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Critiques de Jonathan Littell (328)
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Les Bienveillantes

Ecrire la critique des "Bienveillantes", voilà une tâche malaisée. Déjà, impossible de le faire à chaud, il m'a fallu attendre quelques heures afin de laisser retomber la pression.



L'oeuvre est monumentale, 1390 pages pour la collection Folio que j'ai attaquée (le terme est bien choisi) en mars pour l'achever en juillet, soit 4 mois 1/2 ! Certes, j'ai peu de temps pour lire et j'ai même mis le livre entre parenthèses une semaine pour lire une oeuvre plus "légère" (ceux qui l'ont lu comprendront la double signification de cet adjectif). C'était ma deuxième tentative, j'avais déjà essayé de le lire en 2008 mais un déménagement avait interrompu ma lecture, jamais reprise. Et puis, le bouquin était sur ma bibliothèque et de par son épaisseur tranchait dans le linéaire, semblant me narguer, me mettre au défi de... relever le défi ! Car lire "les Bienveillantes" relève quasi du défi !



Je mentirais si j'affirmais ne pas avoir été tentée à plusieurs reprises de balancer cette brique à travers la pièce. Il faut comprendre (et vous ne le comprenez vraiment qu'à partir du tiers de l'oeuvre) que deux histoires s'acheminent de concert vers le dénouement : l'Histoire (celle de la Seconde Guerre Mondiale vue du côté des bourreaux) et l'histoire du Dr Maximilien Aue, juriste enrôlé dans la SS, un homme au parcours personnel complexe qui pour moi a clairement des allures de névrosé psychopathe. Ses rapports à sa famille, à son enfance, à son entourage, à ses partenaires sexuels... aucun ne me semble équilibré hormis son rapport à son travail. Très professionnel, rigoureux jusqu'à l'intransigeance, maniaque quoi, le genre de type qui bosse un peu comme... moi ! Fort heureusement, le seul point commun entre mon travail et le sien est de trouver des solutions à des problèmes de fonctionnement interne pour accroître la productivité et fort heureusement pour moi, la productivité qui me concerne n'a rien en commun avec l'extermination d'une "race" humaine.



Pour être tout à fait honnête, celle de ces deux histoires qui m'a le plus intéressée n'est pas celle avec un petit "h" mais l'autre, la Grande, même s'il m'est pénible de donner ce qualificatif à cette sombre période. Pourtant, elle n'est pas si ancienne qu'elle soit déjà entrée dans l'ombre, et trop traumatisante pour pouvoir être oubliée. Elle ne doit pas être oubliée.



Mais je m'égare, revenons à l'oeuvre.

L'oeuvre est colossale. Rien qu'en termes de recherches, l'auteur mérite qu'on lui tire notre chapeau. Le style ensuite que j'ai trouvé parfois pesant mais le plus souvent vif, tranchant, chirurgical, une écriture au scalpel qui donne un rythme effréné salutaire car n'oublions pas qu'il y a quand même près de 1400 pages donc mieux vaut un style affirmé qui donne envie de tourner les pages !



Les points faibles de ce livre sont, je l'avoue, tous pragmatiques : lourd (à déconseiller aux poignets graciles et je ne recommande pas la lecture en position allongée), écrit sur un papier tellement fin que vous avez l'impression de tenir dans les mains votre stock d'OCB pour 10 ans, souvent impénétrable pour qui, comme moi, n'a jamais étudié l'allemand (oui, je me suis vite lassée d'avoir à me référer tous les deux paragraphes au glossaire en fin de pavé pour comprendre les différentes abréviations (inévitables quand il s'agit de nommer les services administratifs allemands!) et la correspondance des grades entre la SS, les fonctionnaires et l'armée).



Sinon, passés ces désagréments qui bien que réels ne doivent pas décourager le lecteur, le fond ne peut laisser indifférent. J'ai été emportée, et bien souvent malgré moi, dans une fascination glauque pour la narration du Dr Aue, aimantée par les descriptions d'atrocités qui couvrent des dizaines et des dizaines de pages, voulant à toute force comprendre, percer le mystère, aller au fond de cette mentalité, comprendre comment, par conviction politico-économique, par médiocrité, par pauvreté matérielle et intellectuelle, par endoctrinement, par vice ou par idéalisme, des millions d'hommes et de femmes en étaient arrivés là : croire qu'en exterminant les "ennemis du peuple", en "rayant de la carte" les "improductifs" et les Juifs, ils bâtiraient un monde meilleur, idéal, idyllique, base d'un système politique garant de la prospérité d'un peuple entier.



En refermant "les Bienveillantes" (et j'ai été particulièrement heureuse, en lisant la scène finale, d'être allée jusqu'au bout!), j'ai ressenti un trouble, une chute dans le néant, un malaise et, l'espace de quelques instants, l'impression d'avoir touché du doigt une vérité (l'une de celles qui composent l'Histoire) que je n'ai ressenti pour aucune oeuvre auparavant. Le dénouement tant attendu de ces deux histoires parallèles qui m'ont accompagnée dans ma lecture pendant presque 5 mois a été comme un éblouissement de toute l'oeuvre.



A lire dans son existence.
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Les Bienveillantes

5 étoiles pour la description de l'histoire de la Shoa. Le roman des "Bienveillantes" donne l'élaboration et les évolutions des camps d'extermination que je n'arrivais pas à entendre.

Le roman de Jonathan Litell ne m'a pourtant pas plu :

Jonathan Litell propose la vision d’un officier nazi, docteur en droit, qui subit son choix parce qu'il ne peut pas assouvir physiquement l'amour qu'il a pour sa sœur : l'explication m'a paru trop longue et irréaliste.

Il y a des personnages de l'ombre du pouvoir nazi improbables : Leland et Madelbrod.

L'histoire de la phonétique liée à l'histoire des flux migratoires aurait pu être très intéressante, mais n'aboutit à rien dans le roman.

Le personnage principal, choisit la culture allemande en rejetant la culture française mais sa musique préférée reste Rameau et son écrivain préféré reste Stendall. Le choix est un peu malheureux, la culture n'est pas que française ou allemande !

Il y a quand même quelques passages intéressants :

L’approche type BFM Business au sujet de l'exploitation des déportés juifs comme dumping économique pour les finances nazies me semble être une réalité qui n'a jamais existé dans la tête des nazis, mais cette vulgarisation contemporaine et froide permet de montrer la folie qui régnait dans l’administration allemande.

La tension dramatique est présente tout au long du roman, et la digression proposée par Jonathan Litell de croquer le nez du führer a été la bienvenue.



Le livre de Jonathan Litell est complémentaire aux romans policiers de Philippe Kerr, où son héros plus sympathique, Bernhard Gunther, navigue dans les arcanes du pouvoir corrompu de cette période noire.

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Les Bienveillantes

Ça y est j'ai enfin fini ce fichu pavé... pfiouuu la tête me tourne encore de cette avalanche de mots, de faits, d'allusions, de vitesse et d'accumulation.

Mais une question se pose tout de même: finalement est-ce un bon roman?

Pour quelqu'un qui -comme moi par exemple- bosse cette période depuis presque un an, qu'en penser?



Ben...



Euh...



Il y a quand même un problème...



Il y a quand même un problème parce que je suis désolé mais littérairement parlant (au sens strict du style) c'est un texte franchement assez faible: on ne sait rien de ce héros, rien de ses passions réelles, rien de sa biologie, rien de son intérieur, on ne ressent rien, on reste dehors... Par exemple une chose me frappe: il parle de sa bite pendant une petite centaine de page (en tout hein) mais ne la décrit jamais... Pareil est il brun? blond? Le style n'évoque aucune image précise, aucune sensation, tout reste à plat, vraiment trop à plat à mon gout.



Mais bien sur il y a du souffle; un ouragan de souffle même et les 1400 pages de l'édition de poche (1400 pages!!!) passent finalement assez vite.



Oui mais grâce à quoi puisque ce n'est pas le style qui fait tenir?



Et bien , il me semble que c'est surtout grâce à la foule de détails historiques qui inondent, encerclent, envahissent le roman. Pour être tout à fait méchant le vrai écrivain de ce livre me semble être plus l'Histoire que Johnny Little lui même. Finalement Johnny n'a fait qu'"inventer" des raisons ""plausibles"" pour que son héros se ballade de Berlin à Stallingrad puis à Berlin puis a Auschwitz puis à Berlin (jusque dans le bunker du führer) puis à survivre...

Or, si je mets des guillemets c'est que la seule solution trouvée par Johnny est d'évoquer la carrière erratique d'un seul homme protégé de façon tout à fait in-croyable (au sens propre!) par un meilleur ami qui ressemble fort à "l'adversaire" (même si cette idée n'est même pas évoquée!) et qui surgit toujours à temps puis par une paire d'oncles qui ressemblent a s'y méprendre au docteur Mad de l'inspecteur gadget (un peu relooké à la sauce Gattaca...) Bel effort!!! pfiouuu il a du en suer des litres de café pour pondre ça!!! Du coup hop comme par magie, le Maxi Aue il est toujours où il faut quand il faut...pratique...



Quand je dis où il faut quand il faut, c'est à dire qu'à partir de cette trame ultra légère, little nous livre alors un condensé de ses lectures averties. Ainsi, plus que de lieu en lieu, Aue se ballade de livre en livres, évoquant chapitre après chapitre des bouts assumés des grand témoignages de l'époque (ainsi pour ce que j'en ai clairement repéré : il a pompé sans vergogne la bio de hoess "le commandant d'Auschwitz parle" et "si c'est un homme" de levi).

(Note: je n'ai pas encore la bio de Speer mais pour ce que je sais de lui apparemment il y en a aussi de bons gros bouts tout le long du roman...)



Par exemple la référence à Levi est tellement énorme que des que Aue s'est approché d'Auschwitz (comme par hasard Auschwitz, hein, pas Treblinka dont on a peu de témoignages) cela devenait comique et je me demandais jusqu'où il irait ( croiser Levi dans l'usine de chimie ? Lui offrir une cigarette? Réciter du Dante avec lui?) et évidemment la réponse tombe assez vite: au moment de la libération on sait que Levi était dans l'infirmerie de Auschwitz (et c'est ce qui lui a permis de survivre) et ben paf! comme par hasard Aue est celui qui va empêcher le directeur du camp de flinguer tous les infirmes dans l'infirmerie (waoouh); plus fort encore Levi décrit qu'au moment de l'évacuation du camps il a peu vu de SS et évoque (dans "si c'est un homme") avoir à peine vu de loin une moto SS traverser le camps alors qu'il fouillait les décombres pour chercher des vivres... et ben re-paf! Aue traverse le camps et aperçoit de loin un détenu fuir entre les baraques!!! Mais où little est il allé chercher tout ça??? Quelle imagination de dingue!



Ainsi pour ceux qui, comme moi, commencent a avoir fait un peu le tour des livres de cette époque, les bienveillantes apparait donc avant tout comme une bonne compilation, un résumé facile à lire de l'Allemagne nazie en 1400 pages...



Mais cela en fait il un roman? En quoi little est il responsable de cette trame? Quand on pompe a ce point les autres textes sur la période, fait on encore du travail de romancier ou un simple ouvrage de vulgarisation pour grand public? Parce qu'il a écrit une bio de Napoléon passionnante, peut-on considérer Max Gallo comme un bon romancier?



La réponse la plus évidente a cette question me semble résider dans le style, dans le regard dans le questionnement personnel que l'auteur pose alors sur ces faits... Mais là justement...



Mais là justement , désolé, mais dés qu'on lui retire les béquilles de la réalité historique, le style de little fait plouf. Les rares parties qui ne sont pas très droitement argumentées sont franchement mauvaises, peu inventives (dés qu'il a une période de jonction un peu trouble, hop là on fait faire un délire au héros comme ça pas de soucis Aue s'endort à Stallingrad et se réveille à Berlin et le tour est joué)... et je ne parle même pas de la fin qui est totalement absurde et tellement mauvaise que même wrath aurait fait mieux (pourquoi ne pas avoir coupé cette fin? Après tout ce récit pouvait très bien rester inachevé...)...



Et puis et puis il y a le personnage central: Aue.



Finalement qu'est ce que c'est que ce personnage? En quoi croit il? Quelles sont ses passions? Pourquoi avance-t-il? mystère... De toute façons même son histoire, au bout des 1400 pages n'est pas finie (a t il tué ses parents oui ou non? Pourquoi est il circoncis alors qu'il est catholique ? Qui est son père? Qui sont les deux gosses?... En plus d'avoir du mal à inventer des question little ne prend même pas la peine d'y répondre...)



Apparemment le seul défaut majeur de ce héros est qu'il aime se faire enculer (ouuuuh perdition!) et qu'il a et veut de nouveau coucher avec sa sœur... mais a part ça rien. A part ça c'est juste un gars qui veut bien faire son travail. Pour moi le seul coté original de ce personnage est alors qu'il saisit (pour une fois) bien la pensée nazi envers les juifs : il ne déteste pas le juifs en tant que tel mais qu'il est simplement persuadé de la supériorité de sa race pour laquelle les juifs sont un danger. La solution finale est donc simplement présentée comme une réaction naturelle d'autodéfense (pour les nazis j'entends...), ce qui me semble tout à fait juste historiquement.



Après il y a aussi des passages qui m'énervent carrément: tout d'abords évidemment Aue est un pervers sexuel qui aime se faire prendre... A bien tiens, il y avait longtemps qu'on ne nous l'avait pas fait celle là!! le liens entre les nazis et les pédés... En plus, en lisant les critiques de la presse, je trouve assez drôle que toutes les journalistes se fixent sur sa prétendue homosexualité... mais pas du tout sur son désir d'inceste qui lui passe comme un lettre à la poste (!) Vouloir cacher avec sa sœur est moins grave que vouloir coucher avec son voisin et/ou s'enfoncer une saucisse de Francfort dans le cul (sic!) je le note...



Ensuite, évidemment, notre petit little, dont les racines américaines affleurent souvent je trouve (cf plus loin) comme par hasard n'assume pas vraiment un héros vraiment antisémite... Un héros qui prendrait son pied à tuer des juifs et qui le dirait dans notre monde puritain et bien pensant qui trouve des raisons excusables à tout, non ce n'est pas possible... Un SS, responsable de l'élimination des juifs, qui se foutrait de tuer (voire y prendrait du plaisir?) vraiment c'est pas possible et surtout commercialement commercialement ce serait un suicide... Alors comme l'idée lui plait bien quand même, jonhy réussit le tour de force de faire de son héros le seul SS qui se bat pour... que les conditions de détention des juifs soient améliorées!!! Un gentil SS quoi...



Si madame!!! God bless américa et le manichéisme!!



Note: En plus finalement le plus drôle est qu'on se rend compte que Aue le fait pour des questions de main d'œuvre, de productivité... ce que je trouve d'un cynisme parfait même si je ne suis pas sur que Johnny l'assume a 100%, ou en tous cas qu'il se rende compte de ce qu'il raconte... et qu'il met le bon vieux pragmatisme américain au même rang que les techniques nazies... et dont les bénéfices moraux ne sont qu'un artéfact involontaire...



Personnellement (comme vous le savez peut être) je suis plutôt nihiliste et je nie la morale commune. Alors cette volonté absolue, presque inconsciente, de trouver des justifications à un personnage qui n'en a pas besoin m'ennuie profondément. Et m'ennuie d'autant plus qu'elle enlève tout ce qui aurait pou faire le sel de ce roman.



Ainsi je crois que j'aurais aimé lire, tant qu'à faire, Patrick Bateman devient SS.



En effet pour moi le livre dont les bienveillante se rapproche le plus est "american psycho" (les mémoires d'un homme seul, proche du pouvoir, qui pète un plomb dans un univers d'ultra violence...). la ressemblance se poursuit même dans cette incapacité assez propre au roman américain contemporain (en particulier bee, wolfe et macinerney) d'évoquer la biologie, la vie du corps, de nier la réalité corporelle des héros...

Sauf que Bee a créé de toutes pièces un univers en prenant les éléments marquants des années 80 sans chercher à en faire un musée délirant et assume totalement la folie et le nihilisme de son personnage... et fait un bon roman là ou little ne nous fait qu'une compilation fade des meilleurs livres sur les années nazies.



Mais peut être que Bee se sert des éléments extérieur comme des outils pour faire sa sauce, là ou little fait sa sauce en prenant uniquement des éléments extérieurs; peut être alors que BEE est un bon romancier là ou little euh... on attendra le (vrai) deuxième pour être sur...



en conclusion les bienveillantes mérite son statut de monument littéraire. C'est une somme, une somme utile sur les années nazies. Cependant je regrette, qu'embourbé dans ces références Jonathan Littl ait apparemment oublié d'écrire un peu de littérature...



Mais personne n'est parfait. Les bienveillante est donc à lire. Pour la fond mais pas pour la forme.



Gwynplaine.



ps : étrange tout de même la similitude de thème entre celle développés dans l'opprobre de Millet (éditeur des bienveillante) et certaines thèses du livre : les musulmans ont aidés les nazis, l'homosexualité est une tare...



Qui se ressemble, s'assemble?
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Les Bienveillantes

Une collègue, grande lectrice, me l'avait conseillé, bien avant que le tapage médiatique soit fait autour du phénomène Littel. Il y avait d'ailleurs beaucoup de critiques à l'époque. Je me suis mis à lire ce pavé et pris par le temps et le plaisir, j'ai étalé ma lecture sur six mois, pour savourer chaque page de ce monument. En le refermant, je me suis dit que je venais de lire un livre qui ferait date dans l'histoire de la littérature.

Ce roman me fait penser aux Misérables. Il se veut, comme Hugo, un roman-bible, avec tous les genres romanesques abordés. A travers le roman historique, on passe du roman plolicier au roman psychologique et même au roman sentimental. Il y a de longues descriptions, notamment de Berlin, qui font penser aux descriptions Balzaciennes et une histoire incroyable, avec des passages effroyables sur l'extermination du peuple juif ou la souffrance de Stalingrad.

Mais Littel a surtout réussi un roman à clef. Il faut plusieurs clefs pour le comprendre, pour entrer dans cette lecture. D'abrord une bonne culture historique (certains passages sont longs), littéraire et linguistique (l'analyse des langues slaves m'a vraiment impressionné, tout comme l'incipit repris à Dante et sa Divine Comédie), ensuite une clef pour comprendre (et accepter) le personnage principal. Je vous renvoie à ce bain qu'il fait dans la Mer Noire et où un allemend le questionne sur son appendice et sa forme: tout le mystère de ce personnage, jamais dévoilé, est ici. Enfin, il y a le titre, les bienveillantes étant des divinités grecques, les Euménides ou Erynies, qui persécutent les hommes et donnent un autre sens au roman.

Bref c'est un roman inépuisable, une somme de recherche incroyable, à tel point que je me suis souvent posé cette question: est-ce cet écrivain inconnu qui l'a vraiment écrit, ou n'est-ce pas le véritable récit d'un autre écrivain, peu-être plus célèbre et disparu?

Ce roman est un mystère à lui tout seul, comme cet écrivain fantôme et le lire pose plus de qestions que de réponses mais quel bonheur de lire un livre si abouti!
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Les Bienveillantes

En premier lieu, je dois vous dire que je me suis forcé au départ. J'avais pourtant réuni de bonnes conditions de lecture ; les thrillers récents étaient lus et en août, le programme de la télé était comme un encéphalogramme plat.



Littell nous avait dit : " Vous possédez un pouvoir sans appel, celui de fermer le livre et de le jeter à la poubelle" et plusieurs fois j'ai failli le faire tant ce texte est dense. L'auteur ne nous en facilite pas la lecture ; la taille du livre pourrait permettre de caler une armoire à laquelle il manquerait un pied. Les mots allemands sont nombreux, même si un glossaire en fin d'ouvrage nous donne leurs significations, il n'en demeure pas moins que les weltanschauungsgegner, c'est-à-dire les adversaires de l'idéologie, sont des obstacles à une lecture fluide. D'ailleurs, rien n'est facile durant ces 894 pages, ni le point de vue du narrateur qui nous guide tout au long du roman ni les descriptions qui lorsqu'elles ne sont pas crasseuses, pouilleuses, pourries, sont pestilentielles. Ailleurs, c'est la folie sexuelle qui s'exprime en un délire onirique, avec une débauche calée sur le traitement infligé aux juifs.



On sort cabossé de cette lecture que l'on peut ne pas aimer. Rien n'est romanesque dans cette fiction pour laquelle l'auteur a étudié deux ans les archives écrites, sonores ou filmées de la guerre et du génocide.

Le texte réussit pourtant à créer une sorte de fascination qui nous conduit jusqu'au bout. Le récit de Maximilien Aue nous interpelle et son incipit résonne en fin de lecture : "frères humains , laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé."





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Les Bienveillantes

Un livre qui m’a bouleversée, un livre trop long, mais qui mérite quand même les cinq étoiles pour l’ampleur de la documentation sur la Seconde Guerre mondiale ainsi que pour les émotions et les réflexions suscitées.



Dans ce pavé, j’ai trouvé une façon différente de voir les soldats allemands. Ce qui les motive, ce n’est pas nécessairement la propagande, la foi politique, l’antisémitisme ou l’appartenance à l’uniforme, c’est souvent l’obéissance dictée la peur ou simplement l’ambition sociale. J’y ai vu des soldats qui ont mal au ventre, dont l’estomac est rongé par la honte ou le dégoût d’eux-mêmes, des hommes qu’on gave d’alcool pour émousser leur raison et insensibiliser leur cœur pour qu’ils puissent continuer à tuer, des Allemands qui se suicident ou qui sont fusillés parce qu’ils refusent d’exterminer encore des petits enfants.



La question amenée dès l’introduction m’a aussi dérangée : qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce que vous êtes sûr que vous auriez pris de meilleures décisions, au risque d’être un héros mort ? Lorsque la machine du mal est enclenchée, que peut faire un homme seul, lorsqu’obéir ou mourir est les seules alternatives ? Qu’a fait votre grand-père, que ferait votre fils dans la même situation ?



Heureusement, le personnage principal n’est pas vraiment sympathique, ce n’est pas quelqu’un auquel on a envie de s’identifier. Aussi, certaines incongruités nous laissent parfois sentir que ce n’est qu’un roman. On pourrait presque se rassurer et faire comme si tout ça n’était qu’une histoire d’horreur inventée…



Un gros livre, un ouvrage lourd, qui demande une certaine patience ainsi que le goût de connaître l’Histoire même dans ses plus épouvantables replis.

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Les Bienveillantes

Et puisque je suis dans Les Bienveillantes, livre qui m'avait beaucoup perturbée, sur le fond bien sûr-comment ne pas l'être- mais aussi parce que je ne comprenais pas du tout le raisonnement de Jonathan Littell, et ce qu'il voulait dire, un nième commentaire.



Ces presque 900 pages ( et c'est écrit petit...) ne s'oublient pas en passant à autre chose. Ne s'oublient sans doute jamais ainsi que cet cet univers ( dans lequel j'avais eu bien du mal à entrer d'ailleurs...)

Ce récit est composé comme une suite musicale. Le premier chapitre est très court, 30 pages. Intitulé Toccata. Une vraie claque, qui pourrait suffire, on pourrait s'arrêter là, et beaucoup de choses seraient dites.

"Comme la plupart, je n'ai pas demandé à être un assassin. Si je l'avais pu, je l'ai déjà dit, j'aurais fait de la littérature... Qui, de sa propre volonté, à part un fou, choisit le meurtre? ....Il est des hommes pour qui la guerre, ou même le meurtre, sont une solution, mais moi, je ne suis pas de ceux-là, pour moi, comme pour la plupart des gens, la guerre et le meurtre sont une question, une question sans réponse, car lorsqu'on crie dans la nuit, personne ne répond. Et une chose en entraine une autre..... dire que s'il n'y avait pas eu la guerre , j'en serais quand même venu à ces extrémités, c'est impossible. Ce serait peut-être arrivé, mais peut-être non, peut être aurais-je trouvé une autre solution........ Je suis un homme comme vous. Allons, puisque je vous dis que je suis comme vous!"



Voilà, si on s'arrête là et qu'on considère que le reste de ce roman n'est qu'un développement de ces quelques phrases ( je mets de côté la documentation, exceptionnelle, que même les détracteurs ont louée), on se retrouve dans un récit extrêmement bien fait dont la seule part fictionnelle est le personnage central, ce Max Aue , un homme brillant, cultivé, pas du tout antipathique, né à un mauvais moment à un mauvais endroit, et qui s'est retrouvé coincé parce que les circonstances historiques avaient permis la prise de pouvoir par un fou furieux.

Ce personnage nous met en face de nos responsabilités , qu'auriez-vous fait, vous? nous dit-il, on prend ça dans les gencives, on repense à Steiner qui se posait toujours la même question de savoir comment on pouvait aimer la musique classique et assassiner des enfants, à l'intelligence d'Hannah Arendt, très fine et précoce analyste.

Et puis, Littell, dans ses entretiens, dit toujours la même chose: quand il était enfant, sa grande peur était qu'on l'envoie au Vietnam tuer des enfants..



La conclusion logique de tout cela, c'est une sorte d'acceptation du destin, la guerre est à l'origine de tout, il s'agit d'un parcours individuel qui s'inscrit en quelque sorte dans une folie collective ......

Oui.... sauf que ce n'est pas si simple. Enfin, je ne crois pas que ce soit ce que Jonathan Littell veut faire comprendre. Il y a des mots qui me semblent essentiels dans le discours initial du narrateur, ce livre , je l'ai repris tant cette assimilation , qui a fait couler beaucoup d'encre, me gênait. Le narrateur, , il ne faut jamais l'oublier, est un personnage fictionnel. . Et qu'est donc ce Max Aue, sinon un psychopathe typique? Un personnage figé à un stade très précoce affectivement, qui n'a jamais su ( à sa décharge, n'a jamais pu...) dépasser une passion fusionnelle et incestueuse avec sa soeur jumelle, qui tue sa mère quand celle-ci tente de le faire accéder à certaines vérités, dont le corps se repent par des somatisations diverses, mais l'esprit jamais, qui se sort de ces horreurs auxquelles il a directement et volontairement participé sans remords, en relativisant les chiffres et en faisant quelques calculs, intéressants mais sordides sur le nombre de morts juives par rapport aux morts soviétiques, allemandes, etc, et qui nous annonce d'emblée qu'il est marié, a des enfants , et qu'il dirige une usine de dentelle...... Ah oui, il a encore bien des soucis digestifs, il fait quelques cauchemars, aussi, mais bon, il vit........

Et donc, cet homme, brillant, intelligent, qui n'a rien d'une brute épaisse, ne serait qu'un des maillons de cette responsabilité collective? Pas d'autre choix?

Hum..... Ce n'est pas ce qu'il dit ailleurs, et c'est en cela que Jonathan Littell est très malin.....

" Moi aussi, j'aurais pu demander à partir, j'aurais sans doute même reçu une recommandation positive de Blobel ou du Dr Rash. Pourquoi ne le faisais-je pas? Sans doute n'avais-je pas encore compris ce que je voulais comprendre. Le comprendrais-je jamais? Rien n'était moins sûr. Une phrase de Chesterton me trottait par la tête: Je n'ai jamais dit que l'on avait toujours tort d'entrer aux pays des fées. J'ai seulement dit que c'était toujours dangereux. C'était donc cela, la guerre, un pays des fées perverti, le terrain de jeux d'un enfant dément, qui casse ses jouets en hurlant de rire, qui jette gaiement la vaisselle par les fenêtres?"

On n'est plus dans la responsabilité collective, là, ni dans la nième description de ce que la guerre peut faire des hommes. On est dans l'individuel, la folie individuelle, la responsabilité individuelle aussi, et les actes qu'un tel individu est capable de faire dans une guerre ...Bref, je ne suis pas certaine d'être très claire, mais je trouverais très dommage que l'on généralise , que l'on banalise, à partir de ce très important et très réfléchi roman les folies meurtrières de certains.... Cela n'enlève rien à la responsabilité collective, bien sûr, qui était réelle, mais un autre problème......



J'ai donc lu depuis la très brillante analyse de Daniel Mendelsohn , dans Si beau, si fragile,qui m'a un peu mieux expliqué ce livre...
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Tchétchénie, An III



Jonathan Littell a visité pendant 2 semaines, fin avril-début mai 2009, la Tchétchénie pour faire le point de la situation d’un pays qui a connu dans les années 1990 deux guerres, qu’il avait suivies de près et sur place.

Malgré une demande préalable, en passant par les services d’information du Kremlin à Moscou l’année précédente, un entretien avec le président de la République, Ramzan Kadyrov, n’a pu avoir lieu "faute de temps" de ce dernier.



L’auteur, selon sa propre affirmation, en préface de son ouvrage sur la 3ème année du règne de Kadyrov, a pratiquement "entièrement récrit" son texte pour tenir compte de l’assassinat de la collaboratrice du Memorial russe des droits de l'homme, Natalia Estemirova, le 15 juillet 2009, ainsi que d’autres "éliminations" qui l’ont suivi.



La Tchétchénie, une république russe de 1,4 million d’habitants sur une surface d’un peu plus de la moitié de celle de la Belgique, soit 17.300 kilomètres carrés, a occupé depuis 1991 une place dans les chroniques de la presse mondiale sans rapport à son rang ni sa taille.



L’histoire récente et la situation actuelle de ce pays sont effectivement toutes sauf simple et c’est justement pour y voir un peu plus clair que j’ai lu cet ouvrage d’un auteur qui sait de quoi il parle et qui a le don de s’expliquer clairement.



L’approche de l’auteur de "Les Bienveillantes", un monument littéraire, ressemble à celle préconisée par lui dans son ouvrage "Carnets de Homs" par exemple, des notes publiées après son passage en Syrie en 2012 : un style direct sans ambitions littéraires et fioritures dans un but purement informatif.

Dans la tradition d’ailleurs du style de plusieurs livres de son père, Robert Littell, tels "L’amateur", "Les sœurs" et surtout "La compagnie" sur la CIA.



Le résultat est un ouvrage court de 140 pages avec un glossaire fort utile en fin de volume, dans lequel Jonathan Littell nous livre le résultat de sa visite et tout particulièrement de ses entrevues avec une série de témoins privilégiés tant à Moscou qu’à Grozny.



Sans vouloir entrer dans le détail ici, disons que si, à première vue, la situation en Tchétchénie semble s’être amélioré depuis l’avènement au pouvoir de Ramzan Kadyrov en février 2007, grâce à ses travaux considérables de rénovation d’avant tout la capitale du pays, ravagée par 2 guerres atroces, et d’un peu moins de violence, en apparence, par les services de police à affectation spéciale, comme l’OMON ("Otriad Militsii Osobovo Naznatchena") et les forces de sécurité loyales au chef, les Kadyrovtsy.



Mais ces progrès manifestes et visuels, comme la pharaonique Grande Mosquée de Grozny (une copie de la Mosquée bleue d’Istanbul), ne sauraient cacher le fait qu’il s’agit d’une dictature violente, qui supprime toute opposition, et où la corruption est devenue endémique. Grozny a comme Moscou ses potes oligarques, en Tchétchénie des ploucs aux grosses Rolex.

Comme l’a résumé un témoin à l’auteur : "L’enfer est devenu confortable , mais c’est toujours l’enfer".



À propos de la mort de Natalia Estemirova, il y a une ressemblance avec l’assassinat d’Anna Politovskaïa en octobre 2006, sa grande amie, sauf que Natalya a, en plus, été traité devant des journalistes de "pute" par l’honorable Kadyrov, parce qu’elle refusait de porter le voile en public.



C’est le père de l’actuel président, Akhmad-Khadidzhi Kadyrov, qui a été installé sur le trône à Grozny en juin 2000 par Poutine, et le même Poutine qui a arrangé la succession du fils après le meurtre du père en mai 2004. Ce qui explique que le "soutien de Poutine reste le pilier central sur lequel tout l’édifice repose".



Comme l’a formulé un autre témoin à Jonathan Littell : "Nous sommes devenus un simple sujet de la Fédération de Russie. Ni plus ni moins."

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Les Bienveillantes

Relire Les Bienveillantes, poursuivi par Thomas à bord de son dirigeable Goodwin, chargé de chevaux morts, recouvert de cendres...

Ou comment replonger dans ce livre d'une absolue et sublime ignominie.

En mode "lecture rapide", ayant déjà affronté la litanie des grades, des lieux et des morts ; pour se concentrer, et voir ce qu'il en restait, de ces longs passages hallucinés :

la blessure à Stalingrad, le lent et cauchemardesque chapitre "Air", cette maison au fond du chemin que l'on ne pourra jamais oublier; et finalement décider, pour soi, et, à travers cet entrefilet, pour ceux qui le désirent, si ce livre mérite le statut de chef d'oeuvre ou d'imposture, plus rien n'étant possible entre les deux.

Le zoo qui clôt cette tragédie, les Bienveillantes, toujours à notre poursuite, le livre rangé sur l'étagère la plus inaccessible ; rester là, dévasté.
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Les Bienveillantes

Troisième lecture des Bienveillantes depuis 2006...Je n'ai jamais réussi à en faire la critique tant l'oeuvre me paraît puissante...Une sorte d'Everest...

Jonathan Littell plante profondément ses griffes dans la civilisation occidentale, jusqu'à la Grèce antique, pour trouver les racines du mal, et, il me semble à présent, réécrit plutôt l'Orestie dans le contexte de la seconde guerre mondiale qu'il ne fait l'inverse (la guerre saupoudrée d'allusion au mythe d'Oreste et des Atrides)...Les grands berceaux de la civilisation, la Grèce, mais aussi la France des Lumières, omniprésente dans la culture du narrateur, notamment par son amour de Rameau, ses lectures philosophiques, sa passion pour Watteau, toute son éducation dans les classes préparatoires parisiennes, la pensée kantienne, son impératif moral, le développement de la science au XIXème siècle, Darwin, physique, chimie, médecine, transport, armement, tout le progrès de la pensée et de la connaissance depuis Socrate se retrouve convoqué au grand tribunal de l'après-guerre, l'autre tribunal de Nuremberg, celui qui juge l'homme occidental moderne et qui le déclare : fondamentalement mauvais. Et sa civilisation : perverse. Dominatrice, impérialiste, exterminatrice,sans pitié, monstrueuse. Les allusions sont nombreuses aux exterminateurs qui ont précédé les nazis : la conquête de l'Amérique par les Occidentaux, le génocide parfait, admiré par Hitler et pris comme base de travail par Eichmann (exil, extermination, réserves indigènes...), la colonisation par la France, l'Angleterre, la Belgique de l'Afrique ou de l'Asie (l'Allemagne n'a pas assez d'expérience en ce domaine, pense le narrateur, d'où ses ratés au début en Ukraine...), la révolution bolchévique et ses grands massacres etc...

Les mille-quatre-cents pages du roman interrogent l'homo occidentalis dans sa conviction d'être l'incarnation de la raison, de la science, de la Loi, du progrès infini de la pensée humaine. Il interroge donc la pensée même où nous vivons depuis la renaissance, elle-même répétition de l'antiquité gréco-latine : la raison humaine est le coeur du système, et elle est bonne. L'homme est bon, disent les Lumières, il faut l'éduquer et il donnera la pleine mesure de sa bonté. La science marche avec cette raison, et elle améliorera le sort de l'homme, dit le XIXème siècle. Et les deux guerres mondiales apportent un démenti farouche à cette idée. Les discours des nazis très éduqués de ce roman montrent comment la raison peut être aisément pervertie, comme il est facile de la retourner pour lui faire dire n'importe quoi, ainsi qu'à la science. Tout est léger dans notre cerveau, nous nous prenons très au sérieux,mais nous sommes idiots : à l'impératif catégorique de Kant, je peux faire dire n'importe quoi, car à quelle loi obéit-il ? A La loi du führer, qui est la loi du Volk allemand, donc, comme la loi du Volk allemand est l'unique Loi, ce que dit le führer est l'impératif moral et permet l'assassinat des Juifs et de tous ceux qui s'opposent au Volk. CQFD.

Darwin : le plus faible doit mourir, c'est une nécessité. Merci Darwin. Etc etc...Les syllogismes s'enchaînent, justifiant le pire, avec des imbéciles armés jusqu'aux dents, comme dirait l'autre. Que reste-t-il de l'homme des Lumières ? Du philosophe grec, du scientifique ? Cendre et poussière. Nous vivons dans un monde post-apocalyptique, depuis la Shoah, depuis Hiroshima. Nous avons tout détruit, nous avons tué nos parents, nos frères, nos soeurs, et, comme Max Aue, Oreste, le narrateur, nous délirons tellement que nous ne le savons même pas.
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Les Bienveillantes

un pavé, tant par son contenu que par le nombre de pages, jeté dans la mare; un des 6 livres qui me suivraient sur une île déserte. le sujet est ardu et parfois on peut s'y perdre mais tellement intéressant, complet et instructif que même après 1299 pages on n'a pas envie de fermer ce livre
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Les Bienveillantes

"Les Bienveillantes" restera sans aucun doute LA lecture marquante de l'été. Il m'aura fallu m'y prendre à deux fois, ayant été vaincue au bout de cent pages il y a dix ans , moins par l'épaisseur de ce pavé que par la densité de l'écriture incroyablement touffue, sans air. Et même si c'est un véritable soulagement de sortir de ce livre comme on sort d'une immersion forcée dans les eaux glauques d'une mare fétide, je ressens une étrange satisfaction de l'avoir lu, comme si cette lecture venait combler quelque case vide.



On a reproché beaucoup de choses à ce livre, de manquer de rigueur historique, d'être glauque, et même de ne pas avoir été écrit par son auteur. C'est glauque certes, bien sûr même! La guerre vue du côté des nazis, l'évolution de la mise en oeuvre de la solution finale présentée froidement comme une sorte d'épopée industrielle depuis les premiers essais "artisanaux" de shoah par balles où il fallait patauger dans les corps et leurs excrétions pour achever les blessés, hommes, femmes, enfants, jusqu'à la mécanique huilée des camps de concentration qui devaient fournir leur quota de main d'oeuvre à l'industrie de guerre tout en gardant l'oeil sur les frais généraux, au premier rang desquels les denrées journalières des prisonniers, et en fermant l'autre sur les exactions des soldats envers ces derniers car que voulez-vous, "le kirsch c'est le kirsch et la guerre c'est la guerre", tout cela est éminemment glauque, lourd et sordide.



D'un sordide d'autant plus éprouvant que raconté à travers le prisme d'un officier non agissant, une sorte de fonctionnaire du nazisme envoyé ici et là faire des rapports pour nourrir l'état-major de recommandations sur l'amélioration de l'efficience du système.

Un fin lettré, un type froid, détaché tant de la réalité qu'il côtoie que des manigances de ses collègues pour lesquels la guerre est un grand champ de manoeuvres personnelles pour faire carrière dans l'appareil nazi, qui au fil de ses affectations sur le terrain des opérations nous amène des bureaux de commandement à Berlin aux théâtres des opérations d'assassinats de masse en Ukraine et en Pologne, de l'enfer de Stalingrad assiégée aux camps de Birkenau et Auschwitz, dans un voyage de plus en plus halluciné, de plus en plus nourri de rêves scatologiques à mesure que les effets de la guerre exhalent leurs torrents de merde, et dont la perversité scabreuse se révèle au contact des atrocités dont il est l'acteur témoin.

Était-ce nécessaire "d'oniriser" à ce point l'abjection, jusque dans ce chapitre "Air" en point d'orgue en fin de livre où le narrateur, le Doktor Aue, se donne longuement à voir dans son fantasme enfiévré de sodomiser et faire un avec sa soeur jumelle? Était-ce utile de pousser l'allégorie aussi loin, de pousser à en détourner les yeux pour dénoncer? recentrer? le regard rivé sur les fours crématoires?

J'ai du mal à me prononcer et me trompe peut-être d'ailleurs complètement d'analyse, mais le fait est que ce livre dur, puissant et éprouvant m'a appris, m'a troublée, m'a apporté un angle de regard différent, dérangeant, et donc enrichissant.



Je finirais bien ces lignes sur le cliché facile du "livre dont on ne sort pas indemne", mais ce serait en-deçà de la réalité.
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Les Bienveillantes

J’ai beaucoup d’admiration pour Robert Littell, mais j’avoue avoir été dérangée par la personnalité de son fils qui se dessine à la lecture de ce roman.



Au fur et à mesure que les pages défilaient, avec leurs descriptions horribles de l’application de la solution finale mise en place contre les juifs, un malaise s’est installé devant leur répétition malsaine. Le passage plus intéressant sur Stalingrad n’étant pas exempt, comme d’ailleurs l’ensemble du livre, de ce qui ressemble à de la complaisance de l’auteur pour le récit d’atrocités.



Jonathan Littell a choisi une forme de provocation pour frapper les esprits et se démarquer des historiens de la Seconde Guerre mondiale, un stratagème que les jurés du prix Goncourt et de l’Académie française ont "innocemment" couronné.



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Les Bienveillantes

Un grand, très grand livre sur la 2nde guerre mondiale, l'extermination des juifs, des tziganes, des malades mentaux... et aussi sur la condition humaine. On peut justement le rapprocher de la "Condition humaine" de Malraux, du "Voyage au bout de la nuit" de Céline mais on peut aussi penser à John Irving ou à Tolstoï pour le souffle épique et il y a également des accents proustiens (si, si ...). C'est diablement bien écrit et c'est une formidable leçon d'histoire et de mémoire.
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Les Bienveillantes

Je ne me lancerai pas dans une critique dithyrambique ni dans un pamphlet. Pour la simple et bonne raison que je ne sais toujours pas quoi penser de ce livre, et que je l'ai lu en deux semaines, tantôt passionnée tantôt peinant à tourner les pages.... La première chose à souligner est donc la complexité de ce livre, difficile à comprendre parfois, faute de références historiques assez solides, et à appréhender surtout. En effet, à partir du moment où un officier SS passé par les Einsatzgruppen parle à la première personne -en commençant par une adresse directe au lecteur- , il ya de quoi être déstabilisé. Le talent de l'auteur est de nous amener au bout de ces 900 pages et de nous livrer un récit hyper documenté. Le narrateur est réaliste : complexe, étrange mais réaliste. Sa personnalité dérange sans doute, tout comme ses actes et l'atrocite des scènes qu'il décrit. Ainsi, ce roman est puissant, troublant et m'a permis de découvrir l'organisation interne de l'Allemagne nazie. À lire absolument, ne serait ce que pour se faire un avis. Je joins à cette modeste critique un article d'historien qui m'a aidée à y voir un peu plus clair et à réfléchir et mettre en perspective cette oeuvre : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2007-3-page-159.htm
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Les Bienveillantes

Appeler ce livre " pavé" me semble en-dessous de la réalité. Imaginez plutôt un quadruple hamburger sans sauce, accompagné de frites bien grasses et le tout sans boisson. Ajoutez-y un dessert bourratif, privez-vous de café (même avec on n'échappe pas à une certaine somnolence) et vous approcherez de la réalité. ceci dit l' histoire est intéressante : un citoyen allemand lambda pris dans les toumentes du nazisme un peu malgré lui (comme le lecteur d'ailleurs) et découvrant les horreurs du front russe attirera les passionnés d'histoire même si tout ne paraît pas vraisemblable. Mais pourquoi écrire un livre aussi dense sans paragraphes et quasiment sans chapitres. Dommage qu'on ne puisse pas faire des raccourcis, comme pour certains films : l'intérêt y gagnerait
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Les Bienveillantes

Littell Jonathan - "Les Bienveillantes" Gallimard "NRF" 2006



Personnellement, j’avais évité ce roman, comme la plupart de ces œuvres submergées dès leur sortie sous les cris dithyrambiques émanant des cultureuses et cultureux bavant sur Arte et France-Culture. Mais voilà, il me fut prêté par un mien neveu, né en 1975, qui avait lu ce pavé et tenait à recueillir mes impressions. Il me fallait répondre avec précaution, puisqu’il n’est pas courant de voir un homme jeune s’intéresser de près à cette époque.

Voici donc le compte-rendu que je produisis.



Salut mon neveu,

tu te souviens sans doute que tu m'avais prêté le livre de Jonathan Littell intitulé "les Bienveillantes", publié en 2006 et qui traite de la période nazie en Allemagne, vue par les yeux d'un narrateur allemand, officier de la SS, ce que l'on appelle couramment "le point de vue du bourreau".

Avant d'en venir au livre lui-même, je tiens à préciser, puisque cela semblait t'étonner lors de notre rencontre, que la plupart des gens de ma génération née juste après la Guerre 1939-1945, savent beaucoup de choses là-dessus, et y ont beaucoup réfléchi pour de multiples raisons.

En ce qui me concerne, comme tant d'autres, j'avais au moins trois raisons de m'intéresser à cette période infernale.



- Premièrement, nous en entendions souvent parler étant jeunes, puisque notre famille fut touchée directement : deux de nos oncles furent prisonniers dans des camps, dont l'un pendant toute la durée du conflit et même au-delà (camp russe), un troisième fut pris pour le STO sur dénonciation du maire de son patelin ; du côté des femmes, tante Cécile par exemple fut profondément touchée dans sa vie même, et grand-mère eut également l'occasion de se montrer courageuse en cachant un aviateur anglais. Par la suite, toujours dans notre jeunesse, nous avons parfois eu l'occasion de croiser des gens ayant directement vécu cette réalité : en classe de sixième, l'un de mes prof, avait été déporté à Dachau et nous en montra quelques témoignages.



- Deuxièmement, comme tu le sais sans doute, je suis très tôt allé en Allemagne, j'ai appris l'allemand et le parle, le lis et l'écris aujourd'hui encore à peu près aussi couramment que le français : tu te doutes bien que j'ai rencontré des allemands (les parents de mes correspondants) qui avaient participé à cette honte de l'histoire de leur pays. L'une de mes motivations les plus fortes était justement de tenter de comprendre comment ce pays ayant engendré une culture aussi élevée, raffinée, admirable (Bach, Luther, Mozart, Goethe, Kant, etc.) pouvait être tombé dans une telle barbarie, et j'ai à plusieurs reprises visité des camps comme Buchenwald sans vraiment trouver de réponse. J’ai noué une amitié durable avec un collègue allemand de ma génération, dont les parents furent de hauts dignitaires nazis, et qui en pleure aujourd’hui encore dès qu’il en parle…



- Troisièmement et pour conclure, j'ai toujours poursuivi et approfondi cette étude de la période nazie, par exemple en Alsace (camp du Struthof), en l'élargissant aux autres phénomènes du même type (Cambodge, Serbie, Ruanda, on a hélas que l'embarras du choix !), en la reliant à la Première Guerre Mondiale et à l'horreur d'Hiroshima. Je tente de suivre, autant que faire je puis, les travaux d'un groupe d'étude de médecins, sociologues, psychiatres spécialisés dans les conséquences des traumatismes collectifs imposés aux populations lors des conflits armés.



Tout ça pour te dire que mon jugement du livre de Jonathan Littell est influencé par le fait que j'ai beaucoup lu et enquêté sur ce phénomène, contrairement à un lecteur novice.



D'où ma première réaction : l'auteur a compulsé indéniablement une énorme documentation, et le livre est suffisamment bien écrit pour que je le lise jusqu'au bout. Tous les faits historiques auxquels il fait allusion sont justes, y compris dans les détails de l'organisation du régime nazi, des camps de concentration, de la bataille de Stalingrad etc.



D'où aussi ma deuxième réaction : pour parcourir ce tissu de réalités historiques, l'auteur crée un personnage central, Maximilian Aue, qui est carrément faux et malvenu. C'est un personnage essentiellement français et très peu allemand, qui n'aurait pas un seul instant été admis dans les hauts cercles nazis qu'il est pourtant amené à parcourir dans le récit. De surcroît, l'auteur trimballe son personnage sur tous les évènements importants de la période (front russe, Kiev, Stalingrad, Caucase, Paris, Auschwitz, Poméranie etc.) ce qui finit par être totalement invraisemblable pour quelqu'un qui connaît un peu cette période. Plus encore, il lui fait rencontrer tous les personnages importants, tous les dignitaires nazis réels, allemands, français et même belges, jusqu'à Hitler lui-même. Soit, passons, et admettons que cela fasse partie de la liberté de l'auteur de roman.



Troisième réaction : ce personnage central censé représenter le citoyen moyen, est en fait aussi peu ordinaire que possible. Mi-français, mi-allemand, il a fait des études supérieures, maîtrise quatre langues (dont le latin et le grec ancien), tient de longs discours philosophiques, parcourt le front pour aller admirer en esthète telle ou telle église etc. Pire encore, et là, on tombe carrément dans le lieu commun, il accumule à lui tout seul une multitude de traits psychologico-sexuels digne d'un bazar de psychanalyse à cent sous : incestueux avec sa sœur, il assassine sa mère et son beau-père, pratique l'homosexualité mais sans se lier, et finit par assassiner son meilleur ami qui lui a maintes fois sauvé la vie. A mon humble avis, l'auteur patauge dans tous les lieux communs des auteurs fascinés par le nazisme sans oser se l'avouer. Par ailleurs, cette véritable manie des auteurs d'aujourd'hui d'étaler et de décrire avec complaisance des pratiques sexuelles morbides et glauques, toujours empreintes de violence, est justement typique d'aujourd'hui et non de la période considérée, ce qui donne au récit un aspect absurde. Surtout dans la scène, vers la fin, où le narrateur finit par agresser Hitler en personne en lui tordant le nez : c'est de la psychanalyse de trottoir... Quant aux quelques rêves longuement exposés, c'est toujours aussi rasoir ou ridicule, surtout lorsque Hitler se met à porter le châle d'un rabbin...



Quatrième réaction, personnelle donc toute relative : je n'aime pas du tout l'accumulation complaisante et fréquente de références à d'autres œuvres littéraires et artistiques. Tout y passe ici, de Villon, Eschyle jusqu'à Flaubert, de Bach, Furtwängler jusqu'à Rameau, de Kant à Kierkegaard, et tant d'autres célébrités : cela fait penser à ces (trop) bons élèves de l'enseignement universitaire qui entassent des monceaux de références pour être certains que le prof en ait pour son argent à la lecture de leur copie. Trop, c'est trop.



Mais à la fin, je me dis que toutes ces réactions sont peut-être celles de ma génération. Pour faire court : je n'aime pas et je ne comprends même pas que l'on recourt à de la docu-fiction, et ce roman est un exemple de docu-fiction poussée à un point de dilatation extrême. Pour ma part, lorsque je veux me documenter sur une époque, je recours à des ouvrages documentaires historiques, et à des témoignages vécus (cf les volumes de Cavanna ou l'ouvrage remarquable de Mendelssohn intitulé "les disparus").



Un tel roman me semble donc "étrange", et en tout cas étranger à ma culture. Mais je finis par me dire que c'est peut-être une histoire de génération : pour ma génération, ces évènements sont trop proches pour admettre qu'ils soient ainsi traités dans un roman aussi médiocre.

Pour les générations suivantes, il n'en va peut-être plus de même ???



Allez savoir pourquoi, ce roman me fait penser aux si "brillantes" victoires remportées dans le Tour de France par un certain Lance Armstrong, avec une effronterie fondée sur la pratique assumée (portée à un niveau professionnel typiquement états-unisien) de la tricherie...

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Les Bienveillantes

Dix ans après le choc de cette terrible lecture, je demeure sur ce qui fut un pressentiment au départ (et une conviction à l'arrivée) : ce livre serait le seul à ce niveau de travail de son auteur et le meilleur de la littérature Française dite classique depuis vingt ans au moins de publications.



Littel explore en un seul recueil nombre de genres romanesques avec une plume acérée et une ambition uniques. Au dessus, par dessous, l'indicible, pourtant dit.

On peut s'y perdre mais il faut tenir bon.



Dans ce grand livre, on notera, par les temps qui courent, que les atrocités nazies (départ juillet 1941) furent décidées et ... accomplies par les Ukrainiens principalement et les Roumains par ailleurs, complices et/ou assassins de centaines de milliers de juifs de leurs pays.

C'est là que Littel fait oeuvre Historique, n'en déplaise à cette chère Otan, ennemie des Russes et de leur combat héroïque contre l'Hydre à peine en sommeil dans cette Europe à la mémoire courte.



A lire absolument !
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Les Bienveillantes

Voilà, je suis parvenue au bout de cette somme, de cette fresque tourbillonnante et terrifiante qui nous entraîne au cœur de la Seconde guerre mondiale, du côté des bourreaux. Après ces longues semaines de lecture, il est dur de se défaire de ce roman ; de quitter ce trouble, sordide et fragile personnage Maximilien Aue, tout à fait fascinant. Ce n’est pas que je m’y suis attachée, loin de là, peut-être juste habituée.

Par où commencer ? « Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé » (p.11). Ce sera en effet le plus simple.



Le narrateur, vieillissant, décide de raconter ses Mémoires. Non pas pour justifier ses actes passés, cela, il l’explique très bien dès le début. Il ne faisait que son travail après tout… Non, il décide de mettre par écrit ses souvenirs pour s’occuper et lui faire oublier ses problèmes de constipation. En fait, on le voit, le caractère du personnage est tout de suite cerné. On ne trouvera jamais de remords vis-à-vis des actes horribles qui se sont déroulés et auxquels il a pris part. « Je vis, je fais ce qui est possible, il en est ainsi de tout le monde, je suis un homme comme les autres, je suis un homme comme vous » (p.30). Et c’est sans doute cela qui crée un malaise dès le début…

L’histoire de Maximilien Aue dans la grande Histoire, la voici donc. Nous traversons avec lui toutes les horreurs de la guerre. Des Einsatzgruppen sur le front de l’est à la bataille de Stalingrad, des camps de concentration aux bombardements de Berlin, des marches de la mort au bunker d’Hitler, tout y est.



J’ai beaucoup apprécié le remarquable travail de recherches historiques, fouillé et précis : les Einsatzgruppen, le front de l’est ou Berlin sous les bombes, tout est hyper documenté.

Nous découvrons ainsi le personnage de Maximilien Aue dans son costume nazi, en 1941, au service du SD, le service de sécurité du RSHA (le service de renseignement pour la sécurité du Reich). Dans ce service étaient recrutés de nombreux intellectuels, des jeunes gens de 20 ans, spécialistes du droit, juristes, qui pensaient dans la plupart des cas être cantonnés au recueil d’informations. Pour certains, c’était une promotion sociale d’appartenir à ce service et beaucoup se voyaient déjà en agents secrets infiltrés, avec des missions de haute surveillance. Une brillante carrière s’ouvrait à eux… Leurs missions allaient pourtant être d’un tout autre genre. En effet, ces jeunes gens du SD intégraient des Einsatzgruppen (des groupes d’action de la SD), des unités mobiles SS qui accompagnaient et fermaient l’avancée des groupes armés de la Wehrmacht lors de l’invasion de l’URSS. Leur fonction était de résoudre les tâches de sécurité les plus urgentes dans les territoires conquis en attendant l’établissement des Stelle (bureaux) de police permanents. Qu’entendait-on par « tâches de sécurité urgentes » ? Tout simplement « pacifier » ces nouveaux territoires en débusquant et tuant les responsables communistes qui étaient encore présents. Dans ces partisans, on incluait bien sûr tous les « Juifs bolchéviques », hautement dangereux et nuisibles. Maximilien Aue appartient donc à un de ces Einsatzgruppen envoyé en Ukraine, lors de la campagne du même nom qui dura de 1941 à 1944. Comme les autres jeunes nazis, il s’agit pour lui de ses premiers massacres où l’on tue directement à l’arme. Il participe tout d’abord aux assassinats des hommes, puis à l’été 1941, arrive le tour des vieillards, des femmes, des enfants... Les premières pulsions génocidaires des nazis ont lieu à cet instant, c’est le début du « nettoyage ethnique » des Juifs. C'est ce que l'on appellera plus tard la "Shoah par balles"... A chaque visite de hauts fonctionnaires, il y a comme une réaction en chaîne. Les tueries augmentent pour faire bonne impression, c’est-à-dire sortir des chiffres convenables. Aue nous raconte cela méthodiquement, froidement. Pas d’empathie, juste une gêne devant tout ce sang et ces corps qui s’entassent. La découverte que j’ai notamment faite en lisant ces passages (vérifiée par la suite) est la contribution des populations locales aux massacres des Juifs. En Ukraine, en Estonie, en Lettonie, les locaux ont vu les Allemands les libérer du joug bolchévique et ont été les premiers à lancer des pogroms contre les Juifs, « amis » des anciens oppresseurs, auxquels les Nazis au tout début assistaient en tant que spectateurs. L’épuration avant l’extermination totale…

Mais la carrière de Maximilien ne s’arrête pas là puisqu’on le suit également à Stalingrad, en décembre 1942 et janvier 1943, où l’on assiste avec lui à la défaite allemande. Dans ces passages, nous découvrons comment la folie gagne les soldats allemands totalement livrés à eux-mêmes dans le fameux « chaudron ».Vivant comme des rats sous terre, affamés, malades, envahis par les poux, ils sont lentement abandonnés à une « agonie collective ». Il fallait continuer à se battre alors que tout était perdu depuis bien longtemps.

L’idéologie nazie concernant les Juifs est évidemment largement abordée à travers les réflexions des différents personnages. Aue n’hésite pas ainsi à expliquer qu’il y avait très peu de véritables antisémites parmi les nazis. Beaucoup suivaient l’idéologie du Führer et s’acquittaient de leur mission surtout par obéissance et devoir. Ainsi, des opinions divergeaient sur le traitement des Juifs. L’idée qui ressort notamment lorsqu’Aue doit établir des rapports concernant le traitement des détenus (Häftling) dans les camps est que les Juifs étaient considérés également comme une force de travail pour le Reich. Il fallait penser à la reconstruction de l’Allemagne, à son industrie, et vider le Reich de toute force de travail était contre-productif. Il y avait alors une contradiction évidente : d’un côté, il fallait éliminer les Juifs, rendre le Reich pur ; d’un autre, ils représentaient une contribution non négligeable pour l’économie de guerre et donc, il fallait les garder un « minimum » en bonne santé. On l’avait déjà largement vu dans la spoliation des biens des déportés, dans la « récupération » de leurs cheveux, de leurs dents… . Le système nazi avait véritablement mis sur pied une industrialisation humaine monstrueuse, le Juif n’était qu’un produit dont il fallait tirer le maximum de profit avant de le tuer. Arrivé à ce stade, être antisémite ou simple soldat n’avait plus grande différence. Le résultat était le même. C’était une déshumanisation totale où des êtres humains étaient réduits à l’état de produit nuisible et de mauvaise qualité. Comme on élimine la vermine sans y penser, sans méchanceté mais méthodiquement et radicalement…

On le voit, ce roman soulève un grand nombre de réflexions ou de révélations. La fin du livre qui décrit les bombardements alliés sur Berlin montre ainsi combien les civils allemands ont également souffert de cette guerre. Evidemment, les livres d’histoire en parlent moins. Population « coupable », méritait-elle que l’on s’apitoie sur son sort ? On oublie que les Allemands vivaient eux-mêmes sous une dictature et étaient soumis à de nombreuses persécutions (ce qui n’est pas décrit dans le roman).

Enfin, la peur « d’Yvan », de l’arrivée des soviétiques est très bien décrite. La propagande nazie faisait bien sûr son œuvre pour motiver les soldats allemands. Il fallait se battre jusqu’au dernier pour empêcher les Soviétiques de venir violer les femmes. Et c’est un fait… Combien d’atrocités commises, combien de viols systématiques dans les villages, à Berlin, de la fillette à la grand-mère…

On pourrait bien sûr en écrire davantage sur toute cette épopée mais les livres d’histoire le feront mieux que moi. Jonathan Little offre avec « Les Bienveillantes » une somme sur la Seconde guerre mondiale vue du côté nazi qui comblera ceux qui s’intéressent à cette période.



Tout est là sauf une chose… L’émotion, les regrets, l’humanité. Ce récit, nous le suivons à travers l’histoire d’un homme, Maximilien Aue. Cet homme torturé, qui voue un amour incestueux à sa sœur jumelle, est pétri de toutes les contradictions humaines. Il est tellement obsédé par son amour impossible pour sa sœur Una, par sa haine pour sa mère, que toute empathie s’est retirée de lui. Il observe, d’un œil froid de technicien, les atrocités de son monde. Il y réfléchit beaucoup certes, mais à la manière d'un chercheur ou d'un philosophe. Il est un petit officier pointilleux, travailleur, cultivé. Bien sûr, il a du mal à supporter parfois les tueries, cela le rend malade physiquement. Mais pourquoi finalement ? Tout être humain normalement constitué supporte mal d’assister à la souffrance des autres. Mais cela ne va pas plus loin pour lui… Pourtant, il se prévaut d’être comme vous, comme moi. Et bien non, indéniablement non. Le malaise du début face à cette affirmation est passé. Chaque être humain a son libre-arbitre, ce qui implique de grandes responsabilités et aussi de grandes pertes parfois. Le tout est d’agir en son âme et conscience. C’est ce qui fait que l’on ne peut pas simplement se justifier en disant « Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? ». Ce qu’il fait, il le fait de son propre chef, c’est sa décision. Des Allemands sont entrés en résistance, des Allemands sont morts parce qu’ils s’opposaient aux Nazis. Aue n’était pas de ceux-là … mais il aurait pu faire autrement.



Il reste quelques déceptions par rapport à ce long récit. Tout d’abord, la partie où Aue se cache dans le manoir de sa sœur est vraiment trop long. On a compris ses délires, pas besoin de faire plus développé. Ensuite, la « pirouette » imaginée à la fin du roman dans le bunker d’Hitler concernant Aue m’a totalement déçue. Emportée dans l’Histoire, je suis redescendue durement ! Enfin, le style n’est pas des plus simples. On sait que Jonathan Little, franco-américain, a écrit son livre en Français. Ce qui nous donne des phrases interminables où parfois on perd le sens. J’ai vraiment du m’accrocher jusqu’à la 200e page (version Gallimard page blanche) pour ne pas abandonner. C’est souvent très lourd… Mais tout ceci n’est que détails superflus. Ce livre est, pour ma part, une somme dans tous les sens du terme. Une somme sur l’horreur de la guerre, l’horreur de l’humain, l’horreur d’un homme qui apparaît dans tout ce qu’il peut avoir de plus terrifiant.

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Les Bienveillantes

"L'Etat est composé d'hommes, tous plus ou moins ordinaires, chacun avec sa vie, son histoire, la série de hasards qui ont fait qu'un jour il s'est retrouvé du bon côté du fusil ou de la feuille de papier alors que d'autres se retrouvaient du mauvais."



En 2006, notre frère humain Maximilien Aüe, "sorti de la guerre un homme vide, avec seulement de l'amertume et une longue honte", décide de nous "raconter comment ça s'est passé", lui qui tenait le fusil du côté des SS. Il rafle au passage le prix Goncourt, le grand prix de l'Académie Française, et quelques prix littéraires de moindre importance.



Avec beaucoup de précision et d'exactitude, ce pavé de 1500 pages suit un travail de documentation unanimement salué par les critiques. Les quelques bémols qu'on trouve chez certains, dont Claude Lanzmann, portent sur la crédibilité de son personnage principal et le mode de pensée que l'auteur prête aux nazis. Peut-être aussi s'agace t'on de l'illégitimité du trop jeune Littell (Fils de Robert, pas mauvais non plus, au point qu'on a émis l'idée que le père avait écrit pour le fils) à produire une telle oeuvre.



Littell Junior évoque cette crédibilité dans une interview du Monde des Livres : "Un nazi sociologiquement crédible n'aurait jamais pu s'exprimer comme mon narrateur. Ce dernier n'aurait jamais été en mesure d'apporter cet éclairage sur les hommes qui l'entourent. (...) Il n'y a pas de roman possible si l'on campe sur le seul registre de la vraisemblance. La vérité romanesque est d'un autre ordre que la vérité historique."



La vérité romanesque de Jonathan Littell fait mouche. Des personnages invraisemblables, il y en a dans Les Bienveillantes : le Dr Mandelbrod, les commissaires Clemens et Weser... Ils ne dispensent en rien de la nécessité de la lecture de cet époustouflant roman qui s'inscrit brillamment dans la lignée du classique "La Mort Est Mon Métier" de Robert Merle.



Aüe, narrateur psychotique, officier SS érudit et atypique spécialisé dans le renseignement, nous guide comme une petite souris noire à travers les coulisses sanglantes du régime nazi de la seconde guerre mondiale. On sera surpris par le nombre de personnages historiques qu'il croise (jusqu'à l'équipe de Je Suis Partout et le juge anti-corruption SS Konrad Morgen, pour ne citer qu'une partie des plus inattendus) et les lieux où il fallait être sont ceux où il va.



On peut aimer / ne pas aimer les Bienveillantes. Mais, parce que c' est un livre choquant, il ne laisse pas indifférent.C'est en tous cas un ouvrage qui n'est pas inutile pour souligner à nouveau les sommets de l'horreur que peut parfois atteindre ce "pire des mondes possibles" qu'on nous a livré, ce monde où il ne nous reste que cette espérance : "Si vous êtes né dans un pays à une époque où non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais où personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix."



La vie privée torturée de Aüe est quant à elle inspirée de la pièce classique l'Orestie. Eschyle termine son drame sur ces mots : "Et maintenant poussez des cris d'allégresse en dansant". Littell vous invite à rejoindre sa toccata. Avec un pareil chef d'orchestre, ça ne se refuse pas.
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