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Citations de Jules Supervielle (519)


LA FABLE DU MONDE

NOCTURNE EN PLEIN JOUR


Quand le sombre et le trouble et tous les chiens de l'âme
Se bousculent au bout de nos longs corridors,
Quand le dis-qui-tu-es et le te-tairas-tu
S'insultent à travers des volets sans rainures,
Un homme grand, barbu et plusieurs fois lui-même
Les fait taire un à un d'un revers de la main
Et je reste interdit sur des jambes faussées
Comme si j'étais lui sans espoir de retour.
Allons, te tairas-tu, cruelle malfaçon,
Faite de chair, de cris, de poils et de rancune.
Debout sur le plus bas degré des nuits sans lune
Je veux voir affleurer ma sereine saison.
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Jules Supervielle
Porte, porte, que veux-tu?
Est-ce une petite morte
Qui se cache là derrière
Non, vivante, elle est vivante
Et voilà qu'elle sourit
De manière rassurante.
Un visage entre deux portes,
Un visage entre deux rues
Plus qu'il n'en faut pour un homme
Fuyant son propre inconnu.
Elle avance, elle s'éloigne
Et la voici revenue.
Elle m'atteint, elle me gagne
Comme une fraîche avenue
Qui longtemps se continue
Au milieu de la campagne.
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Ce pas lourd sur le trottoir
Je le reconnais c'est le mien,
Je l'entends partir au loin,
Il s'est séparé de moi
(Ne lui suis-je donc plus rien)
S'en va maintenant tout seul,
Et se perd au fond du Bois.
Si je crie on n'entend rien
Que la plainte de la Terre
Palpant vaguement sa sphère
A des millions de lieues,
S'assurant de ses montagnes,
De ses fleuves, ses forêts
Attisant sa flamme obscure
Où se chauffe le futur (Il attend que son tour vienne.)
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Pierre, obscure compagnie,
Sois bonne enfin, sois docile,
Ce n’est pas si difficile,
De devenir mon amie.
Quand je pense que tu m’écoutes
C’est toi qui me donnes tout.
Tu es distraite, tu pèses,
Tu me remplis la main d’aise
Et d’une douceur sans bruit.
Le jour, tu es toute chaude,
Toute sereine la nuit,
Autour de toi mon cœur rôde,
Le tien qui s’est arrêté
Me ravit de tous côtés.
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On a fait de notre temps une telle consommation de folie, en vers et en prose que cette folie n’a plus pour moi de vertu apéritive et je trouve bien plus de piment et même de moutarde dans une certaine sagesse gouvernant cette folie et lui donnant l’apparence de la raison que dans le délire livré à lui-même.
Il y a certes une part de délire dans toute création poétique mais ce délire doit être décanté, séparé des résidus inopérants ou nuisibles […]
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Marins qui rêvez en haute mer, les coudes appuyés sur la lisse, craignez de penser longtemps dans le noir de la nuit à un visage aimé. Vous risqueriez de donner naissance dans des lieux essentiellement désertiques, à un être doué de toute sensibilité humaine et qui ne peut pas vivre ni mourir, ni aimer,et souffre pourtant comme s'il vivait, aimait et se trouvait toujours sur le point de mourir, un être infiniment déshérité dans les solitudes aquatiques, comme cette enfant de l'océan, née un jour du cerveau de Charles Liévens, de Steenwoorde, matelot de pont du quatre mats Le Hardi qui avait perdu sa fille âgée de douze ans pendant un de ses voyages...
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La corbeille à papier lisait des bouts de lettres
Des qu'on avait le dos tourné.
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J'ai tant de fois, hélas, changé de ciel,
Changé d'horreur et changé de visage,
Que je ne comprends plus mon propre coeur
Toujours réduit à son même carnage.
(L'Errant)
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[ "L'inconnue de la Seine" ]

L'Inconnue de la Seine ne quittait pas sa robe, même pour dormir ; c'est tout ce qu'elle avait sauvé de sa vie antérieure. Elle utilisait les plis et la mouillure du vêtement qui lui donnaient une miraculeuse élégance au milieu de toutes ces femmes dépouillées. Et les hommes auraient bien voulu connaître la forme de sa gorge.

La jeune fille, qui voulait se faire pardonner sa robe, vivait à l'écart, avec une modestie un peu trop apparente peut-être, et passait sa journée à récolter des coquillages pour les enfants ou pour les plus humbles et les plus mutilés d'entre les noyés. Elle était toujours la première à saluer et s'excusait souvent, même s'il n'y avait pas lieu.
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[ "L’enfant de la haute mer " ]

Par moments, elle écoutait avec une soumission absolue, écrivait quelques mots, écoutait encore, se remettait à écrire, comme sous la dictée d'une invisible maîtresse. Puis l'enfant ouvrait une grammaire et restait longuement penchée, retenant son souffle, sur la page 60 et l'exercice CLXVIII, qu'elle affectionnait. La grammaire semblait y prendre la parole pour s'adresser directement à la fillette de la haute mer :

— Êtes-vous ? — pensez-vous ? — parlez-vous ? — voulez-vous ? — faut-il s'adresser ?— se passe-t-il ? — accuse-t-on ? — êtes-vous capable ? — êtes-vous coupable ? — est-il question ? — tenez-vous ce cadeau ? eh ! — vous plaignez-vous ?
(Remplacez les tirets par le pronom interrogatif convenable, avec ou sans préposition.)

Parfois l'enfant éprouvait un désir très insistant d'écrire certaines phrases. Et elle le faisait avec une grande application.

En voici quelques-unes, entre beaucoup d'autres :
— Partageons ceci, voulez-vous ?
— Écoutez-moi bien. Asseyez-vous, ne bougez pas, je vous en supplie !
— Si j'avais seulement un peu de neige des hautes montagnes la journée passerait plus vite.
— Écume, écume autour de moi, ne finiras-tu pas par devenir quelque chose de dur ?
— Pour faire une ronde il faut au moins être trois.
— C'étaient deux ombres sans tête qui s'en allaient sur la route poussiéreuse.
— La nuit, le jour, le jour, la nuit, les nuages et les poissons volants.
— J'ai cru entendre un bruit, mais c'était le bruit de la mer.

Ou bien elle écrivait une lettre où elle donnait des nouvelles de sa petite ville et d'elle-même. Cela ne s'adressait à personne et elle; n'embrassait personne en la terminant et sur l'enveloppe il n'y avait pas de nom.

Et la lettre finie, elle la jetait à la mer - non pour s'en débarrasser, mais parce que cela devait être ainsi - et peut-être à la façon des navigateurs en perdition qui livrent aux flots leur dernier message dans une bouteille désespérée.

Le temps ne passait pas sur la ville flottante : l'enfant avait toujours douze ans. Et c'est en vain qu'elle bombait son petit torse devant l'armoire à glace de sa chambre. Un jour, lasse de ressembler avec ses nattes et son front très dégagé à la photographie qu'elle gardait dans son album, elle s'irrita contre elle-même et son portrait, et répandit violemment ses cheveux sur ses épaules espérant que son âge en serait bouleversé. Peut-être même la mer, tout autour, en subirait-elle quelque changement et verrait-elle en sortir de grandes chèvres à la barbe écumante qui s'approcheraient pour voir.
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Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche, ses coquillages et l'iode,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d'eau marine,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se partager le ciel,
Et les cafés qui enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore,
Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.
Ici le soleil pense tout haut, c'est une grande lumière qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents de montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un peu dans la rue,
Et les pousse sans arrêt du côté des jolies filles.

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Solitude au grand coeur encombré par des glaces,
Comment me pourrais-tu donner cette chaleur
Qui te manque et dont le regret nous embarrasse
Et vient nous faire peur?

Va-t'en, nous ne saurions rien faire l'un de l'autre,
Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons
Et rester un moment à les regarder fondre
Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.

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Et vous, que faites-vous, o visage troublé
Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux
Vous qui vous demandez, vous toujours sans nouvelles:
"Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je fis, vais-je le reconnaître?"

Les amis inconnus
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Le matin du monde
                                              à Victor Llona
  
  
  
  
Alentour naissaient mille bruits
Mais si pleins encor de silence
Que l'oreille croyait ouïr
Le chant de sa propre innocence.


Tout vivait en se regardant,
Miroir était le voisinage
Où chaque chose allait rêvant
À l'éclosion de son âge.


Les palmiers trouvant forme
Où balancer leur plaisir pur
Appelaient de loin les oiseaux
Pour leur montrer leurs dentelures.


Un cheval blanc découvrait l'homme
Qui s'avançait à petit bruit,
Avec la Terre autour de lui
Tournant pour son cœur astrologue.


Le cheval bougeait des naseaux
Puis hennissait comme en plein ciel
Et tout entouré d'irréel
S'abandonnait à son galop.


Dans la rue, des enfants, des femmes,
À de beaux nuages pareils,
S'assemblaient pour chercher leur âme
Et passaient de l'ombre au soleil.


Mille coqs traçaient de leurs chants
Les frontières de la campagne
Mais les vagues de l'océan
Hésitaient entre vingt rivages.


L'heure était si riche en rameurs,
En nageuses phosphorescentes
Que les étoiles oublièrent
Leurs reflets dans les eaux parlantes.
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CE PUR ENFANT

Ce pur enfant, rose de chasteté ,
Qu'à-t-il à voir avec la volupté ?
Et fallait-il qu'en luxe d'innocence
Allat finir la fureur de nos sens ?

Dorénavant en cette neuve chair
Se débattra notre amoureux mystère ?
Après nous avoir pris le coeur d'assaut
L'amour se change en l'hôte d'un berceau,

En petits poings fermés, en courtes cuisses,
En ventre rond sans aucune malice
Et nous restons tous deux à regarder
Notre secret si mal, si bien gardé.
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LA DEMEURE ENTOUREE



Le corps de la montagne hésite à ma fenêtre :
« Comment peut-on entrer si l’on est la montagne,
si l’on est en hauteur avec roches, cailloux,
un morceau de la Terre altéré par le Ciel ? »
le feuillage des bois entoure ma maison :
« Les bois ont-ils leur mot à dire là-dedans ?
Notre monde branchu, notre monde feuillu
Que peut-il dans la chambre où règne ce lit blanc,
Près de ce chandelier qui brûle par le haut,
Et devant cette fleur qui trempe dans un verre ?
Que peut-il pour cet homme et son bras replié,
Cette main écrivant entre ces quatre murs ?
Prenons avis de nos racines délicates,
Il ne nous a pas vus, il cherche au fond de lui
Des arbres différents qui comprennent sa langue. »
Et la rivière dit : « je n veux rien savoir,
Je coule pour moi seule et j’ignore les hommes.
Je ne suis jamais là où on croit me trouver
Et vais me devançant, crainte de m’attarder.
Tant pis pour ces gens-là qui s’en vont sur leurs jambes.
Ils partent, et toujours reviennent sur leurs pas. »
Mais l’étoile se dit : « je tremble au bout d’un fil.
Si nul ne pense à moi, je cesse d’exister. »

(Les amis inconnus – 1934)
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LE PREMIER ARBRE

C'était lors de mon premier arbre,
J'avais beau le sentir en moi
Il me surprit par tant de branches,
Il était arbre mille fois.
Moi qui suis tout ce que je forme
Je ne me savais pas feuillu,
Voilà que je doutais de l'ombre
Et j'avais des oiseaux dessus.
Je cachais ma sève divine
Dans ce fût qui montait au ciel
Mais j'étais pris par la racine
Comme à un piège naturel.
C'était lors de mon premier arbre,
L'homme s'assit sous le feuillage
Si tendre d'être si nouveau.
Était-ce un chêne ou bien un orme
C'est loin et je ne sais pas trop
Mais je sais bien qu'il plut à l'homme
Qui s'endormit les yeux en joie
Pour y rêver d'un petit bois.
[...]

(La Fable du monde, 1938)
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Voyageur, voyageur, accepte le retour,
Il n’est plus place en toi pour de nouveaux visages,
Ton rêve modelé par trop de paysages,
Laisse-le reposer en son nouveau contour.

Fuis l’horizon bruyant qui toujours te réclame
Pour écouter enfin ta vivante rumeur
Que garde maintenant de ses arcs de verdeur
Le palmier qui s’incline aux sources de ton âme.
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Jules Supervielle
Si j’avais seulement un peu de neige des hautes montagnes la journée passerait plus vite.
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Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer.

Extrait du poème "Marseille"
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