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Citations de John Berger (110)


Il y a longtemps, je pensais qu'on atteignait le point le plus proche de l'éternité au moment de la bénédiction ressentie après l'amour. Je dirais maintenant qu'on touche l'éternité en tendant l'oreille à une certaine rumeur, une rumeur qui vient de la rue, et qui nous vient de l'avenir, quand les rues seront pavées, les fusils rangés, et quand les pères enseigneront l'arithmétique à leurs fils.
Ton Aïda
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La Marquise de Sorcy de Thélusson, peinte en 1790 par David, me regarde. Qui aurait pu imaginer à son époque la solitude dans laquelle vivent les gens aujourd'hui, une solitude confirmée quotidiennement par des réseaux d'images sans corps, d'images fausses du monde? Pourtant cette fausseté n'est pas une erreur. Si la recherche du profit est tenue pour le seul chemin du salut, le chiffre d'affaire constitue la priorité des priorités et, en conséquence, l'existant doit être écarté, ignoré ou supprimé.
Aujourd'hui, tenter de peindre l'existant est un acte de résistance qui déclenche l'espoir.
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Pourquoi n'as-tu jamais lu un seul de mes livres ?
J'aimais les livres qui m'emmenaient dans une autre vie. C'est pour cela que je lisais. Et j'en ai lu beaucoup. Chacun d'eux parlait de la vraie vie, mais pas de ce qui m'arrivait à moi, avant que je retrouve mon signet et que je continue ma lecture. En lisant, je perdais la notion du temps. Les femmes se posent toujours des questions sur la vie des autres ; les hommes sont souvent trop ambitieux pour comprendre cela. D'autres vies, des vies passées, des vies que l'on aurait pu vivre. Et j'espérais que tes livres parleraient de cette autre vie, que je souhaitais seulement imaginer, pas expérimenter - imaginer par moi-même, toute seule, sans mots. Alors, dans le doute, il valait mieux que je ne les lise pas. Je les regardais derrière la vitrine de ma bibliothèque. ça me suffisait.
(Lisboa)
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Vient le moment(…) où l’attention, requise à mesurer et rassembler, change.
D’abord, on interroge le modèle (les sept iris) afin de découvrir des lignes, des formes, des tonalités que l’on peut tracer sur le papier. Le dessin accumule les réponses. Bien sûr, il accumule aussi les repentirs, après une remise en question des premières réponses. Dessiner, c’est corriger.(…)
Vient le moment(…) où l’accumulation se transforme en image c’est-à-dire qu’elle cesse d’être un amas de signes et devient une présence. Grossière, mais une présence. C’est là que notre vision change. On remet en question la présence tout autant que le modèle.
(…)
dessiner implique maintenant de soustraire autant que d’ajouter.
(…)
Ce soir, le dessin sera dans l’église, quelque part près de son cercueil.(…) ( de Marie-Claude)
Nous qui dessinons le faisons pour rendre visible quelque chose, mais aussi pour accompagner l’invisible vers sa destination indéchiffrable.
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On y voyait tout d'abord une foule sur un quai de métro. Toutes les stations de métro à Troie, ainsi que les banques, étaient sous surveillance vidéo. Les gens sur le quai attendaient une rame. Comme s'était l'hiver, ils portaient des manteaux et des gants. Sur le quai certains lisaient des journaux, d'autres, des écouteurs de walkman aux oreilles, battaient le rythme avec leurs jambes. D'autres encore promenaient un regard vide sur les passagers se trouvant sur le quai d'en face, de l'autre côté de la voie. Les gens rentraient de leur travail. C'était la même chose chaque soir.

Leurs visages étaient tristes. Ils n'avaient pas perdu la patience, c'est le coeur qui leur manquait. Peut-être leur revient-il quand ils arrivent dans les gares de leurs lointaines banlieues et qu'ils voient les fenêtres éclairées de leurs maisons, entourées d'arbres.
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« Les paysages peuvent être trompeurs. Un paysage semble parfois être moins un décor pour la vie de ses habitants qu’un rideau derrière lequel se déroulent leurs combats, leurs réussites et leurs malheurs.
Pour ceux qui se tiennent derrière le rideau en compagnie des habitants, les points de repères ne sont plus seulement géographiques mais également biographiques et personnels.
………………….. Les matins d’automne anglais ne ressemblent souvent à aucun autre matin dans le monde. L’air est froid. Le parquet est froid. C’est peut-être ce froid qui aiguise la saveur de la tasse de thé brûlant. Dehors, les pas sur le gravier crissent un peu plus qu’un mois auparavant en raison du très léger givre…….. Dehors, la lumière est douce et tranchante. Chaque feuille de chaque arbre se détache.
Elle était couchée dans un lit à colonnes : elle avait le visage couleur de cendre, les joues rentrées, les yeux fermés très fort sous l’effet de la douleur. »
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Le Jardinier : les arbres vivent plus longtemps que les lois.
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Goya : la fatigue... C'est comme la rouille, la fatigue. Elle pénètre les engins les plus nobles, elle ronge les espoirs les plus tenaces. Son effet, à la longue, c'est de céder au plus facile, au plus court, à l'immédiat. Elle prend son temps, la fatigue. Elle ne s'attaque à vous tout de suite, elle lambine. Mais elle finit par rappliquer, quoi qu'on fasse.
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Pour une femme, être amoureuse était un interrègne hallucinatoire entre deux propriétaires, le fiancé qui prenait la place du père, ou plus tard, éventuellement, un amant qui prenait la place du mari.
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« Les pays du Sud sont dans une situation un peu comparable, économiquement, à celle des SDF : ils étaient endettés ; en vingt ans, ils ont payé cette dette quatre fois, et maintenant elle est quatre fois plus importante qu’au début. La nouvelle pauvreté n’est pas un phénomène marginal du nouvel ordre économique mondial, mais au contraire absolument central. En Europe, où les SDF en sont l’expression la plus extrême, la plus visible, personne ne peut l’ignorer. Bien sûr, on peut fermer les yeux. Mais si on ferme les yeux, c’est qu’on a déjà vu quelque chose qu’on ne veut pas voir... Ici, en France, au fronton de chaque mairie, on lit les mots “Liberté Egalité Fraternité”. Ces mots d’ordre de la Révolution française ne sont plus respectés, et plus personne ne croit sérieusement qu’ils le sont. Mais il y a un résidu de ces idéaux éthiques chez les gens. On le voit à la manière dont ils réagissent à ce qui se passe dans le monde - quel que soit le sentiment d’impuissance qui les accable. Le fossé entre ces idéaux éthiques et la nouvelle pauvreté est si énorme, que je ne comprends pas pourquoi tous les écrivains ne s’emparent pas du sujet. Je ne comprends pas comment on peut éviter une réalité aussi écrasante. »
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Les autorités font systématiquement de leur mieux pour tenir les co-détenus mal informés de ce qui se passe ailleurs dans la prison planétaire. Elles n'endoctrinent pas au sens agressif du terme. L'endoctrinement est réservé à la formation de la petite élite des « traders » et des experts en gestion directoriale des entreprises et des marchés. S'agissant de la population globale des prisons, le but
n'est pas de les activer, mais de les maintenir dans un état d'incertitude passive, de leur rappeler impitoyablement que dans la vie, il n'y a rien que du risque, et que la terre est un endroit dangereux.

Ceci est réalisé au moyen d'une information choisie avec soin, accompagnée de désinformation, commentaires, rumeurs, fictions. Dans la mesure où l'opération réussit, elle propose et maintient un paradoxe hallucinant car elle amène la population d'une prison à croire, abusivement, que la priorité pour chacun d'entre eux consiste à prendre des dispositions pour veiller à leur propre protection et
à assurer égoïstement, bien qu'ils soient incarcérés, un moyen d'être exempté du sort commun. Cette image de l'humanité, telle qu'elle est transmise par le biais d'une vision du monde, est, à vrai dire, sans précédent. L'homme est présenté comme un lâche. Seuls les gagnants sont braves. En outre, rien n'est offert, il n'y a que des prix à remporter.

Les prisonniers ont toujours trouvé les moyens de communiquer les uns avec les autres. Dans la prison mondiale d'aujourd'hui, le cyberespace peut être retourné contre ceux qui ont été les premiers à l'installer. C'est ainsi que les prisonniers s'informent sur ce que le monde fait jour après jour, et qu'ils écoutent de nouveau les histoires supprimées du passé, et qu'ainsi, ils se retrouvent, épaule contre épaule, avec les morts.

Ce faisant, ils redécouvrent de petits dons, des exemples de courage, une rose solitaire dans une cuisine où il n'y a pas suffisamment à manger, des douleurs qu'on n'efface pas, l'énergie infatigable des mères, les rires, l'assistance mutuelle, le silence, la résistance qui s'étend sans cesse, le sacrifice volontaire, et plus de rires encore...

Les messages sont brefs, mais ils s'allongent dans la solitude de leurs (de nos) nuits.
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On arrive quelque part, seul. Alors on veut déballer ses souvenirs, qui sont aussi des rêves, et les accrocher au mur de sa chambre - comme des tableaux. Et, entre chaque tableau , on pense à placer un miroir imaginaire qui reflète son propre visage. C’est comme ça qu’on meuble une pièce avec le passé. Et pour un certain temps, ça peut même être une inspiration. Mais j’ai préfèré - même si je n’avais pas d’argent et si je ne connaissais que quelques mots de la nouvelle langue marcher dans les rues inconnues. Le regard de ceux qui m’ont remarqué - j’étais visiblement étranger - a été un défi et j’ai toujours accepté ce défi.
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Rappelons-nous que le temps, comme Einstein et d’autres physiciens nous l’ont expliqué, n’est pas linéaire, mais circulaire. Nos vies ne sont pas des points situés sur une ligne – une ligne amputée, de nos jours, par l’avidité du moment et un ordre capitaliste tel qu’on n’en a jamais connu. Nous ne sommes pas des points sur une ligne ; mais plutôt les centres de cercles.
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L’énergie des cabrioles de Chaplin est répétitive et cumulative. Chaque fois qu’il tombe, c’est un homme nouveau qui se relève. Un homme nouveau, qui est à la fois le même et différent. Le secret de son optimisme est sa multiplicité.
C’est cette même multiplicité qui lui permet de tenir jusqu’au prochain moment d’espoir, bien qu’il soit habitué à voir tous ses espoirs réduits en miettes. Il subit une humiliation après l’autre avec équanimité ; s’il contre- attaque, c’est toujours avec un soupçon de regret. Une telle égalité d’humeur le rend invulnérable – au point de sembler immortel. L’immortalité, nous la ressentons alors même que nous demeurons enfermés dans le cercle désespérant de notre quotidien, et la reconnaissons d’un rire.
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Quant on était ensemble, Sven et moi, on le prenait comme un honneur, presque une conspiration. Pas une conspiration contre nous. Dieu nous préserve. La conspiration était la nôtre : c’était notre nature de résister, lui dans sa peinture, moi dans l’écriture. Nous n’étions pas quelque part entre le succès et l’échec, nous étions ailleurs.
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Mon soudeur,
J'ai trouvé un livre sur les moteurs à turboréacteurs. Il était dans la poche d'une veste que tu portais dans le temps. Et la veste était dans la chambre des companeros, comme tu l'appelles. Tu l'avais enfoncée dans la charpente pour empêcher le vent du nord de s'engouffrer.
Je l'ai descendue parce que j'avais besoin d'un gros bouton pour un manteau que je suis en train de coudre pour Sahar. Tu as dû acheter le livre pendant ton séjour à Carthage. Il est en français, publié dans la collection Que sais-je ?
Le nom de cette collection m'avait fait rire, et continue de me faire rire des années après. Nous savons tout ce que nous avons à savoir, mais les mots n'y suffisent pas ! Ce que nous ne savons pas et ne saurons jamais, c'est ce qui va arriver à la minute qui suit.
Je prends le livre et il tombe ouvert sur un diagramme que tu as dessiné sur une page blanche. Sous le dessin, tu as recopié à la main le nom français des différentes pièces. Et je réalise soudain que je suis en train de lire un poème d'amour ! " Moteur de lancement et excitatrice > génératrice > chambre de combustion > turbine " !
Un poème d'amour ! Voilà l'effet d'une chasteté prolongée sur l'imagination !
J'ai détaché les boutons.

Ton
Acétylène
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Pour les prisonniers, les petits signes visibles de la permanence de la nature ont toujours été, et sont toujours, un encouragement secret.
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Elle était en deuil de son mari, mais plus encore de son fils qui avait été tué dans un accident de la route à vingt ans et quelques.Sa souffrance alors, qu'elle a étreinte pendant trente ans parce que c'était tout ce qu'elle pouvait étreindre de son fils, l'a rendue solidaire à tous ceux qui souffrent. elle rendaient visite aux malades. A ceux qui étaient en deuil. Sa douleur cherchait la douleur des autres, pour leur permettre de se tenir cote à cote.
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La singularité de chaque tableau étais jadis un élément constitutif du caractère unique du lieu où il se trouvait.
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Ignorez le bavardage des geôliers. Bien sûr, il y a les méchants geôliers et les moins méchants. Dans certaines circonstances, il est utile de noter la différence. Mais ce qu'ils disent, y compris les moins mauvais, c'est de « la merde ». Leurs hymnes, leurs mots d'ordre, leurs
termes incantatoires sécurité, démocratie, identité, civilisation, flexibilité, productivité, droits de l'homme, intégration, terrorisme,
liberté sont répétés et répétés dans le but de confondre, diviser, distraire et calmer la totalité des codétenus. De ce côté-ci des murs, les mots prononcés par les gardiens sont dépourvus de sens, et ne sont plus utiles à la réflexion. Ils ne pénètrent rien. Rejetez-les même de vos pensées intimes.
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