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Critiques de Jorge Luis Borges (364)
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Oeuvre poétique, 1925-1965

Comme un jeu de miroirs, les images de ce recueil reflètent la mélancolie de Borges, le long des rues crépusculaires et labyrinthiques de la ville sud-américaine, où décline lentement sa vision.



Parmi les collines qui s'effacent au loin, le poète voit (ou entend ?) « les pentes de la musique, la plus docile des formes du temps ».



Les mots de Borges empruntent la pente et la page. Dans cette temporalité alternative, seul le passé succède au présent. Ainsi, le poème "La nuit cyclique" commence et s'achève avec Pythagore. Les quatrains de ce poème établissent un cheminement harmonieux du temps vers son double. C'est une danse où la mesure se fait par paire, comme les deux parties du sablier, comme l'homme et son reflet. Sous l'impulsion de cette lente musique, les miroirs semblent se tourner les uns vers les autres. Ils démultiplient leurs reflets à l'infini. Les images dans les images semblent plus lointaines, et orientent la nostalgie vers un temps que Borges n'a pas connu.



Un temps plus violent : celui des combattants et des brigands sud-américains, lancés dans leur danse de vie et de mort :



« Le tango pourvoyeur de souvenirs, nous forge

Un passé presque vrai. Dans ce faubourg perdu

C'est moi qu'on a trouvé sur le sol étendu,

Un couteau dans la main, un couteau dans la gorge. »



Le retour en arrière laisse aussi transparaître l'héritage des conquistadores, et même, pendant quelques vers, un animal originel : le poète recherche les sensations du tigre. Mais Borges contemple sa créature avec insatisfaction, sans parvenir à façonner le mot qui pourrait incarner la chose. Il se met dans le même situation que le rabbin du poème « Le Golem » : ce dernier n'arrive pas à retrouver le Verbe du commencement avec exactitude. Et le reflet de la Création se déforme par cette mise en abîme dans le monde des hommes. le poème ne dit pas si le Golem cherche à ensuite à créer son propre Golem : ce serait la suite logique.



Vers la fin du recueil, la remontée dans le temps s'effectue aussi à travers l'espace, car elle entraîne à l'époque des guerriers saxons, obsessions des poèmes tardifs, empreints d'un intérêt philologique pour cette civilisation. Mais même dans la fièvre de ces études transparaît la hantise du bibliothécaire (dont les deux derniers mots font écho à un poème intitulé « E.A.P. ») :



« Parmi les livres de ma bibliothèque (…)

Il doit y en avoir un que je n'ouvrirai jamais plus. »
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Fictions

Les nouvelles de Borgès sont avant tout de merveilleuses inventions littéraires qui irriguent l'imagination de tout écrivain, de tout créateur, de tout rêveur. C'est une réponse immédiate et forte – peut-être comme celle qu'Umberto Echo apportera de son côté – à ceux qui disent que tout a été déjà raconté, que tout écrivain arrive trop tard. Un peu à l'image de l'Oulipo (OUvroir de LIttérature POtentielle) de Queneau, Pérec ou Calvino, Borgès ouvre des pistes, explore le potentiel infini de l'écriture de la fiction. A la différence que l'écriture n'est pas déclenchée par une contrainte génératrice mais par une fantaisie première, une condition "Et si...?". Le style d'écriture est souvent un peu dur, intellectuel (ou bien est-ce dû à la traduction ?). La structure de ces nouvelles est souvent similaire : la découverte de quelque chose d'extraordinaire, son exploitation maximale, puis l'emballement ou le piège final. Ainsi, en plus de la création littéraire, il y a un ton mordant, ironique qui semble se délecter de punir l'hybris humaine (la démesure) avant de le prendre en pitié.

Plusieurs récits, comme le premier au titre étrange qui imagine la création d'un peuple par de faux articles encyclopédiques, travaillent sur la puissance du faux créateur. On pourrait faire le lien avec les univers parallèles et paranoïaques qui se créent par les différentes théories du complot.

Dans le roman indien, Borgès choisit de ne pas raconter tout le roman (roman qui serait immense), mais de faire comme si ce roman existait et de le résumer, d'en parler comme s'il l'avait lu, de poser sur le papier cet état particulier de la communication lorsque l'on raconte à quelqu'un ce qu'on a lu.

Le nouvel auteur du Quichotte joue sur une certaine dose d'absurde. Avec les 4 siècles de distance, le Don Quichotte serait un ouvrage bien différent si on le lit sans le replacer dans son contexte. Cervantès n'est donc plus le même écrivain.

Dans la création d'un être par le rêve, on retrouve la même fantaisie que chez Raymond Queneau (cf. Les Fleurs bleues), est-ce Tchouang-Tseu qui rêve qu'il est un papillon ou le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-Tseu ? A force de faire exister un rêve avec plus de consistance, ce rêve ne finit-il pas par acquérir une plus grande importance de réalité pour l'homme qui rêve que la réalité elle-même ?

Dans "la loterie de Babylone", Borgès transforme une pratique, un usage en mythe fondateur d'une règle de l'humanité : l'inégalité du sort. Avec ce mythe, il retrouve une grande circularité car l'humain crée encore des jeux de hasard.

"La bibliothèque de Babel" est un labyrinthe qui laisse imaginer l'immensité, l'infinité que serait l'ensemble des livres qui pourraient se créer dans toutes les langues possibles. "L'oeuvre d'Herbert Quain" permet d'imaginer également tout le potentiel que la littérature classique – un roman, une pièce de théâtre – peut encore imaginer.

Enfin, dans la nouvelle éponyme du recueil, on trouve un schéma de récit policier particulièrement goûté par Borgès, lui permettant de faire naître un secret, même vide, dans l'attente du lecteur.

Dans la seconde partie, Borgès continue d'explorer les possibilités du pouvoir créateur de la littérature, pouvoir qui échappe au réel, au réalisme. En témoigne ce possesseur d'une mémoire parfaite – hypothèse impossible mais tellement riche pour l'imaginaire mais aussi pour la démarche logique de la pensée.

De nombreux récits tournent ici sur la notion de crime, crime qui se renverse, se retourne ; le criminel devient la victime et inversement, de même que le bien et le mal, cause et conséquence. Ce renversement est permis par exemple par le récit mensonger du narrateur – un peu comme le Bavard de Des Forêts – de "la Forme de l'épée". Récit qui a juste substitué « il » avec « je », se raconte vu de l'extérieur, faisant voir l'étrangeté pour soi-même d'avoir accompli une lâcheté.

Le jeu de substitution joue également grâce à l'incomplétude de récits comme ceux de vieilles légendes comme "Thème du traître et du héros" ou "Trois versions de Judas" ; la recherche, les hypothèses permettent différentes lectures et interprétations qui font douter des fondements de soi, de la société, du bien… Borgès illustre ici à merveille le travail du chercheur, immensité intellectuelle de ce qui se pourrait chercher, retournement des possibilités de lecture, isolement terrifiant face au sentiment d'une vérité possible et vertigineuse pour l'unité de la croyance humaine.

Entre le chercheur et l'inspecteur, dans "La mort et la boussole", il y a peu de différences, sinon pour le lecteur. De plus le danger pour un enquêteur peut être à la fois physique et moral là où le danger est seulement moral ou intellectuel pour le chercheur.

Dans "Le miracle secret" et dans "le Sud", Borgès reprend le thème de la force incroyable de l'imaginaire ou du rêve qu'il avait déjà illustrée dans "Les Ruines circulaires". Ici, le rêve maîtrisé, allié à la divagation, permet aux deux personnages d'achever leur vie d'une manière satisfaisante, de finir le travail qu'ils s'étaient donné. L'imaginaire a ceci de puissant qu'il peut corriger le réel.
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Fictions

On a tellement écrit sur Borges !



Borges, l'Argentin capital, on pourrait dire. Il faudrait le compter probablement au nombre des 10-15 auteurs du 20ème siècle qu'il est essentiel d'avoir lus !



Entrer dans l'univers borgésien c'est faire l'expérience d'un monde unique, fascinant, voire angoissant. Nous allons déambuler dans des labyrinthes au sens propre (bibliothèques monumentales) comme au sens figuré (spéculations philosophiques et métaphysiques). Nous allons visiter des bibliothèques qui sont à l'image de l'univers, reflétées par des miroirs à l'infini, nous y croiserons des tigres majestueux, le poignard ou l'épée constamment au dessus de nos têtes, notre perception du temps et de notre être se modifiera. Des univers étranges où l'on nous dévoilera les hérésies de certaines sociétés secrètes, et où les savants sinologues s'allient à des espions pour fomenter des pièges ésotériques.



Bref, un univers sidérant !



"Fictions", le livre le plus baroque de Borges n'est assurément pas la voie d'accès la plus simple à son œuvre (les néophytes peuvent d'abord se pencher sur "l'Aleph", moins aride), mais c'est sans conteste le plus représentatif du maître argentin.
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Le livre de sable

Je me répète mais je ne suis pas une grande adoratrice des nouvelles et ce n'est pas Jorge Luis Borges qui me réconcilie avec le genre.



Je n'ai pas apprécié ma lecture, je serai donc très brève, aussi brève que les nouvelles de ce recueil, la palme revenant à la dernière - qui lui donne son nom- , "Le livre de sable", qui ne dépasse pas six pages. Six pages n'offrent pas, de mon point de vue, de terrain propice aux développements d'un récit, à peine est-ce une trame narrative ; il y manque l'intensité ; on ne peut s'attacher à rien en six pages, ni au(x) personnage(s), ni aux événements. Fait d'autant plus frustrant quand on sent qu'il y a matière à donner plus. Mr Borges serait-il avare de son talent ?



Aucune des nouvelles de ce recueil n'aura trouvé grâce à mes yeux, elles m'ont toutes soit égarée, soit ennuyée. Pourtant, le petit air de mystère et de fantaisie qui plane sur elles était prometteur... Tant pis, je secoue le sable de mes sandales et je passe mon chemin.





Challenge Petit Bac 2016 - 2017

Challenge AUTOUR DU MONDE
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Fictions

Borges en rêvait, Google l'a fait.



Puisque la bibliothèque de Babel est infinie et que chacun de ses livres est différent, n'importe quel ouvrage peut y apparaitre.



La perception et la non perception d'un champ d'énergie alpha numérique jumelant tout au long d'un rayonnage sans fin ses hallucinations quantiques brodées dans leurs raisonnements.



Le Tao, un sens dans le non sens.



Des pages et des pages devenant exploitables tout en restant sous l'emprise de leurs perturbations.



Étrangetés et bizarreries immergées dans leurs lucidités ne faisant de la totalité qu'un ensemble ne fonctionnant que par ses antonymes.



Ce qui ne signifie rien transporte dans ses bagages la compréhension de tous ses manques.



Un organisme vivant contenant la théorie tant recherchée consistant à unir en se servant d'un même alphabet le désordre et l'ordre dans un même texte.



La particule et la gravitation universelle. La confusion et l'ordonnancement. le délire et la procédure.



La liberté d'assumer son décalage intégré dans l'obligation de fournir une prestation cohérente.



Être et ne pas être, divaguer tout en démontrant.



Une Matrice quantique interactive semblable au nombre Pi faisant circuler dans ses différents hexagones le liquide de Dieu constitué d'une majorité de lettres ou de décimales architecturées dans les physionomies les plus complexes.



L'intégralité de tous les possibles. L'histoire alternative de toute la matière.



L'absolu, tout ce qui se valide ou se conteste dans des hexagones sans début ni fin.



Ni fin ni début dans un labyrinthe rhizome rendant aliénés celui ou ceux le parcourant avidement en quête d'une révélation.



L'empire de l'incohérence parsemée de quelques parcelles de sens apparaissant subitement sur une ligne dans un texte incompréhensible.



O temps tes pyramides!



La révélation soudaine d'une combinaison révélant sans la comprendre la cohérence d'une phrase pour aussitôt s'assoupir dans une continuité insoluble.



Emmagasinant dans ses rayons contradictoires une consultation managée par ses incertitudes.



La progression de l'individu avec le doute comme seul compagnon de route.



L'assemblage de lettres et de décimales torturées à l'extrême fournissant de manière sauvage un sens formant des blocs de phrases pouvant aller jusqu'à la constitution d'un livre cohérent.



L'univers dans le discernement et la cécité.

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L'or des tigres

L’OR DES TIGRES de JORGE LUIS BORGES

Ce livre regroupe tous les poèmes de Borges publiés de 1965 à 1971. Longue préface d’Ibarra le traducteur pour expliquer ses choix, leur raison ainsi que la ponctuation. Il y a également des paroles de chanson pour un instrument à six cordes. Borges lui même parle de ses poèmes et de leur écriture disant avoir voulu éviter les synonymes faciles, les hispanismes et « argentinismes » les archaïsmes et les néologismes. Il parle beaucoup de Buenos Aires dans la dernière partie de ce livre, la qualifiant de »ville horrible » ou écrivant en parlant d’elle, « beautés involontaires de Buenos Aires qui sont aussi les seules ».

On trouve des poèmes à caractère religieux

« Le pardon purifie l’offensé, non l’offenseur qu’il ne concerne presque pas » ou » Je veux mourir tout à fait avec ce compagnon, mon, corps ».

Borges évoque sa progressive perte de vision ( il finira aveugle), les poètes qui l’ont inspiré ou qu’il a admirés tels Walt Whitman ou Robert Browning, ses goûts politiques et son fort scepticisme envers la démocratie, les écoles littéraires qu’il considère comme des »simulacres didactiques », parodie la poésie japonaise et revisite des poèmes d’Homère avec Jason et la toison d’or.

Je vous propose en extrait la poésie qui donne son nom au livre.

L’or des tigres

« Jusqu’à l’heure du couchant jaune

Que de fois j’aurai regardé

Le puissant tigre du Bengale

Aller et venir sur le chemin prédestiné

Derrière les barres de fer

Sans soupçonner qu’elles étaient sa prison.

Plus tard viendraient d’autres tigres,

Le tigre de feu de Blake;

Plus tard viendraient d’autres ors,

Zeus qui se fait métal d’amour,

La bague qui toutes les neuf nuits

Engendre neuf bagues et celles-ci neuf autres,

El il n’y a pas de fin.

Année après année

Je perdis les autres couleurs et leurs beautés,

Et maintenant me reste seul,

Avec la clarté vague et l’ombre inextricable,

L’or du commencement.

O couchants, Ô splendeurs du mythe et de l’épique,

Ô tigres. Et cet or sans prix,

Ô t’es cheveux sous mes mains désireuses. »
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Fictions

C'est foisonnant ! C'est déconcertant ! C'est riche d'imagination, de débordements, de situations et de styles. 17 nouvelles exigeantes à la lecture et qui cherchent toutes à nous faire perdre les repères. On glisse, on dérape, on décolle, on tente de s'accrocher aux bribes d'une réalité palpable ... mais en vain. L'auteur et le texte sont plus forts que nous.



La première partie nous plonge brutalement dans cet univers. Complétement déphasé, je ne l'ai probablement pas apprécié à sa juste valeur.La seconde partie m'a parue plus abordable, à la fois dans les thèmes proposés et dans le style utilisé.



Beaucoup de réflexions en peu de pages, c'est quand même impressionnant : la vie est omniprésente, la culture, les drames humains, l’ordonnancement mathématique des choses, le temps, Dieu, la mémoire ...



C'est parfois difficile, il faut s'accrocher, mais on est au passage récompenser par une pointe d'humour dans l'inventivité de l'utilisation d'adjectifs inattendus, voire surprenants.



Un avis mitigé pour ce recueil que beaucoup classent dans les chefs-d’œuvre. En fait c'est plus un inclassable de la littérature, une sorte de point zéro qui va influencer nombre de littérateurs contemporains.
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Nouveaux contes de Bustos Domecq

Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, deux grands écrivains argentins, mais également deux grands amis et s'associent dans ce recueil de nouvelles intitulé "nouveaux contes de Bustos Domecq". Dans ce livre ils délaissent le fantastique (et le courant du réalisme magique en particulier) pour nous plonger dans la satire et l'humour noir avec une brochette de personnages plus fourbes et malfaisants les uns que les autres.





Dans les dix nouvelles qui composent ce recueil, le troisième écrit par Borges et Bioy Casares, on retrouve donc des histoires qui font la part belle aux sentiments les plus abjects des hommes : lâcheté, servilité, jalousie, cupidité, bêtise et cruauté. La prétention et l'amoralité des puissants sont épinglés tout comme la stupidité et la méchanceté des plus humbles. On y raconte une histoire d'amour lucrative qui se finit sur un suicide, une famille d'aristocrates français amoraux qui s'entretuent le sourire aux lèvres, un maitre chanteur aussi méchant que pathétique et des militants péronistes aussi idiots et cruels qui battent un mort un juif dans une ambiance qui sied davantage à une « fête de camping » qu'à la narration d'un meurtre. Les auteurs jouent sans cesse avec le décalage entre l'horreur des situations et le ton léger de la narration et c'est très réussi.





L'écriture est soignée, l'ambiance immersive et le rythme cadencé. Quelques nouvelles (deux ou trois sur les dix) s'écartent un peu de ce registre avec un humour un peu plus léger et tirant davantage sur l'absurde mais sont tout aussi plaisantes. le plaisir transgressif tiré par les deux écrivains à construire ce recueil est palpable et se transmet aisément au lecteur.





Des trois recueils (Les deux autres étant : Six problèmes pour don Isidro Parodi et Chroniques de Bustos Domecq) écrits en commun par Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, nouveaux contes de Bustos Domecq est sans doute le plus marquant et les amateurs d'absurde et d'humour noir devraient apprécier pleinement ce livre.

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Fictions

Ayant des difficultés à me situer par rapport à ces nouvelles "philosophiques", je me suis tournée vers la "mimisis" chez Platon et Aristote. (fingere, entre autres : « feindre », « faire semblant », « inventer », « se figurer », "imaginer ». Permettez-moi de vous en faire bénéficier (:)) et de citer ici wikipedia :



"Dans le livre X de la République ... Platon s'interroge sur la représentation, qui n'est selon lui qu'une piètre copie de la réalité et insiste sur la primauté du réel et de la vérité. Il établit une hiérarchie de trois degrés par rapport à l'existence réelle des choses. Premièrement, il y aurait le monde des Idées. Les Idées sont les réalités immuables, éternelles, qui seules sont vraies. Elles sont la nature profonde des choses, leur essence. Elles sont l'intelligible derrière le sensible. Elles découleraient de l'Idée du Bien et le Démiurge serait celui qui les aurait formées (voir le dialogue intitulé Timée). Deuxièmement, viendraient les choses sensibles, manifestations visibles des Idées. Elles en sont les modulations, et participent aux Idées, sans toutefois les représenter adéquatement. Les artisans, pour fabriquer les choses sensibles, doivent avoir une croyance juste de ce que sont les Idées, et s'en inspirer. Sans les saisir parfaitement, un artisan connaît approximativement ce qu'est une Idée, et c'est en la contemplant qu'il pourra fabriquer une belle chose. Platon donne l'exemple du lit. C'est en se tournant vers l'Idée du lit que le menuisier est à même de construire une copie matérielle imparfaite de l'Idée du lit, qui sera néanmoins fonctionnelle. Troisièmement, viennent les imitations des choses sensibles. Platon prend l'exemple du peintre, qui pour peindre un lit, regarde le lit fabriqué par le menuisier, et non l'Idée du lit. Il copie donc une chose qui est déjà une copie. Non seulement cela, mais il le fait sans rien savoir sur le lit : il n'est pas nécessaire d'avoir une croyance exacte de la chose pour la représenter. le poète serait comme le peintre: il chante les guerres, les exploits des grands hommes, les amours et les peines, sans nécessairement savoir de quoi elles relèvent ni avoir contemplé les Idées dont elles participent.



Les arts d'imitation sont « [...] donc doublement éloigné[s] du vrai », et c'est en raison de ce statut ontologique faible qu'ils sont bannis de la cité. Étant donné que la connaissance du vrai implique chez Platon une connaissance du bien, les arts imitatifs, en tant qu'ils déforment cette réalité des Idées, opèrent donc sur l'âme un détournement épistémologique et moral".



Pour Aristote en revanche il s'agissait d'une méthode d'apprentissage par "imitation" (Poétique).

Vers la fin du moyen-âge l'église catholique dénonçait la comédie dont elles condamnait les excès. Les mêmes arguments sont utilisés de nos jours pour condamner les jeux vidéos trop réalistes et violents.



Or, nous sommes justement loin de la réalité dans les nouvelles de Borges qui font plus penser, à mon humble avis, à la rigueur de l'axiomatique, ou plutôt à une anti-axiomatique sous prétexte d'une logique imparable, qui nous mène à en accepter les prémisses comme bien fondées et leur conclusion certaine. Ainsi la Compagnie de la Loterie n'a "JAMAIS EXISTÉ ET N'EXISTERA JAMAIS". Dans "La bibliothèque de Babel", l'auteur commence par rappeler deux axiomes : le bibliothèque existe ab aeterno, le nombre des symboles orthographiques est vingt-cinq (en fait, nous dit l'auteur dans une "note", la virgule, le point et l'espace complètent les vingt-deux lettres de l'alphabet).. S'ensuit une énumération de toutes sortes de "superstitions" (ex : "IL DOIT EXISTER UN LIVRE QUI EST LA CLEF ET LE RÉSUMÉ PARFAIT DE TOUS LES AUTRES"), grâce auxquelles l'auteur échafaude une théorie complexe qui se solde par un paradoxe "LES MÊMES VOLUMES SE RÉPÈTENT TOUJOURS DANS LE MÊME DÉSORDRE-- QUI, RÉPÉTÉ, DEVIENDRAIT UN ORDRE : L'ORDRE.



C'est là que réside tout le génie de Borges. Il entretient dans notre esprit, avec une imagination débordante et une profusion de détails, en s'appuyant sur les liens "logiques" entre des prémisses douteuses, une confusion permanente. Il nous fait entrevoir l'infini à travers une création ad infinitum. Il ouvre des voies toujours nouvelles, fait disparaître des mondes et en fait surgir d'autres .



"DANS TOUTES LES FICTIONS, CHAQUE FOIS QUE DIVERSES POSSIBILITÉS SE PRÉSENTENT, L'HOMME EN ADOPTE UNE ET ÉLIMINE LES AUTRES" (Le jardin aux sentiers qui bifurquent). Borges, lui, nous les fait adopter toutes "SIMULTANÉMENT". Ou plutôt il nous force à le suivre dans ce chemin "INEXTRICABLE" où tout est possible."Le temps bifurque perpétuellement vers d'innombrables futurs".



"Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres....Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà et en offrir un résumé, un commentaire...." nous avertit non sans humour l'auteur dans son prologue. Nous trouvons dans ces "huit pièces" du symbolisme, du fantastique mais certainement pas de réel.



Dans cette optique on ne peut que mieux apprécier encore ce choix du titre : FICTIONS. Ou plutôt la Quintessence de la fiction puisqu'elle va au-delà de la conception platonicienne de la Mimimis (Idée, représentation de l'objet à travers la métaphore du lit), TOUT étant lié dans un monde sans fin dans lequel le temps et l'espace perdent leur valeur de repère, d'où l'impression de vertige qui est la nôtre à la lecture de ces nouvelles qui sont, chacune, des bouquets d'ARTIFICES.







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Le tango : Quatre conférences

En réfèrence à Hunter S. Thompson selon lequel « America is raising a generation of dancers, afraid to take one step out of line », The Killers chante sur le titre «  Human » :



« Are we human or are we dancer?


My sign is vital, my hands are cold


And I'm on my knees looking for the answer


Are we human or are we dancer? ».



Nul besoin d'être un danseur (de tango) pour apprécier Le tango : Quatre conférences de Jorge Luis Borges. Plutôt que des conférences, il s'agit davantage de causeries :



« J'ai parlé de conférences, mais il y a vraiment un mot, non seulement plaisant, mais qui serait plus juste, le mot "causerie". J'aimerais donc beaucoup que vous complétiez, rectifiez, contredisiez mes paroles. Je n'aspire pas seulement à enseigner quelque chose, j'aspire aussi à apprendre. »



que Borges donna en octobre 1965 à Buenos Aires auprès d'un cercle d'amis et d'admirateurs. Enregistrées secrètement par un des participants, perdues, retrouvées et finalement authentifiées par sa veuve en 2013, ces conférences sont enfin disponibles (mais sans l'enregistrement sur lequel Borges chante quelques tangos).



Dans ces quatre conférences sur le tango, il est évidemment question de tango - de son origine (infâme), de son histoire, de son évolution et de sa croissance, de la différence entre tango et milonga ou encore des personnages du tango comme le gaucho et le compadre - mais également de la formation de l'Argentine moderne au début du XXème siècle, de l'âme argentine (titre de la quatrième conférence), d'écrivains comme Evaristo Carriego - Borges a écrit une biographie du poète argentin - ou Adolfo Bioy Casares et d'autres sujets dont quelques digressions particulièrement intéressantes. Enfin, Borges s'attaque à Carlos Gardel, considéré comme l'une des figures les plus importantes du tango du début du XXème siècle et coupable de « se [saisir] du tango et [de] le [dramatiser]. Et une fois que Gardel a exécuté cette prouesse, les tangos furent écrits pour être chantés dramatiquement ».



Le seul regret à la lecture de ces conférences est de ne pas bénéficier également de l'enregistrement pour écouter Borges chanter - il écrivait par ailleurs dans « L'auteur » et un contexte différent « […] son destin était de chanter et de faire résonner dans la concave mémoire humaine ».
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Le rapport de Brodie

Jorge Luis Borges nous livre un recueil de très bonne facture sous le signe de la rivalité et de l'affrontement : de la simple joute verbale entre universitaires au duel au couteau en passant par la rivalité amoureuse entre deux frères ou encore la haine réciproque de deux voisins amenés par un hasard pathétique de l'histoire à finir exécutés pour le même drapeau et j'en passe.



Si les récits sont d'une qualité indéniable et que ce livre nous révèle quelques pépites (l'intruse, l'évangile selon Marc), je leur préfère néanmoins les textes issus de l'Aleph et de Fictions chez le même auteur.
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Le livre de sable

Jorge Luis BORGES, écrivain et poète argentin, a traversé le XXème siècle en laissant derrière lui une oeuvre d’un immense intérêt pour tout amateur de littératures de l’imaginaire, dont il était un fin connaisseur. Il a par exemple préfacé Ray BRADBURY et Olaf STAPLEDON, écrit sur Herbert George WELLS, publié des essais sur des thématiques proches de celles largement exploitées par la Science Fiction, écrit lui-même des récits fantastiques, certains en hommage à LOVECRAFT, sans oublier la prestigieuse Bibliothèque de Babel, qu’il créa, et dont il préfaça tous les volumes. Il n’est donc pas surprenant que BORGES ait écrit que « La littérature n’est qu’une branche de la littérature fantastique. »

Le livre de sable est une des oeuvres de Jorge Luis BORGES qui illustre parfaitement ce propos. Il s’agit d’un recueil de treize nouvelles représentatives de son style élégant et de ses thématiques de prédilection, développées de la manière la plus subtile qui soit.

1 - L’Autre (El Otro)

BORGES, septuagénaire, raconte une rencontre qu’il fait avec lui-même, jeune homme.

2 - Ulrica (Ulrica)

Une rencontre amoureuse aux résonances littéraires et mythologiques.

3 - Le Congrès (El Congreso)

Une poignée d’hommes a l’ambitieux projet de synthétiser le genre humain par l’intermédiaire d’une société secrète.

4 - There are more things (There are more things)

Une nouvelle en hommage et à la manière de LOVECRAFT.

5 - La Secte des Trente (La Secta des los Treinta)

La description d’une hérésie antique telle qu’elle aurait pu se produire au moment du déclin de l’Empire romain.

6 - La Nuit des dons (La noche de los dones)

Le récit d’une nuit initiatique pendant laquelle un adolescent découvre les maisons closes et profite d’une leçon d’histoire de l’Argentine.

7 - Le Miroir et le masque (El espejo y la mascara)

Un poète scandinave doit créer le poème ultime pour son roi. Il réussit après trois tentatives, ce qui provoque de terribles conséquences.

8 - Undr (Undr)

Dans un pays nordique, un poète est en quête de la poésie ultime, celle qui ne compte qu’un seul mot.

9 - Utopie d’un homme qui est fatigué (Utopia de un hombre que esta cansado)

Un voyageur égaré dans la pampa fait un bref séjour dans un futur lointain, quand l’humanité a dompté la sagesse.

10 - Le Stratagème (El soborno)

Pour obtenir une promotion, un professeur de l’Université du Texas ne trouve rien de mieux que d’attaquer son supérieur hiérarchique par voie de presse.

11 - Avelino Arredondo (Avelino Arredondo)

Un jeune homme se coupe du monde pour que son plan d’assassinat politique atteigne la perfection.

12 - Le Disque (El disco)

Un pauvre homme croise un roi déchu qui lui montre son trésor : un disque à une seule face…

13 - Le Livre de sable (El libro de arena)

Un homme fait l’acquisition d’une Bible, un livre dont le nombre de pages est exactement infini et qui contient donc tous les livres.

On a ainsi une palette représentative des thématiques développées par BORGES dans son oeuvre : des rencontres singulières, souvent improbables, des objets symboliques à foison, l’infini versus l’unicité, l’opposition des espaces-temps, sans oublier l’hommage déclaré à LOVECRAFT dont il s’est souvent inspiré. Ces sujets sont exploités à l’aide d’une prose qui allie érudition et simplicité. Car à l’image de ses poètes qui recherchent la poésie ultime, celle qui ne comporte qu’un seul mot, Jorge Luis BORGES fait des économies de moyens, semble sans cesse en quête du mot juste, et ce pour exprimer des idées extrêmement profondes. C’est bien pourquoi il est un auteur majeur du XXème siècle et une source d’inspiration pour bien des auteurs spécialisés dans l’imaginaire.
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Le livre de sable

Il me semblait que ce recueil de nouvelles pouvait être un bon moyen pour entrer dans l'univers de Jorge Luis Bores.

Une dose de fantastique dans chacune de ces nouvelles, ce qui fait penser à Gabriel Garcia Marques.



Ses 13 nouvelles tournent toutes autour des mêmes thèmes : la vieillesse, la mémoire, la fuite du temps, les réflexions philosophiques et/ou théologiques. Et puis le mot, le verbe, la parole.



Présentées comme des souvenirs ou des contes, elles sont autant de métaphores, pas toujours d’une grande limpidité pour qui n’est pas familier de l’œuvre de l’auteur. Les références à la mythologie nordique y sont nombreuses.



J’ai été peu sensible au propos de l’auteur, probablement parce que je n’ai pas toutes les références nécessaires à saisir le sens de sa pensée. Peut-être aussi parce qu'elles sont très courtes, ne laissant pas le temps de rentrer dans le récit, lequel s'arrête souvent assez brutalement. Si je ne devais retenir qu’une nouvelle ce serait « Le miroir et le masque » (métaphore de la vanité, de la suffisance ?).



Pas certaine d'avoir envie d'en découvrir plus sur cet auteur devenu classique.

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Fictions

Rares sont les auteurs, dont l'imaginaire est assez puissant pour s'imposer à nous, malgré nous. Pourtant, l'imaginaire borgesien n'est pas un imaginaire évident à adopter : beaucoup d'éléments, à tonalité fantastique, qui frisent souvent l'absurde… Et moi, j'aime beaucoup ! Entre métaphores à thématiques philosophiques, talent d'écriture et pur amusement, ces Fictions sont un enchantement ! Parsemé par de nombreux questionnements, elles offrent toute une image de l'homme et de sa Quête, mais aussi un très grand plaisir de lecture.

Un livre original, un livre qui fait réfléchir et un livre qui me plaît.

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Le Martin Fierro (suivi de) Quatre vies ima..

« Je me mets ici à chanter

Au rythme de ma guitare,

Car l’homme que tourmente

Une peine extraordinaire,

Tel l’oiseau solitaire

En chantant se console. »

C’est ainsi que s’ouvre « Martin Fierro », le poème épique de José Hernandez, écrit dans le dernier tiers du 19ème siècle, fleuron de la poésie gauchesca, élevé en Argentine au rang de livre national, et que Borges, dans cet essai, commente et cite abondamment. Un poème au lyrisme puissant, à la fois triste et sauvage, loin de tout exotisme, comme peuvent nous le rappeler ces quelques vers qui évoquent les paysages de la Pampa, quand l’homme errant n’a plus pour toit que les étoiles :

« Il est triste, en pleine campagne,

De passer des nuits entières

A contempler dans leur course

Les étoiles que Dieu a faites,

Avec pour toute compagnie

La solitude et les bêtes. »

Martin Fierro comme d’autres gauchos, a été enrôlé de force, laissant sa femme et ses enfants, pour servir dans un fortin de la frontière, que menacent les incursions indiennes. Quand, trois ans plus tard, il voudra retrouver son foyer, après avoir déserté, sa femme vit avec un autre et ses enfants ont quitté leurs terres, lesquelles ne sont plus désormais que des ruines. Martin Fierro devient alors une sorte de banni, qui se bat dans les tavernes, et finit même par commettre quelques crimes. La police tente de l’arrêter, mais il réussit à fuir, avec un sergent qui, impressionné par son courage, avait finalement pris son parti. Ils vont au-delà de la frontière, dans le désert, ce sud qui n’avait pas été encore conquis, et où vivaient des indiens aux mœurs parfois brutales. Voulant secourir une femme captive, dont l’enfant venait d’être sauvagement assassiné, il tue l’un deux et fuit à nouveau, dans l’autre sens cette fois ci, et sans son ami, le sergent Cruz, qui était décédé :

« Agenouillé à son côté,

Je le recommandai à Jésus.

Ma vue s’obscurcit,

Je sombrai dans l’inconscience,

Je tombai comme foudroyé

Quand je vis que Cruz était mort. »

C’est en homme vieillissant, sans peur et sans volonté de nuire qu’il retrouvera « la terre où pousse l’ombou » et de terminer ainsi sur une note plus fière et compatissante que plaintive :

« Car les malheurs que j’ai narrés

Sont ceux de tous mes frères.

Ils conserveront fièrement

Dans leur cœur mon histoire ;

A jamais, mes compatriotes

Me garderont dans leur mémoire. »



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Evaristo Carriego

Borges évoque, non sans digressions et érudition, entre histoire et souvenirs, mythes et réalités, la vie du Poète Evaristo Carriego, qu’il côtoya dans les rues de Palermo, quartier alors populaire, voire misérable, de Buenos Aires. L’œuvre du Poète restera d’ailleurs associée à ce faubourg, à sa musique, à ses mauvais garçons, parfois aussi habiles à jouer du couteau qu’à pincer la guitare, devenus, à l’instar des gauchos, des figures essentielles de la culture populaire argentine, avec leur virilité affirmée et tragique. Carriego était cependant né dans la province d’Entre Rios et semblait avoir hérité des particularités des créoles de cette province, à savoir, comme le souligne Borges, la grâce et la cruauté, une ardeur au combat en même temps qu’une âme poétique.
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L'Aleph

L'Aleph est le dernier texte, éponyme, du présent recueil de récits du type fantastique si cher à Borges. Ce volume se distingue par une grande variété d'approche de cet univers protéiforme  : biographie, rêve, glose, méditation, récit légendaire, spéculation sur un épisode de la vie d'un personnage historique. L'auteur œuvre sans cesse sur des rapports de correspondance : le fini s'inscrit dans l'infini, 

 l'avers répond à l'envers, l'antonyme se dresse sur le chemin du synonyme. Les constructions narratives prennent souvent la forme de labyrinthes qui ne conduisent nulle part.



Jorge Luis Borges est un maître du cours récit spéculatif. Il allie érudition, inventivité, finesse de conception, espièglerie dans la mise en œuvre. Ce n'est pas un pédant, il ne vous écrase pas d'un fatras pseudo scientifique, tout au contraire, il vous salue d'un clin d'œil complice. Sans doute la plus grande figure de la littérature argentine. 
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Histoire universelle de l'infamie - Histoir..

Le titre annonce la couleur dans ce recueil un peu particulier : Histoire universelle de l'infamie est bien trop ronflant pour être réellement pris au sérieux. Ainsi derrière ces histoires d'hommes et de femmes "infâmes" (meurtriers, imposteurs etc.) l'ironie et le pastiche ne sont jamais très loin.



À travers ces histoires Borges nous fait voyager à travers des époques et des styles très différents (du Far West américain au Japon traditionnel en passant par le conte orientaliste) en usant et surtout abusant à dessein des effets de style et des clichés.



La dernière nouvelle est un peu différente des autres, l'homme au coin du mur rose est un hommage aux tripots mal famés de Buenos Aires. le style, familier et imagé, est très éloigné de celui qu'emploie généralement Jorge Luis Borges et l'ambiance qu'il construit immerge vite le lecteur. Une sorte de "Tontons flingueurs" à la sauce borgesienne.



En tous les cas, c'est une bonne lecture et de brillants pastiches à découvrir après les principaux recueils de l'auteur (Le livre de sable, l'Aleph, Fictions etc.).



NB : Pour les hispanophones, ouvrage disponible en bilingue chez Pocket avec de nombreuses notes de bas de pages en français.

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Histoire universelle de l'infamie - Histoir..

La plupart des petites histoires qui composent cette Histoire Universelle de l’Infamie (un titre volontairement emphatique) sont des biographies imaginaires de personnages historiques comme Billy the kid, le chef de gang Monk Eastman ou le pseudo-prophète musulman Hakim al-Moqannâ.

Sous la grandiloquence apparente se cachent, en fait, d’humbles et plaisantes histoires. Elles sont presque toutes écrites dans le même style, abusant des longues énumérations et d’adjectifs pompeux et superfétatoires. Un style que Borges qualifie, dans le prologue, de baroque. Elles ont pour sujet des personnages sinon infâmes au moins peu fréquentables, violents, falsificateurs, voleurs, mais quelques-uns possèdent quand même de belles qualités, comme l’honneur ou le courage. La dernière histoire, L’Homme au coin du mur rose, est différente, puisqu’elle ne se réfère, apparemment, à aucun personnage historique précis et que le style est beaucoup plus argotique. Enfin, cette Histoire de l’infamie, qui nous a mené aux quatre coins du monde, se clôt par une dizaine de toute petites fictions (quelques lignes, quelques pages au plus), des réécritures d’histoires piochées ici et là par Borges, en particulier dans Le Livre des Mille et Une Nuits.

Dans « Histoire de l’éternité » sont réunis un ensemble d’essais disparates qui ont peu de rapports entre eux et encore moins avec l’Histoire Universelle de l’infamie, même s’ils peuvent donner, au détour, quelques indications sur le style des fictions de la première partie. Sur les sept essais, trois sont consacrés au temps et à l’éternité. L’un retrace rapidement l’histoire de l’éternité linéaire, de l’idée platonicienne aux doctrines chrétiennes. Si Borges se montre méfiant vis-à-vis de ce concept, il n’en récuse pas l’intuition. Sa conclusion : « la vie est trop pauvre pour ne pas être, aussi, immortelle. Mais nous ne possédons même pas la certitude de cette pauvreté, car le temps, facilement réfutable dans le domaine de la sensation, ne l’est pas dans celui de l’intelligence, de l’essence de laquelle le concept de succession paraît inséparable. » Les deux autres essais sur le temps se réfèrent davantage à Nietzsche et à sa théorie de l’éternel retour et, plus largement, aux visions cycliques du temps.

Deux autres petits essais ont pour sujet la métaphore, dont un sur les Kenningar de la poésie scandinave et l’influence qu’ils ont pu avoir dans les mots composés des langues anglo-saxonnes. Un autre compare les différentes traductions des Mille et Une Nuits. Enfin deux notes terminent cet ouvrage éclectique, l’une est une sorte de critique d’un livre qui n’existe pas, l’autre une analyse de l’art du polémiste.
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Conversations à Buenos Aires

1974, Buenos Aires, Orlando Barone réunit deux grands noms de la littérature argentine (sinon mondiale) : Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato pour des échanges libres sur des thèmes aussi variés que le théâtre, l'écriture, l'histoire ou la mort. Les deux auteurs ne sont pas amis et ne font pas semblant de l'être. Ils sont de la même génération (à peu de choses près : Borges a alors 75 ans et Sabato « seulement » 63), et ont fréquenté les mêmes cercles (Notamment Silvina Ocampo et son mari Adolfo Bioy Casares) avant que les années et les divergences politiques (Borges est un libéral conservateur tandis que Sabato est un ancien militant communiste) ne les éloigne.



Le journaliste enregistre mais se fait volontairement très (trop ?) discret, arrangeant les rencontres, enregistrant les conversations et laissant généralement les conversations évoluer naturellement.

On abordera ainsi des thèmes très généraux comme le cinéma, le tango, la littérature en générale ou le Don Quichotte de Cervantès en particulier mais aussi d'autres plus personnel comme le processus d'écriture, l'enfance ou le rapport à la mort de Borges et Sabato. le rythme est tranquille, l'ambiance feutrée, Barone nous faisant ressentir les moments de silence, les blancs de la conversation, les sourires et parfois les rires complices des deux personnages.



Le livre est plaisant à lire, presque "confortable" tant on s'imagine bien écouter les deux hommes assis près d'un poêle à ergoter sur quelques oeuvres littéraires ou partager des souvenirs comme on écouterait des figures familières : ses grands-parents ou d'anciens amis parler du passé. Certes comme parfois dans ce type d'occasions, les sujets qui fâchent (les inimitiés, la politique) ne seront pas abordés et beaucoup de thèmes seront rapidement survolés ou vite évacués par une plaisanterie. Il n'en reste pas moins qu'on aura passé un moment agréable.
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