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Citations de Jean Carrière (93)


Je me souviens de l'effet que m'avait produit le Quatuor en fa de Maurice Ravel. Et la Sonatine, plus encore. Ravel vous surprend, vous précipite dans le fil d'un discours déjà commencé, comme si vous ouvriez une porte sur une personne en pleine confidence fiévreuse - et vous savez immédiatement de quoi il est question, vous savez que quelque chose de grave et d'irréparable est déjà arrivé, le musicien n'a pris ni la peine ni le temps de vous y préparer. Ce début "en l'air", qui vous arrache au vol sur le quai comme un train lancé en pleine vitesse, me... m'empoignait avec la force d'une terrible découverte. Je crois, avec le recul, que c'était la découverte du Temps, dans son effrayante volatilité, et cette hâte déchirante avec laquelle une personne sur le point de mourir vous agripperait par le col pour vous dire : vite, vite, je n'ai que peu de temps pour vous raconter mon histoire, qui est aussi la vôtre... Tout est perdu, tout est perdu, mais je ne peux disparaître sans l'avoir dit, sans avoir parlé...
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S'il fallait supprimer de la surface de la terre tout ce qui ne sert à rien et obsède les hommes, on n'en finirait pas.
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Mais justement, le destin, providence aveugle, donne et ne donne jamais le petit coup de pouce que dans la direction où l'on penche.
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Vient un âge où l'épiderme dur aux épreuves l'est moins aux blessures d'amour-propre.
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La réalité qu'il descendait avec lui - bataille contre la montagne, ensemencée de grands horizons et de ce flottement incomparable d'aventure qu'apporte un immense avenir incertain - lui faisait oublier celle qui l'attendait en bas devant la porte, la réalité des lèvres pincées, nez triste, mains crochues, avides de manipuler autre chose que des promesses, et n'ayant que faire d'incertitudes lyriques : la réalité haineuse qui compte et qui spécule, congénitalement frustrée, criblée de convoitise comme une pelote d'épingles, ramenant tout à la propriété immédiate des choses, ladre dans le lit, devant la mort à qui l'on ne prête rien, ou du bout des lèvres, au cabinet, éternelles constipées refusant également de prêter quoi que ce soit au monde dont elles ne puissent par avance escompter un triste profit, perdant tout pour gagner une misère sur la misère et préférant l'épargne et la sagesse médiocre des bourreaux du portefeuille à la folie qui marche les mains dans les poches vides et qui emporte tout son bagage dans le creux de la tête.
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La plupart des gens paraissent toujours gênés quand on commence à leur parler du royaume de Dieu : ils ont suffisamment d'emmerdements avec celui de la terre pour ne pas avoir encore à tenir compte de considérations plus ou moins vaseuses sur les récompenses ou les sanctions aléatoires qui censées les attendre de l'autre côté de la tombe.
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Il ne s'agit pas de savoir ce qui se passera dans mille ans ; il s'agit de s'occuper de ce qui se passe maintenant ; est ce que nous sommes heureux ?
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Des animaux, se dit le docteur, la ressemblance parfois est frappante ; nous sommes des animaux.
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Adolescent, je tapissais les murs de ma chambre de toutes les photos de stars que je découpais dans les magazines : je me suis toujours blotti dans la beauté de ces créatures d’un autre monde – je parle évidemment des actrices – comme je me blottissais dans la musique ou la littérature. Victime d’un besoin frénétique de bonheur, je ne tolérais du monde réel que sa sublimation ou son exorcisme. Le cinéma exonérait ces divinités des lois ingrates de la physiologie auxquelles était soumise notre espèce. Je voulais également qu’elles fussent épargnées par le temps et par la mort. C’est donc à mi-chemin entre la réalité et l’imaginaire que s’enracinait ma dévotion pour ces femmes qui, par ailleurs, vengeaient en moi le dégoût que m’inspirait la suprématie – toujours coriace – des hommes sur les femmes. On avait beau professer devant moi que les femmes exerçaient sur nous un pouvoir occulte, dans l’Histoire et dans notre vie, je pensais que ce pouvoir était de même nature que celui de l’esclave sur le maître, selon la fameuse dialectique de Hegel. Mais jusqu’à ces dix dernières années, je n’avais jamais éprouvé le besoin de confronter ce qui n’était jamais que des images à leur original en chair et en os. Non pas que ce fût la crainte d’être déçu par la « présence réelle » (comme on dit de l’Eucharistie) qui me dictât cette attitude réservée, mais plutôt mon désir de ne rejoindre ces héroïnes que dans l’espace idéal d’un écran – le mot signifiant à la fois ce qui montre et ce qui dissimule – où les répliques tombaient juste, où les expressions, les gestes, les situations supplantaient,même dans le désastre, cette vie trop pauvre, trop relâchée, sans miracle, qui nous oblige à lui opposer sa transfiguration par quelque artifice que ce soit. Et Dieu sait si le cinéma, merveilleuse machine à rêver, se prête volontiers, comme la musique, à cette alchimie intime. Après un beau film, se retrouver sur un trottoir constitue une des épreuves les plus redoutables à laquelle je n’ai pu opposer que la deuxième séance de projection.

Et puis il y avait l’Amérique, cette « Belle étrangère » que j’avais envie de tenir dans mes bras comme une de ces femmes éblouissantes admirées sur l’écran, dès après la libération de la France par le débarquement du 6 juin. Que de vedettes américaines ai-je ainsi capturées dans le vaste filet de mes rêves, pêchées au hasard des films qui me laissaient ensuite désarmé, suffocant comme un poisson sur le sable. Puisque mon besoin de merveilleux y trouvait tout son compte, ...
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On devrait toujours écrire un pistolet sur la tempe. Au moindre faux pas le coup partirait. Ingéniosité, calculs, ruses, tout cela nous perdrait, quand l'ingénuité nous ferait marcher droit.
(incipit).
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A l'instar de Faulkner,son homologue américain ,Giono est le plus grand menteur de la littérature française du XXème siècle.Il ment comme il respire .Le mensonge n'est pas chez lui une seconde nature .C'est son élément naturel.
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les fils de bourgeois ne manipulaient pas les os de leurs ancêtres comme le faisait Abel Reilhan tout à l'heure avec tant de désinvolture, ni leurs veuves des suaires souillés : c'était plutôt les testaments qu'on manipulait avec désinvolture dans ces familles ou deux et deux font rigoureusement quatre, même devant un mort (mais cela revenait exactement au même).

page 166
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On s'est mis à table, moi à la droite de Mike, et à ma gauche une superbe fille qui sentait le musc et la savonnette et avait déchaussé son pied pour le passer sur ma cheville. La table était abondamment garnie.
Entre les orteils de la jeune Martine qui s'activaient sur ma cheville, je parlais un anglais misérable.
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J'ai demandé à Louise si nous chanterions encore tous les deux dans la nuit, et elle m'a répondu : "Bien sûr..."
a partir de là, tout s'est emballé très vite. On s'est baigné au milieu des marais, mais dés qu'on touchait le fond du pied, on sentait une vase molle nous glisser entre les orteils.
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Un printemps amer, sauvage, océanique, descendu d'Aquitaine plus que monté du sud, poussait devant lui de grands nuages rapides au ventre couleur d'ardoise, et secouait la forêt en faisant mousser du soleil haché sur les tapis d'or fin de l'herbe neuve.
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Eh bien quoi la pauvreté ? Vous avez tous ce mot-là à la bouche. Comme s'il ne vaut pas mieux manger une cèbe assis devant sa porte et en étant un homme libre, que de se nourrir de langouste en prison ; car enfin, ne me dites pas que ces gens-là ne sont pas en prison.
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Il demeura tout seul parmi ces jeunes Suissesses laiteuses; leurs mollets ronds, d'une rondeur enthousiasmante, succulents et charnus, leurs nuques frisottées, leurs lèvres pulpeuses mirent ses avantages en révolution. Il ne savait plus où donner des yeux, tant toutes étaient belles, et tant elles l'étaient du bout de leurs orteils à la tête.
Il se calmait. Ces filles tout de même... Elles étaient d'une autre race, elles respiraient la santé, la jeunesse.
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Le soleil décline dans le ciel circulaire ; l’ombre immense du plateau s’avance et engloutit la moitié du cirque. De l’autre côté, sur la crête du flanc éclairé, une bergerie en pleine lumière ouvre sur le vide une bouche et des orbites noires comme celles d’un crâne, ajoutant à cette solitude une attente mystérieuse.
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Tout était silencieux autour de lui ; le vent faible, presque tiède, agitait par bouffées caressantes les tiges des graminées au milieu desquelles il se trouvait; un peu plus loin montait dans la légère phosphorescence de la nuit l’immense tapis d’un champ couvert d’éteule. Pas un arbre, aucun buisson, rien que ce mouvement de la terre soulevée vers le ciel comme une grande vague lisse sur laquelle glissait la nuit.
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La première neige de l'année tomba en abondance vers la fin novembre. C'était une apparition précoce qui entraîna le haut pays, et presque tout le Sud dans un hiver sans précédent : pression inouïe du silence, calfeutrant de son étoupe le sang au fond des oreilles.
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