Iain M.Banks inaugurait en 1987 le cycle de la Culture, neuf romans pouvant se lire indépendamment dans un univers extra large. L'Homme des jeux, qui ouvre le cycle, est un concentré d'imagination, d'intelligence et d'humour. Même pour quelqu'un qui ignore à peu près tout des codes SF – ce qui est mon cas -, l'immersion est immédiate, bien que l'univers décrit soit complexe et regorge d'innovations.
On se laisse volontiers embarquer à la suite de Gurgeh, le flegmatique joueur professionnel évoluant dans une société hédoniste, où les humains s'ennuient joyeusement, s'aiment, font repousser leurs membres s'ils les perdent, changent de sexe à volonté, sous l'oeil vigilant de drones mille fois plus intelligents qu'eux. La tension dramatique apparaît lorsque le héros, piégé par le chantage d'une AI, doit accepter de partir pour un monde lointain, l'Empire d'Azad, régime inquiétant, rigide, clinquant, inégalitaire, impérialiste, et dont les fondements reposent sur un... jeu, particulièrement retors et riche, qui fait office de sélection sociale à tous les niveaux. Gurgeh, émissaire de la Culture, devra affronter quelques personnalités azadiennes, sans espoir d'aller très loin dans la compétition, et sans vraiment comprendre ce que l'on attend de lui. Evidemment, son parcours sera bien plus flamboyant et risqué que prévu...
La force de Banks est de parvenir à maintenir un vrai suspense – lié d'une part à l'issue des parties d'Azad, jeu évoqué de manière suffisamment suggestive pour donner l'impression de quelque chose d'extraordinairement compliqué, sans perdre le lecteur, et d'autre part aux manigances des deux super-puissances, l'une devant nécessairement dévorer l'autre par delà les politesses diplomatiques... Le récit n'emporte pas toute l'attention pour autant ; les décors, les mœurs, les états d'âme, tout est évoqué avec précision et vigueur. Le tout baigne dans un humour constant délicieux, tantôt caustique, tantôt simplement loufoque, tout en restant cohérent. Mention spéciale aux drones, petites boîtes volantes dotées d'un sens psychologique et de capacités de bouderie ou d'hypocrisie peu communes. Sans parler de quelques créatures aussi discrètes que drolatiques, comme l'énumérateur, curieux animal de compagnie qui passe la soirée à compter tout ce qu'il est possible de compter...
Ajoutons à ce dynamisme une réelle réflexion, assez désabusée, mélancolique même, sur les choix politiques d'une civilisation, le choc inéluctable des cultures asymétriques, l'illusion du libre-arbitre, questions abordées sans pesanteur, avec toute la grâce et le détachement d'un vrai joueur capable de se prendre au jeu sans perdre de vue qu'il s'agit bien de jouer.
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