Le livre débute en avril 1916 à Dublin dans le jardin de la famille Bellman. Andrew Chase-White doit bientôt se marier avec Frances Bellman. Il est engagé dans le régiment de cavalerie du roi Edouard, il est en permission et doit rejoindre son escadron à la fin de la semaine dans la ville de Longford. La famille d'Andrew est anglo-irlandaise. Son père était anglais ce qui a permis à Andrew de grandir à Londres. “Il se sentait anglais, instinctivement ; comme du reste, instinctivement, il se disait normalement irlandais. Se dire irlandais était pour lui davantage un geste qu'une description. Il arborait des armoieries, une cocarde pittoresque. L'Irlande demeurait un mystère pour lui, un problème non résolu et, en outre, de manière obscure, un problème déplaisant.” Sa mère, Hilda, est effectivement irlandaise et Andrew passait du temps durant son enfance chez ses cousins. Sa défiance par rapport à l'Irlande vient de ses souvenirs, Andrew passait ses vacances à tenter de se mesurer à son cousin Pat Dumay. Ce dernier ne cessait d'avoir le dessus et il exaspère autant qu'il fascine Andrew. La semaine que passe Andrew à Dublin bouleverse totalement sa vie et celle de l'Irlande.
“Pâques sanglantes” est le nom donné à l'insurrection de Pâques 1916 qui a eu lieu à Dublin. Les deux principales milices patriotes irlandaises : l'Irish Citizen Army et l'Irish Volunteers Force, se rallient pour occuper la Poste Centrale de Dublin et d'autres bâtiments stratégiques. Patrick Pearse, un des chefs nationalistes, proclame alors la République irlandaise. Mais cette rébellion reste localisée à Dublin et même dans la ville les nationalistes ne sont que peu soutenus. Ils sont vus comme des traîtres car de nombreux Irlandais combattent en France aux côtés des Anglais. Et les classes supérieures considèrent que l'Irlande est incapable de survivre sans l'Angleterre. La mère d'Andrew l'exprime ainsi : “Je ne comprends rien de ces histoires de domination. Personne ne juge les Irlandais inférieurs. On les aime, on les accueille partout dans le monde ! Je ne peux pas supporter ce patriotisme irlandais parvenu, c'est tellement artificiel ! Le patriotisme anglais est quelque chose de tout à fait différent. Nous avons Shakespeare, la Grand Charte, l'Armada et ainsi de suite. Mais en fait l'Irlande n'a pas de véritable histoire.” Cette insurrection, qui sous-tend tout le roman d'Iris Murdoch, dura six jours et fut sévèrement réprimée par les britanniques. Cette journée fut néanmoins un premier pas vers la naissance de la République irlandaise et donc vers la guerre civile.
Iris Murdoch traduit l'antagonisme présent dans la population irlandaise à l'aide des deux cousins : Andrew Chase-White et Pat Dumay. Le premier s'est engagé avec l'armée britannique et se sent plutôt étranger en Irlande. Son appartenance à l'armée ne vient pas d'un sens patriotique élevé. Il s'agit surtout de rivaliser et de surpasser Pat. Ce dernier ne s'est pas engagé et cela est mal vu dans la famille. Andrew espère ainsi impressionner celle qu'il doit épouser, Frances. Pat refuse bien entendu de combattre aux côtés des Anglais. C'est un Irlandais patriote, il est prêt à donner son sang pour l'indépendance. Pat se prépare à l'insurrection de Pâques 1916. La rivalité entre les deux cousins est au coeur même du roman d'Iris Murdoch et elle se solde dans la violence.
Le personnage de Millie, la tante d'Andrew et Pat, est un révélateur pour l'ensemble de la famille. Elle relie tous les personnages les uns aux autres et déclenche de nombreuses réactions. Elle cache les armes de Pat par amour pour lui et l'aide durant l'insurrection. Millie dépucèle Andrew, terrifié par les femmes. Elle est aussi à l'origine de l'abandon de la prêtrise de l'oncle Barney. Millie envoûte totalement tous les hommes de la famille et souvent les fait courir à leur perte. C'est un personnage fascinant, déclencheur des destins des autres qui tentent de se détacher d'elle pour acquérir une forme de liberté.
“Pâques sanglantes” est un roman d'une grande densité de par son histoire et de par l'extrême précision avec laquelle sont traités les différents personnages. C'est avec une grande finesse psychologique qu'Iris Murdoch décrit tous les protagonistes. Les âmes sont mises à nu, les affres des choix de vie de chacun nous sont connus. L'écriture d'Iris Murdoch est très soignée aussi bien pour décrire les personnages que leur environnement. L'eau, la pluie, la mer imprègnent les descriptions des paysages. “La pluie irlandaise semblait toujours d'une substance différente de la pluie anglaise ; ses gouttes étaient plus petites, plus nombreuses. Pour l'instant elle paraissait plutôt se matérialiser en l'air que tomber du ciel et transformée en vif-argent, elle moirait la surface des arbres avant de glisser en chute plus lourde des palmiers lamentables et du marronnier.”
La lecture de “Pâques sanglantes” a été passionnante. Je ne connaissais pas cet épisode de l'histoire irlandaise qui a été tout à fait décisif dans la prise de conscience des Irlandais vers l'indépendance. La force d'Iris Murdoch est la complexité de l'intrigue et des personnages. “Pâques sanglantes” demande de la concentration, c'est un roman qui ne se donne pas facilement mais qui vaut la peine de s'accrocher.
Lien :
http://plaisirsacultiver.unb..