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Citations de Ismaïl Kadaré (281)


...tu es moi, comment pourrais-je te faire du mal ? Puis, aussitôt : imbécile, ignores-tu que le pire ennemi de soi, c'est soi-même ? Tu n'as pas encore retenu que si tu as quelque chance d'échapper à l'autre, à toi jamais tu ne le pourras ?
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Il ne m'avait pas échappé que tous les membres de la famille entretenaient un rapport très personnel avec la maison. Le pacte le plus naturel et le plus palpable était celui de ma grand-mère. Cela faisait fort longtemps qu'elle donnait l'impression de ne plus faire qu'un avec les voûtes, les poutres et les murs porteurs. Sa décision de s'y cloîtrer ne faisait qu'accentuer l'impression de cette lente et inévitable incorporation. (p.)
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Je savais que cette explication était impossible à lui donner. Et encore plus impossible de l'éclairer sur le fait que non seulement je ne me sentais pas borné par ses propres carences, mais qu'il m'arrivait parfois, et même de plus en plus souvent au fil des ans, de m'en prévaloir. De plus en plus je me plaisais à croire que c'était là précisément, dans cette appréhension décalée de l'univers, cette inexactitude qui faisait reculer la raison, bref, que c'était dans cet entêtement enfantin à ne pas céder un pouce de terrain que gisait, peut-être, l'origine de ce qu'on appelle le don d'écrire.

Peut-être que, plus que le fils d'une mère, j'avais le sentiment d'être le rejeton d'une jeune fille de dix-sept ans dont le développement se serait soudain trouvé suspendu.
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La variété de cette poésie orale étant à la fois signe de richesse et de pauvreté, de vie et de mort. L'intervention péremptoire d'Homère et des poètes tragiques a sauvé la poésie orale de cette griserie anarchique. Sans eux, elle serait morte de l'excès même de sa diversité.
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Cet étincellement spirituel et artistique que connut la Grèce à l'époque semblait émaner d'une zone extrêmement dense de l'espace cosmique. Des fragments de poèmes archaÏques émiettés par le temps tourbillonnaient un peu partout, des motifs anciens émergeaient soudain dans une lumière aveuglante, tels de nouveaux astres, d'autres motifs vieillissaient et se refroidissaient, cependant que d'autres encore se heurtaient ou se fondaient impétueusement entre eux...(...) cependant que des gouffres noirs et béaient alentour, attendant l'occasion de tout engloutir dans le néant.
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Il s'agit là, bien sûr, d'une superstition, mais, à la différence des croyances populaires(...) celle-ci est une superstion officielle, ou, plus précisément, une sorte de plate-forme politique déguisée en superstition. A qui réussit la mer et à Qui est réussit le désert ? Qui est né pour la montagne et qui pour les fleuves ? Apparemment, c'est aini qu'a commençé la tragique braderie à laquelle correspond ce qu'on a appelé au XXème siècle le "partage des zones d'influences"
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Ainsi, peut-être, donna-t-il lire cours à son dépit, mais, en même temps, il sentait au plus profond de lui que la Grèce continuait de peser de tout son poids sur son échine et il aurait beau écumer de rage, secouer les épaules avec fureur, il ne parviendrait jamais à s'en libérer.
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De fait, elle avait passé une matinée on ne peut plus morne. Comme la veille, les vitres étaient trempées de pluie ; vues à travers elles, de l'autre côté de la rue, les cheminées des toits paraissaient dessiner des lignes brisées. Mon Dieu, encore une journée calquée sur celle d'hier, avait-elle soupiré, étendue sur son lit. Nulle pensée ne parvenait à prendre vie dans son esprit, et la similitude de ce jour avec le précédent lui avait semblé la confirmation la plus éclatante que ce serait encore une journée inutile, dont elle aurait fait don sans regret.
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Je n'arrive pas à reprendre le dessus. Il exerce toujours sur moi un pouvoir hypnotique. Les choses qui de prime abord me paraissent les plus absurdes, sont justement celles que j'accepte le plus volontiers. Hier soir, il m'a dit que tout ce brouillard, cette incompréhension entre nous, était le fait de l'âme; maintenant que nous l'avons mise de côté, on peut dire que nous en somme sortis; avec le corps, il est toujours plus aisé de s'entendre
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En ouvrant les yeux, j'eus une impression bizarre. C'était bien la même chambre d'hôtel les mêmes rideaux aux fenêtres, et pourtant je sentais que quelque chose d'insolite s'était produit. Des éclairs me revenaient en mémoire, mais je ne parvenais pas à déterminer si j'avais entendu le tonnerre qui les avait accompagnés durant la nuit ou si j'en avais seulement rêvé.
A la réception, je demandai si l'on avait téléphoné en mon absence. On me répondit : Non, monsieur. Non monsieur, pas même dans une langue incompréhensible, énigmatique...
Quand je fus dans la rue, cette impression que quelque chose m'était pourtant bel et bien arrivé ne me quittait pas. Il ne me fallut qu'une centaine de pas pour comprendre que ce jour-là serait un jour en charpie. Une journée sans défense, lacérée par endroits, surtout entre dix heures et demie du matin et midi. De ses béances s'échapperaient des bouts temps d'autres époques, d'autres contrées. Des sortes de hernies cosmiques.
Je tournai la tête vers la gauche comme si on m'avait hélé. Les feux rouge brillaient d'un éclat tragique. Il y avait du communisme dans l'air, on le sentait.
Avenue Bosquet, j'aperçus les premières limousines du Bureau politique. Ils se rendaient probablement à une réunion. Deux motards de la police en blousons de cuir noir roulaient derrière.
Sur les quais, je distinguai au loin quelques corps gisant sur le macadam. Des segments de barbelés frontaliers se tortillaient à leurs côtés et des mares de sang maculaient la chaussée. On n'avait aucun mal à deviner que c'était un lambeau de temps en provenance d'Albanie, de la rive pierreuse du lac de Pogradec. De la côte de Saranda, aussi... Depuis le pond des bateaux-mouches, les tristes touristes contemplaient le spectacle.
Tu n'as aucune raison de t'en étonner, me dis-je. Ce sont là des cadavres de jeunes, de ceux qui ont cherché à franchir la frontière albanaise. Ce jour est aussi une de tes journées d'antan. Durant les vacances d'été à Saranda, de bon matin, la vedette de la police longeait le littoral avec à son bord un cadavre criblé de balles. Depuis la véranda de l'hôtel, les touristes britanniques la suivaient des yeux, horrifiés.
Reconnais que c'est bien là une des tes journées... La confirmation arrivait en sifflant dans les airs comme un projectile. Bien sûr qu'elle faisait partie de mes jours; je ne cherchais nullement à le nier.
Absorbé dans ces pensées, je n'en consultait pas moins ma montre. Midi mettrait un terme à toute cette horreur. Il me fallait tenir bon jusque là. Comme une machine déréglée le temps ne livrait que des morceaux de rebut. Des matins gauchis, des soirées ratatinées, des après-midi emboutis, réduits en bouillies comme après une collision. Et toujours des bouts de feraille, des débris, des ressorts abandonnés dont les lames, dès qu'on les effleuraient par mégarde, émettaient un miaulement à faire frémir.
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[...] ... Le tumulte, dans le camp, ne cessait de croître, et ils étaient maintenant obligés d'élever la voix pour s'entendre.

- "Eh ! bien", fit Sadedin, "[les femmes albanaises] sont ... elles sont ... Mais comment te les dépeindre, mon frère ! Elles sont comme un nuage mouvant qui, lorsqu'on tente de le saisir, ne vous laisse rien dans la main. Et leurs vêtements aussi sont de la couleur des nuages. Blancs, blancs, bordés de lisérés rouges et noirs.

- Tu t'en achèteras une, lorsqu'on aura pris la citadelle ?" demanda le janissaire.

- "Bien sûr, à n'importe quel prix. J'ai déjà l'argent de côté ..." - il porta la main à son sein - " ... tout ce que j'ai reçu pour mes poésies.

- Tu en as, de la chance !"

Le poète sortit la gourde et la porta à ses lèvres.

- "Ca suffit," lui dit l'astrologue, "tu ne marches plus très droit."

Sadedin la refourra dans son sein.

- "Il s'en passera, des choses, dit-il, la nuit où l'on prendra la citadelle ! Quel sabbat ! Quelles orgies ! Leur désir assouvi, les hommes échangeront leurs captives. Ils les garderont une heure, puis les revendront pour en racheter d'autres. Elles passeront de tente en tente. Il y aura des rixes. Peut-être même des meurtres ! Oh ! sûrement !"

Le janissaire l'écoutait, l'air triste.

Ils marchèrent un moment sur un chemin bordé d'asapes [= troupes d'infanterie légère] étendus par terre, dans l'ombre plus obscure projetée par les tentes.

- "Ils sont ennuyeux, ces asapes," dit Sadedin. "Ils rêvent de recevoir un lopin ou quelque vigne dans les terres ici conquises, puis de se courber sur leur charrue pour le reste de leur vie.

- A chacun ses rêves," dit l'astrologue.

Le poète fut tenté de lui répondre, mais il préféra boire une nouvelle lampée de raki. Il continuait de marmotter en composant sa poésie.

La multitude devenait de plus en plus dense. Des tambours roulaient de toutes parts, noyant presque de leurs grondements les voix des cheiks qui haranguaient les soldats. Les derviches s'abattaient par terre, priaient, hurlaient sans cesse.

-"Nous enseignerons le saint Coran à ces rebelles maudits," criait un cheik. "Sur leur terre bosselée comme le dos d'un démon, nous élèverons les minarets sanctifiés par Allah. Du haut de ces tours, au crépuscule, la voix de nos muezzins tombera sur leurs têtes mal dégrossies, tel un haschisch qui s'empare de l'esprit. Nous ferons en sorte que ces infidèles se prosternent cinq fois par jour en direction de La Mecque. Nous envelopperons leurs têtes malades et agitées dans le bienfaisant turban de l'islam.

- Comme ce cheik parle bien !" dit l'astrologue. ... [...]
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Eclats de lumière, visions instables fuyant vers l'horizon, tantôt semées de scintillements de couronnes, tantôt noircies par l'horreur du futur, se bousculant avant de se répandre à tous vents...
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La capitale, comme on pouvait s’y attendre, sombra dans un silence encore plus compact.
Le mutisme avait atteint un degré tel que le linguiste Jakub Har, d’après un court rapport de A.K., avait pronostiqué que si les choses continuaient à ce train, la moitié de la langue égyptienne aurait disparu en l’espace de trois ans, tandis qu’au bout de dix ans elle serait réduite à trois cents mots, de sorte qu’elle pourrait être apprise même par les chiens.
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La rumeur se répandait alentour le jour et la nuit, recouvrant le pont d'un mystère toujours plus épais. La nuit, il dressait, noire sur la rivière, son unique arche , qu'on lui avait blessée cruellement. De loin, les endroits réparés, le mortier et la chaux fraîche qui les recouvraient faisaient penser aux pansements d'un membre fracturé. Avec ce corps mutilé, le pont était sinistre.
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Incipit :
Au sortir de l'hiver, lorsque les envoyés du sultan furent repartis, nous comprîmes que la guerre était inévitable.
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C'était un calepin à couverture noire, qu'il gardait sur le dernier rayon de son coffre.
(…)
Il feuilletait lentement son carnet. Il y avait noté des dates, des noms, des propos, des plaisanteries, des bribes de conversations. Au-dessous, entre parenthèses, était écrit un bref commentaire : antisoviétisme, hostile au travail bénévole, tourne le collectif en dérision, insinuations équivoques, scepticisme sur l'intérêt de l'Anti-Dühring d'Engels, sarcasmes à l'égard du réalisme socialiste. Il lut au passage : antisoviétisme ; discussion sur le point de savoir qui, de Cholokhov ou de Hemingway, est le plus grand. En faveur de ce dernier, N.F. et Nicolas H.
(…)
Il continua de feuilleter son journal avec une joie intérieure. La joie de quelqu'un qui pouvait observer des visages de la vie d'autrui, en restant lui-même dans l'ombre. Quant à sa vie à lui, personne n'en voyait rien.

Sa vie. Le plus beau joyau en était le souvenir de quelques jours où il avait souffert d'une forte grippe et où sa femme, à son chevet, lui avait témoigné un dévouement qui avait passé son attente. La poésie, la tendresse et le rêve que pouvait, à ses yeux, renfermer une vie, se condensaient pour lui en ces jours-là. Ce pâle épisode était pour lui l'unique élément qui le rattachait quelque peu au monde de l'art, du cinéma et des livres, qu'au fond de lui-même il détestait, car il devinait bien que la poésie que lui avaient apportée ces journées étaient fort peu de chose en regard de ce que pouvaient traduire les lettres et les sons. Il trouvait injustifiable que des fiancés ou des amoureux, dans la rue, se donnent le bras et se regardent d'un air éperdu, sans être souffrants ni en danger de mort. En particulier, il ne pardonnait pas ce comportement à Besnik, qu'il avait vu se promener avec sa fiancée, quelques jours auparavant, au crépuscule, sur le boulevard des Martyrs de la Nation. Les feuilles tombaient, tombaient sans cesse et lui-même s'était senti dépouillé comme un arbre hivernal.
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[...] - Tu as la chance de participer à une telle campagne. Ici - et il étendit le bras vers les remparts - va se livrer une des plus terribles batailles de notre temps, et tu pourras écrire à ce sujet une chronique immortelle.
- Je ferai de mon mieux.
- Une véritable histoire de guerre, qui sente la poix et le sang, et non pas des histoires imaginaires, de celles que composent au coin du feu des gens qui n'ont jamais vu de combats.
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D'autres soutenaient que l'Apocalypse n'était rien d'autre qu'un jour où les rêves sortiraient de la prison du sommeil, car la Résurrection des Morts, que les hommes se représentaient de manière banale, métaphysique, s'accomplirait en fait sous cette forme-là. Les rêves n'étaient-ils pas déjà leurs messages avant-coureurs ? cette revendication séculaire des morts, cette supplication, cette lamentation, cette protestation - de quelque nom qu'on l'appelât - , il y serait ainsi fait droit un jour.
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Aucun empire à ce jour n'a trouvé emblème plus dominateur pour son étendard. Quand Byzance porta son choix sur l'aigle, celui-ci était à l'évidence plus altier que la louve de Rome. Mais voici que ce nouvel empire s'est doté d'un emblème qui s'élève dans les cieux bien plus haut que n'importe quelle créature ailée. (Kadaré fait référence au croissant de lune comme emblème de l'Empire ottoman).
Et il n'a nul besoin d'être dessiné ou peint comme une croix. Ni de flotter cousu sur une toile, au sommet de tours et de citadelles. Il s'hisse seul dans le ciel pour apparaître à l'ensemble du genre humain sans qu'on puisse en offusquer la vue. Son message est des plus clairs : les Ottomans entendent s'en prendre non pas à un ou deux états, mais au monde entier.
Chapitre LV
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Tout semblait suivre son cours le plus normal. Aucune opposition émanant de qui que ce fût. Rien de plus naturel, d'autant que lui, Besnik Struga, était allé là-bas, qu'il venait de rentrer de la grande épreuve, du front, du haut du cratère, où il avait été effleuré par la lave, ainsi qu'il venait lui-même de le raconter. Il était donc compréhensible que son cas fut réglé rapidement, le contraire eut été ridicule… Mais voilà que, subitement, au milieu de la quasi-somnolence générale, une voix s'éleva :
"Camarade Besnik Struga, quel est l'état de vos relations avec votre fiancée ?"
La question étincela comme une lame de poignard. Depuis un long moment, la réunion était pareille à un corps assoupi, mais elle sentit l'entaille. Sa torpeur se dissipa.
"Comment ? fit Besnik.
- Quel est l'état de vos relations avec votre fiancée ?"
La question avait été posée, puis répétée par le chef du personnel.
"Qu'est-ce que cela signifie ?" s'insurgea Besnik.
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