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Critiques de Jorge Luis Borges (364)
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Fictions

Temple shaolin

Toc toc toc

- entre petit scarabée

- Comment avez-vous su maître Paul ?

- Tes sandales de novice couinent en marchant petit scarabée, que me vaut l’honneur de ta visite ?

- C’est au sujet de la lecture commune « fictions « de Borges maître Paul, j’ai le regret de vous dire que je n’ai pas été à la hauteur de votre attente, fictions c’était comme si on me parlait mandarin ou finnois j’ai jamais été bon en langue étrangère. Bref le chemin fût tortueux, labyrinthique.

- Petit scarabée la route qui nous mène vers l’univers de Borges est semée d’embûches, comme notre discipline le kung-fu utilise la force de ton adversaire pour le déstabiliser. Comme disait dans sa grande sagesse Bouddha celui qui est maître de lui-même est plus puissant que celui qui est maître du monde, mais je m’égare, pour parler trivialement petit scarabée certains diront au sujet de Borges branlette intellectuelle d’autres crieront au génie, et toi qu’en penses-tu ?

- Moi maître Paul je pense que l’intérêt d’une œuvre est d’être accessible à tous et non pas à une élite intellectuelle, la lecture doit être une joie et non une souffrance, et j’ai souffert maître Paul, j’ai lu la première partie de fictions, devant cette montagne d’incompréhension j’ai douté de moi.

- J’admire ton courage petit scarabée, ne te remet pas en cause cette déconvenue littéraire t’engage sur le chemin de la liberté.

- Sinon qu’as-tu prévu de faire aujourd’hui ?

- J’ai cours avec Pat l’ancien on va travailler la souplesse et la musculation, ensuite j’ai yoga avec Nico et Yaena et pour terminé je dois montrer à Sandrine et Chrystèle comment approcher votre caméléon et le nourrir, j’oubliais aujourd’hui c’est grand nettoyage de nos cellules à Berni chou et moi, on s’entre-aide c’est plus facile.

- [ ] Bien petit scarabée que la sagesse soit avec toi.

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Fictions

There are more things est une nouvelle (excellente par ailleurs) du fameux « Le livre de sable » et c’est à ce moment-là que j’ai compris à quel point Jorge Luis Borges est facétieux et ne va jamais où on l’attend. C’est pourquoi lire Fictions est devenu une évidence.

J’ai lu, relu, pas tout compris mais j’ai énormément apprécié.

Jorge Luis Borges se joue du temps et de ses lecteurs mais avant tout il se fait plaisir et ça se sent. N’étant ni rationnelle, ni cartésienne ses nouvelles ont tout pour me plaire.

Nous entrons dans une sorte de quatrième dimension, réel-irréel, miroir –autre côté du miroir, perception, rêve, monde parallèle, tout ouvre la porte à un nouveau jeu, à une autre perception

Tout n’est que labyrinthes, symbolisme, litanies de livre l’auteur était bibliothécaire et les références ne manquent pas.

Dans le jardin au sentiers qui bifurquent quelques nouvelles s’apparent à des casse-tête chinois (peut-être n’y a-t-il rien à chercher ou pas grand-chose ?), d’autres sont très poétiques et certaines finissent sur une chute qui remet tout en question (Les ruines circulaires).

Avec Artifices tout devient plus simple. Le miracle secret et sa distorsion temporelle ou pas ? Est excellent. Dans Le Sud un livre peu changer votre vie, que de malice.

J’avais fini cette lecture, il y a quelques temps et en le reprenant pour écrire ce commentaire , certains détails sont apparus que je n’avais pas vu et si Jorge Luis Borges avait réussi à créer un livre infini ?

Ceci n’est qu’un tout petit avis et je vous conseille les billets des babelpotes qui ont participé à cette LC. berni_29, Patlancien, michemuche, Yaena, HundredDreams, anhj et El_camaleon_barbudo.

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Fictions

« Fictions », publié en 1944 et traduit en français sous la direction de Roger Caillois en 1951 est sans doute le recueil de nouvelles le plus célèbre de Jorge Luis Borges. Il comporte deux parties, « Le Jardin aux sentiers qui bifurquent » et « Artifices ».



Ce recueil de l’un des concepteurs du « réalisme magique » latino-américain est fortement marqué par l’inclination pour l’abstraction et la pensée spéculative de son auteur argentin, qui lui confère une dimension quasi métaphysique.



Si les multiples labyrinthes, les jeux de miroirs et les bifurcations sans fin qui hantent « Fictions » dessinent l’empreinte de l’écriture borgésienne, le statut de chef d’oeuvre du recueil doit à l’inventivité étonnante, à la profondeur vertigineuse et au style empreint de poésie des textes qui le composent.



***



Le texte qui suit propose une analyse de l’une des nouvelles de la première partie du recueil, « Les ruines circulaires ».



« Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s’enfoncer dans la fange sacrée, mais peu de jours après nul n’ignorait que l’homme taciturne venait du Sud et qu’il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n’est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare ».



En quelques mots, le décor est posé. Le style borgésien frappe telle une flèche empoisonnée et emporte son lecteur sur les rives du « réalisme magique » cher à l’auteur argentin.



Dans « Les ruines circulaires », Borges nous narre la destinée d’une sorte de mage, qui s’astreint à enfanter un homme en le rêvant. « Le dessein qui le guidait n’était pas impossible bien que surnaturel. Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l’imposer à la réalité. »



Pour réaliser son projet, le mage s’impose de longues heures de sommeil sur l’île sur laquelle il vient d’accoster. Pendant ces interminables heures de rêve, il construit organe après organe un homme tel un démiurge tout puissant. Las, malgré le temps et les efforts surhumains consacrés à la genèse de l’homme qu’il souhaite engendrer, ce dernier ne s’éveille pas. Saisi par le désespoir, le mage détruit une partie de son oeuvre. Pris de repentir, il implore l’aide d’une statue aux multiples facettes, qui se révèle être le dieu Feu.



Ce dieu lui indique être en mesure d’animer l’homme rêvé, « de sorte que toutes les créatures, excepté le Feu lui-même et le rêveur, croiraient que c’est un homme en chair et en os ». Le mage obéit aux consignes données par le dieu Feu et envoie son enfant dans un temple situé en aval. Le miracle tant désiré advient : le rêvé s’éveille.



L’homme débarqué dans « une nuit unanime » accomplit son destin et jouit enfin de sa paternité inespérée.







Tout le génie de Borges est condensé dans cette nouvelle. Il réussit à créer un attachement immédiat pour ce mage démiurge qui rêve d’enfanter, nous fait partager ses échecs, ses doutes, ainsi que l’amour qu’il porte à son enfant comme en témoigne sa crainte que celui-ci ne découvre qu’il n’est qu’un rêve. La poésie et la finesse de l’écriture lui confèrent une véritable épaisseur narrative et donnent tout son sens à l’expression parfois galvaudée de « réalisme magique ». Et pourtant, c’est évidemment le dénouement final, la fameuse circularité qui donne son titre à la nouvelle, qui nous emporte dans une autre dimension, en nous plongeant dans une forme de vertige purement spéculatif dont Borges est si friand.



Tel un démiurge littéraire, ce dernier distille les indices (« Parfois, il était troublé par l’impression que tout cela était déjà arrivé ... »), et en ouvrant une réflexion sur la frontière ténue en l’illusion et la réalité, entre le rêve et l’existence, construit une sorte de puits métaphysique dans lequel le lecteur plonge, inconscient.



Borges manie également avec une certaine ironie le renversement de paradigme du feu qui épargne, car le feu ne détruit que ce qui existe. C’est en épargnant la « vie » du mage que le feu lui révèle que celle-ci n’est qu’illusion. Le feu borgésien brûle les illusions, dévore les rêves et agit comme un révélateur.



L’immortalité est un leurre qui ne concerne que ceux qui n’existent pas, « Les ruines circulaires » sont un poème métaphysique, et une profondeur insoupçonnée se dissimule derrière la rigueur formelle et le goût pour les jeux de l’esprit de l’auteur.



Le rêvé qui s’éveille n’est pas le seul fruit de la volonté du mage, il est aussi et surtout l’oeuvre du dieu Feu. La fin de la nouvelle donne le vertige en ce sens qu’elle multiplie les questions : la vie est-elle un songe ? Notre existence n’est-elle que le rêve d’un dieu ? Sommes-nous des fantômes errant sur terre dont seul ce dieu connaît la « non-existence » ?

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Fictions

Pierre Ménard, auteur du Quichotte Borges



Bien que figurant dans Fictions, ne pensez pas que Pierre Ménard soit né de l’imagination de Borges qui connaît bien l’œuvre de ce grand écrivain, auteur du Quichotte.

Malgré les omissions et les ajouts perpétrés par des exégètes dont la tendance protestante« calvinistes, sinon francs-maçons et circoncis » a influencé défavorablement certains futurs lecteurs, dont nous ne sommes pas, Borges a l’aval de deux témoignages imparables: la baronne de Bacourt et la comtesse de Bagnoregio, « un des esprits les plus fins de la principauté de Monaco, » c’est dire.

Si le beau monde de renommée incontestable, pour ne pas dire internationale, peut apporter un inventaire exhaustif de l’œuvre de Pierre Ménard, aucun doute n’est permis.



L’œuvre, « visible » depuis le sonnet symboliste qui parut deux fois, des monographies dont l’affinité entre Descartes et Leibnitz jusqu’à une transposition en alexandrins du Cimetière marin de Paul Valéry, des sonnets et j’en passe, est donc citée, de plus par ordre chronologique : il n’y manque que des ratons laveurs.

L’œuvre souterraine, elle, est encore bien plus intéressante ;

Allons à l’essentiel : Pierre Ménard a écrit le Quichotte.

Pas réecrit, pas critiqué, pas revu en fonction de la littérature présente, pas anachroniquement présenté comme semblable ou différent.

Non, écrit, tout simplement.

Ave les mêmes mots que Cervantès.

Il s’agit d’être Cervantès, en réalité de se substituer à lui.

C’est un grand remplacement.

Goytisolo le note : « tout lecteur attentif du roman crée ainsi un nouvel auteur et inaugure un processus de dépossession de la paternité d’une œuvre aux conséquences stimulantes et imprévisibles. »

Ménard livre finalement un Quichotte plus véridique que Cervantès, en éludant les « gitaneries », les conquistadors, les mystiques, Philippe II et les autos da fé, les espagnolades en un mot.



Ainsi : le « génie ignorant »Cervantès, écrit :

… « La vérité, dont la mère est l’histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple de connaissance du présent, avertissement de l’avenir. »

Cette énumération est un pur éloge rhétorique de l’histoire.



Ménard écrit en revanche :

… « La vérité, dont la mère est l’histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple de connaissance du présent, avertissement de l’avenir. »

L’histoire, mère de la vérité : la vérité de l’histoire n’est pas ce qui s’est passé, mais ce que nous, nous croyons qu’il s’est passé. Argument irréfutable, dont l’ambiguïté ajoute à l’intérêt.

Et la différence entre les deux textes est évidente : le nihilisme, l’apport de Nietzsche, a contribué à enrichir la pensée, pourtant apparemment futile, après des pages et des pages, de multiples brouillons, des corrections encore et encore, pour finalement produire grâce à un anachronisme délibéré, un palimpseste de l’écriture.



Génial, ce Ménard, qui avoue lui –même que son dessein est proprement stupéfiant.

Une révélation.

Y compris Mohamed Mbougar Sarr le reconnaît :

« Je n’ai pas recopié ce texte. Je l’ai écrit ; j’en suis l’auteur, comme le Pierre Ménard de Borges fut l’auteur du Quichotte. »

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Fictions

Fictions est l'un de ces classiques de la littérature que l'on sent presque mal de noter et de critiquer parce que l'on se demande : "Mais je suis qui, moi, pour juger une telle œuvre?"



C'est un recueil de nouvelles très philosophiques, parfois métaphysiques, souvent plutôt hermétiques.



Un commentaire que j'ai lu un jour disait que Borges n'écrivait pas pour les lecteurs mais pour les autres auteurs. Cela résume bien l'œuvre. Au fil des Fictions, l'on prend conscience des possibilités toujours inexplorées de la littérature en tant qu'art.



Chaque texte est une expérience de pensée magnifiquement bien pensée. Chaque texte est un rejet viscéral de l'hégémonie du réalisme dans la littérature des deux derniers siècles. Borges disait que le réalisme n'était qu'une parenthèse qui durait trop longtemps dans l'histoire de la littérature mondiale, et il vous montre ici pourquoi.



Alors concrètement, à quoi ça ressemble, du Borges?



Mon texte préféré est "Pierre Ménard, auteur du Don Quichotte". C'est un faux article scientifique de littérature comparée. L'article y analyse le Don Quichotte d'un certain Pierre Ménard. Pierre Ménard est un homme qui a réécrit le Don Quichotte

Mot pour mot. Mais il ne l'a pas copié. Il a simplement vécu une vie qui l'amène à écrire une œuvre qui s'adonne à être la même celle de Cervantès. Et cela ne veut pas dire qu'il a vécu la même vie de Cervantes. Au contraire, il serait difficile d'être kidnappé par les Maures au 20e siècle. Non, Ménard a vécu sa propre vie, elle lui a inspiré les mêmes mots qu'à Cervantès, mais comme ces mots sont inspirés par des expériences différentes, ils ne veulent pas dire exactement la même chose. Cela faisant que le Don Quichotte de Ménard, bien qu'identique à l'original, ne peut pas être lu ni compris de la même façon



(Si vous vous êtes déjà demandé "C'est quoi ça, de l'herméneutique?" C'est exactement ça.)



Un autre texte, son plus connu, met en scène une bibliothèque infinie dans laquelle il y a un livre pour chaque combinaison de lettres possible. Presque tout les livres sont sans substance, donc. Mais parfois, les bibliothécaires trouvent un livre où le hasard où se trouve un mot, ou même, chose rarissime, une phrase. Ils continuent de chercher, sachant que quelque part, sur une tablette, le hasard a réécrit Shakespeare.



Suffit de le retrouver.
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L'Aleph

« L’Aleph », qui désigne la première lettre de l’alphabet hébreu, est un recueil de nouvelles publié en 1949 par Jorge Luis Borges et traduit par Roger Caillois. Si ce recueil est moins connu que le célèbre « Fictions » qui parut en 1944, il restera selon son traducteur émérite, « comme le recueil de la maturité de Borges conteur ».



Pour appréhender cet ouvrage, il faut tout d’abord établir que Borges n’écrit pas des nouvelles au sens où on l’entend habituellement, au sens où Raymond Carver, John Cheever, Stefan Zweig et tant d’autres écrivent de courts récits dans un format condensé qui leur confère une force de percussion que ne permet pas le roman.



Les textes de Borges, témoignent d’une érudition étonnante, et abordent des thèmes souvent vertigineux tels que l’ubiquité, la réalité, l’identité, la nature de l’infini, ou encore l’éternité. On y retrouve une forme d’obsession pour les labyrinthes aux méandres inextricables (« Le jardin aux sentiers qui bifurquent »), la circularité au sens quasi-métaphysique du terme (« Les ruines circulaires ») ainsi que la dualité qui traverse tant de personnages borgésiens (« Le guerrier et la captive »).



Pour caractériser les textes recueillis dans « Fictions » ou dans « L’Aleph », il faudrait reprendre la formule de Roger Caillois qui désigne l’auteur argentin comme l’inventeur du « conte métaphysique ». Borges se soucie en effet assez peu du réalisme de l’intrigue souvent minimaliste de ses textes, qui ont essentiellement pour objet d’explorer l’un des thèmes exposés plus haut et de plonger son lecteur dans une sorte de vertige métaphysique.



Ainsi que l’explique Caillois dans le quatrième de couverture, « L’Aleph » est un recueil de « nouvelles » qui sont plus incarnées, « moins roides, plus concrètes » que ses récits précédents qui évoquent davantage « des exposés quasi-axiomatiques d’une situation abstraite ». S’il ne renie pas son goût pour une exploration vertigineuse de ses thèmes de prédilection, l’auteur de « L’Aleph » se fait davantage conteur, et donne une touche plus humaine à ses récits, notamment lorsqu’il aborde la question de la vengeance dans le très beau « Emma Zunz ». C’est sans doute la grande réussite de ce superbe recueil, réussir à incarner ses personnages, à dérouler de véritables intrigues, sans jamais renier une forme d’ambition métaphysique qui se traduit à travers l’obsession de l’auteur pour les jeux de miroirs, les labyrinthes, la dualité, ou l’éternité.



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Le texte qui suit propose une analyse plus détaillée du premier texte du recueil, « L’Immortel », qui est également l’un des écrits les plus célèbres de Jorge Luis Borges.



Le narrateur, un soldat romain nommé Flaminius Rufus, y rencontre un cavalier mourant, à la recherche du fleuve « qui purifie les hommes de la mort », situé selon lui en « Extrême Occident, où se termine le monde » et au côté duquel s’élève la « Cité des Immortels ». Fasciné par la possibilité de devenir immortel, notre héros va entreprendre de trouver le fleuve en question, avec le soutien de deux cents soldats et de plusieurs mercenaires.



A l’issue d’une longue quête qui le laisse seul et à moitié mort, Flaminius finit par atteindre le fleuve, boire son eau et inspecter la toute proche Cité des Immortels. Cette dernière ressemble à un labyrinthe monstrueux, à une construction insensée d’hommes ou de dieux devenus fous. Les immortels qui vivent au bord du fleuve ont cessé depuis longtemps de parler, et ne font qu’accomplir les tâches les plus élémentaires d’une vie qui a depuis longtemps perdu toute signification.



L’un d’entre eux, aussi humble que miséreux, suit Flaminius à la manière d’un chien, si bien que le soldat romain le surnomme « Argos », en mémoire du vieux chien mourant de l’Odyssée. Ce surnom semble raviver la mémoire de l’immortel, qui recouvre la parole pour révéler son identité : il est Homère, l’homme qui écrivit mille cent ans plus tôt l’Odyssée.



En quelques lignes, Borges résume le destin épique de Flaminius jusqu’en l’an de grâce 1921, où ce dernier fait escale dans un port d’Érythrée et boit, comme il en a l’habitude, l’eau d’un ruisseau d’eau clair qui coule dans les environs. En remontant sur la berge, un arbuste épineux lui déchire le dos de la main et Flaminius comprend avec un immense soulagement qu’il vient de boire l’eau du fleuve qui ôte l’immortalité.



La nouvelle se termine par un paragraphe en forme de facétie toute borgésienne, qui interroge a posteriori l’identité du narrateur, et conclut que l’auteur des lignes qui précèdent est trop lettré pour un soldat, et s’intéresse davantage au destin des hommes qu’à la pratique de la guerre. Bref, il ne s’agit pas de Flaminius Rufus mais d’Homère lui-même.



« Quand s’approche la fin, il ne reste plus d’images du souvenir ; il ne reste que des mots. (...) J’ai été Homère ; bientôt je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt je serai tout le monde : je serai mort ».



« L’Immortel » présente la particularité de mêler une authentique ampleur narrative avec le dessein métaphysique qui traverse l’oeuvre de son auteur.



Le lecteur est d’abord happé par la quête du soldat romain, par son accession à l’immortalité, avant de partager son immense déception devant le non-sens absolu qu’elle représente, symbolisé par l’atrocité labyrinthique qu’est en réalité la Cité des Immortels. Il finit soulagé pour le narrateur lorsque celui-ci recouvre sa condition de mortel, avant d’être désorienté par le dénouement qui remet en question l’identité de ce dernier.



Tout le génie de Borges est d’introduire une forme de réflexion purement spéculative au coeur même de son récit. Il parvient à nous faire ressentir l’absurdité absolue que représenterait une vie réellement éternelle, et le retour à un état quasi végétatif qu’elle engendrerait. On saisit d’ailleurs, à l’instar du héros, à quel point le statut d’immortel n’est absolument pas souhaitable. L’obsession mathématique de l’auteur pour le principe de symétrie sauve le narrateur : s’il existe un fleuve qui rend immortel, alors il en existe un autre qui permet de recouvrer la condition de mortel. Une autre obsession récurrente, très présente dans le recueil, est la dualité ; elle s’exprime ici dans la pirouette finale, qui voit se confondre les destinées du soldat Flaminius et de l’homme de lettres Homère.



Vertige métaphysique face aux implications d’une vie éternelle, recours à une symétrie quasi axiomatique, obsession pour la dualité au sein de laquelle se dissout l’identité, les principaux ingrédients du génie borgésien fécondent pour notre plus grand plaisir cet authentique chef d’oeuvre que constitue « l’Immortel ».

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Le livre de sable

Une fois, quand j'avais treize ans, j'ai loupé le bus pour rentrer de mon cours de guitare. Je suis alors entrée dans une librairie et avec mon petit porte-monnaie de collégienne pas très garni, j'ai choisi un mince livre intitulé "Histoire universelle de l'infamie", de Jorge Luis Borges. Le nom d'auteur ne me disait rien, mais j'ai bien aimé le titre. Et j'ai fait une révélation ! Le temps que l'autre bus arrive, j'étais dedans à fond. A l'époque, Poe était mon idole littéraire, et j'ai découvert dans ces courts écrits de Borges quelque chose de ressemblant, mais en plus épuré, plus universel et moins mélodramatique. Quelque chose qui ne donne pas seulement un frisson, mais un frisson doublé de réflexion. Je me souviens encore de ces petites histoires d'une érudition historico-fantastique; d'un miroir magique, d'un lépreux, d'une carte de royaume aussi grande que le royaume, d'une veuve pirate chinoise.....







Quelques décennies plus tard, me voilà devant ce petit "Livre de sable" du même auteur. Les histoires d'un fantastique moderne, où le fantastique est créé par l'atmosphère particulière de la narration. Les thèmes chers a Borges sont tous présents; l'histoire, la politique, l'alter ego, l'universalité et la synthèse de la connaissance humaine. Pas mal de traits autobiographiques, tout ça baignant par ci-par là dans la mythologie nordique savamment dosée. Les deux premières histoires ne m'ont pas particulièrement accrochée, mais j'ai retrouvé mes sensations d'autrefois à partir de la troisième, "Le congrès". Et c'était parti pour une petite tournée fantasmagorique jusqu'à "Le livre du sable", une histoire tout simplement parfaite. Peut-on rassembler toute la connaissance du monde et d'en extraire une quintessence; une sorte d'un "mot qui tue"? Est-ce seulement la peine, la connaissance étant tellement relative ? Que va t'on léguer à ceux qui viendront après nous ? Les thèmes qui méritent réflexion et que Borges façonne par sa plume en petits diamants littéraires bien ciselés.





Et je continue à penser que "Le masque de la Mort Rouge" est l'histoire le plus "borgesienne" de Poe !
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Poèmes d'amour

Ces Poèmes d’amour, de Jorge Luis Borgès, ils sont agréables à lire. Bon, il n’y est pas question d’amour charnel, du moins pas exclusivement. On peut aimer des objets, des moments volés au quotidien, des lieux, beaucoup de lieux qui nous racontent des souvenirs, les astres qui nous font rêver, des idéaux qui guident nos pas, etc. Vous l’aurez compris, les vers du grand auteur argentin nous transportent un peu partout et touchent des sujets variés. Et certains beaucoup que d’autres, tirant leurs sources de la vie, de la mort, de la mythologie et d’autres choses de plus loin encore. Aussi, régulièrement, au détour d’un poème innocent, le nom de Maria Kodema (sa troisième et dernière épouse, qui fut également son assistante) fait de brèves apparitions. Après tout, quand il est question de poèmes d’amour, on ne peut négliger l’être le plus cher à nos yeux.



Le bouquin est court, 126 pages, mais dans son édition bilingue. Si vous êtes comme moi, ça ne changera rien puisque je me suis essayé à lire en espagnol. Ce fut parfois laborieux par moments mais tout de même une expérience enrichissante. Quand c’est possible, j’aime bien lire dans la version originale. C’est que la poésie est bien souvent difficile à traduire. Faut-il prioriser les mots et leur sonorité, les rimes ou bien un certain rythme ? Ou, plutôt, l’impression générale qui s’en dégage è travers ses thèmes. C’est le parti qu’a pris la traductrice Silvia Baron Supervielle et que considère que ça a été joyeux comme résultat.
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Le livre de sable

L’Histoire avec un grand H est présente sous des formes diverses : la vraie avec « Avelino Arredondo », la fantastique avec « Ulrica » (même si cela commence par « mon récit sera fidèle à la réalité »), ou bien celle de faux manuscrits avec « UNDR ».

Plusieurs nouvelles sont marquées par le thème de l’université, en particulier « Le stratagème » : texte d’universitaire avec une intrigue universitaire.

J’ai ressenti un certain post-modernisme dans ce recueil, avec de nombreuses références érudites (Beowulf, Burns, Hugo, Dostoïevski), mais aussi avec des descriptions étranges d’hérésies anciennes, voire des expériences mystiques modernes et mystérieuses.

À noter l’importance d’un objet en particulier dans l’atmosphère fantastique : disque, livre de sable, parfois mystérieux, voire monstrueux à la Lovecraft (« There are more things »).

Enfin, l’importance du bluff, celui de l’auteur qui s’amuse avec la réalité. En fait, on ne doute presque jamais du rêve. C’est d’ailleurs le dernier mot de l’auteur : « J’espère que ces notes hâtives que je viens de dicter [l’épilogue] n’épuiseront pas l’intérêt de ce livre et que les rêves qu’il contient continueront à se propager dans l’hospitalière imagination de ceux qui, en cet instant, le referment. »
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Fictions

Sous la plume de Borgès le monde prend d’autres couleurs, il revêt plusieurs visages parfois flous, parfois explicites, parfois réels parfois non. Tout dépend de celui qui regarde ce monde animé par les mots de l’auteur. Et pour le lecteur ce n’est pas toujours facile. En tout cas pour moi ce ne le fut pas. Borgès est facétieux, espiègle, déroutant, il joue avec le lecteur, avec lui, ou à ses dépens là encore cela dépend de celui qui lit.



Dans Fictions le réel et l’imaginaire se confondent, laissant parfois le lecteur dubitatif. Moi, il m’a laissé dans l’incompréhension la plus totale, clairement je n’ai rien compris à certaines histoires (la première est terrible… !) Parfois j’ai eu la désagréable impression de toucher du doigt l’essence de l’histoire sans arriver à la saisir pleinement. C’est frustrant. A d’autres moments j’ai adorée ma préférée étant La fin, un récit très court mais d’une grande portée, dont on pourrait longuement débattre.



Borgès est un illusionniste, il attire votre attention sur un point pendant qu’il prépare son tour final. Il rend visible l’invisible. Il dissimule le réel pour mieux le mettre en exergue, le mettre à nu. Dans Fictions tout est question d’interprétation. Il est possible de lire deux fois la même histoire et de la comprendre de manière complètement différente. C’est comme s’il y avait une mutation permanente d’un texte pourtant figé. C’est à la fois génial et déstabilisant. A la lecture de ces écrits il y a parfois une sensation de vacuité, d’inutilité. Absurde, érudit, simple, complexe, labyrinthique, énervant, drôle, humain, … c’est un petit peu de tout ça. Ce sont des lectures riches mais difficiles pour certains dont je fais partie.



J’ai été surprise par cette lecture, j’avais beaucoup aimé Le livre de sable, là j’ai été moins enthousiaste. Heureusement mes copains de la LC étaient là pour m’aider à aller jusqu’au bout et aussi un peu pour se moquer… Mais cette différence de perception dans nos lectures a été très enrichissante et m’a permis de mieux cerner l’auteur à défaut de comprendre ses écrits. Il ne vous reste plus qu’à tenter l’expérience Borgès pour vous faire votre propre idée, moi je ne sais toujours pas…

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Nouveaux contes de Bustos Domecq

Nuevos cuentos de Bustos Domecq. Lu en v.o.



Honorio Bustos Domecq est un auteur singulier. Sa prose se demarque notablement de tout ce qu'a ete ecrit a son epoque en Argentine. Une prose qui melange erudition et bavardages populaires un peu ballots. Comme s'il n'avait pas digere sa culture. Ou comme si, apres t'avoir digeree, il l'eructait comme un vulgaire gaucho qui aurait abandonne sa pampa pour se perdre dans une des petites bourgades autour de Buenos Aires. Dans ses contes il transmet les racontars de ses nouveaux voisins, ses nouveaux congeneres, et des fois nous fait don de sa propre logorrhee. le tout ne servirait meme pas de litterature de gare et on est en droit de se demander qui et combien il a paye pour se faire editer. Et pourtant… il est admire par de grands litterateurs, de toutes generations, et on lui a meme consacre des theses et d'innombrables articles. Certains critiques ont soutenu que lui-meme n'a rien ecrit et qu'il avait un negre, voire deux negres, et ont meme avance de grands noms pour cette tache. Reves eveilles de critiques. Enfin… va savoir…



De ces “nouveaux contes" la plupart sont des monologues rapportes par l'auteur, une fois ce sont des lettres, sans reponse donc qui font aussi figure de monologue, et une fois il recopie le texte d'un critique grincheux qui s'acharne a demolir un poete oublie du 18e siecle.



Ceux qui monologuent ainsi sont des rates aux reves de grandeur inassouvis, de petits malfrats dont les manigances se retournent presque toujours contre eux, des leche-culs qui cherchent le bon derriere. Retransmis par Bustos Domecq, on ne sait si ces monologues sont fideles ou si l'auteur en profite pour clamer son inculture avec grandiloquence. Il cite des auteurs qu'il ne connait pas, dont il corrige les noms. La langue aussi en prend pour son grade. Il adultere des mots, mamajuana pour damejeanne, formidavel pour formidable, et j'en passe. En plus il melange sans discernment beaucoup de registres linguistiques, le franc-parler de la rue, des vestiges d'anciennes lectures, le verlan local. Les immigres de tous pays ayant envahi son parler, les francais lui feront dire “yo hesito”, les portugais “no fuera algún cabreira a cabriarse y a venir calveira pegándonos”, mais ce sont surtout les italiens, mascalzones, qui le gangrenent: “unas letras frangollo, a la fratellanza, del puntaje senza potencia, attenti Nelly!, como el spiedo del Perosio, sotto la mirada del babo". Des fois tout se melange en une hasardeuse tour de Babel: “tantos biglietes de hasta cero cincuenta que no habrá visto tantos juntos ni el Loco Calcamonía, malgrado su corta edad”. Je suis plein de compassion pour le traducteur attitre.



Bon, j'arrete de medire de ce pauvre Bustos Domecq. Qu'est-ce que je cherchais dans ce livre? Je ne sais plus et cela n'a aucune importance. Je sais par contre ce que j'y ai trouve. Un conte, La fiesta del monstruo, ou une bande de pequenauds provinciaux viennent a Buenos Aires pour la fete (nationale?) faire la bamboula et surtout ecouter le discours du leader, “le Monstre", et l'applaudir. En route ils boivent chantent s'empiffrent se disputent boivent crient chantent boivent et finissent, juste avant d'arriver a la grande Plaza de Mayo ou le Monstre doit se montrer au balcon du palais presidentiel, la Casa Rosada, par croiser un drole d'energumene, un petit juif a barbes et a lunettes ave son livre sous le bras. Un personnage grotesque, different, pas des notres donc suspect, suspect donc condamnable, comdamne d'office, qui provoque l'hilarite de la bande et l'action immediate la plus appropriee: sa lapidation. ”El primer cascotazo lo acertó, de puro tarro, Tabacman, y le desparramó las encías, y la sangre era un chorro negro. Yo me calenté con la sangre y le arrimé otro viaje con un cascote que le aplasté una oreja y ya perdí la cuenta de los impactos, porque el bombardeo era masivo. Fue desopilante; el jude se puso de rodillas y miró al cielo y rezó como ausente en su media lengua. Cuando sonaron las campanas de Monserrat se cayó, porque estaba muerto. Nosotros nos desfogamos un rato más, con pedradas que ya no le dolían. Te lo juro, Nelly, pusimos el cadáver hecho una lástima. […] Presto, gordeta, quedó relegado al olvido ese episodio callejero. Banderas de Boitano que tremolan, toques de clarín que vigoran, doquier la masa popular, formidavel.” (Je m'essaie a traduire: le premier coup l'atteignit par pure chance, Tabacman, et lui eparpilla les gencives, et le sang etait un jet noir. Je me suis echauffe avec le sang et lui approchai un autre voyage avec un gravat que je lui ecrasai une oreille et je perdis le compte des impacts parce que le bombardement etait massif. Ce fut desopilant; le jude se mit a genoux et regarda le ciel et pria comme absent en sa demie langue. Quand sonnerent les cloches de Monserrat il tomba, parce qu'il etait mort. Nous nous epanchames encore un moment, avec des tirs qui ne lui faisaient plus mal. Je te le jure, Nelly, nous avons laisse un piteux cadavre. […] Presto, ma grosse, fut oublie cet episode de rue. Drapeaux de Boitano qui s'arborent, appels de clairon qui revigorent, partout la masse populaire, formidavel.)



Je sais maintenant ou Antonio Dal Masetto (Deux hommes a l'affut) et Osvaldo Soriano (Quartiers d'hiver) ont ete pecher leur premiere idee de base. On me susurrait que c'etait chez Borges. En verite je vous le dis, c'est plutot chez ce minable de Bustos Domecq qu'ils l'ont degottee. Dans ce terrible conte a l'humour grincant qu'est La fiesta del monstruo. Et si eux y ont trouve une source, meme si de rare debit, je devrais, moi, nuancer mon avis sur ce Bustos Domecq. Il n'est peut-etre pas si minable. Je vais faire amende honorable. J'ai trop l'habitude d'encenser de grands noms de la litterature argentine, comme Borges ou autres Bioy Casares, je prendrai dorenavant le pli de reserver quelques louanges aux petits comme Bustos Domecq.





P. S. Ne me jettez pas la pierre. Je l'avais annonce: jamais deux sans trois.

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Fictions

L'immense talent de l'auteur argentin Jorge Luis Borges n'est plus à démontrer. Il s'impose comme un des auteurs les plus inventifs du 20ème siècle.

Mais lire Borges, c'est relever un défi auquel je ne m'attendais pas vraiment. En effet, Borges est un auteur souvent cité en épigraphe, je l'ai donc abordé sans aucun à priori, avec, je dirais même, le regard plutôt curieux d'un lecteur qui souhaite découvrir son univers.

Ces textes au style dense, sont à la frontière de plusieurs genres, mariant la poésie, la nouvelle, le conte magique, le récit mythologique, la fiction policière, l'essai, mais d'autres images me viennent à l'esprit pour définir ces récits : on est tour à tour dans des histoires gigognes, des histoires de labyrinthes, ou des histoires cycliques.



Alors, voilà, je me sens un peu confuse au moment d'écrire ce billet.

Si certaines nouvelles m'ont paru très accessibles, d'une beauté et d'une profondeur insondables, je me suis souvent perdue dans un univers trop complexe, trop obscur. Certaines portes me sont restées fermées, malgré plusieurs lectures. Etant peu familière de la littérature philosophique, métaphysique, j'ai trouvé ces histoires souvent étrangement insaisissables, fuyantes, évanescentes et pourtant, parfois, traversées de beauté, de fulgurances, d'évidence.

Dans mes lectures, je recherche les émotions et j'ai souvent trouvé l'écriture de Borges assez froide, même si j'ai parfois senti derrière ses propos, de l'humour, de l'ironie, des références à sa vie comme un jeu de miroirs qui nous renverraient son reflet.



« Aveugle pour les fautes, le destin peut être implacable pour les moindres distractions. »



L'auteur n'est nullement en cause dans mon ressenti qui oscille et vacille, j'en suis uniquement la cause. C'est pour cette raison que je ne noterai pas ce livre pour l'instant. C'est une oeuvre multiple et déroutante sur laquelle je reviendrai plus tard et dans laquelle je plongerai à nouveau pour percer ses mystères. Et peut-être qu'à ce moment-là, je rédigerai un nouveau billet accompagné d'une note qui sera plus juste au regard du talent de l'auteur.



*

Dans ce recueil de dix-sept nouvelles, la plupart d'entre elles sont fantastiques, ou dans un esprit de réalisme magique dont je suis friande. L'auteur aime entretenir la confusion entre le réel et l'irréel, la réalité et le rêve, le possible et l'impossible, le vrai et le faux, le visible et l'invisible, un monde fini et infini. Mes pensées ont voyagé très loin, dans le temps et l'espace, dans le monde des livres, dans l'univers.



Quand je me remémore les dix-sept nouvelles qui composent « Fictions », des mots me viennent spontanément à l'esprit : labyrinthes, miroirs, vertige, bibliothèques, encyclopédies, rêves, mémoire, oubli, philosophie, religion, temps, espace, énigme, cercle.

Je leur ai trouvé un côté sombre, parfois angoissant, souvent vertigineux. Certaines s'emmêlent et s'entrelacent, comme si elles résonnaient entre elles et trouvaient un écho, comme si une multitude de miroirs prolongeait le dédale de notre esprit et du monde.



*

Parmi les nouvelles que je retiendrai, ma préférée est « Les Ruines Circulaires ».

Un étranger se fraie un chemin dans les ruines d'un ancien temple. Là, chaque nuit, il rêve d'un homme et l'imagine dans les moindres détails jusqu'à ce qu'il devienne réel.

Ce récit m'a rappelé Prométhée ou Frankenstein. La fin du conte, totalement inattendue, montre l'homme dans toute sa fragilité, mais aussi dans la puissance de son pouvoir créatif. Une fin qui n'a pas de fin, qui se veut comme un cercle, sans commencement, sans issue, comme une histoire qui se répète à l'infini.



*

Celle que je retiens également est "Le miracle secret", l'histoire de Jaromir Hladik, un poète juif condamné à mort par les nazis. Face au peloton d'exécution, l'homme tente de figer le temps en imaginant tous les scénarios possibles pour empêcher son exécution. Ainsi, il obtient une année pour écrire mentalement le dernier acte du livre sur lequel il travaille.

J'ai aimé la façon dont Borges parvient à maîtriser le temps, rendant sa durée relative et subjective.

Tout semble s'achever en un instant et durer infiniment.



« Il croyait à des séries infinies de temps, à un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents et parallèles. » - le jardin aux sentiers qui bifurquent -



*

J'ai également aimé " La loterie de Babylone », qui propose une réflexion sur la chance et la part de hasard dans les évènements de la vie.

Dans la ville de Babylone, une loterie se transforme en un jeu de hasard qui gouverne et contrôle peu à peu le destin des hommes. le hasard détermine alors la vie des hommes avec ses récompenses et ses punitions comme une main invisible qui jouerait avec notre destin. Pile ou face ?



*

« La bibliothèque de Babel », la plus connue, est une magnifique métaphore de la littérature avec la présentation d'un univers sous la forme d'une bibliothèque infinie aux galeries hexagonales qui, en contenant tous les livres possibles, passés, présents, futurs, renferme les secrets de l'univers, le destin des hommes, et questionne sur le sens de la vie.



« Dans ce conte, et je l'espère dans tous mes contes, il y a une partie intellectuelle et une autre partie — plus importante, je pense —, le sentiment de la solitude, de l'angoisse, de l'inutilité, du caractère mystérieux de l'univers, du temps, ce qui est plus important : de nous-mêmes, je dirai : de moi-même. »



*

Et puis, dans ce livre-univers, il y a des phrases qui questionnent et font réfléchir sur des thèmes récurrents dans l'oeuvre de Jorge Luis Borges, celui de l'identité.



« … les miroirs et la copulation étaient abominables, parce qu'ils multipliaient le nombre des hommes. »



J'ai perçu la beauté et la justesse de l'écriture, l'inventivité, l'originalité, la profondeur, l'ironie perçante, l'espièglerie, mais j'ai aussi eu le sentiment d'avoir seulement effleuré toutes les pensées de l'auteur.



*

Pour conclure, un ressenti est très subjectif. Ce livre avait tous les ingrédients pour me séduire, mais malheureusement, j'ai l'impression d'être passée à coté de certains textes par manque de références littéraires et philosophiques. Ne possédant pas certaines clés de compréhension, je me suis sentie souvent bien ignorante face à l'érudition de Borges.

Même les histoires les plus faciles recèlent plusieurs niveaux d'interprétation.



Ce recueil de nouvelles est sûrement unique, en tous les cas, il a été pour moi une expérience plutôt déconcertante et inattendue. Je ne m'avoue pas vaincue. Je relirai ce livre ou je commencerai par des livres plus abordables avant d'y revenir.



« Ce qui importe, ce n'est pas de lire mais de relire. »

Le livre de sable



***

Merci aux 11 membres de l'équipe, Paul, Nicola, Doriane, Elea, Chrystèle, Patrick, Marie-Caroline, Jean-Michel, Anhj, Bouffanges et Bernard, pour cette belle lecture commune, riche en échanges qui ont souvent permis d'éclairer les nombreuses zones d'ombre et d'ouvrir vers de nombreuses interprétations.
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Le Sud et autres fictions

Ce petit recueil est extrait de Fictions. Il comprend six nouvelles. Ma préférée est la dernière, le Sud. Mais avant de trouver le Sud j'ai souvent perdu le Nord et erré dans les labyrinthes spatiaux et temporels avec plus ou moins d'enthousiasme.





1. Les ruines circulaires (1940)

Dans un temps immémoriel et un décor de fin du monde, un homme taciturne imagine qu'il crée un être humain. Il se rêve dans un amphithéâtre, enseignant, il choisit un élève, admire ses capacités mais après plusieurs nuits d'insomnie il se réveille en constatant qu'il a échoué. Alors il s'endort et imagine qu'il crée un nouvel Adam de rêve pétri par le rouge du Feu. le mage perfectionne sa création de nuit en nuit et épuise tout l'espace de son âme...

J'ai aimé ce texte prométhéen au parfum envoûtant de myrrhe et d'encens.



2. le jardin aux sentiers qui bifurquent (1941)

Un texte labyrinthique qui m'a donné un puissant mal de crâne. Ce que j'ai préféré , c'est l'astucieuse structure en quatre poupées gigognes.

La première est la nouvelle de Borges « Le jardin aux sentiers qui bifurquent ». la deuxième est le livre d'Histoire dans lequel le narrateur trouve une lettre signée par Yu Tsun un espion chinois qui travaillait pour les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. La troisième porte sur le contenu de la lettre : Yu Tsun explique qu'il a assassiné Stephen Albert, un sinologue britannique, afin de signifier à son supérieur qu'ils doivent attaquer une ville nommée Albert. La dernière correspond au roman le jardin aux sentiers qui bifurquent écrit par Ts'ui Pên, l'ancêtre de Yu Tsun. Lors de la rencontre de Yu Tsun et Albert, celui-ci lui dévoile qu'il a déchiffré l'énigme du roman : il s'agit d'un labyrinthe où l'auteur a écrit toutes les options possibles de l'histoire.



3. Funes ou la mémoire (1942)

Le texte est terrible, effrayant car incarné par un jeune paysan uruguayen de 19 ans Irénée Funes pas très futé mais bon gars que « Borges » a rencontré. Celui-ci cloué dans son lit depuis qu'un cheval l'a renversé est possédé par un don de perception et une mémoire infaillible. Il ne se trompe jamais mais sa mémoire enregistre tout, envahit tout. Il ne perçoit plus que des fragments disparates du monde dont il perd le sens global. Incapable d'abstraire, Ignacio sombre dans la folie.



4. La forme de l'épée (1942)

J'ai bien aimé cette nouvelle sur les apparences trompeuses. Elle évoque tout à la fois l'épopée dans la pampa, Simbad le marin et les récits de pirates. On est dans le Sud et un Anglais balafré pardon un type anonyme surnommé L'Anglais de la Colarada raconte au narrateur l'histoire secrète de sa cicatrice. En fait le gars est un Irlandais du Munster, un certain Vincent Moon qui porte sur son visage un croissant de sang causé par un croissant d'acier. Cette nouvelle lunaire vous fait voyager du Sud au Nord et d'Ouest en Est, de quoi avoir la vue troublée.



5. La mort et la boussole (1942)

J'ai eu de nouveau un bon mal de crâne avec cette nouvelle, aux allures de roman policier à énigme. le détective Erik Lönnrot, qui fait penser à Dupin, le détective d'Edgar Poe, tente d'élucider le meurtre d'un rabbin. Mais celui-ci est suivi de deux autres homicides commis dans des circonstances similaires. Lönnrot découvre la loi qui régit la série d'assassinats, le tétragramme. Il espère alors empêcher un quatrième meurtre et placer les meurtriers sous les verrous... le texte est un jeu de miroirs, une étude en rouge écarlate, pleine de références. Outre celles concernant moult auteurs populaires de romans policiers, on y trouve le Talmud, la Kabbale, le paradoxe de Zénon etc, etc, etc. C'est la nouvelle la plus déboussolante du recueil tant elle coupe les cheveux en quatre. C'est aussi la plus pédante. Heureusement la fin est fameuse.



6. le Sud (1953).

Ah , enfin !

Voir billet le Sud (nouvelle).



Ce petit recueil me semble idéal pour découvrir Borges, à condition de prendre son temps.
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Histoires étranges et fantastiques d'Amérique l..

Je suis un anaconda. J'ai avalé cette anthologie de 505 pages avec grand plaisir et je ne suis pas repue, je vous préviens. Vous aurez droit à de petits billets sur certaines histoires que je compte bien relire ou écouter.

Claude Couffon un très grand spécialiste a réuni en 1989 la crème de la crème, d'un continent formidablement divers et prolixe (voir la liste complète dans "résumé"). Une trentaine d' histoires signées des plus grands écrivains hispanophones et lusophones du XXe. Tous désormais classiques. Tous ont écrit de superbes textes étranges ou fantastiques. Ne me demandez pas quelle est la différence, je vous goberais tout cru sur votre oreiller de plumes ce soir. Ces définitions varient tous les ans et sont toujours indigestes tant il y a d'exceptions. Je suis bien davantage sensible à la maîtrise du cuento ou conto, qui est considéré là bas comme un des beaux arts.

« J'ai lutté, écrit Quiroga, pour que le conte n'ait qu'une seule ligne, tracée d'une main certaine du début jusqu'à la fin. Aucun obstacle, aucune digression ne devait venir relâcher la tension de son fil, le conte est, au vu de sa fin intrinsèque, une flèche soigneusement pointée qui part de l'arc pour aller directement donner dans le mille. »



Ces fins archers sont tous les héritiers de plusieurs traditions écrites et orales amérindiennes, africaines, européennes. Ils ont le don de vous faire gober le surnaturel comme si de rien n'était. On l'accepte d'autant plus volontiers qu' on aime entendre des histoires, entre plaisir et horreur, qui nous sortent littéralement de l' ordinaire pour mieux l'interroger.



J'ai savouré des histoires qui sont indisponibles à ma connaissance en français actuellement :

-Oscar Cerruto : Les Vautours***** un voyageur croise le regard magnétique d'une femme dans un tramway et plonge dans un cauchemar.

-Juan Bosh : La Tache indélébile*** : un conte fantastique civique...si, si.. qui vous fait perdre la tête (voir citation).

-Juan Jose Arreola : L'Aiguilleur***** : un voyageur cherche en vain son train et dialogue avec l'aiguilleur. Une nouvelle absurde et drôle.

-Elena Garro : le Jour où nous fûmes des chiens****La cruauté du monde vue à travers l'imagination innocente d'une petite fille.

-Virgilio Diaz Grullon : au-delà du miroir*** Un homme à la recherche de sa véritable identité.

-Sergio Galindo : L'homme aux champignons ****Une terrible fricassée familiale.



Merci beaucoup Bobby.

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Le rapport de Brodie

Il est facile de passer à côté de Borges. Il faut s’y retrouver dans les inextricables guerres sud-américaines du XIXème siècle, l’un de ses théâtres préférés. Il faut s’habituer à ses histoires de voyous et de gauchos, où les bagarres au couteau sont omniprésentes. Et plus que tout, il faut s’accoutumer à une certaine forme de sauvagerie et de bestialité d’où, sans qu’on comprenne pourquoi, émergent brutalement des comportements très complexes, comme les restes d’une civilisation enfouie sous la barbarie qui ressortiraient tout d’un coup.



Ce petit recueil d’une dizaine de nouvelles peut donc être assez déstabilisant. La plupart se déroulent dans l’Argentine des années 1850, un pays jeune, à peine indépendant, où les hidalgos et leurs nobles traditions côtoient les cow-boys de la pampa, et une foule de nouveaux arrivés européens misérables. La vie y est dure, et souvent courte. On y est pointilleux sur l’honneur, et les querelles se vident rapidement.



Mais la dernière nouvelle est la plus curieuse. Une sorte de compte-rendu d’exploration, où un pasteur raconte avoir rencontré en Afrique un peuple aux mœurs étranges, cruelles et déstabilisantes. Ils ont un roi, auquel ils coupent pieds et mains et ils crèvent yeux et tympans, pour que le contact avec le monde ne le souille pas. Ils croient à l’origine divine de la poésie, et par conséquent tuent tous ceux à qui l’inspiration fait soudain aligner des mots… Le récit se termine par un plaidoyer en leur faveur de l’explorateur, qui souligne que malgré leurs mœurs franchement répugnantes, ils n’en sont pas moins des hommes, ayant mis en place une certaine forme de culture.



Une porte classique pour pénétrer dans l’univers déstabilisant et austère de Borges.

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Le rapport de Brodie

— Yahoo pour le rapport de Brodie —



Je devrais pour une fois réussir à faire court, n’étant pas un bon connaisseur de Borges, appréciant sans doute davantage l’idée d’une fréquentation flatteuse de son œuvre plutôt que les lectures des nouvelles de L’Aleph ou de Fictions, lues il y a moins de dix ans et dont je ne me souviens plus.

J’aime la promesse vertigineuse de cette littérature érudite et spirituelle comme ces fantasmes à chérir plutôt qu’à réaliser…



Sans doute est-ce pour cette raison que j’ai particulièrement apprécié ce recueil tardif de textes laconiques dictés par un Borges déjà aveugle, petit volume de courtes nouvelles (ou contes — cuentos) à la facture classique, aux intrigues limpides qui filent droit à leur conclusion, avec tout au plus une volte élégante, une lueur malicieuse.



« J’ai tenté, je ne sais avec quel bonheur, d’écrire mes contes de la façon la plus simple », dit-il dans la préface. Quelque chose comme de la vraie fausse modestie (ou fausse vraie). « Avec l’âge, j’ai appris à me résigner à être Borges. »



Ce sont principalement des histoires violentes où des personnages bas-de-plafond jouent du couteau où sont les jouets de leurs armes, soumis aux traditions davantage qu’à l’honneur. Le narrateur d’un des épisodes, qui pourrait être l’auteur, est même particulièrement vil.



« Rapporter un fait c’est cesser d’en être l’acteur pour en devenir le témoin, pour être celui l’observe et le narre, et qui dès lors n’en est plus le protagoniste. »



La plupart des contes sont des « pièces rapportées », une confession soudaine, un manuscrit retrouvé... suscitant un jeu à trois avec le lecteur. Un jeu de miroirs, dirais-je, si dans une des nouvelles de Fictions (ça je m’en souviens) il n’expliquait pas abhorrer le sexe et les miroirs parce qu’ils multiplient les hommes !



À quelle distance se tenir du texte, du signifiant, du signifié ? C’est une question d’écart, de pas de côté, de différence entre l’auteur et celui qui écrit, de vraie-fausse (encore) connivence avec le lecteur, sollicité au premier comme au deuxième degré.

C’est une question de point de vue : « La mer nous paraît plus grande parce que nous la voyons du pont d’un bateau et non pas du haut d’un cheval ou du haut de notre propre stature. »



Quant au reste, se demande un personnage, les hommes n’ont-ils pas au cours des âges toujours répété deux histoires : « Celle d’un navire perdu qui cherche à travers les flots méditerranéens une île bien-aimée, et celle d’un dieu qui se fait trucider sur le Golgotha. »



Mon goût des liens à entretenir entre les livres a bien sûr convoqué à ce propos mes lectures récentes d’un autre argentin, Juan José Saer. Pour les textes rapportés, mais aussi et enfin, dans la nouvelle éponyme qui conclut le recueil, assez différentes des précédentes, pour les indiens Yahoos dont l’étrangeté rappelle (appelle) les anthropophages de L’Ancêtre — et sont un hommage patronymique aux Voyages de Gulliver de Swift.



Entre autres singularités, les Yahoos de Borges « sont insensibles à la douleur et au plaisir, en dehors de celui que leur procure la viande crue et avariée, et tout ce qui est fétide. Leur manque d’imagination les pousses à être cruels. »

Mais, somme toute, conclut le rapport du pasteur écossais Brodie, leur organisation sociale et symbolique représente la culture « comme nous la représentons nous-mêmes, en dépit de nos nombreux péchés. »

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Le livre des êtres imaginaires

"Nous ignorons la signification du dragon, comme nous ignorons la signification de l'univers, mais il y a quelque chose dans son image qui s'accorde avec l'imagination des hommes".



Le livre des êtres imaginaires est un ouvrage documentaire remarquable écrit par Jorge Luis Borges AVEC la collaboration de Margarita Guerrero en 1967. Il fait suite en le complétant au Manuel de zoologie fantastique publié en 1957. Au bestiaire s'ajoutent dix ans plus tard « d'autres entités étranges que le fantasme des hommes a engendrées à travers le temps et l'espace  ».

L'édition française contient les descriptions d'environ 120 créatures légendaires  issues des mythologies, du folklore et de la littérature du monde entier : fées, satyres, trolls, nymphes, djinns, licornes, minotaures, dragons, harpies, centaures, sirènes, norns, oiseaux, doubles, chimères, anges et démons etc. Beaucoup de créatures hybrides ou de créatures grotesques connues et moins connues qui amplifient les angoisses et les désirs bien humains. L'ouvrage se présente comme un dictionnaire avec des entrées alphabétiques.

L' édition dont je dispose (L'imaginaire Gallimard) ne contient aucune illustration. Et c'est très bien. Je pense en particulier à tous les artistes du forum.

Chaque article décrit la créature imaginaire avec le plus grand sérieux comme s'il s'agissait d'un ouvrage scientifique en citant ses sources, strictement textuelles.

J'ai retrouvé l'érudition, l'intelligence et parfois l'humour pince sans rire de Borges. Cependant je préfère l'émotion, l'angoisse et le vertige, que procurent la lecture de ses Fictions ou bien celle des contes animaliers de Quiroga.

A consulter.
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Fictions

Jorge Luis Borges est un auteur qu'on m'avait chaudement recommandé. Fictions est un recueil divisé en deux parties : Le Jardin aux sentiers qui bifurquent et Artifices. Pour lire ce livre, il a fallu que je m'accroche bien. Fictions est un recueil étrange et intéressant mais assez compliqué. L'auteur montre ses nombreuses références culturelles notamment les auteurs qu'il affectionne. La plume est parfaitement maîtrisée. On sent que Borges n'est pas un novice de l'écriture car il possède un style dense et unique. Néanmoins, on se perd facilement avec toutes ces nouvelles. Lire Borges est une épreuve mais pas une épreuve insurmontable.
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Le Sud (nouvelle)

Le Sud est un classique du récit fantastique métaphysique publié en 1956 dans le livre « Artificios ». Dans le prologue en espagnol, Borges lui-même dit qu' El Sur est « sa meilleure histoire ». Peut-être parce qu'elle réussit à combiner plusieurs de ses thèmes de prédilection : le rêve, le destin, le temps et la mort du personnage. Ce fut la dernière nouvelle que Borges rédigea de sa main, avant de devenir aveugle.

Le récit conté par d'excellents comédiens permet de ressentir une palette d'émotions. Et l'écoute appelle la (re) lecture car ce conte est une merveille d'ingéniosité narrative.





Juan Dahlmann est un habitant de Buenos Aires, petit secrétaire obscur dans une bibliothèque municipale. D'ascendance germanique du côté paternel, il est très fier de ses ancêtres criollos, en particulier de son grand-père maternel mort dans la pampa en combattant "les indigènes". Il possède un certain nombre de reliques familiales : une vieille épée, une photo lithographique et un petit domaine dans le Sud de l'Argentine qu'il n'a jamais trouvé le temps de visiter. En février 1939, il fait l'acquisition d' un exemplaire des Mille et une Nuits en allemand. Alors qu'il rapporte le livre chez lui, tout impatient de l'examiner, il se coupe accidentellement la tête sur le bord tranchant d'une fenêtre ouverte. La blessure s'infecte, il souffre énormément, il délire, il est transféré dans une clinique et confiné dans une chambre. Après des jours de traitement, on lui apprend qu'il a survécu à une septicémie. Il part alors vers ce domaine familial au Sud où il n'a jamais mis les pieds. A la gare, il remarque un chat noir qui se prête aux caresses. Il réfléchit sur le fait que le chat vit dans un éternel présent, différent du temps humain. Il monte dans le train, ouvre les Mille et une nuits et les referme aussitôt car il est fasciné par le vaste paysage désertique. A l'avant dernière gare, on l'informe que le train n'arrivera pas à destination. il doit donc descendre. Il chemine à travers de sombres chemins jusqu'à une auberge (un almacén de campo ) à l'extérieur de laquelle il remarque des chevaux de gaucho. Il s'assied, commande à manger et commence à lire Les Mille et une nuits mais un groupe d'ouvriers agricoles (péones) commence à le narguer. le patron s'adresse alors à Dahlmann par son nom en le suppliant d'ignorer ces hommes au couteau facile...



Le lecteur au fur et à mesure de l'avancée de la nouvelle se demande si Dahlman vit ou rêve ce qui est décrit. Peut-être que Dahlman n'a pas quitté l'hôpital et qu'il cherche un moyen de s'évader de l'hôpital où il souffre. D'autre part Dahlman a plusieurs fois la sensation d'un déjà vu, d'un déjà vécu. Il semble connaître l'aubergiste et celui-ci l'appelle par son nom. La narration passe plusieurs fois du présent au passé. A la fin il semble accepter son destin en combattant héroïque, comme son grand-père. Mais ne serait-ce pas une histoire de plus du livre des Mille et une Nuit, lui permettant d' échapper au funeste couteau ?



https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/histoires-fantastiques-8-10-le-sud-3483511

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L'immortalité

J'ai écouté la nouvelle L'immortel de Jorge Luis Borges lue par Michel Bouquet. Formidable ! Son interprétation m'a beaucoup aidée à comprendre cette odyssée, exaltante et douloureuse.

Un vieux manuscrit a été retrouvé dans un exemplaire de L'Iliade acheté à un libraire à Tanger. le manuscrit raconte l'histoire de Marcus Flaminius Rufus, un tribun romain d'une garnison égyptienne . celui-ci s'est mis en quête de la Cité des Immortels et de son eau merveilleuse, après avoir écouté le récit que lui fit avant de mourir un cavalier venu d'Orient. Marcus Flaminius Rufus dirige alors une expédition de plus de deux cents hommes. Après bien des péripéties funestes, il se retrouve tout seul en plein désert. Il s'évanouit et rêve qu'il se trouve dans un lieu étroit à l'intérieur d'un labyrinthe au centre duquel se trouve une amphore. Mais les détours pour y accéder sont tels qu'elle semble hors de portée. A son réveil Il se retrouve prisonnier dans un lieu désolé, peuplé de troglodytes nus à la peau grise. Il aperçoit de l'autre côté d'un ruisseau boueux, la Cité. Il parvient à se libérer, mange du serpent et boit de l'eau croupie puis il quitte le village troglodyte. L'un des Barbares le suit. Marcus pénètre dans cette Cité qui le fait frémir d'épouvante…

La nouvelle est une parabole philosophique passionnante sur la pensée, la temps et la mort enluminée de puissantes images et de mythes revisités. La voix de Michel Bouquet restitue pleinemement la vérité poétique du texte.

On peut trouver cette version audio gratuite, facilement.
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