Voici sans l'ombre d'un doute l'un des plus beaux ouvrages que j'ai lu ces dernières années.
Un ouvrage qui nous mène à travers le temps et l'espace, sur les traces d'un violon et d'une médaille, perdus de nombreuses fois et retrouvés tout autant, en compagnie d'Adrià Ardèvol y Bosch, enfant remarquable, adolescent remarqué, mais à qui l'âge adulte va faire une mauvaise blague en le privant petit à petit de sa mémoire et de ses souvenirs.
Une urgence, donc : consigné le témoignage d'une vie, d'une histoire, mais aussi de l'Histoire, afin qu'elles laissent des empreintes et qu'elles perdurent.
Le lecteur voyagera beaucoup, chronologiquement et géographiquement, et en l'absence des balises GPS habituelles des romans (repères temporels, chapitres et paragraphes bien marqués), se perdra parfois dans ce foisonnement. D'autant plus que l'écriture est dense et que sur plus de 800 pages, toute l'attention du lecteur est requise pour savourer pleinement tout le sel de ce roman.
Avec poésie et humour, Jaume Cabré nous entraîne sur une partition harmonieuse, intense et exigeante, où les contrepoints et les points d'orgue sont légions... tout comme les silences...
Une aventure proprement inoubliable, et une belle démonstration que nous sommes la somme de ce qui a été.
Chapeau bas, Monsieur.
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Une écriture assez déroutante pour le lecteur qui peut se demander s’il a bien toutes ses facultés mentales. En effet, au sein d’un même paragraphe, l’auteur le fait naviguer d’un lieu à l’autre, d’une époque à une autre, d’un personnage à l’autre. Bref, pas de points de repère évidents, ce qui oblige à une certaine concentration, à ne pas laisser son esprit vagabonder.
Adria, le narrateur vieillissant, adresse son récit familial (qui commence lorsqu’il a environ 7 ans) à une personne précise mais le lecteur ne sait pas de qui il s’agit. Il lui faudra attendre de nombreuses pages avant de découvrir son identité.
Le jeune Adria , fils unique, ne se sent pas aimé par ses parents et il s’ennuie beaucoup. Alors il se réfugie dans une vie imaginaire en compagnie de ses figurines : Aigle Noir (chef Arapaho) et le shérif Carson. Il se qualifie lui-même d’enfant bizarre, craintif des autres enfants. Chacun connaît maintenant le poids de l’enfance dans la vie d’un individu.
Jaume Cabré peut aussi bien parler d’Adria à la première personne qu’ à la troisième, ce qui est perturbant. Le lecteur se demande alors s’il n’y a pas confusion, faute de frappe ou s'il a lui-même raté quelque chose. L’auteur inclut du dialogue (ou du monologue) dans un paragraphe, sans utiliser de guillemets ni alinéas, voire il mêle deux conversations avec des personnages différents. C’est déroutant ! La première impression que cette construction m’a donnée, c’était qu’Adria souffrait peut-être d’une maladie mentale : un enfant prodige, surdoué, pour les langues entre autres, à la fois adulte sur le plan du développement intellectuel et enfant sur le plan affectif et sa capacité à fuir dans l’imaginaire. Une fracture, peut-être ?
Mais il semblerait qu’Adria ne soit pas le seul à être bizarre. Ses parents le sont aussi. Représentent-ils un monde à eux trois ? Ce n’est qu’à la page 520 que l’auteur va nous mettre sur une piste. Le lecteur finit par percevoir le pourquoi de cette étrange écriture, cette apparente confusion entre le « je « et le « il »- car ce procédé ne s’applique qu’au narrateur. Mais je ne veux pas dévoiler ici cette possible explication pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur, car malgré l’étrangeté de l’écriture, ce livre a accroché mon attention.
Il ne faut pas rationaliser mais, au contraire, laisser votre esprit se faire conduire au gré de la plume de Jaume Cabré, comme lorsque vous rêvez et que votre esprit saute d’une idée à l’autre, d’une image à l’autre, sans lien particulier. Ce roman relève en effet de l’onirique car comme dans un rêve, se télescopent souvent des personnages, des lieux, etc…. ce qui donne un sentiment d’étrangeté mais n’en fait pas moins une histoire avec un fil même décousu.
Alors laissez-vous faire et plongez dans ce pavé de 906 pages, vous ne regretterez pas l’expérience.
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Titre : Confiteor
Année : 2013
Auteur : Jaume Cabré traduit par Edmond Raillard
Editeur : Actes Sud
Résumé : Années 50. Adria vit dans un somptueux appartement Barcelonais, il est brillant et dépositaire des ambitions démesurées que ses parents nourrissent pour lui. Plusieurs décennies plus tard, alors que sa mémoire s’étiole, Adria tentera de découvrir l’origine de la fortune familiale jusqu’à plonger aux racines du mal. De l’inquisition jusqu’au régime nazi Cabré plonge ses personnages dans l’histoire tumultueuse d’un continent.
Mon humble avis : Un roman très exigeant , rare.Une narration qui peut paraître chaotique au début mais qui au fil des pages nous prouve à quel point cet auteur est brillant, talentueux. Confiteor est un bouquin quasi impossible à résumer tant il est riche, complexe et inclassable. J’ai eu beaucoup de mal à m’y intéresser au départ puis au bout d’une centaine de pages le charme opère, la mécanique se met en place et le reste n’à été que plaisir et admiration. Le livre est foisonnant, les histoires et les personnages se croisent sans cesse, on change d’époque et de lieu, on bascule d’un destin à un autre et tout est miraculeusement articulé. C’est époustouflant et presque irréel, étourdissant de maestria. Confiteor est clairement un livre à part, une fresque passionnante qui vous laisse une petite musique dans la tête, un air de violon que vous n’êtes pas près d’oublier.
Je l’achète ? : Evidemment ce n’est pas une lecture facile mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.
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Avec ce titre, on pourrait espérer un contexte poétique dans les lueurs du soir quand le soleil se couche...
Et si le lecteur espère cette sérénité, qu’il passe son chemin, car la Mort rôde...
Focus sur décès, meurtres, et autres fantaisies fantomatiques.
Dans un florilège d’individus infréquentables et de situations extrêmes se racontent, en quelques nouvelles, des circonstances de mort révoltantes et incongrues, s’invitent des thématiques de vengeance, de folie, de déveine, de vieillesse. Une étrange et pertinente compilation de situations de victimes et de tueurs dans leurs basses œuvres.
Treize contes macabres, parfois en résonance, pour sonder la noirceur de l’âme humaine. L’originalité de chacune des nouvelles, le symbolisme de certains personnages ou objets, l’écriture différenciée par histoire, le ton synthétique et au scalpel, propre à ces narrations courtes, percutantes et très immorales, tout contribue à un excellent divertissement littéraire
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Si toutefois il vous prenait l'envie de lire ce livre, prenez d'abord l'initiative de couper le son de tous vos téléphones !
Dites à tous vos amis et famille que vous ne pourrez recevoir personne pendant plusieurs semaines, faites vous livrer tous vos repas par un traiteur et lorsque toutes ses conditions seront remplies, alors vous pourrez vous lancer dans la lecture de ce chef d'œuvre.
Car attention, c'est un roman exceptionnel qui requiert une attention imperturbable.
La construction est d'une maîtrise hallucinante et tellement particulière qui demande cependant une concentration totale et absolue pour ne pas perdre le fil.
Un style de narration à vous donner le vertige.
Je crois que c'est le livre le plus difficile que j'ai jamais lu et pourtant je l'ai trouvé excellent !
Ce roman, c'est tellement d'histoires à la fois...
C'est une histoire d'amour entre Sara et Adrià ainsi que celle d'une amitié profonde entre Adrià et Bernat; deux histoires qui traversent les époques.
C'est aussi un roman sur l'enfance et l'imaginaire avec deux personnages fictifs qui ne sont autres que les petites figurines d'indiens avec lesquelles Adrià joue et auprès desquelles il trouvera conseils, soutien et réconfort.
Mais ce livre c'est avant tout l'histoire d'un violon, depuis le bois qui servira à sa construction jusqu'à sa toute dernière utilisation.
C'est l'histoire d'un violon dans l'Histoire. Et ce que les événements en ont fait.
C'est l'histoire de toutes les mains dans lesquelles ce violon sera passé.
Mais la trame principale de ce livre, c'est surtout une lettre qu'Adrià écrit , alors qu'il commence à ressentir les affres de la maladie d'Alzheimer, à celle qui fut l'amour de sa vie.
Une lettre dans laquelle il lui donne des explications sur les décisions qui ont jalonné sa vie et le pourquoi des chemins empruntés.
Cette lettre, c'est tout simplement ce roman que nous tenons entre les mains.
Il est donc impossible de faire un résumé concis de ce roman tellement il est riche de nombreuses choses.
Ce livre est un monument qui demande un réel effort de lecture.
Il faut vraiment prendre le temps pour ne pas passer à côté de l'essentiel.
La difficulté est réellement récompensée par le plaisir et l'autosatisfaction de se dire" j'ai compris, j'ai saisi les méandres du cerveau de l'auteur "
Une lecture essoufflante !!!!
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Confiteor est une expérience littéraire. Un livre un peu hors norme, avec une écriture et un récit qui ne cessent de surprendre et de déstabiliser le lecteur.
Jaume Cabre se joue du temps et de l'espace.
Subrepticement, par un nouveau paragraphe, un saut de ligne ou une phrase non terminée, il avance ou recule dans le temps, passant de la Catalogne à l'Allemagne, l'Italie, l'Afrique noire et bien d'autres pays... il commence avec un personnage et passe soudainement à un autre. Bref, c'est assez déroutant et la quatrième de couverture n'est pas superflue pour recadrer le lecteur.
Adrià est le personnage principal. Surdoué intellectuellement et artistiquement : philosophe, linguiste (il parle une douzaine de langues),mélomane, violoniste. Un des axes principaux de ce roman tourne autour de l'histoire de cet homme, son enfance, sa famille, ses amis, ses amours, sa maladie
L'auteur croise constamment les histoires, celles des personnages principaux, mais aussi celles d'objets et d'oeuvre d'art du magasin d'antiquité dont il a hérité de ses parents. Certaines de ces histoires sont douloureuses et entachées de sang, la plus édifiante étant celle du violon Storioni (un équivalent du stradivarius).
Ce roman a un côté lumineux mais souvent un côté terriblement sombre. Jaume Cabre écrit des pages d'une grande noirceur sur l'âme humaine, sur notre capacité à faire le mal. Beaucoup d'interrogations et des questions souvent sans réponses.
Il y est également beaucoup question de la religion et de ses serviteurs. Quelles réponses la religion catholique apporte-t'elle lorsqu'on parle de meurtres, de massacres, de génocides, de la violence humaine, des catastrophes naturelles, des épidémies? Ses réponses sont-elles crédibles alors que l'Eglise a commis les pires horreurs par le passé (l'Inquisition, les guerres de religion)? Elle a également caché, protégé des bourreaux SS après la débandade du troisième Reich. L'Eglise est une institution qui confesse (confiteor) et qui pardonne. Mais jusqu'à quelles limites du tolérable peut-on pardonner le bourreau et l'assassin?
Jaume Cabre interpelle également le lecteur car, à travers les problématiques qu'il pose, il nous oblige à nous interroger nous-mêmes. Notamment sur la question de la bravoure et de l'héroïsme : qu'aurais-je fait face à un soldat qui me donne un violent coup de crosse ou qui l'assène à un enfant? On aimerait tellement être un super héros, mais souvent la peur est paralysante.
Confiteor est un roman complexe qui nécessite une attention soutenue mais qui livre une histoire passionnante où s'entrecroisent la beauté et l'horreur de notre humanité.
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Une merveille, ce roman !
Par contre, impossible à résumer. On y suit un personnage principal, Adrià Ardèvol, de son enfance à sa vieillesse, mais c'est aussi une histoire du Mal (sous les traits d'un inquisiteur, d'un officier d'Auschwitz, et d'autres personnages peu recommandables, franquistes ou autres) et d'un violon exceptionnel, au destin non moins exceptionnel.
C'est un roman foisonnant, plein de flashbacks, complexe dans sa structure mais limpide à la lecture, un magnifique OVNI.
A lire (bon, c'est une brique de presque 800 pages et il faut pouvoir y entrer, prévoyez du temps) !
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Situé dans un petit village des Pyrénées catalanes où coule le Pamano, courant de la fin de la guerre d'Espagne à 2002, pivotant autour du personnage autoritaire d'Elisenda Vilabru, femme entêtée, dure, inflexible, souvent odieuse, "Les Voix du Pamano", du Catalan Jaume Cabré est un roman absolument fascinant.
Autant par la force romanesque de son histoire, mêlant haine et amour, vengeance et devoir de mémoire, phalangistes et maquisards, par le rendu saisissant de la férocité de la guerre civile, que par l'inventivité de la narration (le lecteur fait des bons de 60 ans en arrière dans le même paragraphe, voire le même dialogue, comme pour mieux saisir l'inextricable lien entre passé et présent et la volonté hors du commun de se souvenir et de se venger d'Elisenda). Si les 50 premières pages sont à ce titre assez déroutantes (mais jamais au point d'abandonner le livre, parce qu'au bout de quelques lignes on sent déjà qu'on tient là quelque chose de rare, et que l'on est pris très vite dans ce flux pénétrant), les 650 restantes se lisent avec un plaisir sans faille. Il est absolument impossible de résumer le livre, tant la construction en est complexe, et tant la découverte est partie intégrante du plaisir de lecture.
Amateurs d'intrigues solides et d'écriture originale et surprenante, ouvrez-le sans hésiter : tendez l'oreille attentivement, plongez dans cette atmosphère éminemment poétique, écoutez ce que murmurent les voix du Pamano. C'est passionnant.
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Polyphonique et d'une tonalité inattendue !
Un voyage d'hiver qui ne me laisse pas de glace mais dont la mélodie m'a paru déconcertante ; assez interloquée par cette lecture, quatorze opus aux ambiances d'apparence hétéroclite, j'ai nettement préféré "Confiteor" ma première découverte de l'auteur.
Le début m'a bien plu mais j'ai eu quelques difficultés à rester attentive jusqu'à la fin, j'avoue avoir même survolé certaines des nouvelles composant ce "Voyage d'hiver".
Avec des liens entre elles, par touches plus ou moins évidentes, ces nouvelles m'ont semblé un labyrinthe de désespoirs, une atmosphère en mode mineur, mêlant les paradoxes du contrepoint, les espoirs déçus, les âmes tourmentées, les douleurs universelles, de différentes manières et à travers les époques ; la musique, les sons, la théorie musicale, l'harmonie, la beauté de l'art, autant de points les reliant.
Peut-être trop de subtilités m'ont échappé pour pleinement apprécier.
Donc un peu déçue et refroidie si je puis dire ! par ce Voyage d'hiver, malgré la qualité indéniable de l'écriture et la variété des nuances.
Un roman qui, par sa référence à Schubert, et à la musique en général, aurait pu me plaire davantage.
Néanmoins, la musique, la peinture et la littérature, émergent de ces histoires comme une consolation.
"Quiconque aime la musique ne peut jamais être tout à fait malheureux" (Schubert).
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Je me plonge dans cette collection Babel sans mauvaise surprise. J'ai choisi ce livre pour la dernière de couverture. J'aime les romans ancrés dans une réalité historique et du XX° siècle. Je n'ai pas fini ma lecture. Mais je voulais déjà émettre ce que je ressentais quant à l'écriture. Elle est dépotante.
L'auteur écrit en tant qu'auteur, donc autobiographique, puis on passe à une 3ème personne mais qui s'avère être l'auteur, puis on repasse à une première personne, puis une troisième autre personne car entre temps, le temps justement a avancé... et cela pourrait être rageant, mais il le fait d'une telle manière que on suit, on le suit, dans ce méandre de qui écrit, donc un récit à mille mains qui tient un stylo, donc à mille esprits qui essaient de réfléchir, à mille sensibilités qui vibrent.
Prévoir pour cette lecture un grand espace et temps de silence, de repos, afin de s'imprégner de la démarche de l'auteur, mais alors là que du bonheur. Du bonheur de lecteur, quant à l'histoire, les histoires, on n'est pas dans la confection de petits gâteaux, on est dans du sombre, du sordide, mais une recherche de la vérité, de l'identité et une traversée de l'histoire de l'Europe du XX° siècle, qui n'en finit pas. Jaume Cabré nous fait progresser.
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Confiteor... Je confesse... m'être perdue plus d'une fois dans ce dédale d'histoires qui traversent les siècles. Adria Ardevol voit la narration de sa vie s'effilocher, au gré de l'avancée de la maladie, les histoires se superposent, s'associent, se complètent... au fur et à mesure de la lecture.
Confiteor... Je confesse... avoir pris beaucoup de temps pour m'adapter au style narratif de Jaume Cabré. Ce style me fait penser au cinéma, où en une prise, soit quelques mots, le lecteur peut être transporté dans une autre époque, et ainsi de suite. La nécessité de se laisser porter par l'auteur, de lâcher-prise s'est imposée. Jaume Cabré excelle pour emmener et ramener son lecteur à travers les époques, sans jamais le perdre finalement.
Confiteor... Je confesse... avoir suivi le fil de ce violon, à la sonorité exceptionnelle, sujet de tant de convoitise, et qui nous fait entrevoir toutes les perfidies humaines. Mais, combien d'autres fils peuvent être tirés de ce long récit ! Le désir de sa relecture s'annoncera sans doute dans quelques années.
Confiteor... Je confesse... avoir pris un énorme plaisir dans la lecture de cette oeuvre, unique en son genre ! Un grand merci à taganga2000, pour cette heureuse pioche de Octobre 2019 !
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Rien que la superbe couverture de ce livre me tentait. La première phrase m'a ensuite happé et les pages suivantes n'ont jamais cessé de me bouleverser, de me faire rire, de me surprendre, de m'intriguer, de me donner envie de continuer, mais pas trop vite, pour bien savourer l'écriture débridée de ce roman.
L'ambition est démesurée : raconter les origines du mal au travers de la vie du narrateur - et des mille vies qui virevoltent autour de lui. Le style est radical : on alterne le je et le il pour parler de la même personne, parfois dans la même phrase. On mélange joyeusement les époques, parfois dans une même scène, un même dialogue - jusqu'à l'étourdissement. Mais ce n'est jamais gratuit et cette dé-focalisation, ce pas de côté, sert toujours un propos subtil, une distanciation ou au contraire, cela met en lumière des cycles dans l'histoire.
Et tout cela est parfaitement maîtrisé ; la lecture est aisée et agréable quand bien même on s'enfonce dans les méandres du cerveau d'un vieillard atteint d'Alzheimer, qui mélange ses souvenirs, ses récits, et les histoires qu'il a entendues.
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Avec son roman " Confiteor ", Jaume Cabré entraîne le lecteur " A la Recherche du Passé Perdu ", celui de Adrià Ardévol i Guiteres. A soixante deux ans, cet éminent professeur catalan, qui enseigne l'histoire des idées, auteur de plusieurs essais, " La volonté esthétique – L'histoire de la pensée européenne ", qui parle une dizaine de langues dont certaines anciennes, apprend qu'il est atteint d'une maladie qui va lui faire perdre progressivement la mémoire, et décide, avant qu'il ne soit trop tard, d'écrire l'histoire de sa vie, au dos des feuillets d'un essai sur le Mal sur lequel il travaillait. Il dédie ce texte à Sara, l'amour de sa vie, et à Bernat, son ami d'enfance. Au-delà de sa propre histoire c'est celle de sa famille, notamment de son père, qu'il retrace ainsi que celle de nombreux personnages qui vont traverser les siècles, depuis l'inquisition, jusqu'à la dictature espagnole, en passant par l'Allemagne nazie, et traverser également le continent, de Anvers à Rome, de Paris à Berlin, de Tübingen à Barcelone, et plus loin encore . Dans cette partie d'échec contre la mort, lancé dans l'écriture de ses mémoires, il prend comme repères des emblèmes familiaux, un violon de Crémone, une médaille et un morceau de linge sale, mais aussi des figurines, jouets de son enfance, un chef indien " Aigle noir " et un cow-boy " le ShérifCarson " dont les esprits interviendront continuellement dans la vie de Adrià et seront récurrents tout au long du livre. Plus que des mémoires, c'est une confession, d'où le titre " Confiteor ", qu'il rédige, depuis son enfance entre un père, antiquaire sans scrupule, qui a acheté à d'anciens nazis des objets de valeurs volés aux familles juives, acheté avec l'argent qu'il dérobait aux dignitaires de la dictature espagnole, dont ce violon mythique, un " Storioni ", divers tableaux, livres et manuscrits anciens, qui veut faire de lui un érudit et une mère qui rêve pour lui une vie de violoniste concertiste. Jaume Cabré a fait le choix d'une écriture déconcertante, mais qui s'avère grandiose et contribuera certainement à faire de ce livre un monument de la littérature contemporaine catalane. A partir des personnages, de leur rencontre, où à partir des objets, comme le violon ou un tableau, il déstabilise le lecteur en l'entraînant au milieu même d'un paragraphe dans une autre époque et dans un autre lieu, soit pour conter la vie du personnage, de l'objet, pour expliquer comment il est arrivé dans l'entourage d'Adrià Ardévol ou pour montrer ce qu'il représente. Cette méthode narrative correspond bien à celle d'un homme érudit pressé de raconter ses souvenirs qui se mélangent avec ce qu'il a appris, ce qu'il a lu et étudié, il ne les trie pas, les jette sur le papier tel qu'ils lui viennent, il ne fait parfois plus la différence entre lui et d'autres personnages, parlant de lui à la fois à la première et à la troisième personne. Dans la multitude de moments, de périodes, de passions, de sentiments, et d'événements qui font la substance de ce livre, on trouve une constante: la passion pour l'art, pour l'écriture, pour la musique, pour les livres, les manuscrits, la peinture, ainsi que celle pour les idées, les langues. Cela nous vaut de très belle pages par exemple sur la fabrication des violons de Crémone, y compris le choix des bois, la concurrence entre les luthiers, d'autres également sur les bibliothèques, notamment la transformation de la totalité de l'appartement en bibliothèque, très belles aussi les pages sur les manuscrits. La dénonciation des atrocités au nom du racisme, de l'antisémitisme, à travers le nazisme et l'inquisition, celle aussi sur le rôle de l'église pour exfiltrer les anciens SS et transformer les médecins tortionnaires des camps en prêtre docteur dans les hôpitaux de brousse en Afrique, celle également des profiteurs qui se sont enrichis en achetant les biens volés par les nazis leurs permettant
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Quelle expérience de lecture extraordinaire! Cabré offre un texte à la structure complexe. Bien que cela demande un travail de la part du lecteur (car il faut constamment trouver des repaires dans le texte), le plaisir d'être en contact avec une écriture remarquable nous accroche complètement. le chapitre intitulé « Palimpseste » est un bijou dans lequel Cabré superpose Grande Inquisition et nazisme de manière très fine. Confiteor est impossible à résumer, il aborde les questions du Mal, de l'amour et de la tromperie d'une manière intime et douloureuse qui m'a littéralement soufflé. À un certain moment, Adrià (le personnage principal) parle de la lecture de Proust qui change la vie du lecteur. Bien que dans une autre mesure, il en va de même pour Confiteor qui change la perspective par laquelle on aborde la douleur et les grands moments d'inhumanité de notre histoire.
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Ouf! je viens de lire ce pavé! Pour être honnête , je lis pour le plaisir et j'attends de la lecture du plaisir ,même si je suis prêt à faire des efforts pour aller chercher des satisfactions particulières.....J'ai trouvé par contre que Contifeor m' a demandé beaucoup d'efforts qu'il ne m'a apporté de satisfaction. Les livres à multi histoires liées et se déroulant à différentes périodes font légion ( mode?) et pourquoi pas mais quel est le sens et la valeur de basculer d'une phrase à une autre sans le signaler? on s'y fait une fois qu'on a compris le systeme mais bof, quel interet? Sur le fond du livre, je suis aussi dubitatif....quel est le theme? persecution des juifs? lien pere/fils, héritage lourd des parents à assumer? amitiés compliqué entre 2 hommes, conflit entre musique et litterature? difficultés à être un génie? .....finalement , je ne sais pas et suis rentré dans le livre en me réjouissant d'un héros ( Adria) dont le talent consistait à apprendre si facielement les langues et en final, ce fil n'a jamais été tiré par l'auteur pour en tirer un sens dans ses relations personnelles . Je ne décourage pas la lecture de ce livre qui sera un succès commercial , c'est certain...mais pour moi, plus un bluff de style ( que je trouve discutable) qu'un livre dont le fond restera dans nos mémoires;.....dans 10 ans
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Une narration sophistiquée et rare pour ce qui est peut-être LE roman de Barcelone 1936 -1986.
Publié en 1996 (et traduit en français en 2006 par Bernard Lesfargues chez Christian Bourgois), le huitième roman de Jaume Cabré est sans doute celui où se développent pour la première fois à pleine puissance, quinze ans avant "Confiteor", sa singulière maîtrise des techniques narratives sophistiquées et sa capacité à s'appuyer sur une structure de fond directement issue de la musique (ici, la trame suit le Concerto pour violon et orchestre d'Alban Berg - qui joue aussi un rôle romanesque important, que vous découvrirez le moment venu...).
Histoire d'une famille d'industriels du textile barcelonais, entre la fin de la guerre civile, le long règne de Franco et les premières années de la "transition", ce roman est aussi - peut-être surtout - celui du lien particulier unissant le narrateur, fils de famille ayant rejeté sans hargne mais fermement le mode de vie ancestral pour rejoindre durant de longues années la clandestinité de la lutte armée communiste anti-franquiste, et un oncle, greffon maudit de l'arbre généalogique, par qui transitent toutefois toute l'histoire et tous les secrets de la famille jadis puissantissime...
Au fil d'une histoire où, pour se présenter de manière feutrée, les rebondissements n'en sont pas moins spectaculaires, dans un jeu tourbillonnant de voix dont les origines et les locuteurs se confondent parfois, sans aucune part au hasard ou à la facilité, la difficulté de vivre face au mal, le poids du passé, la consolation possible par l'art, et le redoutable et extraordinaire pouvoir de la narration font leur entrée dans les univers de Cabré, vraisemblablement pour ne plus les quitter.
Un très grand roman, déjà, que "Confiteor" amplifiera et confirmera, en un sens, quinze ans plus tard.
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