer de regarder ce film.





Enfin, pour conclure, parce qu'il va bien falloir que je finisse : même si j'ai un peu de mal tant ce texte m'a bouleversé, ce livre proprement stupéfiant, hallucinant et halluciné m'a dévoilé une part des fondements mythiques de la société américaine. Merci Hermann !
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Moby Dick

Ismaël, démangé par le goût du voyage et l’attrait de rivages lointains, s’engage à bord du Péquod sur le port de Nantucket, pour un long périple, qui lui fera découvrir les horreurs de la pêche à la baleine. Ce baleinier est aux ordres du terrible capitaine Achab à la jambe d’ivoire.

Achab est obsédé par le célèbre Moby Dick ; la baleine blanche qui lui a ravi sa jambe.

L’équipage embarqué à bord du Péquod va donc être à la merci de ce capitaine fou, qui voit en Moby Dick le mal incarné. L’Océan représente la vie, les requins les ennemis et le navire l’humanité. Au-dessus d’eux, le ciel ; les anges, Dieu.

Un roman qui promet à son début une belle aventure, se trouve tout à coup freiné par de longs chapitres sur des détails de la baleine. On pense suivre l’aventure d’Ismaël et de son ami à demi sauvage Queequeg, et finalement on assiste à une multitude de dialogues et de réflexions philosophiques. On se retrouve en plein dans le délire du capitaine Achab. On s’y perd parfois.

Ce roman est truffé de paraboles. Achab se place au-dessus de la nature, il la défie. Il se perd dans son combat. Tout comme les hommes se perdent dans la recherche d’un bonheur inaccessible, alors qu’il suffirait de se contenter de ce qui se présente à nous, en harmonie avec la nature et non en rivalisant avec elle.

À l’inverse de son capitaine, Ismaël est serein, il vit en harmonie avec son prochain. Il accepte les croyances païennes de son ami Queequeg et les assimile à une seule et même religion, une religion universelle, celle de l’humanité. C’est un homme de paix et de tolérance. Le navire baleinier fut son Yale et son Harvard.

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Bartleby le scribe (BD)

Wall Street, N.Y. City. Dans la rue, un orateur clame haut et fort que l'homme sert, en général, l'état non pas en tant qu'humain mais en tant que machine. Seule une poignée d'entre eux le servent avec leur conscience. Il interpelle alors un homme passant par là, qui s'avère être un homme de loi. Plus précisément un notaire dont l'étude se consacre à la copie de titres de propriété, de valeurs mobilières et d'hypothèques. Il lui rétorque qu'il insuffle à ses employés l'énergie nécessaire pour s'activer... Des employés, Turkey et Nippers, qu'il retrouve justement dans son étude en train de se lancer des piques, de se plaindre de leurs conditions de travail, comme à leur habitude. Ginger Nut, quant à lui, était surtout préposé au ménage et autres petites courses. Si la vie de ce notaire était plutôt tranquille et parfois morne, l'arrivée de Bartleby allait bientôt changer tout cela...



Bartleby, le scribe, s'il effectue, au début, sans rien dire, les tâches qu'on lui incombe, travaillant visiblement de jour comme de nuit, il va bientôt changer d'attitude en refusant purement et simplement de faire ce que le notaire lui demande. « I'd prefer not to » deviendra alors son mantra. Ce qui, évidemment, laissera le notaire dans un état d'incompréhension, d'étonnement. Sur fond de capitalisme émergent, de servitude à l'état, l'attitude et la désobéissance de Bartleby s'apparente tout simplement au refus d'obéir, à tenir tête au capitalisme et à la bureaucratie. Sans nul doute que cet album, adapté d'une nouvelle d'Herman Melville, surprend, étonne et saisit le lecteur tant par l'ambiance un brin étrange, inquiétante, hors du temps, que par la morale de l'histoire. Une adaptation que José-Luis Munuera retranscrit brillamment. Graphiquement, son trait est élégant et tout en finesse, la ville de New York, sous la pluie ou sous la neige, de toute beauté et ses personnages expressifs. Les couleurs de Seydas, froides et ténébreuses, apportent de la profondeur à cet album remarquable.
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Moby Dick

Moby Dick est clairement LE livre que je m'étais juré de ne jamais lire un jour.

Aimant beaucoup les cétacés et ayant plutôt envie de me jeter à la gorge des chasseurs de baleines, je ne voyais absolument aucune raison de me lancer un jour dans cette lecture. C'est d'ailleurs la même disposition d'esprit qui fait que je me suis toujours refusé à regarder le film du même nom. Je parle de celui de John Huston avec Gregory Peck en capitaine Achab. De toute façon, aimant beaucoup cet acteur, je trouve que dans le registre marin, il est beaucoup plus sympathique dans le rôle d'Horatio Hornblower dans « Capitaine sans peur ».

Malgré toutes mes préventions, je me suis finalement lancée dans cette lecture, la raison principale étant que ce livre fait partie du Challenge BBC de Gwen.

Herman Melville a une très belle plume, assurément. Clairement, je peux comprendre que ce livre soit considéré comme un chef-d'oeuvre, mais les longues parties consacrées à la chasse, au dépeçage, écorchage (et autres détails tout aussi ragoutants ) des baleines ont bien failli avoir raison de moi et ont quand même été dures à avaler, du fait de leur réalisme et de la précision des détails. Ce qui n'est pas étonnant puisque l'auteur a travaillé sur un baleinier.

Mes parties préférées ? : le début, que j'ai adoré, quand le narrateur rencontre Quiequeq et la fin bien sûr, quand Moby Dick répond à toutes mes espérances…



Challenge BBC

Challenge Pavés 2022

Challenge Multi-Défis 2022

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Bartleby

Bizarre, très bizarre ce premier contact avec Herman Melville.



Ce sont déjà les personnages qui sont drôlement bizarres. A commencer par les deux employés du narrateur, Dindon et Lagrinche, dont les oppositions de phases comportementales signent le passage du temps de boulot avec autant de précision qu’une horloge suisse.



Et puis il y a Bartleby. Ce type est un ovni, plus difficile à pénétrer que le plus étrange des extraterrestres. C’est un robot qui a bouffé une partie de son code source et bogue curieusement en émettant son fameux « je préférerais pas ». Il y a tellement de choses qu’il « préférerait pas », que j’ai fini par me demander s’il ne préférerait pas ne pas être en vie.



Mais je crois que le pire, c’est le narrateur. Bon sang, il y a des fois on a envie de s’appeler Jean Yanne pour vérifier si la tête de son interlocuteur fait un bruit d’évier quand on la remue. On ne peut pas dire qu’il est patient avec Bartleby. Il est compatissant pour sûr, je dirais même over-compatissant. Je dirais même : il a une volonté de guimauve qui se liquéfie rien qu’à la vue de l’ombre jetée par la braise.

Et pourtant avec ses faibles moyens il tente de le bousculer, le Bartleby. Mais la réponse est toujours la même « je préférerais pas ». C’est sûr, on est dans le comique de répétition. Ça m’a rappelé les dessins animés de Tex Avery où le loup essaye sans espoir d’échapper à Droopy. Mais là, plus que marrant, c’est frustrant. Gnnn ! Par moments j’aurais aligné tout le monde et distribué les baffes.



Vous savez, j’aime bien lire la littérature de l’imaginaire. On y trouve des situations étranges ou exotiques où les auteurs essaient de faire vivre et agir des êtres humains normaux, qui ont des réactions que l’on comprend.

Ici c’est l’exact opposé. On a une situation banale où se déplacent des individus qui agissent de manière incompréhensible. C’est carrément encore plus bizarre.



N’allez pas croire que je n’ai pas aimé – j’aime beaucoup Tex Avery – ; c’était plaisant à lire et, je répète, frustrant de ne rien comprendre à ce scribe si spécial.

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Bartleby

Je crois que tout écrivain rêve de produire un texte aussi fascinant que celui-là, qui ne rencontrera peut-être aucun succès sur le moment mais s'imposera un jour comme un phare énigmatique planté au milieu des ténèbres.

Bartleby est de cette trempe-là, comme les écrits de Kafka ou de Borges : publiée en 1853 dans l'obscur Putnam's Monthly Magazine, cette nouvelle de trois fois rien dont le récit semble s'offrir sans malice au lecteur dissimule en réalité un piège vertigineux et un mystère indéchiffrable. « I would prefer not to », répète Bartleby à son patron chaque fois que celui-ci cherche à lui confier une nouvelle tâche. Bien sûr, le premier mystère est celui de l'expression elle-même, peu usitée dans l'anglais de l'époque et difficilement traduisible en français. Dans la version que j'ai lue, c'est le « j'aimerais mieux pas » qui a été retenu. La formule gagne en force de percussion ce qu'elle perd sur un autre plan, la familiarité remplaçant le langage soutenu de la version originale et occultant le caractère décalé de sa formulation. Ma préférence personnelle irait plutôt au « Je préférerais ne pas », que je trouve plus fidèle à l'esprit du texte, mais qui suis-je pour émettre un tel avis ?



Une fois cela dit, le principal mystère reste celui du sens : que veut nous signifier Bartleby par cette phrase scandée comme un leitmotiv ? Il y a sur ce point ce que dit objectivement Melville dans son récit et ce qu'il laisse à l'interprétation de son lecteur. Bartleby nous est décrit comme un pauvre diable, surgi de nulle part et n'ayant manifestement ni amis, ni famille ni la moindre attache d'aucune sorte, au point de n'avoir pas même de logement. Bartleby, en un mot, n'appartient pas à la grande famille sociale. Cet isolement semble de plus être largement volontaire : à toutes les propositions qui lui sont faites de s'insérer dans une vie « normale », il répond invariablement par son « I would prefer not to », opposant une fin de non-recevoir à ceux qui cherchent le faire rentrer dans le rang. Observons que ce refus ne passe pas par un désir d'affrontement ou de révolte ouverte. Bartleby n'avance jamais un « non » catégorique, il ne s'oppose à personne, il n'est pas dans la revendication : il s'esquive, il évite, il se réfugie dans une fuite intérieure où nul ne peut le suivre. Son patron – et les autres - demeurent immanquablement stupéfaits et désemparés devant sa réponse.



Ce que Bartleby cherche à fuir n'est pas vraiment un mystère : l'étude dans laquelle il travaille se situe à Wall Street, la « Rue du Mur ». Au fil du texte, Melville indique à de multiples reprises que les fenêtres de cette étude ne donnent que sur des murs. Le bureau de Bartleby se trouve lui-même sous une minuscule lucarne derrière laquelle, à un mètre à peine, se dresse un autre immense mur. Voilà tout ce qu'on lui offre : une vie de prisonnier condamné à ne plus voir la lumière du jour, enfermé dans un bullshit job qui le fait mourir à petit feu. Melville suggère aussi dans l'épilogue que Bartleby a autrefois travaillé pour le Bureau des lettres au rebut : toutes ces lettres qui auraient pu sauver quelqu'un, peut-être, mais qui ne sont jamais parvenues à leur destinataire et que l'on a brûlées par charretées entières. Ces lettres, nous dit Melville, témoignent de ce que la société des hommes est mal faite, cruelle, injuste et impitoyable, et voilà peut-être ce qui a inspiré sa révolte au scribe. Ce monde-là, il ne peut plus ou ne veut plus en faire partie.



Il n'est sans doute pas inutile de replacer la parution de la nouvelle dans son contexte : en 1853, l'auteur accumule les déboires éditoriaux. Le temps de ses succès est derrière lui. Paru deux ans plus tôt, Moby Dick a été mal accueilli par la critique américaine et s'est vendu très médiocrement. Melville peine de plus en plus à trouver des éditeurs. Bientôt, il ne publiera plus rien, et le temps approche où il devra même se résoudre à accepter un poste d'inspecteur des douanes pour faire vivre sa famille. Cela, évidemment il l'ignore encore. Mais ce n'est pas tomber dans la téléologie que de l'imaginer en proie à cette angoisse essentielle et obsédante : celle de l'écrivain qui va devoir se taire parce qu'on ne veut plus l'écouter. Bartleby, le scribe enfermé dans l'incommunicabilité entre des murs qui l'étouffent, est-il vraiment éloigné de cette figure-là ?



Par ailleurs (et des rapprochements ayant déjà été faits entre les écrits des deux auteurs), est-il déplacé d'imaginer Melville en lecteur d'Henry David Thoreau ? Ce dernier a en effet publié Resistance to Civil Government en 1849, ouvrage qui ne sera que bien plus tard rebaptisé Civil Disobedience (La Désobéissance civile). Or dans la nouvelle de Melville, la mention « résistance passive » chère à Thoreau apparaît de façon explicite (« passive resistance »), et sa mention se trouve associée à un puissant pouvoir de désagrégation sociale. Par son inertie et sa stratégie d'évitement, Bartleby menace rien de moins que l'ordre des choses, ce que Thoreau espérait précisément faire en refusant de payer l'impôt. Les deux propos pourraient en somme se résumer par le même raccourci : quand on veut déstabiliser un ordre illégitime, l'important c'est de ne pas participer.



Le dernier aspect de l'énigme littéraire est de savoir comment a été imaginée la formule géniale et si dévastatrice du « I would prefer not to ». Ce genre d'idées, je crois, surgit souvent par le hasard et les concours de circonstances. En l'occurrence, c'est Melville lui-même qui raconte la scène, dans une lettre récemment retrouvée : l'action se déroule à Londres en 1846, au moment de la publication de son premier roman, Typee. Le livre rencontre déjà un certain succès mais l'auteur est encore un illustre inconnu. Invité à un repas de charité parmi une flopée d'écrivailleurs locaux, Melville arrive en retard. Les convives sont déjà attablés, et il est tenté de rebrousser chemin. Malgré tout, il se présente au maître d'hôtel et décline son identité. Ce dernier lui apprend alors que M. Melville est déjà arrivé.

Herman n'a cette fois plus du tout envie de partir. Intrigué plus que contrarié, il insiste. Le maître d'hôtel se fait plus désagréable, envisageant visiblement de jeter l'importun à la rue. C'est alors que l'écrivain avise dans la salle son éditeur londonien et persuade le majordome antipathique d'aller le chercher. L'éditeur vient confirmer l'identité du nouvel arrivant, échange quelques phrases avec ce jeune auteur dont il vient de signer le contrat, puis retourne à son repas. Se confondant en excuses, le maître d'hôtel veut réparer l'impair mais l'écrivain tient à s'en charger lui-même. Il pénètre donc dans la grande salle de restaurant et s'approche de l'usurpateur, lequel lui tourne le dos. L'homme est bien mis, plutôt distingué. Il ne participe pas à la conversation de la tablée, mangeant sans se laisser distraire. Melville est observateur : le col de l'inconnu est élimé, ses manches sont lustrées, les cheveux un peu trop longs, le bas de la redingote est tâché. Quant aux souliers dissimulés sous la chaise, ils ont trop vécu. Tout proclame la déchéance, mais aussi le refus d'abdiquer ce qui reste de dignité.

Melville veut éviter l'esclandre : il se penche vers l'inconnu, se présente et lui demande poliment de lui rendre sa place. L'homme s'interrompt, soudain très pâle. Il prend néanmoins le temps de s'essuyer posément la bouche. Enfin, il se tourne, lui offrant un sourire navré, et dit très simplement : « Sir, I'm hungry. I would prefer not to ».

Désarçonné, Melville ne trouve rien à répondre, demeurant les bras ballants. Et puis, tandis que l'autre a déjà recommencé à manger, il tourne les talons sans comprendre pourquoi et sort de la salle. C'est fait : sans qu'il le sache encore, tandis qu'il se perd dans les rues de Londres, le personnage de Bartleby est maintenant en germination dans sa tête. Voilà la puissance du hasard : toute l'anecdote est inventée, mais ça aurait pu se passer comme ça.
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Bartleby le scribe (BD)

Au XIXe siècle,un jeune homme, Bartleby, prend un emploi de copiste dans une étude notariale de New York mais peu à peu il prétend qu’il « préférerait ne pas » travailler, puis qu’il « préférerait ne pas » faire quoi que ce soit. ● Je ne suis pas un grand fan de la nouvelle de Melville que je trouve trop philosophique à mon goût, mais j’ai été estomaqué par la qualité de cette adaptation en BD. Les représentations de New York sont absolument somptueuses. D’une façon générale, les dessins sont fabuleux. La nouvelle est superbement adaptée et finalement je trouve l’album meilleur que la nouvelle ! ● Merci à Bazart d’avoir signalé ce titre.
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Mardi

L'expérience de lecture traversée avec ce livre peut se ressentir assez aisément par le temps consacré: quasiment un mois de lecture. L'ouvrage est certes à classer dans la catégorie pavé, mais uniquement de justesse (515 pages). Après le voyage d'abord craint mais finalement très réussi fait en compagnie de l'auteur et son Moby Dick, je m'engageais pourtant en confiance dans une nouvelle aventure aquatique, thème de prédilection du marin-philosophe Melville.



Car, en effet, comme dans Moby Dick, on comprend assez vite que l'auteur n'a pas seulement pour ambition un roman d'aventures. Si on décrit pourtant rapidement le sujet, un marin qui décide par ennui de fuir le bateau de pêche à la baleine dans lequel il a embarqué, pour partir à l'aventure avec un compagnon d'ascendance viking sans bien savoir ce qu'il vise et qui tombe sur un archipel assez paradisiaque peuplé par une civilisation qui semble n'avoir pas eu de lien avec le monde extérieur, on a plutôt des bons ingrédients de roman d'aventure classique. Malheureusement, le tout est "banalisé" par une quête amoureuse sans espoir d'une jeune femme libérée par le narrateur et très rapidement enfuie mais qu'il se donne pourtant pour but de retrouver parmi les différentes îles de l'archipel.



Et quand vous constatez que l'ami viking est tout bonnement abandonné (par le narrateur comme par l'auteur) et "remplacé" par quatre compagnons des îles, un roi demi-dieu, un historien, un poète et un philosophe, vous comprenez rapidement que l'aventure va s'arrêter là, et que le roman va servir de prétextes à de nombreuses discu-digressions philosophico-poético-religio-historiques (pour n'oublier aucun des spécialistes compagnons). On finit régulièrement au fil des chapitres par même perdre de vue le narrateur aventurier et sa quête, qui ne nous est rappelé que par les régulières attaques vengeresses des geôliers de la belle échappée et par les chants des sirènes d'une reine mystérieuse... qu'on voit venir de tellement loin comme le dénouement logique de l'intrigue qu'on a peine à ne pas agonir d'injures ce narrateur qui les fuit au lieu de comprendre comme nous qu'il faut les suivre....



Ce livre fait suite aux deux premiers romans de l'auteur, qui se résument au récit à peine romancé des vraies aventures maritimes de l'écrivain . Il précède le chef d'oeuvre Moby Dick où Melville parvient à combiner harmonieusement une aventure épique et un propos profond sur l'humanité mise face à ses propres limites. Mardi est donc un brouillon de chef d'oeuvre, une tentative de dépasser le simple roman d'aventure pour atteindre à une oeuvre plus profonde.... mais le marin-écrivain Melville, trop novice dans ce genre de coulée littéraire, ne peut éviter la noyade et nous y emmène, sous des torrents d'idées et de références intellectualisantes, cherchant son propre chemin et ne le trouvant pas encore tout à fait. Il est donc finalement intéressant d'assister à la naissance d'un écrivain... mais pendant 500 pages, l'accouchement est compliqué et douloureux.



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Bartleby

Bartleby le scribouillard, le gratte-papier, dont le mérite professionnel n’est pas d’avoir un talent mais simplement une écriture correcte pour retranscrire les actes des autres. Il n’a aucune personnalité, aucune identité. C’est une machine qui accomplit des tâches, un tâcheron comme on dit. Et si l’on me demandait d’effectuer les mêmes tâches que lui, je répondrais sans hésiter : « Je préfèrerais pas ! »



Nous sommes à New York au XIXe siècle. Wall Street bourdonne déjà de toutes les affaires que l’on y conclut. On a besoin de scribes pour réaliser des copies d’actes officiels. Ces gens-là sont des photocopieuses humaines.



C’est un homme pâle et malingre qui se présente au cabinet du narrateur en réponse à une annonce d’offre d’emploi. Il est mis à l’essai ; il convient ; il est embauché. Il ne parle pas mais travaille vite et bien.



Le directeur lui demande un jour de l’assister pour une vérification de la fidélité d’une copie au document original. Il déclenche ainsi la fameuse et grinçante réplique, qui reste en travers de la gorge et s’insinue comme un grain de sable dans une mécanique bien huilée : « Je préfèrerais pas. »



Le directeur lui passe ce qu’il considère comme une vétille, une lubie. Après tout, il n’a pas à se plaindre de son travail. Cependant, à chaque nouvelle sollicitation, Bartleby récidivera par ces trois mots qui résonnent de manière cinglante dans l’esprit du directeur et finiront par le torturer.



Se nourrissant des sempiternels biscuits au gingembre, Bartleby prend ses aises dans le cabinet et finit par l’habiter, tout en continuant à refuser d’effectuer d’autres tâches que la copie. Pour sa propre sanité et celle de ses autres employés, le directeur décide de se séparer de lui.



Ce n’est qu’à la toute fin de cette nouvelle que nous est suggérée la raison des agissements et de l’attitude déshumanisée de ce personnage effrayant et fantomatique dont le regard et la présence glacent et mortifient. La révéler ici, ce serait gâcher l’intérêt de cette histoire.



Ce premier contact avec Melville est un peu comme un coup de poing dans le ventre que j’ai pris au ralenti : je l’ai lentement senti s’enfoncer en moi et j’en garde encore l’empreinte.



Je mets en lien la vidéo en anglais (non sous-titré) de l’adaptation de cette nouvelle. Tout y tient en vingt-sept minutes, accompagné d’une musique qui plonge avec une efficacité mordante dans l’atmosphère de cette histoire.



https://www.youtube.com/watch?v=yUBA_KR-VNU

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Moby Dick

Il y a des livres que l'on sait avoir à lire, mais qu'on reporte, allez savoir pourquoi. Mais voilà, c'est fait, j'ai lu le mythique Moby Dick ! Je dirais que mon impression est plutôt mitigée. D'abord à cause de la forme même du roman, qui mélange allégrement récit et encyclopédie de la chasse à la baleine, dans un enchevêtrement qui correspond bien à son époque, mais peut-être moins à la nôtre où la recherche de connaissances sur un sujet peut passer par toutes sortes de supports. Ensuite, parce que l'écriture est bavarde, bavarde, à la limite de la logorrhée… Mais le livre refermé, il reste vraiment en soi de belles pages noircies, de la première partie (traitant l'avant embarquement) particulièrement pittoresque, aux scènes titanesques des poursuites des baleines. Des impressions fortes de ce monde où l'homme est écrasé, ballotté mais où il compose, résiste ou est englouti. L'apparition de Moby Dick à la page 670 (sur les 730 qu'en compte l'édition) en fait une Arlésienne, parabole de nos démons ! En conclusion, une lecture difficile qui demande des efforts mais qui rend satisfait de l'avoir faite… pour regarder en soi le dépassement nécessaire à l'Humanité ! De plus, je me suis ensuite précipitée sur le site de musée de la baleine de New Bedford pour y admirer tous ces témoignages de cette terrible époque et je suis ravie d'avoir beaucoup appris.
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Bartleby

En 1846, New York est en plein essor. Principale place financière du Nouveau Monde, c'est dans Wall Street que son coeur de futur mastodonte du capitalisme bat le plus fort.

Au beau milieu de cette ruche, le narrateur, directeur d'une étude juridique, engage un nouveau commis aux écritures, un jeune homme dénommé Bartleby. Conquis par son allure paisible "qui pourrait avoir un effet bénéfique sur l'humeur inconstante de Ladinde et le tempérament colérique de Lapince", les deux autres scribes de l'étude, le directeur va pourtant bientôt déchanter. Bartleby est certes paisible, il fait son travail en toute discrétion dans son coin de bureau et donne toute satisfaction. Mais un jour, le rouage se grippe, Bartleby refusant d'effectuer la tâche demandée. "J'aimerais autant pas", dit-il, la première d'une longue série de négations conditionnelles, dont il n'explique jamais les motifs, au grand désespoir de son patron qui le menace évidemment de licenciement. En vain. Bartleby ne travaille pas, ne bouge pas, ne s'exprime pas sauf pour refuser, il reste simplement là, comme un ancêtre humain de photocopieuse en panne qu'on aurait oublié d'emmener à la casse. Sauf qu'on ne peut oublier Bartleby tant sa présence est obsédante et pesante, au point de pousser son employeur à déménager son étude dans un autre immeuble – sans Bartleby, "cette silhouette – cadavériquement soignée, pathétiquement respectable, incurablement abandonnée", qui reste sur place, accroché à ce qui était son bureau.



Quel est le sens de cette nouvelle de Melville ? Qui est Bartleby, pourquoi s'entête-t-il à refuser de faire ce pour quoi il est pourtant payé ? Se trouverait-on face à un cas de résistance passive à l'autorité et à un travail abrutissant où l'employé n'est qu'un pion dans le grand jeu capitaliste ? C'est ce que pensent les traducteurs de l'édition Libertalia (2020) de Bartleby. Pour eux, ce texte serait "la critique subtile mais radicale d'un système économique, social, politique, moral, né aux alentours des années 1840, à Wall Street, et de son esprit". Melville aurait ainsi décrit "le monde de la start up nation ; des travailleurs surnuméraires, atomisés, surveillés, uberisés ; des managers non plus paternalistes mais amis ; le monde des bullshit jobs, ces travaux inutiles décrits par David Graeber, de l'open space et de la transparence ; un monde à la fois impersonnel et vide, dématérialisé et pétrifié, dans lequel toute issue ne débouche que sur des impasses et où toute forme de résistance est criminalisée". Pas étonnant, selon eux, que "I would prefer not to ait pu servir de slogan, en 2011, aux manifestants du mouvement Occupy Wall Street".

Peut-être. Mais pour moi le mystère demeure, ne serait-ce que parce que le point de vue de Bartleby ne nous est jamais donné. Je me contenterai d'y voir une fable absurde et kafkaïenne à propos d'un homme entêté, malade peut-être, qui s'isole, sans raison... rationnelle, d'un monde auquel il n'est sans doute pas adapté. Entre agacement et compassion face à ce personnage inaccessible, un texte drôle et intrigant qui laisse au bord d'un sentiment de malaise et au seuil de multiples interprétations.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Bartleby

Court roman, proche d'une nouvelle, du grand Herman Melville, auteur de l'encore plus grand Moby Dick.



L'écriture est toujours aussi entrainante que lors de l'épique odyssée à la poursuite de la baleine blanche mais le cadre change complètement : nous voici dans l'univers très feutré des scribes et copistes.



Au final il ne se passe que très peu de choses et on est loin du très aventureux Moby Dick
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