AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Jorge Luis Borges (364)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Fictions

Ce recueil de nouvelles paru en 1944 est un sommet de la littérature universelle où l'auteur s'installe dans une métaphysique fictionnelle qui prend appui sur le « livre » comme personnage de fiction, organisant, voire générant la réalité. Jorge Luis Borges renverse le postulat admis d'une littérature reflet du réel, pour faire de ce réel la simple traduction, au sens fort du terme, de la littérature : le monde n'est qu'imparfaite traduction du livre comme modalité première et fondatrice, sorte de bibliothèque aux possibilités aussi infinies qu'insoupçonnées. Tout part du livre, tout y revient, dans un mouvement circulaire qui peut prendre la forme du rêve, du souvenir, de l'énigme, du miroir, du labyrinthe, du duel, de la trahison…



Le monde-bibliothèque de Jorge Luis Borges est conçu comme un labyrinthe dont les voies bifurquent dans un retour infini sur elles-mêmes, porteuses du seul paradoxe qui donne un sens à tout labyrinthe : en connaître l'issue le prive de sa nature et de son sens en le rendant semblable à n'importe quel autre tracé. Par ailleurs, un labyrinthe sans issue est une prison. C'est de ce paradoxe dont sont nourries ces nouvelles de Borges, avec le duel et la trahison pour scander le destin des hommes : ils ont beau connaître l'issue qui les libèrerait, seul l'égarement finalement les attend.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
Commenter  J’apprécie          412
Six problèmes pour don Isidro Parodi

Six problèmes pour Don Isidro Parodi est le premier livre du tandem Jorge Luis Borges/ Adolfo Bioy Casares. Il est publié en 1942 sous le pseudonyme de H.Bustos Domecq avec une préface d'un autre pseudonyme, l'impayable Gervasio Montenegro. Il contient six petites histoires pseudo-policières. Elles parodient des classiques du roman policier à énigme (j'en ai reconnu 3/6). Elles sont gorgées de références à la vie argentine des années 30, au microcosme artistico-intellectuel de Buenos Aires dont ils se moquent du début à la fin via une galerie de personnages croquignolets : pédants, nationalistes, xénophobes, académiciens, philistins, m'as-tu-vu, crétins en tout genre. le détective est pittoresque et goguenard. Ancien coiffeur de son état, Isidro Parodi s'est retrouvé accusé à tort puis condamné pour un meurtre qu'il n'a pas commis. Il s'est accommodé à passer vingt ans derrière les barreaux. Il est devenu sage et célèbre. Depuis sa cellule 273, il reçoit les interminables plaintes pompeuses et alambiquées de ces messieurs dames empêtrés dans des problèmes insolubles et à la fin résout l'énigme en trois coups de cuiller à maté. Il a un côté bouddha et pythie, l'Isidro. Il paraît aussi qu'il ressemble au père Brown de Chesterton que je n'ai pas lu.

Borges et Bioy ont dû beaucoup s'amuser en écrivant ces petits contes burlesques à quatre mains. Je comptais bien me gondoler aussi. Certes j'ai souri, surtout au début, mais je me suis aussi pas mal ennuyée. L'écriture volontairement boursouflée m'a lassée à la longue. Et puis surtout mon ignorance crasse concernant les références parodiées m'a empêchée de jubiler.
Commenter  J’apprécie          394
L'Aleph

J'ai écouté la nouvelle L'Aleph interprétée par l'inoubliable Michel Bouquet.

Le narrateur qui s'appelle Borges se consacre depuis des années à la mémoire de Beatriz Viterbo, sa bien aimée, morte en 1929. Quand elle était en vie Borges aimait sa Béatrice seulement en imagination. Depuis qu'elle est morte, il se sent plus libre, il peut pénétrer chez elle, toucher les objets qui lui ont appartenu et contempler les portraits multiples qu'on a fait d'elle. A chaque anniversaire de sa mort, le 30 avril, Borges se rend chez elle et fait la connaissance de son cousin germain, Carlos Argentinos Daneri qu'il méprise à cause de ses gesticulations et de son accent italien. On sent quand même une proximité certaine avec le narrateur car le cousin est bibliothécaire subalterne et se pique de faire des vers . Carlos Daneri veut que Borges le mette en relation avec un écrivain reconnu mais Borges s'abstient de le faire.

Cependant plusieurs mois plus tard Daneri lui téléphone très agité. La maison de ses parents et de Beatriz va être démolie ! Cette fois le narrateur compatit à sa douleur. Tout l'univers imaginaire du narrateur sera enseveli et Daneri ne pourra retrouver l'Aleph sous la salle à manger.

L'Aleph ? Vous vous demandez ce que c'est. Ah ! Ah ! Vous vous dites que le cousin est un peu dérangé comme toute la famille. Vous voulez en savoir plus, je vous connais. Et vous oubliez Beatriz. le narrateur aussi...





L'interprétation de l'inoubliable Michel Bouquet est formidable. du grand art.

J' ai lu la nouvelle, je l'ai relue, elle me fatigue un peu trop la cervelle et m'émeut seulement à la fin…L'aurais-je déjà oubliée demain ?
Commenter  J’apprécie          3916
Fictions

J'ai tellement entendu parler de cette fameuse bibliothèque de Babel, qui contient tous les livres existants, ayant existé et qui existeront dans l'avenir… il était temps que je lui rende une petite visite ! Le récit fait partie d'un recueil de nouvelles, genre que j'affectionne particulièrement, et la quatrième de couverture m'annonce que ces textes du maître argentin vont bouleverser ma vie. Sur le papier, tout est réuni pour passer un bon moment.



Pourtant, la sauce n'a jamais vraiment pris. Pas vraiment à cause des idées développées, qui faisait pétiller mes neurones, mais surtout à cause du style, que j'ai trouvé vraiment pesant. C'est la première fois dans ma vie de lecteur que je dois faire deux pauses pour venir à bout d'une nouvelle de vingt pages. Pour ne rien arranger, le lecteur précédent avait souligné des passages au crayon à grands renforts de « !! », alors que ces passages me semblaient tout à fait anodins, ce qui, je dois l'avouer, m'a beaucoup vexé.



Deux nouvelles m'ont tout de même marquée : la bibliothèque de Babel justement, qui remet bien en question toutes nos idées sur tout ce qui touche la littérature, et la Loterie de Babylone, dont la chute est particulièrement saisissante.



Dans l'ensemble, j'ai tout de même l'impression d'être passé à côté de quelque chose… Je me note cet auteur dans un coin de la tête, et j'y reviendrai sans doute dans quelques années.
Commenter  J’apprécie          394
Fictions

Le quatrième de couverture m'avait fortement alléché en classant Jorge Lui Borges comme "l'un des dix peut-être des cinq auteurs modernes qu'il est essentiel d'avoir lus." C'est peut-être la cas, mais Fictions ne m'aura pas convaincu. Je reste sur ma faim...tellement d'autres auteurs m'ont procuré plus de plaisir ! Je vais laisser passer un peu de temps et le relire, peut-être accèderais-je alors à son univers...
Commenter  J’apprécie          381
Oeuvre poétique, 1925-1965

« Je demande à mes dieux ou à la somme du temps

Que mes jours méritent l’oubli,

Que mon nom soit Personne comme celui d’Ulysse,

Mais que se perpétuent quelques-uns de mes vers

Dans la nuit propice à la mémoire

Ou dans les matins des hommes » "A un poète saxon"

Hommage au poète inconnu de la Chronique anglo-saxonne, mais peut-être aussi l’envie de Borges que ses vers ne soient pas oubliés…



Borges, je découvre et je ne peux pas dire que ça soit gai.

« Pour le sommeil et la mort,

Ces deux trésors cachés » "Autre poème des dons"

Mais au final, j’ai bien aimé ce recueil, il parle de lui, de la poésie, de la nuit, il fait revivre des batailles, des héros des anciens temps, d’autres continents, évoque des villes et des voyages et ses peurs, ainsi que la cécité.



Commenter  J’apprécie          373
Fictions

José-Luis Borges a été une de mes découvertes majeures et merveilleuse, dans les années 80.

Avec La Loterie de Babylone et La Bibliothèque de Babel- entre autres textes- Borges emmène le lecteur dans des imaginaires aussi puissants que séduisants.

Borgès est un des écrivains à qui je suis profondément reconnaissant.

Un auteur indispensable à tout amateur de livres, voire essentiel.

De ceux que je garde à portée de doigts.
Commenter  J’apprécie          372
Treize poèmes

La place de la poésie dans l'oeuvre de Jorge Luis Borges est considérable, tant par sa valeur que par sa signification. Souvent quand je lis le grand écrivain argentin, j'éprouve le rapport particulier, une perception unique, qui va de l'écriture de l'auteur jusqu'à l'attention du lecteur, qui en second, vient comme parachever l'existence du texte et du livre.



Dans ses nouvelles comme dans sa poésie, tout chez Borges apparaît comme une série d'impressions sur le langage et sur l'imagination. Les Treize poèmes (les derniers poèmes que Borges écrira) publiés en 1978 aux éditions Fata Morgana traduits pas Roger Caillois, ne font que confirmer ce sentiment.



Dans ce court recueil en édition bilingue, Borges mêle la sagesse au mystère. Entre histoire et érudition (la mythologie et l'histoire antique y occupent une place importante), l'auteur donne à ses poèmes un fond humanisé, réaliste et dépouillé.

Ainsi, le très beau texte d'Endymion à Latmos, dans lequel Borges reprend le récit mythologique de la rencontre entre Endymion, roi d'Elide représenté ici sous les traits d'un berger, plongé dans un sommeil éternel par Séléné, déesse de la lune, qui ainsi, chaque nuit, vient le rejoindre pour le contempler et l'embrasser à sa guise :





« Je dormais au sommet du mont. Et mon corps

était beau, que les années ont abîmé.

Très haut, dans la forêt hellène, le centaure

retardait sa quadruple course

pour guetter mon sommeil. J'avais plaisir à

dormir pour rêver et pour cet autre

songe – lustral - qui esquive la mémoire

et qui nous purifie de la charge

d'être celui que nous sommes sur la terre.

Diane, la déesse, qui est aussi la lune,

me voyait dormir sur la montagne.

Lentement, elle descendit dans mes bras.

Or et amour dans la nuit incendiée !

Je serrais les paupières mortelles.

Je ne voulais pas voir le beau visage

que profanaient mes lèvres de boue.

J'ai respiré l'odeur de la lune

et sa voix infinie prononça mon nom.

Joues pures qui se cherchent !

Fleuves de l'amour et de la nuit !

Baisers humains et tension de l'arc !

J'ignore combien de temps dura ma félicité.

Il y a des choses que ne mesurent ni la grappe

ni la fleur ni la neige fragile.

Chacun me fuit. Il fait peur,

l'homme qui fut aimé par la lune.

Les années ont passé. Une angoisse

m'épouvante, lorsque je suis éveillé. Je me demande

si ce tumulte d'or sur la montagne

fut véritable ou s'il ne fut qu'un rêve.

Je me répète en vain que le souvenir

d'hier et un songe sont une et même chose.

Ma solitude parcourt les chemins

insipides de la terre ; mais, sans cesse,

je cherche dans l'antique nuit des dieux

l'indifférente lune, fille de Zeus. »





De longueur variable, les autres poèmes du recueil n'entretiennent pas de lien thématique évident entre eux. Parmi ces poèmes, le suicidaire et le remords ou encore le miroir, de forme très dépouillée, empruntent au Je la solitude de l'être livré à lui-même.

Le poème Héraclite, du nom du philosophe grec, solitaire et vieillissant, se promenant le soir le long d'un fleuve à Éphèse « Personne ne descend deux fois dans les eaux du même fleuve », signe d'un temps en perpétuel changement.



Les poèmes Métaphores des Mille et une nuits et Alexandrie, 641 a.d. s'inspirent de faits plus historiques. de l'influence du grand conte arabe à la destruction de la magnifique bibliothèque d'Alexandrie, Borges trouve un moyen d'expliciter son rapport étroit à la littérature et l'édification de l'individu par le savoir, choses éminemment importantes dans toute son oeuvre.



Une longue histoire commune et personnelle, qui va d'un passé lointain à un présent sans cesse en mouvement, c'est peut-être dans le poème Les Causes que se résume le mieux la poésie de Jorge Luis Borges :





« Les couchants et les générations.

Les jours, dont aucun ne fut le premier.

La fraîcheur de l'eau dans la gorge

d'Adam. L'exact Paradis.

L'oeil qui déchiffre les couleurs.

La parole. L'hexamètre. le miroir.

L'amour des loups aux heures de l'aube.

La Tour de Babel et l'orgueil.

Le soleil comme un lion sur le sable,

Les sables innombrables du Gange.

Tchouang-tsé et le papillon qui le rêve.

Les pommes d'or des îles.

Les pas du labyrinthe errant.

Le tissage infini de Pénélope.

Le temps circulaire des Stoïciens.

La monnaie dans la bouche de qui est mort.

Le poids du glaive dans la balance.

Chaque goutte d'eau de la clepsydre.

César au matin de Pharsale.

Les fastes, les trophées, les armées.

L'ombre des croix sur la terre.

Les traces des longues migrations.

Les échecs et l'algèbre du Persan.

La conquête de royaumes par l'épée.

L'incessante boussole. La haute mer.

Le roi exécuté à la hache.

Le chant du rossignol au Danemark.

Le tracé scrupuleux du calligraphe.

La face du suicidé dans le miroir.

La carte du tricheur. L'or avide.

Les formes des nuages dans le désert.

Chaque remords, chaque larme.

Toutes choses qui furent nécessaires

pour que nos mains se rencontrent. »





.
Commenter  J’apprécie          363
L'Aleph

Il s’agit d’un recueil de 17 nouvelles, parues en revue entre 1944 et 1952. La dernière nouvelle donne son titre à l’ensemble, titre qui renvoie à la première lettre de l’alphabet hébreux.



Nous retrouvons dans ces récits les motifs borgésiens : labyrinthe, miroir, songe… Borges réécrit sans cesse les mythes, les réinterprète, les recombine… Le monde qu’il décrit est étrange, irréel et pourtant terriblement dense. Un monde où le lien avec le divin est brisé, mais où un écho de ce lien semble subsister, resurgir. La théologie en devient une sorte de variante du fantastique.



L’intellect, la connaissance paraissent être proches de l’imaginaire, de la fiction. Rien n’est certain tout est possible. L’identité individuelle semble se dissoudre , par dédoublement, multiplication, réversibilité. Le traître est la même personne que le héros, le saint est une autre expression de l’hérétique. Le moi est un mirage. Tout homme est autre, autant dire aucun. Nous sommes au coeur d’un scepticisme généralisé, exprimé par une ironie distante.



La littérature est une fabulation, un artifice, elle ne peut saisir que que des chimères, des cauchemars, des songes, voyager dans les terres mouvantes de l’incertain, de l’indéterminé. La fiction borgésienne ne prétend pas dire le réel, indicible par définition, mais nous proposer un voyage, vers nulle par, vers nous même. Un voyage à recommencer sans cesse, dans une répétition qui n’en est pas une. Car en changeant un petit détail, un angle de lecture, un état d’esprit, d’autres combinaisons et possibles apparaissent, nous menant vert d’autres territoires, insoupçonnés jusque là.
Commenter  J’apprécie          343
Le rapport de Brodie

1970 dans l'oeuvre de Borges marque le retour à la nouvelle avec le rapport de Brodie qui inaugure la progressive fusion entre prose et poésie. L'amour qui clôt l'Aleph refait ici surface (dans l'Intruse) et permet peut-être de comprendre les raisons secrètes pour lesquelles ce thème est toujours resté en retrait dans son oeuvre en prose (un peu moins dans son oeuvre poétique).

Les protagonistes sont fugaces, les traditions détournées, le mystère omniprésent, l'histoire contredite : seule la poésie semble être un pilier générique.
Commenter  J’apprécie          341
Six problèmes pour don Isidro Parodi

C’est dans les années 1940 que les écrivains et amis Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, tous deux grands amateurs d’énigmes policières, unirent leurs talents et écrivirent à quatre mains, sous le pseudonyme de H. Bustos Domecq, le recueil d’histoires « Six problèmes pour Don Isidro Parodi ».

Le personnage principal, l’enquêteur Isidro Parodi, injustement accusé de meurtre et emprisonné depuis plus de vingt ans, a développé dans la solitude de sa cellule un sens aigu de la réflexion et de la déduction, si bien que son discernement et son flair implacables ont acquis une grande renommée dans tout Buenos-Aires.

Il n’est donc pas rare que les visiteurs se bousculent à la porte de la cellule 273 pour solliciter l’aide de Don Parodi afin de démêler l’écheveau complexe des fils emmêlés dans lesquels ils se sont retrouvés entortillés…

Posé, réfléchi, buvant son maté dans son petit bol bleu, Isidro Parodi écoutent les histoires criminelles et embrouillées des uns et des autres, pour, quelques jours plus tard, délivrer un diagnostic aussi brillant qu’imparable.



Borges et Casares semblent s’être infiniment amusés à la réalisation de ce recueil d’histoires policières qui se lit avant tout comme une gourmandise littéraire, un jeu de l’esprit dont on savoure les longues et belles phrases très construites, piquantes, réjouissantes et impeccablement maîtrisées.

Les auteurs nous montrent toute la maîtrise qu’ils ont de la langue et en jouent avec délectation : répliques, échanges, expressions, formules, jeux de mots…l’ensemble prenant une tournure très théâtrale avec de longues tirades déclamées de façon excessive, exubérante, qui font naître un comique de situation d’un bel effet, avec des personnages outranciers dignes de la Commedia Dell’ Arte.



Ces personnages pittoresques, folkloriques, issus des diverses couches sociales de l’Argentine du début du siècle, sont volontairement caricaturés à l’extrême.

Les uns poseurs, guindés, affétés comme à la parade, les autres pontifiants, doctoraux, rengorgés comme des coqs en pattes, certains impétueux, charmeurs, badins, d’autres coquins, roués ou filous, mais tous férocement bavards, d’une loquacité à déprimer un orateur grec.

Tous ces personnages qu’on dirait tout droit sortis d’un vaudeville, ne se rendent bien évidemment pas compte de leur ridicule, et créent sans le vouloir une ambiance comique qui prête souvent à sourire.

De tous ces individus hauts en couleur, finalement seul Don Parodi semble être sain d’esprit. Le seul à être emprisonné, semble être aussi le seul à garder la tête sur les épaules !



Davantage que les enquêtes en elles-mêmes, c’est surtout la drôlerie des personnages et l’humour satirique qui s’en dégage qui font vraiment la saveur de ce recueil d’histoires. Recueil qui permet aux auteurs de se moquer sans en avoir l’air de leurs compatriotes argentins.

L’amateur d’énigmes policières n’y trouvera sans doute pas son compte mais l’amoureux des mots lui, pourra se délecter d’un style rétro, au charme délicieusement suranné.

Ce sera également l’occasion de découvrir les deux grands écrivains dans un autre registre, d’explorer une autre facette de leur personnalité, des hommes malicieux, plaisantins, qui jouent avec les mots et se jouent du politiquement correct tout en finesse et en délicatesse.

Borges et Casarès ont même poussé la plaisanterie jusqu’à inventer une biographie à leur auteur fictif H. Bustos Domesq et faire signer un « avant propos » du nom de l’un des éminents personnages qui vont voir le prisonnier-détective Parodi ! Avouons qu’on a rarement vu en littérature, un personnage du livre écrire et signer une introduction vantant les mérites d’un auteur lui aussi fictif !

S’ils ne nous donnent pas une grande leçon d’enquêtes policières, les auteurs nous donnent en tous cas une belle leçon de style !

Commenter  J’apprécie          340
Evaristo Carriego

Jorge Luis Borges est un grand admirateur de la poésie d'Evaristo Carriego, d'abord farouchement moderniste puis fondateur du courant poétique sencillismo avec le poète Baldomero Fernández Moreno, tous deux sous l'influence d'Almafuerte ; et Borges est tout aussi amateur de l'effacement des frontières entre essai critique et fiction, possible et incertain, littérature et philosophie. Cet essai fictionnel en est l'exemple même.



Evaristo Carriego est autant consacré au poète des faubourgs de Buenos Aires, aux métaphores vertigineuses de ses vers, qu'à la capitale argentine et aux interrogations de l'auteur sur l'écriture qui lui feront conclure à la fin de sa vie : "un homme se fixe la tâche de dessiner le monde" et Borges le fit de façon labyrinthique.

Ecrit en 1930 à un tournant de sa littérature, Borges, qui vient de rencontrer Bioy Casares, délaisse la poésie pour s'orienter vers l'écriture d'essais et de fictions en prose et inaugure un ton nouveau d'une grande impassibilité formelle et que ce livre illustre parfaitement.



Pour Borges, une autobiographie est un paradoxe et ce n'est pas par les faits qu'il évoque la vie du poète Evaristo Carriego mais par ses goûts littéraires bien plus constructeurs d'un écrivain, à l'instar de Borges qui fut aussi grand lecteur qu'auteur. Il détermine également le poète par ses amis, notamment écrivains, là encore un trait typiquement borgien. Sans limiter un homme à son œuvre, Borges crée un parallèle fort comme s'il s'évoquait lui-même. Quand Borges aborde le criollisme romantique du poète, c'est aussi le sien propre qu'il revendique entre les lignes : son argentinité.

Loin d'une autobiographie qui rendrait compte du réel, Borges impose sa vision de la littérature et de la poésie : le droit à l'autonomie et à l'irréalité de l'écriture. Si par cet essai fictionnel, Borges fait œuvre de mémoire bien plus qu'œuvre historique, il tente avec cette stratégie littéraire (un écrivain lisant un autre écrivain) de construire sa propre figure d'auteur.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
Commenter  J’apprécie          334
Le livre des êtres imaginaires

Je lis Borges depuis longtemps mais ne sais le lire que depuis peu.

ll faut aimer chercher.. apprécier le moindre mot et le système, de loin parce que de près, le lisant, nous ne comprenons rien, bien que tout soit régulier et réfléchi.. Nous sommes simplement séduits, parfois amusés, médusés sans se sentir floués d'une quelconque manière tant l'auteur est avant tout, avec nous, un lecteur.

L'éloignement est nécessaire pour apercevoir la singulière beauté d'une métaphore qui n'en finit pas ou la répétition seulement de petits faits aussi réels que poétiques, existant toujours entre deux mondes ou sur deux plans à la fois (au minimum).

Ma manière d'écrire, présentement, au fil de la plume..est à l'opposé du rigorisme de Borges ; rigueur tempérée par les admirations de l'écrivain pour les tempéraments mystiques et exaltés. Ce qui le place au tout premier rang des inventeurs en littérature, c'est cette difficulté à catégoriser tant son écriture que le genre dans lequel il écrit.

C'est un poète car il est précis et c'est un maître car il connaît la pauvreté de son art, et cela étant, lui offre toute son érudition de bibliothécaire afin que dans de frêles ouvrages se trouve l'incommensurable du monde tel qu'on peut l'imaginer.

Il y a cet idéal là dans son oeuvre ; donner une forme à l'infini, définir l'ouverture, et ainsi échouer toujours (il ne s'agit pas d'être romancier).. mais en beauté.



Je n'ai pas parlé de ce livre en particulier, bestiaire très réjouissant et excursion dépaysante (espace-temps) en littérature
Commenter  J’apprécie          327
L'Aleph

L'Aleph (en espagnol : El Aleph) est un recueil de dix-sept nouvelles écrit par Jorge Luis Borges, éditées séparément entre 1944 et 1952 dans différents périodiques de Buenos Aires. Le titre du livre est celui de la dernière nouvelle. C’est une accumulation assez hétéroclite. On y retrouve plusieurs thèmes, la métaphysique, la littérature, les labyrinthes, l'infini et la mort, avec aussi plusieurs cadres, l'Antiquité gréco-latine, l'Orient médiéval et bien sûr l’Amérique du Sud. Celle qui m’ont le plus séduit, ce sont celle où l’on retrouve l’esprit fantastique cher à la littérature sud américaine, comme “L’autre mort”, j’ai eu un peu plus de mal à entrer dans les considérations métaphysiques et religieuses de certaines, mais l’ensemble est d’une belle richesse, parfois poétique, ce recueil aspire à la réflexion, la connaissance. Et comme dans les nombreux labyrinthes que l’on trouve dans ses histoires, il n’est pas désagréable de s’y perdre en flânant parmi les mots. A lire et à relire.
Commenter  J’apprécie          320
Qu'est-ce que le bouddhisme ?

Depuis des années, je cherche à concilier un style de vie mystique, tourné vers une certaine "sagesse", et les contingences quotidiennes, qui me maintiennent bien souvent dans des préoccupations triviales. En fait, depuis des années, je m'éloigne de la Vérité. Car les deux aspects sont inextricablement liés. Il faut juste être attentif et pleinement conscient de ce qui se passe et rester dans ce que l'on pourrait appeler la Voie du milieu, dans l'instant présent. Quand je fais la vaisselle, je fais la vaisselle. Quand je fais les courses au supermarché, je fais les courses au supermarché. Quand je médite, je médite… Lire un livre qui traite du bouddhisme est toujours un acte qui va me rapprocher de la Connaissance, d'une certaine ligne de vie à laquelle j'aspire. Au cours de mes voyages, je ne me suis jamais arrêté pour faire une longue retraite dans un monastère, bien que j'aurais pu le faire très souvent. Toujours cette peur de… En fait je ne sais pas trop quoi ! Pourtant j'aspire ardemment à cette retraite, et qui sait, peut-être un jour… Lire un livre sur le bouddhisme m'en offre, de manière différée, l'occasion.

Le livre de Borges est très court et présente le bouddhisme de manière extrêmement concise, presque scolaire. Il veut juste répondre à la question du titre. C'est donc un rappel sur le Bouddha légendaire et le Bouddha historique, les origines du bouddhisme, les différentes doctrines telles que le karma ou le Nirvana. Mais on trouvera également, en fin du volume, les différences entre le grand et le petit véhicule, le tantrisme, le zen et enfin quelques citations.

Pourtant, a vouloir être trop concis, l'auteur retire à son livre tout le délié et tout le questionnement que l'on pourrait en attendre. Son propos est sec, aride et me laisse un peu sur ma fin. Il n'en reste juste qu'une bonne petite introduction sur le bouddhisme.
Commenter  J’apprécie          320
Fictions

Je n'affectionne pas le genre "nouvelles" et il a bien fallu un voyage en Argentine, couplé des références et coups de coeur de mes auteurs préférés pour que je me lance dans cette oeuvre difficile. En effet, Javier Marías et Antonio Tabucchi s'en sont nourris, l'on retrouve les errements bien connus des protagonistes de Vila-Matas ou la fameuse bibliothèque de Babel chère à Umberto Ecco. Il faut se ressouvenir de l'hommage à l'auteur dans "Le nom de la rose" et du nom à peine déguisé du bibliothécaire, Jorge de Burgos, qui termine sa vie aveugle comme l'auteur argentin.



Cela ne facilite pas pour autant la lecture a priori fort érudite même si l'auteur annonce d'entrée qu'il s'agit plutôt d'une parodie. Et c'est là que j'ai apprécié le plus l'auteur, c'est dans ses traits d'humour permanents. Clairement, Jorge Luis Borges ne se prenait pas au sérieux et invite constamment le lecteur à faire de même.



Je ne lis pas l'espagnol. J'ai trouvé parfois la langue un peu âpre à lire, une absence de musicalité, qui est peut-être due à la traduction. Si je trouve le temps d'apprendre l'espagnol, certainement je reprendrai ce livre pour en apprécier davantage les envolées littéraires.
Commenter  J’apprécie          320
L'Aleph

«Toute destinée, pour longue et compliquée qu'elle soit, comprend en réalité «un seul moment»: celui où l'homme sait à jamais qui il est.» p. 51



Une lecture exigeante que ce recueil de nouvelles souvent qualifiées de contes métaphysiques. Pour ma part, j'ai surtout vu un jeu de piste formidable au milieu d'une multitude de références littéraires et religieuses. Nombreuses citations et allusions entre lesquelles l'auteur tisse des liens.

L'auteur s'interroge sur ce qu'est la vie, ce qu'est l'homme, comment se connaître soi-même. Il nous peint des destins singuliers où sonne la vengeance parfois, où règne la mort souvent.

Les lieux, d'une façon générale, semblent oniriques. C'est un paysage fascinant, enchanteur, facilitant la méditation et les pensées métaphysiques. Les villes semblent vides, même si très ouvragées, et restent minérales et dépeuplées.



J'ai beaucoup aimé certaines nouvelles, d'autres me sont restées hermétiques. C'est un auteur que l'on n'aborde pas aisément, simplement. Je pense qu'il faut y revenir, approfondir peu à peu et creuser les innombrables références données.



Mais un auteur à lire, c'est certain!
Commenter  J’apprécie          320
Histoires étranges et fantastiques d'Amérique l..

A l'exception de quelques rares romans, dont le célèbre "Cent ans de solitude", je dois avouer que la littérature d'Amérique latine, m'est à peu prés inconnue.



C'est pourquoi, quand je suis tombé sur ce recueil dans une bourse aux livres d'occasion, j'ai saisi la chance de la découvrir par un biais qui me passionne : le fantastique.



Ce livre présente un panorama de la littérature sud américaine, vu au travers du prisme déformant, mais aussi parfois révélateur, de l'étrange, de l'insolite...



Les auteurs présentés ici, sont originaires de l'Uruguay, du Mexique, du Brésil, de République Dominicaine, et autres contrées exotiques.

Citons, entre autres, José Luis Borges, Adolfo Bioy Casarès, Julio Cortázar, Gabriel Garcia Marquez, Jorge Amado pour les plus connus.



Autant le dire, nous sommes fort loin du fantastique anglo-saxon par exemple, dont les grands auteurs ont imprimé un style devenu référentiel.



Ici, nous sommes plus souvent dans le réalisme fantastique, ou l'onirisme. Une vision de l'insolite que l'on peut qualifier de plus "poétique" et moins sensationnelle.



L'histoire de ces pays, a en général été marquée par des périodes pour le moins troublées, allant jusqu'aux révolutions, dictatures, guerres civiles. Cela se retrouve tout naturellement dans certaines oeuvres, ainsi, par exemple, dans le roman distopyque (un des rares lus dont je parle plus haut) "Journal de la guerre au cochon" d'Adolfo Bioy Casarès.



Le recueil s'avère donc une introduction intéressante à une expression littéraire très caractéristique.



Comme presque toujours dans ce genre d'ouvrage, les textes sont d'un intérêt variable,et pour quelques uns un peu ésotériques (pour le néophyte que je suis tout au moins !).



Ceci dit, la qualité d'écriture, et de traduction est toujours au rendez-vous.
Commenter  J’apprécie          312
Chroniques de Bustos Domecq

Plutôt qu'un simple pseudonyme, Honorio Bustos Domecq, enfant «bicéphale» du couple Borges-Bioy Casares, devrait être considéré comme un hétéronyme à part entière, doté d'une existence et d'une personnalité propres. Borges disait à son propos : «À la longue, ce personnage finit par ne nous ressembler en rien et par nous dominer d'une main de fer, en nous imposant son propre style littéraire». Né en 1893, dans la province argentine de Santa Fé, selon une notice biographique publiée dans la célèbre revue littéraire argentine «Sur», H. Bustos Domecq -nom composé du patronyme d'ancêtres des deux écrivains, «Bustos» pour Borges, «Domecq» pour Bioy Casares-, est l'auteur de quatre ouvrages publiés, dont ces Chroniques, parues en 1967.



«Le non-sens est à la fois ce qui n'a pas de sens, mais qui, comme tel, s'oppose à l'absence de sens en opérant la donation de sens. Et c'est ce qu'il faut entendre par nonsense». Ce commentaire de Gilles Deleuze à propos d'Alice au Pays des Merveilles, pourrait illustrer parfaitement la démarche à l'origine de la rédaction de ces Chroniques, ainsi que le thème central et transversal aux vingt délicieuses et hilarantes vraies-fausses critiques d'art qui le composent.



Traitées avec l'humour pince-sans-rire et érudition dont on sait capable Borges, auxquels sont venues se rajouter les intuitions fulgurantes et anticipatoires dont Bioy Casares sut à son tour faire preuve à travers ses livres, Bustos Domecq s'amuse à recenser dans ses chroniques, avec le plus grand sérieux, dans des domaines aussi divers que la littérature, le théâtre, l'architecture, la gastronomie, ou encore le stylisme, des propositions radicalement fidèles à la rupture esthétique concrétisée par les avant-gardes modernistes du XXe siècle. Critiques où très souvent le comique apparent le dispute à une conception visionnaire des deux auteurs, très proche des chemins que la création artistique allait emprunter de manière de plus en plus surpenante et radicale dans les années à venir.



L'oeuvre d'art ayant posé les prémisses d'une véritable révolution artistique qui n'irait véritablement s'installer et occuper la scène mondiale qu'à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, fut, sans conteste, le célèbre ready-made «Fontaine» (un simple urinoir en faïence) proposé par Marcel Duchamp en 1917 (et, bien-sûr, refusé à l'époque) lors d'une exposition d'art moderne à New York.

Le virage à trois cent-soixante degrés opéré par l'art contemporain consistera à déplacer progressivement l'accent d'une qualité quelconque, immanente et implicite à une oeuvre d'art, vers son auteur, l'artiste lui-même et sa conception personnelle de l'acte créatif, les représentations et le discours avec lesquels il la pare, ainsi que les réactions qu'il aimerait susciter dans le public. Une appréciation de l'art désormais liée donc directement à la personnalité même de l'artiste et à sa «démarche».

Dès lors, les grilles d'analyse par la critique spécialisée sembleront difficilement lisibles par tous, partageant l'opinion d'un public souvent désorienté et duquel, soit dit au passage, une large majorité continue, encore de nos jours, à vouer à l'art contemporain un rejet radical.



Dans la chronique intitulée «L'Oeil Sélectif», Bustos Domecq évoque la réaction du public aboutissant à la mise à feu de la galerie où se tenait en 1929, à Buenos Aires, l'exposition du sculpteur d'avant-garde Antartido A. Garay, consistant «en une ambiance, sans autre chose pour accrocher le regard que quatre murs nus, de vagues moulures au plafond et, sur les lattes du parquet, quelques gravats épars».

Le public ignorant complètement, en l'occurrence, ainsi que l'avait prétendu l'artiste, que «l'essentiel, pour un oeil exercé, c'est l'espace qui circule entre les moulures et les gravats»! On se souviendra certainement encore, cinquante après la publication de ces Chroniques, des réactions suscitées en 2014 par l'installation de la sculpture de l'artiste britannique Paul McCarthy (surnommée à l'époque, le «Le Plug Anal») à Paris, Place Vendôme. L'oeuvre avait été complètement ravagée, et l'artiste, après avoir affirmé laconiquement à la suite de ces actes de vandalisme : "au lieu d'engendrer une réflexion profonde autour de l'existence même des objets comme mode d'expression à part entière, notamment dans la pluralité de leur signification, nous avons assisté à de violentes réactions", renoncerait à la réinstaller.



Dans une autre chronique, « le Naturalisme en vogue », c'est le mouvement d'avant-garde «descriptiviste», radicalement naturaliste, qui attire toute l'attention de notre critique impartial. Retraçant quelques-uns de ses moments les plus forts, il évoquera ce concours littéraire prestigieux remporté en 1938 par un jeune poète inconnu à l'époque. le thème du concours étant cette année-là celui de «l'éternelle rose», le jeune Urbas, «simple et triomphateur» remit tout simplement au jury…une rose !

«Il n'y eut pas une voix dissidente ; les paroles, filles artificieuses de l'homme, ne purent entrer en compétition avec la rose spontanée, fille de Dieu. Cinq cent mille pesos récompensèrent à juste titre cette incontestable prouesse».

Ou encore lorsqu'au Salon des Arts Plastiques de Buenos Aires, en 1941, l'oeuvre présentée par l'artiste italien Colombres fit sensation, même si en fin de compte elle ne remporta pas le grand prix (pour des raisons qui paraîtront évidentes au lecteur…) : Colombres avait envoyé «une caisse en bois, fort bien conditionnée, qui, lorsqu'elle fut déclouée par les autorités, livra passage à un vigoureux bélier qui blessa à l'aine plusieurs membres du jury» ! Cinquante ans plus tard après cette exposition d'un «indéniable et brutal spécimen biologique» allant bien au-delà d'«une aimable fantaisie de l'art», en 1991, l'artiste contemporain (en chair et en os cette fois-ci, précisons-le tout de même !), Damien Hirst, devenu de nos jours l'un des plus côtés sur la scène artistique internationale, s'était lancé dans un nouveau projet, motivé par son désir de pouvoir rendre l'art “plus réel qu'une peinture”. Il présenta à ce moment-là au public l'une de ses oeuvres aujourd'hui considérée comme emblématique de toute la démarche ultérieure de l'artiste, «The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living» : un requin-tigre conservé entier dans une cuve transparente de formol (!) Cette oeuvre ayant été acquise quelque temps après par un collectionneur pour la modeste somme de 50 000 livres, un journal anglais de l'époque titrait: “50 000 pounds for a fish without chips!”...!



CHRONIQUES DE BUSTOS DOMECQ regorge par ailleurs de mouvements en «ismes» et de courants théoriques relevant de différents domaines de la création artistique, inventés de toutes pièces par les auteurs, tels l'«ultraïsme», le «descriptivisme» et -attention à ne pas les confondre !- le «descriptionnisme», la «théorie de l'association», l'«architectonique des ensembles inhabitables», le «machinisme du corps humain», ou encore le «nouveau théâtre universel»…



Certains de ces courants ont effectivement vu le jour . L'on pourrait citer, à titre d'exemple, les expériences théâtrales d'engagement physique dans l'espace public réalisés en grand nombre par des performeurs et des «activistes» à partir des années 1970, évoqués dans la chronique «Théâtre Universel», les caprices gastronomiques récents de la cuisine dite "moléculaire", suggérés dans « Un Art Abstrait », ou bien le stylisme vestimentaire loufoque proposé dans «Vêtements I et II», dont, entre autres, la collection automne-hiver 2005 de Viktor & Rolf, transformant couettes et oreillers en robes de soirée, aurait tout à fait trouvé sa place, à côté du «costume archive» qui y est décrit, dans lequel «les poches sont remplacées par des tiroirs» (!)



Simple rigolade -à ne prendre surtout pas au sérieux- entre deux comparses géniaux et désoeuvrés, probablement concoctée pour faire passer le temps durant les longues soirées froides de la pampa battues par le minuano, prônant parmi d'autres extravagances l'avènement d'une «machine-à-ne-rien-faire» comme solution à la plupart des problèmes posés par la modernité(!) ? ?



Pas que, il me semble…



La création artistique au XXe siècle, cherchant à rompre définitivement avec les canons hérités de l'art classique, notamment ses notions hiérarchisées de «beau», de «figuration», de «supports» ou de «matériaux» nobles, finirait par abolir toute antinomie simple en art, entre «bon» et «mauvais», «vrai» et «faux», «beau» et «laid» (à ce propos, qu'avez-vous pensé de la robe en viande de Lady Gaga aux MTV Music Awards de 2010?). Ces dernières céderont progessivement la place à de nouveaux critères d'appréciation, situés plutôt entre «absence de sens» et «non-sens» deleuzien, fondamentalement arbitraire et «donateur de sens» nouveau . Ne serait-ce là l'un des socles sur lequel fonder une critique possible de la modernité?



Art contemporain : vrai Art ou grande Imposture ? Cette question, que je trouve personnellement totalement aberrante, mais que, hélas, beaucoup de gens intelligents continuent de nos jours à se poser, ne trouvera bien évidemment aucune réponse simpliste de la part des auteurs.

Bustos Domecq préfère vraisemblablement réserver son ironie à l'engouement du public, à ses réactions parfois excessives et paradoxales, ou encore au parti pris des certains critiques, que de s'attaquer ouvertement à la démarche propre à chaque artiste, en leur consacrant une notice rédigée à chaque fois sur un ton absolument neutre.

Conscient certainement qu'il était du fait que, quoi qu'il en soit, l'art continuera à jouer le même rôle qu'il a tenu depuis toujours : celui d'être le miroir de son époque et de la société qui le produit.



Commenter  J’apprécie          305
Le rapport de Brodie

Nous sommes en 1970. Borges, âgé de 71 ans, est atteint de cécité complète depuis de nombreuses années déjà. Depuis très longtemps aussi (les années 1950), il n'a plus du tout écrit les contes qui l'avaient rendu célèbre, s'étant entretemps voué quasi exclusivement à la poésie, très peu à la prose, essentiellement des textes courts de critique littéraire. LE RAPPORT DE BRODIE marque un retour au genre qui l'avait consacré mondialement comme un des maîtres incontestables de la littérature sud-américaine et du mouvement du réalisme magique en Amérique du Sud, dont il demeure l'icône absolue.



Borges «dicte» LE RAPPORT DE BRODIE en essayant de renoncer volontairement, selon lui, «aux surprises d'un style baroque, ou à celles que prétend ménager une fin imprévue». Aussi, tel un peintre à qui aucun repentir ne serait consenti, refusera-t-il, par principe, toute réécriture visant à «améliorer» sa dictée initiale. Ce serait d'après lui inutile et futile : «avec l'âge, j'ai appris à me résigner à être Borges», conclut-il majestueux.



Le Borges que nous découvrons dans ce recueil de contes se trouve aux antipodes de cet autre, cérébral, onirique et labyrinthique, auteur d'oeuvres emblématiques du mouvement littéraire qu'il avait impulsé en Amérique du Sud, telles Fictions ou L'Aleph, et auxquelles son nom reste profondément associé dans l'esprit de millions de lecteurs à travers le monde. Dans les onze récits qui composent le recueil, son écriture s'empare d'un style beaucoup plus réaliste, ancré dans ses racines porteñas, dans le passé glorieux des héros des luttes qui avaient ensanglanté les eaux de la Plata et les plaines immenses de la pampa à partir de la fin du XVIIIème siècle, dans la culture rurale «gaucho» et dans les légendes créées autour de certains de ses personnages, fermiers, «estancieros», cavaliers, gardiens de troupeaux, «troperos» et bandits parcourant les plaines sud-américaines, autour de leur mode de vie rustique, leur tempérament fier et guerrier, aimant au-dessus de tout la liberté, la solitude et le silence de la pampa.



Nous aurions donc ici affaire, selon la très juste expression d'Olivier Rollin (dans un extrait de l'écrivain français paru dans le Monde en 1999), à un Borges plutôt «créole» que «métaphysique» !

Dans un style d'une très grande sobriété, tiré au cordeau (pour ne pas dire au couteau !) et tranchant (!), j'ai fini par me poser la question, en lisant ce recueil, si quelque studieux de l'oeuvre borgésienne ou critique littéraire spécialisé se serait déjà penché sur la question de ce qui s'apparenterait chez l'auteur à une véritable fascination pour les armes blanches !

A part le conte qui donne titre à l'ouvrage («Le Rapport de Brodie»), d'une facture certes empreinte de violence et de cruauté comme les autres, mais dans un cadre et un style cependant plus proches de ceux auxquels Borges nous avait accoutumés, toutes les autres histoires constituent des variations autour d'un même thème, récits hantés par les rivalités, les accrochages violents, les duels et, surtout, par une coutellerie omniprésente, histoires à couteaux invariablement tirés, où «l'homme provoquait l'homme, le couteau appelait le couteau» ( «L'Autre Duel»), à un tel point que dans certains contes (et notamment dans «La Rencontre») les couteaux semblent devenir des entités à part entière, indépendantes et immémoriales, animées de vie propre et ayant pouvoir de décision, de vie et de mort à la place des hommes qui, parfois malgré eux, finiront par s'en emparer.

Le monumental Borges aurait-il donc dicté ces histoires à l'état brut, sans révision et relecture, lui aussi en vrai lanceur de couteaux visant sa cible sans s'autoriser la moindre hésitation, le moindre écart, la moindre erreur fatale?



D'où exactement viendrait en fin de compte ce Borges «coutelier»? Faudrait-il le croire entièrement, quand après avoir d'emblée déclaré avoir voulu écrire des «récits brefs, d'une langue et d'une forme très simples», comme ceux de Kipling, il admettra pourtant, quelques lignes plus loin, que «il n'y a pas sur terre une seule page, un seul mot qui soit simple, étant donné que tous postulent à l'univers» ?



Pas si simple à appréhender tout ça.. ! Car ce Borges «cuchilliero», en apparence plus accessible et réaliste (et dont l'on retrouve les mêmes échos et tonalités dans le versant poétique de son oeuvre) reste au fond tout aussi mystificateur que l'autre Borges, le «gentleman», érudit bibliothécaire citadin et raffiné ! Dans LE RAPPORT DE BRODIE, il n'est, comme toujours, pas aisé de savoir ce qui relève du réel ou de la fiction, et il sera ardu et peut-être futile de vouloir y séparer le vrai du faux, l'historique de l'imagination pure : incipits avec lesquels l'auteur, comme à son accoutumée, ouvre un récit par le souvenir d'un évènement «vrai», rapporté ou vécu par une de ses connaissances à lui bien réelle, ou bien des héros de l'indépendance argentine, bandits et gauchos célèbres tels Bolivar, San Martin, Juan Moreira ou Don Segundo Sombra, traités par ailleurs au pied d'égalité avec des personnages de combattants et autres gauchos relevant de la pure fiction, nous font conclure que tout bien considéré, le clivage de personnalité est fort heureusement, lui, loin d'être réel et effectif ou, tout au moins, radical chez notre éternel énigmatique Borges...



A un lecteur qui n'aurait pas encore eu l'occasion d'approcher l'oeuvre du grand génie argentin de la littérature du XXème siècle, je ne conseillerais néanmoins pas de commencer par ce livre. Il s'agit, de mon point de vue, d'un ouvrage qui, pour être pleinement apprécié, serait à réserver soit aux lecteurs déjà bien familiarisés avec l'univers borgésien, soit aux amateurs de duels et de «far-west», qui y trouveraient pleinement leur compte, je pense, dans une version ici dépaysante et «far-south»!





..

Commenter  J’apprécie          306




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Jorge Luis Borges Voir plus

Quiz Voir plus

Créatures étranges.

Serpent bicéphale rencontré par Caton.

Amphisbène
Basilic
Mandrake
Mermecolion

5 questions
12 lecteurs ont répondu
Thème : Le livre des êtres imaginaires de Jorge Luis BorgesCréer un quiz sur cet auteur

{* *}