Citations de John Berger (110)
Chaque tyrannie trouve et improvise son propre ensemble de moyens de contrôle. C’est pourquoi souvent, au départ, on ne les reconnaît pas pour ce qu’ils sont : des moyens de contrôle odieux. […] La liberté se découvre petit à petit, non pas dehors, mais dans les profondeurs de la prison.
Et là j'attends.Il me traverse l'esprit qu'une tenda,pour autant qu'elle soit destinée à empêcher le soleil d'entrer ,peut aussi servir à contenir la douleur en soi ,et à cultiver la détermination.
Nous autres nageurs, nous partageons une forme d’anonymat égalitaire. Pas de chaussures, aucun signe de hiérarchie. Rien que nos maillots de bain. Si vous touchez par mégarde un autre nageur en le ou la dépassant, vous vous excusez. La cruauté sans limite à l’encontre de notre prochain, cette cruauté dont nous sommes capables quand nous sommes fanatisés et endoctrinés, est difficile à imaginer au moment où vous faites demi-tour et entamez votre vingtième longueur.
Il a tiré le rideau de la fenêtre pour laisser passer un peu plus d’air et de lumière, j’ai enlevé les attaches du portfolio et l’ai ouvert. A l’intérieur, il y avait une pile de toiles non vendues que Sven venait juste de peindre à la détrempe. Ouvert, le carton occupait presque toute la largeur du lit double. J’ai pris une toile et me suis arrangé pour la faire tenir contre le dossier de la chaise, au pied du lit. Sven est resté debout. Puis je suis retourné m’asseoir contre les oreillers avec précaution.
Ta voix fait plus de "s" que la moyenne. Elle siffle, ta voix manquante. Ta voix qui me manque plus que je ne saurais le dire.
La porte du garde-manger est ouverte, et à sa gauche j'aperçois le robinet au-dessus de l'évier, où je mets les pots de plantes pour les arroser. Ce soir, en rentrant, j'ai arrosé les deux jasmins - le polyanthum et et le nudiflorum jaune. C'est dans cet évier que tu te lavais les pieds. Jamais dans la bassine près de la douche. Tu enlèves tes sandales, tu te laves un pied, tu me racontes ta matinée, tu passes au second pied, et tu me racontes ton après-midi. En t'écoutant, j'imagine que c'est ta cheville et les os de tes pieds qui disent à ta main quoi dire à ta voix pour qu'elle me le dise à son tour. Voilà pourquoi j'ai envie d'embrasser chacun de tes cinquante-deux os de tes deux pieds.
En écrivant le mot cellule, je pense à celle, numéro 73, dans laquelle tu es enfermé ! Les mots n'arrêtent pas de mettre en rapport des choses improbables - en cela ils ressemblent à nos mères. Les mères essaient tout le temps de rassembler des choses ; elles sont le contraire d'une taule ! Ce qui n'empêche pas certains enfants de rester à vie les prisonniers de leur mère.
J'ai ce souvenir d'elle en train de peler et de couper des betteraves cuites, les mains tenant la racine ronde, le couteau court, ses doigts tachés par le cramoisi brillant des tranches. L'intensité de la couleur du légume répondait à l'intensité de son insistance à elle, dans tout ce qui relevait du quotidien et de l'immédiat.
(Lisboa)
Je t'ai laissé tranquille dès le début.
Je me sentais seul.
A ma grande surprise, mon fils, tu étais libre.
J'avais peur de tout. Tout m'effrayait. Et ça reste vrai aujourd'hui.
Bien sûr. Comment veux-tu qu'il en soit autrement ? On est soit sans peur, sans entrave - c'est-à-dire libre. On ne peut pas faire les deux.
Savoir allier les deux est assurément la quête de toute philosophie, maman.
Pourtant, ce n'est pas par la philosophie qu'on y arrive.
Elle se met à grignoter son gâteau préféré.
Parfois, l'espace de quelques instants, on y arrive par l'amour, ajouta-t-elle.
Tu y es arrivée, toi?
Une ou deux fois.
En disant cela, elle sourit. Du sourire de celle qui connaît le mot de passe.
(Lisboa)
En prison, l'imagination s'empare d'une forme de génie, qui est rarement pris en compte ou honoré à l'extérieur. L'imagination de chaque prisonnier alloue à ce génie une valeur et une place particulière, mais toutes les imaginations s'identifient à lui. C'est le génie à l'oeuvre dans l'évasion, le génie de ceux, rares, qui se "font la malle".
(Un homme en Lacoste)
Au début du siècle, en 1906, quand les révolutions et les troupes armées tirant sur les foules faisaient l’actualité en Europe centrale et orientale, un homme a fabriqué ce couteau pour que son Eva ne risque pas de se couper les doigts
Moi, je vais aux endroits où la peur n'existe pas, j'ai dit un jour à Luc.
La peur existe partout, a-t-il rectifié.
Pas là où je vais.
Là où il y a de la vie, il y a de la peur, il a répété.
Dans les coins que je connais il y a la mort, je lui ai dit, il y a la lutte pour la vie, il y a la nécessité de se cacher, il y a la nécessité de fuir, il y a la faim, mais il n'y a pas la peur.
Qu'est-ce qui fait courir un chien, alors?
L'envie de vivre.
Le rire n'est pas une réaction mais une contribution.Ce qui advient en vingt-quatre heures peut durer plus d'un siècle.
Chaque histoire raconte un accomplissement,sinon il n'y a pas d'histoire.
Le rôle de l'écrivain,dit-il,est de décrire une situation si honnêtement..que le lecteur ne peut plus s'en évader.
Parfois la nuit, lorsque j'entends hurler le vent, je me souviens. Il y avait très peu d'argent au village. Pendant huit mois nous travaillions le terre afin de produire juste assez pour manger, nous habiller et nous chauffer toute l'année. Mais en hiver la nature était comme morte, et c'est alors que notre manque d'argent devenait critique. Non pas qu'il eût fallu de l'argent pour acheter ceci ou cela, mais parce que l'argent manquait pour accomplir le travail même. C'est pour cela, et pas tant à cause de la neige, du froid et de la brièveté des jours, que nous devions rester autour du poêle à bois et vivre dans une sorte de limbes.
Au coucher du soleil, la forêt noircissait : ce n'est pas tant de couleur noire qu'elle s'emplissait, mais du mystère, de l'hospitalité du noir. La noirceur d'un manteau noir, d'une chevelure noire, d'un ventre qu'on touche pour la première fois.
Ed de l'Olivier, 2023. p. 15.
To be naked is to be oneself.
To be nude is to be seen naked by others and yet not recognized for oneself. A naked body has to be seen as an object in order to become a nude. ( The sight of it as an object stimulates the use of it as an object.)
(A woman) has to survey everything she is and everything she does because how she appears to others, and ultimately how she appears to men, is of crucial importance for what is normally thought of as the success of her life. Her own sense of being in herself is supplanted by a sense of being appreciated as herself by another.
La Mère : les femmes sont méchantes, chico, méfie-toi de leur breuvage. Toutes des sorcières, et des empoisonneuses. Elles ne songent qu'à vous ronger les coeurs et les cervelles.
Goya : Leurs seins sont si doux au toucher, la peau si blanche, la bouche comme un duvet d'oisillon, et les yeux, des charbons qui réchauffent.
Leandro : La musique ça berce les morts...