Citations de Hubert Mingarelli (146)
elle s’est mise à rire. On aurait dit des premières gouttes de pluie sur une flaque d’eau.
Le flocon sur le bonnet du Juif finalement me tourmentait. […] Parce que si vous voulez savoir ce qui moi me faisait du mal, et qui m'en fait jusqu'au jour de maintenant, c'était de voir ce genre de choses sur les habits des Juifs que nous allions tuer : une broderie, des boutons en couleur, ou dans les cheveux un ruban. Ces tendres attentions me transperçaient […] et je souffrais pour les mères qui s'étaient donné ce mal un jour. Et ensuite, à cause de cette souffrance qu'elles me donnaient, je les haïssais aussi.
Les bruits de la nuit étaient des bouts de verre qui tombaient et se brisaient dans l’air chaud avant d’atteindre le sol.
"C'était une tristesse profonde qui le prenait lorsque assis dans la cuisine il la regardait et se souvenait combien de fois sa respiration avait fini par bercer son désespoir et le rendre humain."
Je m'endormis et rêvai aux bâches avec lesquelles nous avions recouverts les morts, cette nuit-là, et dans mon rêve elles se soulevaient et nous pensions que c'était le vent et nous avions beau planter les piquets elles se soulevaient encore. Nous les retenions avec nos mains de toutes nos forces mais une force plus grande continuait de les soulever et chacun au fond de lui savait que c'étaient les morts qui poussaient avec leurs jambes grises.
L'écho du coup de feu semblait graver l'air, semblait s'en aller et revenir, sans arrêt, comme un orage qui aurait tourné autour de la terre.
Pas la moindre chance non plus qu’il m’entende, car le bruit de la scie était l’exact contraire du silence, un genre de bruit extraordinaire, comme si des milliers de saisons des pluies s’abattaient ici avec fracas, toutes en même temps.
Parce que si vous voulez savoir ce qui moi me faisait du mal, et qui m'en fait jusqu'au jour de maintenant, c'était de voir ce genre de choses sur les habits des Juifs que nous allions tuer : une broderie, des boutons en couleur, ou dans les cheveux un ruban. Ces tendres attentions maternelles me transperçaient. Ensuite, je les oubliais, mais sur le moment elles me transperçaient et je souffrais pour les mères qui s'étaient donné ce mal, un jour. Et ensuite à cause de cette souffrance qu'elles me donnaient, je les haïssais aussi. Et vraiment je les haïssais autant que je souffrais pour elles.
Cette fois ça a été un peu plus vie, on n'a pas fait d'histoire. Tous les quatre on a été d'accord pour infuser dans peu d'eau. Ainsi il était bien fort, comme nous le préférions. Nous l'avons gardé dans la bouche jusqu'au moment où il est devenu tiède. Alors seulement nous l'avons avalé on aurait tous bien aimé revenir une minute en arrière.
A peine bu , c'était un thé plein de nostalgie.
Mais c'est quand même mieux que pas de thé du tout.
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Je tente aujourd'hui de me faire comprendre et j'ai tant de mal, alors je baisse la tête parce que je suis fatigué et qu'il n'y a nulle part ou se cacher.
Un vent léger apporta l’odeur d’un chèvrefeuille, et soudain je fus accablé de solitude comme sous le hangar. Une solitude sans début et sans fin. Je la devais sûrement à la beauté de la clairière, de la lumière déclinante et du lointain vrombissement des avions.
Dehors, le ciel était lumineux, il commençait à faire jour. Ciel d'automne, froid d'automne. Hisao se mit à courir le long des bâtiments. Lorsqu'il aperçut la route d'Aomori, il ralentit, passa sous les arbres en partie dénudés et commença dejà à se souvenir de Keisuke.
Brusquement, Pavel s'est redressé et il a demandé :
- Qui a la montre ?
Alors je me suis souvenu que c'était moi. Je l'ai passée à Pavel parce que c'était à son tour de dormir avec. Pas pour la montre dont le mécanisme était cassé, mais pour la photographie d'une femme qui était à l'intérieur. C'était agréable de dormir avec cette photographie. Nous nous imaginions que cela nous portait chance. Nous ne savions pas pourquoi. Je crois même que nous n'y croyions pas, dans le fond, qu'elle nous portait chance. Mais nous aimions à le penser.
« Pourquoi vous faites ces photos ? »
Je restai silencieux, il n’insista pas. La question ne m’était pas destinée. Elle n’avait été ni murmurée ni posée à haute voix, on aurait dit un souffle de vent échappé de vents déchaînés et lointains, nous frôlant à peine et continuant sa course à travers champ. »
Les gens prétendaient que mon père était un raté. Ils omettaient de dire qu’il avait attrapé des truites bleues à la main.
Je fermai les yeux.
Une rivière verte et des truites bleues.
(...) je me souvenais de l'avoir pris en photo devant la voiture quelques jours avant son départ, et je me demandais si quelqu'un à part moi, en regardant cette photo, lirait dans son regard ce qu'il avait vu. Au moment où je déclenchait, il avait l'air heureux, il rentrait chez lui.
En buvant, la vie était revenue, et avec elle comme à chaque fois le souffle amer de la réalité.
Alors l'alcool et la fatigue le couchèrent sur le dos, il roula sur le côté, ramena ses bras et ses jambes et se blottit dans le sable, un peu au chaud, un peu au froid, le ventre plein. Il entendit des sons, des mots, le bois qui craquait. Il eut une pensée pour Shigeko, il entendit encore Keisuke, des sons, la mer, le bois qui craquait. Il se souvient du chien, du vieillard. Il serra Mme Taïmaki dans ses bras comme la nuit dernière. Il entendit le bois, la mer, puis plus rien.
"Pourquoi vous faites ces photos ?"
Je restai silencieux, il n'insista pas. La question ne m'était pas destinée. Elle n'avait été ni murmurée ni posée à haute voix, on aurait dit un souffle de vent échappé de vents déchaînés et lointains, nous frôlant à peine et continuant sa course à travers le champ.
J’étais assis derrière Collins et nous vîmes s’approcher au ralenti un lac d’un bleu intense, et sur la berge, deux Allemands côte à côte gisaient sur le dos, les vestes d’uniforme à moitié retroussées leur dévoilant le ventre, et derrière eux le lac si intensément bleu et calme ne semblait faire partie ni du ciel ni de la terre.