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Critiques de Laure Murat (159)
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Proust, roman familial

« À chaque lecture, Proust a modifié ma compréhension du monde. Par les circonvolutions envoûtantes de ses phrases il m'a sortie de l'ignorance et de la confusion. Sa précision, sa lucidité, sa tendresse, sa grandeur comique m'ont épargné des années de mécompréhensions et d'atermoiements stériles. C'est pourquoi il m'a, chaque fois, consolée. »



Il me semble que l'ambition et l'humilité de l'autrice, son infinie reconnaissance à l'égard d'une oeuvre qui la suit partout depuis trente ans, sont tout entières contenues dans ces quelques lignes. Et c'est, à mes yeux, ce qui fait la force, la grandeur, la beauté de son livre. Un livre qui, bien qu'étayé par des milliers d'heures de lecture et de recherches, n'est pas un énième ouvrage savant prétendant apporter un éclairage érudit ou inédit sur une oeuvre qui donne lieu depuis sa parution à une glose exponentielle. Non, c'est un livre qui, partant du coeur tout en s'appuyant constamment sur l'exercice de la raison, nous donne à voir un condensé saisissant du dialogue fécond, salvateur, indéfiniment enrichi au fil du temps, qu'entretient Laure Murat avec Proust.

Issue d'un milieu, l'aristocratie, dans lequel l'implicite, le non-dit, la retenue, voire le refoulement, sont érigés en règle de vie, où l'expression des sentiments est perçue comme une faute de goût, où tout élan sensible, jusqu'aux plus intimes tragédies comme la perte d'un être cher, est converti en exercice de style, Laure Murat est parvenue à clarifier grâce à Proust ce qu'elle percevait confusément, douloureusement depuis l'enfance :

« Mon ambivalence vis-à-vis de l'aristocratie trouvait sa résolution : sensible, à l'occasion, à son sens du panache, mais aussi aux délicatesses morales de la grande politesse, je ressentais, dans le temps, un profond désarroi et même une angoisse face à son discours creux et sa complaisance passionnée pour le mensonge social. »



L'exercice de démystification méthodique de l'aristocratie auquel se livre Proust qui, après l'avoir élevée au firmament de l'esprit et de l'élégance, après avoir érigé ses membres au rang de Dieux de l'Olympe, les précipite plus bas que terre, les renvoyant à leur vacuité abyssale, n'offre pas seulement à Laure Murat une clarification salutaire, il lui en dévoile les ressorts intimes, l'irrésistible mécanique interne :

« Mais le plus sidérant, c'était que toutes les scènes lues où l'aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes vécues dont j'avais été le témoin, comme si Proust, à l'image du Dr Frankenstein, élaborait sous mes yeux le mode d'emploi des créatures que nous étions. »



À partir de là s'enclenche le processus libérateur qui, en lui permettant d'identifier ce qui relève, en elle, de l'aliénation sociale et familiale, l'autorise du même coup à s'émanciper et à affirmer sa singularité. Mais dans un milieu dont l'idéologie conservatrice sacralise l'immuabilité et vitupère le changement, un milieu dans lequel il convient de tenir son rôle, l'émancipation n'est pas de mise, surtout quand celle-ci passe par l'énonciation explicite d'une homosexualité honnie. « Fille perdue » pour sa mère, subissant l'opprobre de sa nombreuse famille, il ne lui reste pas d'autre choix « que de commencer une nouvelle vie, dont l'horizon irait chaque jour s'élargissant. »



On comprend mieux, à présent, le sens de la phrase que je citais en introduction : « C'est pourquoi il m'a, chaque fois, consolée. » Mais Laure Murat ne s'arrête pas à son cas particulier. Elle élargit la focale à tous ceux pour lesquels, à travers le monde entier, « Proust, mieux qu'aucun autre écrivain, a si souvent incarné à la fois une bouée et un phare dans la tragédie. » Car « nous sommes tous et toutes inconsolables ». Chacun d'entre nous, dont la venue au monde, après nous avoir arrachés au refuge du ventre maternel, nous voue à jamais à la solitude et à l'angoisse de la mort, ressent le besoin inassouvissable d'être consolé. À commencer par le narrateur de la Recherche qui, soir après soir à Combray, attend anxieusement le précieux viatique qui ouvrira toutes grandes les portes du sommeil et du rêve, en l'absence duquel il n'y aura pas de repos possible, le baiser maternel :

« Il y a bien longtemps aussi que mon père a cessé de pouvoir dire à maman : « Va avec le petit. » La possibilité de telles heures ne renaîtra jamais pour moi. Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête l'oreille, les sanglots que j'eus la force de contenir devant mon père et qui n'éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n'ont jamais cessé. »

(Du côté de chez Swann)



Ce constat tragique, Proust en fait non pas l'objet d'une plainte complaisante, mais le coeur d'une recherche, transmuant le plomb en or, transformant une catastrophe en oeuvre d'art. Nous savons qu'il s'est véritablement attelé à l'écriture de la Recherche en 1906, un an après la mort de sa mère. Sa vie ayant désormais, comme il le confie à Robert de Montesquiou, « perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation », il ne lui reste plus qu'à se mettre à la tâche tant de fois différée afin d'offrir à sa mère disparue la consolation qu'il ne put lui offrir de son vivant, celle d'accomplir l'oeuvre à laquelle elle le savait secrètement promis.



« Proust se doutait-il seulement qu'en échafaudant son roman il inventait un secours plus puissant que la tendresse d'une mère absente ? (…)

Il n'endort pas nos douleurs dans les volutes de sa prose, il excite sans cesse notre désir de savoir qui, en séparant l'enfant de sa mère, nous affranchit plus sûrement du malheur que tous les mots de la compassion.

À ce titre, il ne serait pas exagéré de dire que Proust m'a sauvée. »



Un merci particulièrement reconnaissant à Hélène (@4bis) qui, la première, a attiré mon attention sur ce livre.



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Proust, roman familial

J'avais envie de découvrir ce roman depuis un moment , ayant obtenu le prix Médicis, cela m'avait un peu refroidi, un récit philosophique , qui était, est et restera un monde littéraire loin de ma zone de confort. Je me suis laissée envoûter par ce récit. L'auteure nous entraîne dans un monde hors norme, elle nous immerge , dans le personnage de Proust, et retrouve une part de sa vie, issu d'une famille d'aristocrate très connu,deux familles rivales la famille Marat,et celle des Luynes, au 19 éme siècle. Elle se retrouve dans le personnage de Proust, particulièrement dans son œuvre " La recherche du temps perdu" . Elle a vécu dans ce milieu où Proust tenait un rôle majeur. Un personnage qui a compté énormément, pour elle , tout le court de sa vie. Cette "Recherche" cette "Quête", et pour elle une sorte d'exécutoire, elle se dévoile sans fioriture . Au fil de ses recherches , elle découvre la véritable face du personnage . L'auteure fait une analyse très pointue, avec beaucoup de délicatesse, de passion, de recherches richement documentées et nous livre un essai magistral. Elle se retrouve reniée par sa mère, lorsqu'elle apprend son homosexualité, représentant une déchéance de son éducation, elle devient une paria une petite pointe d'humour, lorsque son père , grand aristocrate prend pour la première fois un bus, ce dernier parle au chauffeur comme s'il prenait un taxi. L'auteure met en avant ce milieu aristocratique, totalement répugnant, cruel, à ses yeux Ayant lu " A la recherche du temps perdu" m'a facilité la lecture, car cet essai est assez complexe à lire, il faut rester concentré. Contrairement à mes à priori du début , je suis laissée transporter dans ce récit enrichissant , L'auteure use d'un vocabulaire puissant, utilise les bons mots, elle les place là, où il faut, quand il le faut, un petit coté qui donne du piment à la lecture. Un roman, autobiographique, un témoignage poignant un essai philosophique, que je vous recommande."Proust l'a sauvé"

Il faut toujours essayer, en tout cas pour ma part, découvrir d'autres horizons littéraires , Je viens de le faire et j'ai été conquise.
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Proust, roman familial

Née princesse Murat, du croisement de la noblesse d’empire – le maréchal Murat fut nommé roi de Naples par son beau-frère Napoléon – et de la noblesse d’Ancien Régime – le duc de Luynes compta parmi les favoris de Louis XIII –, l’auteur fut contrainte à ses vingt ans de rompre avec sa famille et l’étroitesse de ses codes aristocratiques pour vivre son homosexualité au grand jour. Aujourd’hui enseignante universitaire en Californie, connue pour ses essais et biographies sur la psychiatrie, la littérature et le troisième sexe, et plus particulièrement pour ses multiples études consacrées à Marcel Proust, elle passe pour la première fois à l’écriture autobiographique, le regard finement critique de « ce petit journaliste », que sa grand-mère plaçait avec condescendance en bout de table, l’amenant à passer au crible sa vie, sa famille et ce « monde de formes vides » qu’est l’aristocratie française.





« Toute mon adolescence, j’ai entendu parler des personnages de la Recherche, persuadée qu’ils étaient des oncles ou des cousines que je n’avais pas encore rencontrés. » Proust procédant par insertion de noms inventés à l’intérieur de vraies généalogies, Laure Murat se retrouve en effet des ancêtres communs avec le duc et la duchesse de Guermantes. Par un effet miroir proprement saisissant, la voilà qui découvre, dans cette œuvre qui n’a pas fini de la fasciner, tout ce qu’elle a toujours vécu d’expérience sans jamais en avoir clairement conscience. La lecture de Proust est une révélation. Elle lui ouvre les yeux sur la vanité d’un monde en perpétuelle représentation, « un théâtre qui ne ferme jamais », tout entier consacré à la mise en scène de sa distinction. En vérité, l’aristocratie n’a plus comme preuve de son statut d’élite que la seule forme creuse modelée par un corset de codes et de normes.





Tenir son rang en est le maître-mot, et l’affection se devant d’être « désincarnée, toujours distante » pour une dignité et des apparences toujours sauves, cela donne des scènes, parfois drôles, souvent d’une confondante cruauté. « ‘’On ne pleure pas comme une domestique’’, répétait mon arrière-grand-mère, que la haine de l’effusion avait poussée à donner un bal à la mort d’un de ses fils. » « ‘’Avec les enfants, chérie, il faut être in-di-ffé-rent, c’est cela, le secret. In-di-ffé-rent’’, avait recommandé ma mère de sa voix douce à ma sœur, qui lui demandait un jour conseil à propos de l’éducation de sa fille aînée. » Et comme il n’y a pas pire que de briser le code, l’auteur qui, à vingt ans, prétend sortir son homosexualité du placard, s’attire d’office une éviction violente. « ‘’Tu incarnes à mes yeux l’échec de toute une éducation morale et spirituelle’’, et : « ‘’Pour moi, tu es une fille perdue.‘’ Je l’ai vue pleurer pour la première fois. C’est cela, surtout, que ma famille m’a le plus reproché : tu as fait pleurer ta mère en public. Comme une domestique. »





Loin de l’évocation plaintive ou revancharde d’un monde fermé qui l’a exclue, le récit de Laure Murat, assis sur une lecture éblouissante de l’oeuvre de Proust, impressionne par l’intelligence et l’acuité de ses analyses. Sa narration est celle d’un choc littéraire, aboutissant à une compréhension de sa propre vie et à une libération. « Proust (…) élaborait sous mes yeux le mode d’emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j’étais née. » « Ma lecture de la Recherche m’a délivrée des faux-semblants attachés à l’aristocratie de mes origines, m’a instaurée en tant que sujet (…) et, plus que tout, m’a ouverte au réel. »





Elle l’a aussi instituée universitaire, pour la grande chance de ses étudiants, mais aussi de ses lecteurs, qui apprécieront la clarté de sa démonstration en même temps que la qualité de sa plume. Dire que Gallimard avait refusé le manuscrit de Du côté de chez Swann en l’assortissant de ce commentaire lapidaire : « Trop de duchesses ! » A vrai dire, si elle bénéficie d’une « glose exponentielle », avec seulement quelque 5000 nouveaux lecteurs chaque année, l’oeuvre proustienne reste finalement très peu lue. « Plébiscité, encensé, revendiqué comme le plus grand écrivain du XXe siècle, Proust subit le sort des artistes fétichisés, dont la reconnaissance et le prestige sont inversement proportionnels au succès commercial. » Avec une avocate telle que Laure Murat, justice lui est passionnément rendue.


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Relire : Enquête sur une passion littéraire

Lire bien sûr! Mais relire? Alors que chaque année littéraire nous propose mille ouvrages de plus, et qu’ainsi se creuse le fossé des possibles. Et pourtant, la nouveauté n’est pas le garant de de la félicité attendue. Le bouche-à-oreilles non plus. Alors se replonger dans un récit qui vous a enchanté jadis ou naguère, ou tenter une fois de plus de vaincre les obstacles qui rendent une lecture absconse, malgré les dithyrambes d’admirateurs inconditionnels?



C’est cette démarche qu’a voulu étudier Laure Murat. De façon méthodique, avec un questionnaire adressé à des spécialistes des mots écrits, qu’ils soient éditeurs, comédiens, écrivains ou universitaires.



Que relisez-vous? `que relisiez vous lorsque vous étiez enfant? Quid de Proust ? (qui fait partie de ces classiques qu’on n'avoue jamais lire, mais toujours relire). Quel est le but de parcourir à nouveau les lignes déjà connues? Quel livre a pu vous décevoir après avoir été culte quinze ou vingt ans plutôt? Et réciproquement.



Ce sont toutes ces questions et bien d’autres encore qui sont soumises aux quelques dizaines de lecteurs triés sur le volet.



Et c’est intéressant, par le jeu des différences et ressemblances exposées. L’on se retrouve ou non en tant que re-lecteur, dans ces témoignages.



C’est aussi remarquable que les mêmes livres d’enfance puis les mêmes classiques soient cités. il est vrai que pour les lectures d’enfance, le marché offrait peu de choix : on a tous lu la comtesse de Ségur et les ancêtres du polar dans la bibliothèque verte. C’est à l’adolescence que se crée la frontière et que se dessine le profil du futur gros lecteur.



Un essai réussi sur cette passion solitaire qui ne demande qu’à être partagée. A lire (et relire?)
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Proust, roman familial

Laure Murat ne serait donc qu'une énième parmi d'autres à s'atteler à la tâche. À cela près que son approche de la lecture du grand oeuvre de Proust passe par sa singularité de femme dont l'orientation sexuelle l'a exclue de son milieu, et le lui a fait comprendre. Un cheminement qu'elle nous explique avec un talent susceptible de donner envie à quiconque de lire ou relire Proust. Car finalement n'est-ce pas ce que nous espérons tous, qui nous enchante, nous émeut, nous console, nous grandit, donne un sens à notre vie de mortel lorsque nous le découvrons au détour d'une lecture ? Trouver la réponse à nos interrogations, sur nous-mêmes, sur notre environnement familial et affectif, sur notre rapport aux autres et au monde.



« Proust se doutait-il seulement qu'en échafaudant son roman il inventait un secours plus puissant que la tendresse d'une mère absente ? Que son oeuvre, en proposant un exercice continu de dessillement, y compris en soi-même, livrerait une grille de compréhension et de déchiffrement du monde à la fois souveraine et dynamique, subtile et pénétrante, pour des millions de gens dans le monde ? Que tout un chacun sortirait étonnamment augmenté de cette lecture, tant il est vrai qu'une « erreur dissipée nous donne un sens de plus » ? Proust n'endort pas nos douleurs dans les volutes de sa prose, il excite sans cesse notre désir de savoir, cette libido sciendi qui, en séparant l'enfant de sa mère, nous affranchit plus sûrement du malheur que tous les mots de la compassion. »
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Proust, roman familial

Avec Proust, tout est possible. Rester à la porte de l’oeuvre sans parvenir à trouver la clé de lecture ce roman si célèbre ou tomber en amour pour la vie et devenir « proustien » !



Pour Laure Murat, c’est bien entendu la deuxième voie qui convient, mais pas pour les mêmes raisons que le commun des lecteurs. En effet, c’est sa propre histoire qu’elle identifie dans les pages mythiques.



En raison de la description pointue du monde de l’aristocratie du début du vingtième dont elle-même est issue, elle comprend les clés de fonctionnement de sa propre famille.



« en arrachant un à un les masques de la légende, en piochant consciencieusement le mythe jusqu'à l'os, Proust ne m'a pas seulement délivré des poncifs et autres platitudes, attachées à la noblesse pour substituer du sens et de la profondeur. »





Par ailleurs le thème de l’homosexualité et la façon dont Proust aborde le sujet dans La Recherche la renvoie à sa propre disgrâce au sein de sa famille lorsqu’elle a osé braver les non-dits d’usage autour de ce sujet tabou.



C’est finalement une famille de substitution que Laure Murat a trouvé dans ces pages dont elle est devenu une spécialiste et qu’elle a enseigné à peine arrivée aux USA.





Si le nombre des lecteurs de La recherche est relativement faible en regard de la célébrité de l’auteur (on constate que passé le premier tome, peu poursuivent la découverte de l’oeuvre) , le nombre d’ouvrage consacré à l’œuvre ou à l’auteur est assez considérable, et le plus souvent intéressant tant ces 2500 pages recèlent de thèmes différents. Le récit de Laure Murat présente l’originalité de joindre son histoire personnelle, qui sort du commun. Comme une transfuge de classe à rebours, elle y confie ses drames et ses regrets.



Les références bibliographiques sont nombreuses et ouvrent de nouvelles perspectives d’exploration.



A conseiller à tous les amateurs de Proust. Mais les lecteurs qui ne se sont pas encore lancés dans l’aventure pourraient y trouver de bonnes raisons de le faire





256 pages Robert Laffont 24 aout 2023


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Proust, roman familial

Essai ou autobiographie, Laure Murat va de l'un à l'autre dans ce livre consacré à sa famille et à Proust !

Elle descend de Joachim Murat, maréchal d'Empire, roi de Naples, et de la famille de Luynes, dont un ascendant était un favori de Louis XIII.

Née et élevée dans la plus pure aristocratie, elle nous décrit un monde figé, impitoyable, codifié, mais brillant et désirable !

Ses ancêtres apparaissent dans la « Recherche du temps perdu », et très tôt elle a côtoyé tous les personnages proustiens comme des cousins ou des voisins.



Comment Proust va-t-il l'aider, elle qui devait être « mariée, avoir des enfants et être femme au foyer », à être « célibataire, sans enfants, prof de lettres aux USA et à vivre avec une femme » ?

Comment Proust, à travers sa critique féroce de l'aristocratie parisienne, donc de sa famille, peut-il influer aujourd'hui encore sur nos vies ?



Laure Murat va montrer que Proust, en disséquant les aristocrates et leur mode de vie, met en avant leur souhait d'immobilisme, leur besoin de rites immuables, de relations codifiées, pour conserver leur raison d'être et de vivre.

Et c'est justement ce que Laure Murat ressent dans sa famille et ce dont elle va s'échapper en étant bannie par sa famille.

Ou « Comment Proust peut changer votre vie », titre d'un récit brillant d'Alain de Botton qui s'applique exactement à Laure Murat !

A noter que la partie consacrée à Proust est précise et pointue, quitte à perdre un peu le lecteur... qui se rattrapera ensuite dans ce roman familial brillant et caustique !

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Proust, roman familial

*PROUSTIENS ONLY*



"Proust, Roman familial" de Laure Murat est à réserver aux Proustiens. A ceux qui lisent la Recherche, ou à ceux qui l'ont lue. A ceux qui en sont amoureux, pas à ceux qui n'ont pas aimé.

Ce n'est pas que je veux exclure une grand partie de la population, mais contrairement à "Clara lit Proust" de Stéphane Carlier, le livre de Laure Murat n'est pas un roman. C'est plutôt un essai.



L'autrice est issue de la vieille noblesse française, et de la noblesse napoléonienne. Ses aïeux ont connu Proust... et certains ont même servi de modèle aux personnages de la Recherche ! Elle est historienne et formée aux sciences sociales, spécialiste de l'histoire culturelle et des questions de genre, spécialiste de Marcel aussi.

Grâce à ce côté famille et généalogie, et à son regard, j'ai eu de nouveaux éclairages sur la Recherche, le comportement des protagonistes,..



J'ai trouvé cet essai assez intéressant et pas ennuyeux pour un sou, mais avoir lu au moins une demi-Recherche est un prérequis.
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Proust, roman familial

Après sa floraison parme, avez-vous déjà observé les graines du cyclamen ? Resserrées dans des petits sacs comme des bourses fichées au terme d'une tige dont les ressorts assureront la projection, elles seront capables de prospérer bien plus loin que le plant qui les aura portées. Mais pour que cette expédition vers un ailleurs propice ait lieu, il faudra la complicité d'un soleil accommodant, d'un sous-bois humide, le temps de quelques saisons favorables, et auparavant, la formidable diligence d'une pousse qui sait d'elle-même comment donner à son essor les sinuosités nécessaires à la diffusion de ses rejetons. L'alliance d'une conjoncture et d'un héritage.



C'est le cyclamen et son mode d'exploration qui me viennent en tête pour décrire ce qui m'arrive avec la lecture de Proust. Ce même potentiel de démultiplication du sens et cette même conspiration explosive de mon environnement pour que je sois projetée vers l'ailleurs.



En revenant à la Recherche, je savais bien que je n'en serais pas quitte aisément. J'espérais d'ailleurs le contraire : en être l'enchantée prisonnière… mais ne ressassons pas ce premier désappointement ! Concentrons-nous plutôt sur les réflexions que m'ont valu cette lecture et les échos qu'elle continue de diffuser en moi. Comme s'il était impossible de rester seulement déçue et que si La Recherche et moi avions un problème, l'ensemble des torts ne reposait pas sur le seul livre. - de quelle honnêteté je fais preuve ! –



Je pensais plaisanter en écrivant que ce serait vous qui m'aideriez à apprécier ma lecture, comme l'entourage du narrateur lui permettra de trouver le sublime aux oeuvres qu'il était désespéré de ne pas apprécier d'abord, mais ça commence à fonctionner vraiment ainsi ! Quel sortilège !



Toujours est-il que non content d'accumuler les remarques visant à me faire réfléchir, les critiques inspirées des copains à propos d'A l'ombre des jeunes filles en fleur, les avis nuancés et avertis d'amis dont j'affectionne particulièrement le regard, l'univers m'aura aussi mis entre les mains ce Proust, roman familial. (En l'espèce, l'univers aura pris les traits d'une amie chère qui, ayant l'occasion de se procurer ce livre, aura immédiatement pensé à me l'offrir, chanceuse inouïe que je suis.)



A la croisée entre l'exploration littéraire, l'autobiographie et l'hommage, Proust, roman familial m'a rappelé, par sa forme Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon. Il s'agit à chaque fois de faire résonner le parcours singulier de l'autrice avec ce qu'une oeuvre littéraire peut offrir. D'éclairer par une recherche documentaire érudite les liens entre conscience collective et réception particulière.



Laure Murat, par ses ascendants, est la quintessence de l'aristocratie française. Par ses choix de vie, son orientation sexuelle, la manière dont elle se livre, dont elle se nourrit de littérature, elle en est l'antithèse. Et cela s'explique, selon elle… grâce à la Recherche du temps perdu !



Chapitre après chapitre, elle raconte certains souvenirs d'enfance qui ne dépareraient pas dans une reconstitution historique savoureuse, décortique le fonctionnement de l'aristocratie, cet échafaudage qui ne s'appuie sur rien, ce monde où l'apparence, les mots, ont remplacé le réel et le corps. Et elle montre comment Proust en révèle la vacuité, comment il fait en sorte d'introduire le mouvement, de remettre au centre ceux dont étaient tus les moeurs homosexuelles, dynamitant ainsi cet édifice vide fait de postures, rendant à l'individu sa place de sujet, ramenant l'universalité en lieu et place du néant. Ainsi, elle raconte comment sa lecture de la Recherche lui aura permis de franchir « le confort trompeur de l'enceinte infertile » dans lequel elle avait été élevée et d'être réellement vivante. Wahou !



Le décalque entre le monde figé de son enfance et les descriptions piquantes de Proust est confondant. Quand on a d'illustres ancêtres, quand on habite encore dans les lieux qui ont fait L Histoire, qu'on ne fraie qu'avec ceux qui le savent et vivent leur existence à cette aune, il est facile de multiplier les correspondances entre son histoire familiale et les personnages de la Recherche. Fiction et réalité historique, biographique, se mêlent en un imbroglio permettant de questionner le terme de chacune de ces réalités. de laisser la littérature dynamiter L Histoire et de révéler le scandale d'un monde qui n'était que signe vide.



La démonstration est exemplaire mais ce qui m'a plu aussi, c'est, qu'elle va plus loin. Point n'est besoin d'avoir des ancêtres parmi les plus proches de Napoléon ou descendant en droite ligne de Guillaume le Conquérant pour connaître le poids d'un milieu qui assigne. L'histoire particulière de Laure Murat, c'est celle d'Annie Ernaux, qu'elle cite souvent aussi, celle de tous ceux qui auront risqué de périr étouffés sous les codes quels que soient la classe sociale ou les tabous que ce derniers protègent. le mérite de la littérature, et de Proust qui est celui qui le fait le mieux aux dires de Laure Murat, n'est pas seulement celui de la description efficace ou de l'évasion, il est celui d'une mise à distance, d'une déconstruction efficace. Celui du dessillement qui permet ensuite la consolation, cette « substance active », « l'embryon d'une énergie prospective et féconde ».



Reste, pour revenir sur mes préventions, que Laure Murat parle très peu de l'obsession proustienne pour le passé. C'est un sacré tour de force d'ailleurs : d'un roman déjà nostalgique d'une période révolue au moment où il est écrit et qui fait écho aux heures glorieuses de sa famille, elle n'extrait que l'intelligence, l'énergie et l'exploration « sous le signe du « constant échange », du « lien mouvant », de l' « attache » permanente, interactive, entre le sensoriel et le spirituel, le corps et l'esprit, afin de rendre l'expérience totale de notre relation au monde. » On peut donc passer outre l'agacement contre les ratiocinations, ressassements onanistes d'une mémoire en boucle et chercher – trouver ! – autre chose dans la Recherche ?



Ainsi, à lire Laure Murat, et vous, les amis qui découvrez, lisez ou relisez sans cesse Proust, il faut croire qu'il existe un chemin pour trouver le sien dans la Recherche. Ce serait dommage de ne pas persévérer à le chercher.

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Relire : Enquête sur une passion littéraire

"Patrick Chamoiseau



Relire c'est l'âme du lire, son accomplissement. "(p. 139)



Si on m'avait dit que je me plongerai avec délice dans cet essai sur la relecture, j'aurais "ricané"... tant l'idée de la relecture durant des années a été dans ma tête un gâchis de temps...tant de livres nouveaux et classiques non lus... m'attendaient !



Il aura fallu un einième déménagement... des bouleversements de vie... et puis mon inscription pour Babelio... qui m'ont franchement incitée à "reparcourir" ou "relire" les textes qui étaient fortement restés dans mon souvenir, et que j'avais envie de partager ou de faire découvrir ....



Et devinez !! eh bien j'y ai trouvé de nouvelles saveurs et parfois j'ai re-découvert véritablement le texte, l'ayant lu trop superficiellement, ou dans une disponibilité médiocre,

sans oublier les changements , les évolution de pensée de tout un chacun.



Une première partie d'analyse sur la relecture, et la présentation des auteurs les plus relus... s'ensuit la partie la plus conséquente et la plus vivante du livre qui présente les réponses de dizaine d'auteurs à cette enquête sur la "relecture"...



Parmi ceux-ci: - Marianne Alphant , Christine Angot, Stéphane Audeguy, Patrick Chamoiseau, Eric Chevillard, julia Deck, Agnès Desarthe, Jean Echenoz, Annie Ernaux, Philippe Forest,

Cécile Guilbert, Bernard Hoepffner, Luc Lang, Linda Lê, Céline Minard, Dominique Noguez, Olivier Rolin, Thiphaine Samoyault, Philippe Sollers, Cécile Wajsbrot.



Un ouvrage épatant que l'on peut lire d'une traite, ou piocher selon l'envie, l'humeur et l'attirance du jour... et ne vous affolez pas. Votre PAL augmentera inévitablement !!!

Par contre, parmi les incontournables des relus et relus..il y a "La recherche"..... et j'avoue humblement ...que ce monument de la littérature... me reste à découvrir...

J'ai un mal fou à comprendre mes "résistances"...J'espère , un jour, parvenir à les dépasser... Mais d'autres oeuvres m'attendent, comme celle de Faulkner... jamais

abordée !



Par contre un petit mouvement d'humeur de ne pas voir cité Albert Camus !!!(ou trop peu; 3 malheureuses fois) un cruel manque, à mes yeux ! Cela n'enlève rien à la qualité de cette enquête ...



"Montrez-moi votre bibliothèque, et je vous dirai qui vous êtes. Dites-moi ce que vous relisez, et je recueillerai vos secrets" (p. 274)



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Proust, roman familial

Ce n'est vraiment ni un essai, ni une autobiographie, ni une énième livre sur « la Recherche » de Proust, mais un peu tout cela à la fois.



Laure Murat descend à la fois de la Noblesse d'Empire ( le prince Napoléon Murat) et de la Noblesse de l'Ancien Régime (elle est la petite-fille du duc de Luynes). Elle a grandi dans un hôtel particulier, a été élevée avec la noblesse d'Ancien Régime et la noblesse d'Empire et a compris très tôt la « puissance muette du code », l'étiquette, le contrôle absolu de soi, la représentation.



« Proust, roman familial » aurait pu avoir pour titre « Comment Proust a éclairé ma vie », comme elle l'explique, puisque Proust a mis des mots sur ce qu'elle a ressenti très tôt en décrivant des scènes qui lui étaient pleinement familières. Ses arrières grands-parents ont bien connu Proust, des membres de sa famille ont servi de modèle à plusieurs personnages de « la Recherche » : le Duc et la Duchesse de Guermantes ne sont autres que son Oncle et sa Tante.



Cet univers, Laure Murat a baigné dedans pendant toute son enfance, jusqu'à ce qu'elle commette l'irréparable pour sa mère : annoncer au grand jour son homosexualité et sa préférence pour les femmes, ce qui lui a valu l'exclusion de facto de cet univers aussi anachronique qu'asphyxiant.

C'est donc à une lecture très singulière que Laure Murat s'est livrée, découvrant son univers et cette société baignée d'étiquette, d'hypocrisie, aussi bien décrit, dévoilé, démonté, comme si apparaissaient les coulisses d'un décor de pacotille. Proust a expliqué mieux qu'elle ne l'aurait fait ce qu'elle vivait.



Car comme elle l'écrit « Limité au surgissement des noms familiers, dans le cadre d'un roman, le trouble de ma lecture serait resté anecdotique. »

Contrairement à la légende, Proust n'était pas du tout béat d'admiration en face de cette aristocratie d'autrefois. Au contraire. Il va ouvrir les yeux des lecteurs sur les mensonges successifs sur lesquels cet univers est construit : Charlus, qu'on présente viril et masculin, est en réalité un homosexuel, la Duchesse de Guermantes n'a aucun esprit … tout un monde de faux semblants où la sincérité n'a pas droit de cité.



Et comme le dit magistralement, à propos de sa première rencontre avec « La Recherche » :

« Ce fut un choc. Car, pour la première fois la forme proustienne donnait du sens à la vacuité de la forme artistique.

Le texte suppléait le vide, le roman prenait en charge le néant et la futilité d'un monde qui croyait posséder la clé de son royaume ; la littérature apportait consistance, densité et épaisseur là où ne régnaient qu'une pantomime sans enjeu et une suite de scènes chic dépourvues de chair et d'intérêt.

En dévoilant les arcanes du milieu où j'étais née, Proust donnait (enfin) corps et relief à tout ce qui m'entourait et dont je n'avais pas eu jusque-là qu'une perception floue, indécise. »



Récit atypique et passionnant, ce qui n'est pas une autobiographie, son propos est donc comme elle l'explique elle-même de mettre en perspective une expérience autobiographique avec un livre dont elle révèle le pouvoir d'émancipation. Car toute la recherche est l'histoire de ce décillement, de dévoilement pour faire apparaître les ressorts de la comédie.



Magistral.

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Proust, roman familial

Pas assez de Proust, trop de Laure Murat.



Je dois avouer qu'au bout de 30 pages j'ai posé ce livre de côté, plutôt excédée par le style pompeux qu'à pris Laure Murat pour se présenter et introduire les éléments essentiels concernant sa famille et qu'elle allait détailler dans cet essai. J'avais vu rouge, d'autant que je n'apprécie pas spécialement qu'on crache dans la soupe familiale. En vouloir autant à ce qu'elle appelle « sa caste » m'avait refroidi.



Puis je me suis raisonnée et me suis dit que cet ouvrage n'avait pas pu faire couler autant d'encre, avoir été sur plusieurs listes de prix littéraires de cet automne, n'avoir pas pu être autant invité dans des émissions littéraires et surtout n'avoir récolté le Prix Médicis de l'essai 2023 sans raison. Et c'est dans cet état d'esprit et après la lecture d'un très bon écrivain que j'y suis, bon an, mal an, retournée et ai pu modérer « le rouge » présupposé.



En avançant dans la lecture j'ai réussi à m'adapter au style Murat, un style très lourd, mais peut-être aussi un style pouvant être en lien avec son titre de « professeur de littérature l'Université de Californie à Los Angeles ».

J'avais surtout envie de connaitre ses explications à elle quant à l'attirance de tant de continents pour « La Recherche du Temps Perdu » de Marcel Proust. Pourquoi atteignait-il si bien le coeur de tant de lecteurs d'horizons différents, de la Chine à l'Islande en passant par l'Argentine ? Pourquoi chacun de nous, pouvons nous nous y reconnaitre ? Pourquoi Proust peut-il si finement décortiquer notre cerveau ? Et surtout qu'étant toujours en quête de quelques données complémentaires à me petite connaissance de Proust, je me suis dit que cela me serait culturellement profitable. Et ça, Bingo ! J'ai pu le vérifier.



L'autrice déroule un fil familial qui est autant le sien que celui de Proust. Elle a été, autant que Proust, phagocytée et atteinte par l'aristocratie. Si bien atteinte qu'elle peut (le mieux ?) comprendre Proust.

Une chose est certaine, Laure Murat on ne peut pas la pointer en lui trouvant « une ignorance de laquais » comme le disait Proust lorsqu'il parlait des familles d'aristocrates. Elle a vécu d'horribles choses de la part de ses frères et soeurs. Son père par contre elle l'a profondément aimé. Elle nous parle aussi de la réelle souffrance des enfants grandissant dans cette toxique ambiance bourgeoise. Concernant ces points familiaux et bien d'autres, le livre apporte beaucoup à ses lecteurs.

Je suis contente pour l'autrice lorsqu'elle détaille à quel point la lecture de Proust l'a sauvée ; je rajouterais volontiers qu'elle l'a probablement aussi émancipée.

Oui, c'est une écrivaine bourrée de culture et de connaissances littéraires. Dans bien des passages autobiographiques l'autrice est émouvante.



Et pourquoi ces différents passages en écriture inclusive ? Je ne pense pas qu'elle y avait une place dans un ouvrage ayant pour thème de base Proust.



Bref, étant donné que Laure Murat a essentiellement revisité sa propre vie alors que pour ma part c'est celle de Proust que je cherchais, il faut absolument que je persévère. Je pense que la lecture de la biographie de Proust par Jean-Yves Tadié complètera cette lecture.
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Proust, roman familial

Je termine ce roman qui m'a été prêté, et que j'ai lu avec plaisir et réflexion. J'ai l'impression d'énoncer un lieu commun en affirmant qu'il m'a donné envie de reprendre la Recherche, d'aller directement à la source. N'est-ce pas tout le pouvoir de fascination de cette œuvre, que de se répandre par le pouvoir d'attraction des mots d'autres lecteurs ?



Je me sens moins déconfite de m'être arrêtée, il y a longtemps, au troisième tome de la Recherche, ayant lu que la moitié des lecteurs ont décroché après Un Amour de Swann, et un bon tiers encore après le deuxième ou le troisième tome. Avec son approche spécialisée et pointue, aussi bien qu'aimante et émue, Laure Murat sait nous convaincre que la lecture de Proust est aussi pour nous. Lire Proust, c'est plus facile qu'on ne croit, selon elle.



Ainsi, par la qualité de son évocation, nous abordons différentes facettes de l'œuvre : Le Proust lié à l'aristocratie de son temps, visiteur des Salons et divers lieux de réjouissances du gratin mondain, mais aussi le clandestin des lieux de rencontre pour hommes, avec mineurs le plus souvent, l'enfant à jamais épris de sa mère, et surtout, l'auteur volontairement reclus pour mener à bien son travail d'écriture, faisant émerger les souvenirs de strates oubliées de sa mémoire, recomposant une réalité qui seule compte, celle de la littérature, ou l'expérience transmuée en œuvre d'art.



Nous apprendrons également que Proust creusa la tombe de l'aristocratie, en questionnant non pas tant sa légitimité que son pouvoir réel, et surtout en mettant à jour ce qu'elle taisait, en amenant au centre les personnages de la marge, ceux qu'elle ne voulait pas voir, ou qu'elle ne pouvait tolérer qu'en les faisant taire. Pour un peu, l'auteur culte du XXème siècle deviendrait presque une icône du grand mouvement arc-en-ciel, bien qu'il eût ses propres limites, en ce qu'un coming-out n'était pas sa tasse de thé. Il était même, dirait-on aujourd'hui, littéralement homophobe.



C'est ici qu'il faut parler du "roman familial", car Laure Murat sait ce qu'est l'aristocratie, elle a vécu en son sein, sans questionnement d'abord, protégée par "le château-fort" et le récit familial, puis écartée car elle voulait vivre son homosexualité au grand jour et que sa mère ne voulait pas en entendre parler, d'où sa rupture et son exil. Il faut lire ces pages sur les manières du grand monde, le vide enrobé par les formes, sur la répétition ad nauseam de la généalogie, mais aussi sur une certaine liberté de ton, une désinvolture cultivée, un amour des livres comme pouvait l'incarner son père. C'est touchant et fascinant, car sans être qualifié pour, qui peut accéder à ce milieu d'entre-soi par excellence ?



Pourquoi alors ne pas accorder le 5/5 à ce livre inclassable, entre essai littéraire et auto-fiction, qui fait un sans faute quant au style ? J'ai deux raisons : je n'aime pas lire sur un auteur avant de le lire moi-même, d'une part. D'autre part, j'ai une légère suspicion envers Laure Murat d'ambiguïté morale relative à son statut de noblesse : certes, elle ne manque pas d'auto-dérision et d'esprit critique, mais elle reste Princesse après tout dans l'état-civil. Mais surtout, elle se donne le beau rôle, la vérité pour elle est le mouvement, la fluidité, contre l'immobilisme et le conservatisme hérités de son milieu. Si sa façon de vivre avait été acceptée par sa caste, aurait-elle ainsi tout remis en cause, aurait-elle rompu avec un mode de vie qui devait bien comporter quelques avantages ? Ne demandait-elle qu'une acceptation de son individualité, l'expression d'une compréhension maternelle, ou était-elle d'emblée prête à aller plus loin, à rompre avec tout un milieu qu'elle estime toxique par ce qu'il lui a coûté ?
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Proust, roman familial

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle 2024



Je ne suis pas une amatrice de Proust : j’ai lu il y a longtemps et sans réel enthousiasme Du côté de chez Swann. Je ne connais le reste de l’œuvre que par des extraits, essentiellement les passages jugés incontournables. Autrement dit, je ne connais ni La Recherche ni son auteur. C’est dire si j’étais à la fois intimidée et inquiète quand j’ai reçu le livre de Laure Murat. Pourtant, j’ai lu cet essai sans déplaisir et même avec un véritable intérêt. Je n’ai tout d’abord pas fait le rapprochement entre le nom de famille Murat et le célèbre maréchal d’Empire anobli par Napoléon... L’autrice, historienne, nous apprend que, de plus, sa mère est une Luynes. Ainsi, du côté paternel, on remonte à la noblesse d’Empire, mais du côté maternel, à la noblesse d’Ancien Régime. Laure Murat s’attarde longuement sur cette société aristocratique toujours vivante bien qu’elle puisse paraître à certains, parfois à elle-même, parfaitement anachronique, voire rétrograde et déplacée. La référence à la série Downton Abbey dans l’incipit, le rappel de la scène où l’on voit le maître d’hôtel mesurer la distance entre les couverts afin de s’assurer qu’elle est la même pour chaque convive, me semble être un bel exemple de ces préoccupations dont l’insignifiance laisse sans voix. En tentant de regarder lucidement le milieu dont elle est issue et en ramenant ses remarques aux tomes de La Recherche, c’est, en fait, de sa rupture avec un monde qui la rejette, et qu’elle finira par rejeter à son tour, dont elle veut parler en éclaircissant les causes du malaise : « Je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d’université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe », voilà qui est dit. On comprendra que devant la réaction de son milieu vis-à-vis des homosexuels, et particulièrement devant celle de sa mère, l’autrice ait eu envie de couper les ponts. Encore que ce qui agace le plus sa mère ce n’est pas qu’elle soit homosexuelle, mais qu’elle ose le dire ! Laure Murat retrouve son milieu social dans l’œuvre de Proust et estime qu’il en fait une critique assez féroce. Je lui fait évidemment confiance, mais je suis bien incapable d'infirmer ou de confirmer… Cependant, j’avais plutôt gardé l’impression que les personnages de Proust qui ne faisaient pas partie de l’aristocratie admiraient ce milieu et rêvaient d’y appartenir. Il semble que le rejet et la critique sévère et drôle viennent plus tard dans l’œuvre. Proust, roman familial est, pour une part, un essai sur l’œuvre de Proust et sur les coutumes et usages d’une certaine aristocratie et, pour une autre part, une émouvante autobiographie pleine de confidences et d'une désarmante reconnaissance envers l’écrivain et son œuvre.

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Proust, roman familial

Il était une fois une princesse qui ne s'est pas mariée, qui n'a pas eu d'enfant, et qui, pour comble, est devenue gauchiste, féministe et homosexuelle.



La princesse déchue doit son salut à Marcel Proust.



Proust, roman familial suggère que c'est Proust qui a composé le roman familial de Laure Murat, et c'est d'une certaine façon la vérité, car en tant que chroniqueur de gazette mondaine, Marcel Proust était de toutes les fêtes du microcosme aristocrate, de la fin du XIXème au début du XXème, où figurait en bonne position les arrière-grands-parents de l'autrice.



À force d'en entendre parler, dès sa tendre enfance, Laure Murat considère le grand écrivain comme quelqu'un de sa famille, qui plus est comme un ange gardien, qu'elle honore par les mots de la fin de son ouvrage.



« À ce titre, il ne serait pas exagéré de dire que Proust m'a sauvée ».



Marcel Proust lui a décillé les yeux et permis de faire sa résilience face à la cruauté du rejet de sa famille quand elle a fait son coming out : « Tu es une fille perdue», lui crache à la figure sa mère avant de se mettre à pleurer, comble de l'ignominie pour une noble !



« À l'aristocratie est souvent rattaché le mot de prestige. […]. Personnellement, je préfère le « proustige ». […] Je ne m'arroge en rien le prestige de Proust parce qu'il aurait décrit le monde où je suis née, mais je loue sa magie à m'en avoir sortie, en authentique proustigitateur ». (p.16)



Les personnages de "À la Recherche du Temps perdu" sont inspirés de réels aristocrates, sans oublier de nombreux membres de la dynastie Murat – Luynes, croisement de la noblesse d'empire (Napoléon) et de la noblesse de sang. L'intérêt de Laure Murat va au-delà de l'évocation pure et simple de sa famille, et s'étend à l'aristocratie toute entière que Marcel Proust dépeint merveilleusement, comme des errants voltigeant dans leur bulle, en constante représentation.



« Limité au surgissement de noms familiers dans le cadre d'un roman, le trouble de ma lecture serait resté anecdotique. Mais le plus sidérant, c'était que toutes les scènes « lues » où l'aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes « vécues » dont j'avais été témoin, comme si Proust, à l'image du Dr Frankenstein, élaborait sous mes yeux le mode d'emploi des créatures que nous étions. Il mettait en mots et en paragraphes intelligibles ce qui se mouvait sous mes yeux depuis que j'étais née ». ((p.78)



Ces chevaliers d'un autre temps se doivent d'évoluer comme des notes dans un morceau de musique, la moindre fausse note est vécue comme un drame sans nom. C'est tout un ensemble de codes qu'ils doivent appliquer au pied et à la lettre.



Il faut respecter l'élocution aristocratique, « l'accent de classe ».



« Une année, une de mes soeurs avait spontanément adopté le tic d'une de ses professeures* d'école qui ajoutait des « eu » traînants à la suite de certains mots, comme dans « je suis allée à la piscin-eu » […] je vois encore la panique sur le visage de ma mère, comme si la famille groseille au complet avait pris possession du larynx de ma soeur ». (p.172)



*oh mes aïeux !



Cet « accent de classe » doit se dérouler dans un certain rythme.



« Cette musicalité un peu nerveuse, faite d'accélérations et de lenteurs étudiées pour conduire le plus sûrement à la chute, convient aux mots d'esprit et à l'art de la conversation, où il est déconseillé de s'appesantir ». (p.19)



C'est tout un apprentissage de parler pour ne rien dire ou pratiquer la langue de bois.



« Car, aussi prévisible soit-il à bien des égards, ce milieu conserve en même temps, et jalousement, le secret de sa liturgie, qui fonctionne comme des actes de langage indirect, ces énoncés qui disent une chose pour en signifier une autre ». (p.87)



« Proust écrit : « j'avais assez fréquenté de gens du monde pour savoir que ce sont eux les véritables illettrés, et non les ouvriers électriciens ». (p.32)



C'est fatigant d'être en constante représentation, rares sont les instants où l'attention se relâche, comme ce moment où le baron de Charlus, ne se sachant pas observé, sort de l'hôtel de Mme de Villeparisis.



« Dans ce passage où le narrateur observe M. de Charlus à son insu, baissant les paupières au soleil dans la cour de l'hôtel de Guermantes, vaut mieux que toutes les explications. Parce qu'il est convaincu de n'être pas observé, le baron a « relâché dans son visage cette tension, amorti cette vitalité factice », oublié d'arborer sa « brutalité postiche » pour laisser « l'aménité, la bonté […] s'étaler si naïvement sur son visage ». (p.82)



Il est formellement interdit de manifester des sentiments, sont exclues toutes circonstances atténuantes.



« « On ne pleure pas comme une domestique », répétait mon arrière-grand-mère, que la haine de l'effusion avait poussée à donner un bal à la mort d'un de ses fils, engagé volontaire, tombé pour la France en 1916, à l'aube de son vingtième anniversaire ». (p.18)



Ces aristocrates ont appris par coeur leur rôle et sont incapables d'improviser. Il faut comprendre le désarroi de la duchesse de Guermantes quand elle demande à Swan pourquoi il ne veut pas l'accompagner en Italie, et que ce dernier lui répond que le médecin lui a donné peu de temps à vivre. Cette pauvre dame est perdue car dans son « code de convenances », il n'est pas fait référence à ce qu'il convient de dire dans ce cas précis. Elle esquive la difficulté en rétorquant qu'il s'agit certainement d'une plaisanterie. (p.101)



C'est un truisme de dire que ces gens-là ne travaillent pas et sont totalement ignorants des questions pratiques et de la vie ordinaire. Laure Murat relate que la seule fois où elle a pris le bus avec son père, elle ne savait pas où se mettre quand ce dernier s'adressant au chauffeur a demandé très sérieusement : « on m'a beaucoup parlé de cette carte qu'on dit « orange ». Vous me la conseillez ? ». (p.176)



Cet atavisme les conduit à considérer comme des affaires d'état, des choses insignifiantes, comme le fait que la duchesse de Guermantes puisse porter des souliers rouges avec une robe noire.



Laure Murat nous livre, pour notre grand bonheur, son prisme de lecture de "À la recherche du temps perdu", qui correspond à sa connotation personnelle du temps comme recherche pour comprendre son histoire familiale, même si elle ne l'enferme pas dans ce carcan.



« Ce livre immense m'enchantait comme un kaléidoscope dont chaque mouvement révèle des figures et des combinaisons insoupçonnables, des mondes infinis ». (p.69)



Proust aimait à dire que chaque lecteur lisait en lui-même en lisant La recherche du temps perdu, toutefois il n'appréciait pas toutes les interprétations, d'où sa colère, quand le critique Marcel Boulenger, à propos de "À l'ombre des jeunes filles en fleur", a parlé du portrait flatteur d'une « noblesse imaginaire ».



Pour corroborer cette idée, j'ajoute qu'il s'est mis à dos beaucoup d'aristocrates, comme Mme de Villeparis qui a brûlé toute leur correspondance, où le Marquis de Breteuil qui a cessé de le recevoir alors qu'il avait eu une chambre attitrée.



Je n'ai pas encore pris le temps de partir à La Recherche du Temps perdu. Je n'aurais pas l'outrecuidance de me targuer d'avoir lu « un amour de Swan » pour le bac de français, ou « La prisonnière » suite au film « La captive » avec Sylvie Testud, car ma mémoire ne résisterait pas au moindre interrogatoire.



J'ai acheté Proust, roman familial pour l'offrir à mon mari, qui lui a lu toute La Recherche du Temps perdu en entier deux fois, et plusieurs fois partiellement. Maintenant, je me le suis accaparé et aurai plaisir à le lire et le relire quand mon amie, à qui je viens de le prêter, me le rendra.



Je vais vous faire un aveu. Je suis très touchée par ce sentiment d'étrangeté de Laure Murat.
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Proust, roman familial

Proust m'a sauvée !



Laure Murat nous livre son autobiographie.



Née Princesse dans une famille issue de vieille noblesse d'ancien régime et de noblesse d'Empire, Laure dénote dans ce monde.

Dans une scène de la série Down Town Abbey, elle découvre un maître d'hôtel qui mesure l'écart correct et symétrique entre tous les couverts disposés sur la table. Ce geste lui fait remonter tout le monde de son enfance et de sa jeunesse, archaïque, figé et seulement de surface…



Par ce livre, Laure Murat se dévoile, se rappelle, mets des mots sur ses maux : il s'agit autant d'une auto-analyse, qu'un exutoire et un essai littéraire sur Proust.



Par ce livre, elle nous montre la césure avec sa famille toute entière dévouée à son spectacle ; ses relations et le dernier échange avec sa mère sont émouvants, lui révélant son homosexualité : "tu es une fille perdue !" lui avoue sa mère ! Tandis que son père essaye de tenir une position de "juste milieu" mais y échoue…



Son écriture assez érudite est néanmoins aisée à lire et quelque fois (surtout au début) amusante : alors qu'elle se promène à Paris, elle entend quelqu'un appeler « Princesse ». Elle se retourne pensant qu'on s'adresse à elle, mais c'est un homme qui appelle son chien ! Ou lorsqu'une collègue américaine lui avoue qu'à une lettre près, elle aurait pû porter un nom célèbre (Marat-Murat) !



Connaissant bien Proust, qu'elle enseigne à l'Université de Californie à Los Angeles, elle explique en quoi les romans de Proust lui ont ouvert les yeux sur cette aristocratie vide qu'il raconte dans ses livres et qu'il a côtoyé (il était chroniqueur mondain) et a modifié sa compréhension des gens et du monde.



Même si Laure Murat ne m'a pas convaincue de lire Proust, j'ai apprécié son roman, malgré certaines longueurs, et des extraits de Proust trop nombreux…



Sortir d'une caste qui se veut un modèle, ce n'est pas le seul exemple familial !



Je remercie vivement Babelio et les éditions Robert Laffont pour ce livre !
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Proust, roman familial

Famille de fiction.



Laure Murat entretient un rapport particulier avec A la recherche du temps perdu. L’œuvre de Proust mentionne ses arrières-grands-parents, et plus généralement parle du milieu d'origine de l'autrice, l'aristocratie.



Je ne suis qu’au début de mon cheminement dans A la recherche du temps perdu, mais cet essai a été un véritable plaisir à lire. Laure Murat parle de Marcel Proust, mais aussi et surtout de son milieu d’origine, l’aristocratie. Issue de la noblesse d’Empire par son père et de la noblesse d’Ancien Régime par sa mère, l’auteure compare le mode de vie de sa famille aujourd’hui, avec les observations de Proust au début du XXème siècle. Laure Murat en arrive au même postulat que Proust : ça brille mais ça sonne creux.



En effet, vue de l’extérieur l’aristocratie a quelque chose de fascinant. Les bonnes manières, les beaux atours, le Tout-Paris font rêver. Laure Murat montre l’envers du décor. Les dorures ne sont qu’un leurre, l’aristocratie ne vit que par et pour les apparences. Se cultiver ? Une perte de temps. Faire des études ? C’est bon pour les roturiers qui doivent travailler. La désillusion de Proust vis à vis de ce milieu transparaît à travers le narrateur de la recherche. La courtoisie des aristocrates fait ressentir un sentiment d’infériorité aux roturiers qui tentent d’approcher ce milieu.

Cela n’est pas un hasard. Les nobles sont l’incarnation de l’entre-soi. Il est quasiment impossible d’intégrer ce monde.



En parallèle, Laure Murat montre son enfance et son adolescence dans ce milieu étouffant. En tant que femme elle n’est que quantité négligeable. Elle ne peut pas hériter et transmettre le nom de la lignée. La lecture de Proust lui a permis d’ouvrir les yeux et de s’émanciper de son milieu. Il lui faudra assumer son identité sexuelle et partir à Los Angeles pour enfin commencer à vivre.



Bref, cet essai est non seulement une grille de lecture de Proust, mais aussi un témoignage sur l’aristocratie française.



Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de ELLE 2024.
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Flaubert à la Motte-Picquet

Emprunté en médiathèque le 11 février 2022



Une petite lecture amusante et plaisante...qui me rappelle une de mes petites manies liée à la curiosité et à la déformation professionnelle (libraire plusieurs décennies !!): repérer ,deviner les lectures des passagers dans les transports en commun,à l'esthétique des couvertures,aux formats ( lorsque je suis trop éloignée..)....C'est donc dans cet état d'esprit que Laure Murat s'est décidée de faire une enquête sans prétention sur les lecteurs du métro...



(:...)Alternance surprenante, incohérente. Comment peut-il passer de l'un à l'autre de ces livres si différents avec autant d'indifférence ? Le titre qu'il ajoute à son énumération me livre la réponse :-Les Souffrances du jeune Werther-.Ce ne sont pas ses lectures personnelles qu'il consigne mais celles des usagers du métro.



De cet instant, comme frappée par une épiphanie,je décide ni plus ni moins de lui piquer son idée et de profiter de tous les trajets pour essayer de dresser une cartographie de la lecture souterraine. Cartographie aléatoire, non scientifique, récit impressionniste mieux qu'étude sociologique. (...)

La lecture,activité underground.(p.11)



Observations diverses...dont une très large présence du "Livre de poche" dans les mains de nos lecteurs "underground"....un bref passage en deuxième partie des lecteurs dans le métro américain, nettement plus rares; les passagers étant plus addicts à leur téléphone portable et aux jeux,etc.



Une idée très sympathique, offrant des surprises...Néanmoins très frustrée...car l'ensemble reste succinct .On reste franchement sur sa faim !!!!....

Dans une autre exigence,j'avais été très intéressée par son essai "Relire..."
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Proust, roman familial

Dans cet essai autobiographique, l’autrice butine entre sa vie, plus précisément son enfance dans le milieu aristocratique, et certains éléments de la Recherche de Proust, qu’elle enseigne d’ailleurs à l’université. Cela donne un ouvrage intéressant axé sur l’analyse de la nature de l’aristocratie à partir à la fois d’une perspective interne, vécue et aussi du tableau qu’en dresse Proust au fil des tomes de son œuvre. Bien qu’elle affirme d’emblée sa rupture avec ce monde où elle devait «tenir sa place», l’autrice ne règle pas ses comptes, ne paraît pas vindicative par rapport à son passé si singulier. Par contre, avec beaucoup de réserve, car je n’ai pas encore lu la Recherche dans son entier, n» étant rendu qu’à «La prisonnière», j’ai trouvé que, comme toute bonne «proustienne», Murat prête à l’œuvre de Proust des vertus que lui-même ignorait probablement.



Quoi qu’il en soit, j’ai été comblé par cette incursion au pays des aristos, ayant apprécié l’éclairage qu’elle jette sur ce monument et restant tout au long intéressé par les liens qu’elle établit avec son cheminement. L’écriture m’a semblé très appropriée, précise, agréable, sans effet de toge tout en restant constamment recherchée et juste. En somme, je remercie grandement la lectrice qui a attiré mon attention sur cet essai.
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Proust, roman familial

Bon, voilà, on ne va pas y aller par quatre chemins comme on dit. J’ai pris une décision toute simple, Madame Murat : cette année, c’est moi (avec un peu d’avance) qui décernerai le Goncourt, MON Goncourt, pour la bonne raison que l’évidence s’impose. En effet, le plus intelligent, le plus fin, le plus délicat, le plus bouleversant, le plus merveilleux de tous ces textes, est… (roulements de tambour) : « Proust, roman familial ».

Voilà. La proclamation est faite ! Un grand bravo Laure Murat ! Vous allez pouvoir repartir avec un chèque de 10 euros (que généralement personne n’encaisse) (mais vous ferez comme bon vous semble) et un succès garanti en librairie...

Maintenant, je tente de vous dire pourquoi je vous ai attribué ce prix.

Il y a tellement de raisons que je ne sais pas par laquelle commencer.

Commençons par vous, si vous le voulez bien. Sachez que l’univers de votre famille m’a vraiment fascinée, à la fois effrayée et fascinée. Je vous l’avoue, j’avais l’impression d’être au coeur d’un roman, je veux dire d’une fiction. Le cadre ? L’aristocratie : noblesse d’Empire du côté de votre père, le prince Napoléon Murat, arrière-arrière-petit-neveu de l’Empereur ; noblesse d’Ancien Régime du côté de votre mère, Inès d’Albert de Luynes, fille aînée du duc de Luynes,…

Vous voyez le plan!

Comment vit-on chez ces gens-là ?

Franchement, on m’aurait décrit le mode de vie des Sentinelles des îles Andaman que je n’aurais pas été plus stupéfaite. Personne ne travaille (et tout le monde trouve ça normal comme vous dites!), on ne parle JAMAIS de soi, on ne manifeste JAMAIS ses émotions, on se tient TOUJOURS bien, on parle correctement ET distinctement. On ne lit pas ou très peu (sauf, et il faut le souligner, vos parents qui lisaient, notamment votre père, mais je reparlerai tout à l’heure de ce magnifique et très tendre portrait que vous faites de lui). Alors, comme nous avons, à un an près, le même âge, j’ai tenté de m’imaginer grandir dans ce type de milieu peut-être un peu... étouffant (bel euphémisme), complètement hors-sol, totalement coupé du monde réel. Je pense que c’eût été bien difficile. En tout cas, la description très lucide que vous faites de ce monde m’a saisie. J’ajouterai aussi que le chapitre sur le château de Luysne (une vraie forteresse médiévale, n’est-ce pas ?) : « Tombeau pour un château » est vraiment passionnant et tout aussi incroyable...

Donc, de ce monde, il vous a fallu sortir pour exister. Vous saviez que révéler votre homosexualité allait provoquer un tremblement de terre, une catastrophe, un désastre. Et vous l’avez fait et vous avez dû partir. Cela m’a bouleversée. Parce que vous n’avez jamais revu votre famille. Les pages sur vos parents sont extrêmement touchantes. Je sais que certains journalistes vous demandent si ce texte est un règlement de comptes. Bien sûr que non. Ont-ils lu ces pages où l’on sent l’immense amour que vous portez à vos parents, la grande tristesse de n’avoir jamais vraiment connu votre mère et la douleur sans nom d’avoir perdu celui à qui vous ressemblez certainement beaucoup : votre père ?

Et Proust dans tout ça ?

J’imagine votre stupéfaction quand vous avez découvert que des noms de personnes de votre famille figuraient dans La Recherche : ainsi aviez-vous vraiment l’impression de vivre au quotidien avec des personnages de fiction ; et inversement, vous étiez à deux doigts de considérer les êtres de fiction comme des êtres de chair et de sang tellement la frontière entre réalité et fiction devenait mince. Quelle expérience singulière et bouleversante ! Notons en passant que vos arrière-grands- parents avaient effectivement connu Proust...

La lecture de Proust a changé votre vie : en effet, elle a mis à nu un monde reposant sur des conventions, des apparences, du vide. Comme vous le dites, l’aristocrate joue constamment un rôle, toujours le même rôle, il est d’une certaine façon un être de fiction. Il est faux, toujours en représentation. « Il n’y a rien de plus aliéné que l’aristocrate » écrivez-vous.

Proust vous a aidée à y voir clair dans le petit jeu des gens qui vous entouraient : il a « percé le secret de leur pantomime.» En effet, comme le Narrateur de la Recherche, complètement aveuglé au début par ce monde aristocratique, vous allez, petit à petit, mieux comprendre son fonctionnement (un peu comme Swann vis-à-vis d’Odette), un dessillement va progressivement s’opérer. Vous écrivez au sujet de Proust qu’« il nous dévoile un secret : l’échafaudage qui se monte sous nos yeux ne s’appuie sur aucun bâtiment ; c’est une structure solitaire, aérienne et sans support, ne soutenant rien qu’elle-même. » Bref, tout ce monde « repose sur du vide ». Grâce à votre lecture de La Recherche, vous avez mis des mots sur le malaise que vous ressentiez, vous y avez vu clair et vous avez pu prendre vos distances, vous libérer.

Enfin, j’ai trouvé particulièrement saisissantes les analyses que vous proposez sur la notion d’un « MOI » proustien discontinu, instable, fluctuant, changeant, notion qui a été pour vous source d’émancipation. Vous preniez enfin conscience que vous viviez prisonnière dans « l’étau de la permanence et d’une fixité mortifère », vous qui étiez élevée « dans un milieu dont l’idéologie conservatrice sacralisait l’immuabilité et vitupérait le changement. » Vous vous êtes identifiée à ce « Moi » pluriel, multiple, ouvert, riche, libre, à ce « moi » kaléidoscope, fait de strates successives, de temporalités différentes...

La littérature a changé votre vie : elle vous a libérée. Elle vous a permis de comprendre le monde où vous viviez. Elle vous a aussi donné la force de refuser ce qui vous était imposé. « Je passais d’une lecture verticale du monde, monolithe, hiérarchisée, autoritaire, héritée de l’Ancien Régime et du XIXe siècle, à une lecture oblique, plurielle, globale et en trois dimensions de l’univers. De la claustration à l’ouverture. Du passé à l’avenir. » De la mort à la vie peut-être aussi.

Merci Laure Murat pour ce texte magnifique que nous porterons en nous longtemps.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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