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Critiques de Leonardo Padura (693)
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Poussière dans le vent

Quand je referme Poussière dans le vent, impressionnant roman de Leonardo Padura, je le fais avec regret même si la lecture en a été un peu longue.

Je termine ainsi de belles pages d’une aventure collant au plus près à la vie des Cubains, de Cuba et d’ailleurs. Sur les pas de Clara, Darío, Horacio, Bernardo, Irving, Walter, Joel qui formaient ce fameux Clan, l’auteur de L’Homme qui aimait les chiens, un précédent roman que j’avais adoré, retrace amour, amitié, haine, jalousie, drames, mais aussi vie sociale, misère, émigration, histoire d’un pays où une dictature a été renversée pour instaurer une révolution se voulant égalitaire sans pouvoir éviter la domination d’une caste privilégiés et les trafics en tous genres.

Il faut dire que la rupture avec le géant voisin tout puissant, dès 1960, n’a rien arrangé, Cuba se liant avec le monde soviétique, jusqu’à la chute du Mur de Berlin, en 1989.

Au travers des problèmes rencontrés par Clara et ses amis, Leonardo Padura m’a fait prendre conscience des souffrances endurées, de la misère, de la faim, alors qu’en même temps, la jeunesse poursuivait de brillantes études comme Ramsés et Marcos, les enfants de Clara et Darío le prouvent.

S’il découpe son récit en dix grandes parties, l’auteur alterne les époques, revient en arrière, explique, ménage le suspense jusqu’au bout. Ainsi, il permet de comprendre pourquoi de nombreux Cubains ont tenté de fuir leur île à laquelle ils sont profondément attachés. Où qu’ils aboutissent, cet amour-haine persiste toujours, même lorsque Barack Obama rétablit le contact entre les deux pays, embellie que son successeur s’empressera de gâcher, hélas.

L’essentiel du problème qui hante le livre de la première à la dernière ligne est concentré chez une certaine Loreta Fitzberg, mère d’Adela. Cette Loreta est une vétérinaire passionnée par les Cleveland Bay, une race chevaline unique, et elle est responsable d’un ranch, bien loin de Cuba, The Sea Breeze Farm, près de Tacoma (USA). Ringo, son cheval favori, âgé de 26 ans, est sur le point de mourir quand elle apprend que sa fille de 17 ans est amoureuse du jeune Marcos, un fan de base-ball, qui a réussi à fuir Cuba et vit en Floride, à Hialeah où la majorité des exilés cubains vivent comme à Cuba mais avec des supermarchés pleins !

Pourquoi Loreta est furieuse d’apprendre que sa fille fait l’amour avec un Cubain ? Il faut que Clara ouvre un compte Facebook, demande son fils, Marcos, comme ami, puis Darío, son père, Ramsés, son frère, et que Clara poste une photo de groupe prise à la maison familiale de Fontanar, à La Havane, pour que se déclenche une avalanche de révélations.

En effet, au premier plan, sur cette photo, une certaine Elisa, mariée à Bernardo qui vit maintenant avec Clara, est enceinte mais a disparu après cette fameuse photo prise en 1990.

À partir de là, Leonardo Padura dont j’avais aussi beaucoup aimé La transparence du temps et Retour à Ithaque, m’a fait vivre quantité d’aventures, de rebondissements, de tensions, de scènes d’amour torrides qu’elles soient hétéro, lesbiennes ou homo. Il m’a surtout plongé au cœur de la misère, des privations, des souffrances endurées par tout un peuple obligé de se débrouiller, d’espérer recevoir de l’argent des émigrés ayant réussi à gagner les États-Unis, le Mexique ou l’Espagne.

En même temps, une surveillance policière permanente basée sur le mouchardage, le système des indics, crée une atmosphère pesante dans les familles ou les groupes d’amis comme dans ce Clan formé autour de Clara.

Ainsi va la vie de ces personnages auxquels je m’attache de plus en plus, comme de la poussière dans le vent, Dust in the wind, fameuse chanson de Kansas, interprétée par Steve Walsh.

Avec les États-Unis, l’auteur m’emmène en Espagne, à Madrid, à Barcelone mais aussi en Italie, à Toulouse, s’appuyant toujours sur une documentation précise, jamais lassante, toujours très instructive.

Leonardo Padura m’a ramené à Cuba où il vit, une île où, hélas, je n’ai pas pu rester assez longtemps à cause du covid, un pays que je commençais à vraiment apprécier. Hélas, les confinements successifs dus à la pandémie dont nous ne sommes toujours pas débarrassés ont donné un coup terrible au tourisme qui permettait à beaucoup de Cubains de vivre et j’ai appris qu’ensuite, la faim, l’absence de nourriture en quantité suffisante causait à nouveau de gros problèmes.

Cela n’a pas empêché Cuba d’envoyer de nombreux médecins dans certains pays qui en manquaient grâce à l’excellence de la formation donnée sur l’île, formation que Leonardo Padura ne manque pas de souligner.

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Poussière dans le vent

Poussière dans le vent est un roman choral d'une grande intensité, très rythmé, qui m'a enthousiasmé comme tous ceux que j'ai pu lire de cet auteur, à savoir, L'homme qui aimait les chiens, La transparence du temps et Retour à Ithaque.

Adela et Marcos ont vingt ans. Elle arrive de NewYork, est tombée amoureuse d'un balsero, un réfugié cubain. Elle s'est installée avec lui à Hialeah, ville située à côté de l'aéroport de Miami, où vivent beaucoup de cubains qui se sont exilés et qui essaient de retrouver leur identité et de se reconstruire en ayant vivantes les traditions de leur île, un inepte caprice de jeunesse, pour sa mère.

Un jour, Marcos reçoit de sa mère, Clara, une photo de groupe prise en 1990 dans le jardin de leur maison. C'était le 21 janvier, jour anniversaire des trente ans de sa mère. Lui, n'avait que six ans. Marcos et Adela l'étudient pour tenter d'identifier les différents personnages. Adela est aussitôt intriguée et très troublée par cette photo et va chercher à en savoir davantage.

Trois jours après cette fête, un orage avait de façon étrange et définitive altéré le cours de l'existence de chacun des membres de ce groupe d'amis, baptisé le Clan, car le lendemain même de la fête, l'ami des parents de Marcos, Walter qui prenait la photo est mort. Il s'est suicidé … (ou pas). D'autre part, l'amie de la mère de Marcos, Elisa, enceinte on ne sait pas vraiment de qui, a disparu après cette photo.

Si ce n'est pas à proprement parler un roman policier, Poussière dans le vent est un roman qui comporte beaucoup de mystère, un suicide mystérieux et une paternité mystérieuse et l'on va s'interroger tout au long du roman pour tenter de résoudre ces deux énigmes.

C'est donc en 1990 que débute le roman, un an après la chute du mur de Berlin puis la quasi fin du socialisme en Europe de l'Est. Cette période est spéciale pour la société cubaine, Cuba se retrouve complètement isolée, sans aucune ressource économique, sans aucun allié commercial, sans aucun appui politique et sans ressource économique. Il y a donc une rupture dans la société cubaine et de nombreux jeunes gens, fatigués, obligés de se démener pour faire face aux innombrables pénuries matérielles et alimentaires, désenchantés et voyant tous leurs espoirs anéantis prennent le chemin de l'exil, poussés par un besoin vital de liberté. Ce sera le cas de huit de ces amis soudés depuis la fin du lycée et confrontés aux transformations du monde et à leurs conséquences sur la vie à Cuba. Deux resteront sur l'île, Clara et Bernardo, car sans doute pour Clara, il lui était plus facile de résister que de se reconstruire.

En suivant ces huit membres du Clan, Leonardo Padura nous entraîne et nous fait vivre au plus près de cette diaspora cubaine.

Il est à noter cette ambivalence chez ces exilés cubains qui consiste à renier sans cesse leur île sans pouvoir ou vouloir s'en défaire.

Remarquable roman sur l'exil, très pertinent sur le fond, Poussière dans le vent est en plus et peut-être encore davantage un roman sur l'amitié, la fidélité et sur l'amour, amitié et confiance entre eux, véritable refuge qui leur permet de surmonter les difficultés, de dépasser les faits et de faire face aux situations souvent très difficiles. C'est un roman, néanmoins traversé par la peur qui est quasiment omniprésente, le soupçon et la peur que l'autre ne vous dénonce, d'où nécessité de s'adapter.

Leonardo Padura réussit d'ailleurs à toucher le lecteur, par ses personnages bien sûr, mais surtout par les valeurs universelles qui les habitent, à savoir la peur, l'amitié, l'amour.

Un très grand roman sur une petite île, comme aime à définir Cuba, Leonardo Padura lui-même, Poussière dans le vent, « Dust in the wind », en plus d'être une fine et talentueuse peinture de l'âme de la société cubaine permet de suivre l'Histoire mondiale.

Pour terminer, je ne résiste pas à vous offrir le refrain de cette belle chanson du groupe Kansas auquel il est fait référence à plusieurs reprises dans le livre :

Dust in the wind de la poussière dans le vent

All we are is dust in the wind Nous ne sommes que de la poussière dans le vent

Dust in the wind de la poussière dans le vent

Everything is dust in the wind Chaque chose n'est que de la poussière dans le vent

The wind… le vent...


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Poussière dans le vent

Elle s'appelle Adela Fitzberg. Elle est américaine, de New York, enfin pas vraiment , « Adela, cette fille qui n'était ni cubaine, ni argentine, ni de Miami, et parfois même pas de New York… ».

Il s'appelle Marcos Martinez Chaple. Il est cubain, “cette tête brûlée de Marquitos le Lynx – ou Mandrake le Magicien –“, exilé depuis deux mois aux États Unis.

Ils se rencontrent dans une discothèque de Miami.

C'est le coup de foudre.



Adela fille d'un psychanalyste juif argentin qui hait tout ce qui a rapport à son pays d'origine, et d'une vétérinaire cubaine qui s'éloignera de ses origines de manière radicale est élevée comme une plante sans racines. Pourtant elle affiche une cubanophilie exaspérante qui va croître dans le temps , la preuve....

Marcos a fuit son pays , pour “une maison, une voiture “, mais le revers de la médaille est tout autre .....

Ces deux-là à part l'amour, ont autre chose en commun, est c'est le pitch de l'histoire.....Retour à Cuba et au passé !



Dans cette première incursion dans l'univers de Padura, le coeur du sujet qu'il aborde est universel et toujours d'actualité, la quête d'identité dans tout les sens du mot. Réinventer nos vies à la lueur de ces nouvelles identités qui se forment, dont les frontières entre le pays d'origine et celui d'adoption sont brouillés. Ces identités qui ne peuvent pourtant pas survivre sans l'attache viscérale à leurs racines,

“il aurait beau courir sans regarder en arrière, ses origines étaient aussi indélébiles que la maudite coquille d'escargot dont sa mère parlait souvent “.





Padura avec ce retour à Cuba et au passé, dénonce la grande supercherie que fut le communisme et ses conséquences économiques et sociales terrible pour le pays, dû à l’abandon du grand frère soviétique suite à sa propre chute début 90, et qui signera la fin du rêve socialiste. La fin du rêve de toute une génération , ici représentée par “ le Clan “ qui finira comme « poussière dans le vent »....avec ses rides et ses cicatrices. Un rêve auquel ont cru leurs parents et grands-parents sans questionnement à tel point que l'un des huit membres du « Clan » se posera la question de s'il aurait mieux valu « croire sans douter ou douter pour ensuite perdre la foi ». Une génération qui apprendra “dés l'enfance quoi dire et où , même s'ils ne pouvaient jamais être sûrs d'avec qui ils le faisaient “ , et qui finira en exil, toutefois sans perdre de son aplomb , d'un orgueil et d'une arrogance, qui fera jaser le monde « ..ces Cubains, qui même à demi morts de faim se comportaient comme des êtres supérieurs ».



A travers le chassé croisé de l'Histoire, la Politique et l'Exil, l'auteur nous déploie un récit romanesque riche en intrigues où l'amour,l'amitié et la trahison dotés d'une énergie à haute tension en sont les principaux ingrédients,

Un roman choral dense aux nombreux personnages bien esquissés et psychologiquement fouillés,

L'autopsie d'un pays et d'une société extrêmement dénudés pour ne pas dire pauvre, auquel même « Dieu n'y comprend rien, et même Dieu ne pourrait pas l'arranger »,

Bien que la littérature cubaine soit la seule de celles d'Amérique latine n'ayant pas un grand attrait pour moi, cette première rencontre avec Padura, malgré quelques petites longueurs a été une lecture très enthousiaste.



“ce qu'ils étaient tous, ce qu'était toute la vie,

Dust in the wind,

All we are is dust in the wind

Dust in the wind

Everything is dust in the wind

The wind…”



Un grand merci aux Éditions Métailié et NetGalleyFrance pour l'envoie du livre.

#Poussièredanslevent #NetGalleyFrance
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L'homme qui aimait les chiens

Quitter “L'homme qui aimait les chiens”, paru en 2009, c'est achever simultanément trois romans qui sur plus de 700 pages se chevauchent et s'imbriquent les uns dans les autres.

Il faut une passion d'historien, des centaines d'heures de recherche et une plume particulièrement habile pour donner la pleine mesure des purges staliniennes, sujet effrayant s'il en est.



L'auteur cubain Leonardo Padura s'est attaqué à cet Everest d'horreurs, peuplé de vingt millions de morts, en construisant une oeuvre d'une grande originalité sur la forme et suintant la peur de bout en bout.

La trame de son roman s'articule autour de la biographie de trois personnages :

Les deux premiers sont éminemment connus puisqu'il s'agit de Léon Trotski et de son assassin Ramón Mercader.

Le troisième personnage, Iván Cárdenas Maturell, est fictif et exerce la profession de vétérinaire à Cuba. Son talent d'écrivain, tué dans l'oeuf par le régime castriste, est ignoré de tous. A partir de sa rencontre fortuite un jour de 1977 avec le meurtrier de Trotski, il va dans son coin démêler avec obstination l'écheveau des monstruosités inhérentes à l'histoire de l'URSS.



Les dix dernières années de la vie de paria de Trotski sont évoquées avec moult détails. Sont exil de plus de dix ans, décrété par Staline, passe par la Turquie, La France et la Norvège avant de s'achever au Mexique à la Casa Azul appartenant aux peintres Diego Rivera et Frida Kahlo et transformée en camp retranché.

Les grandes lignes de la carrière de Ramón Mercader sont elles aussi brillamment retracées. Combattant dans les rangs des Républicains lors de la guerre civile espagnole puis agent secret au sein du NKVD, c'est lui qui réussit en août 1940 à déjouer la vigilance des gardes du corps de Trotski et à tuer ce dernier d'un violent coup de piolet sur le sommet du crâne.

Un peu comme sur un grand écran divisé en deux parties, le lecteur voit le parcours de vie de la victime et de son meurtrier peu à peu converger vers la forteresse mexicaine : une épopée romanesque d'une grande authenticité.

La fin de vie désabusée de Mercader entre Moscou et La Havane, après vingt années de geôles mexicaines, met l'accent sur la grande désillusion de ce communiste espagnol de la première heure et renvoie le lecteur aux tristes prévisions de Trotski qui sans relâche dénonçait les sombres desseins du camarade Joseph Staline.



Cinq ans avant que n'apparaissent avec Mikhaïl Gorbatchev les mots glasnost et perestroïka, neuf ans avant la chute du mur de Berlin et onze ans avant que ne meurt l'URSS, Jean Ferrat chantait déjà en 1980 l'utopie communiste trahie.

Sa chanson ô combien poignante “Le Bilan” est bien dans le ton du roman “L'homme qui aimait les chiens”. Elle commence ainsi :



“Ah ! ils nous en ont fait avaler des couleuvres

De Prague à Budapest, de Sofia à Moscou

Les staliniens zélés qui mettaient tout en oeuvre

Pour vous faire signer les aveux les plus fous

Vous aviez combattu partout la bête immonde

Des brigades d'Espagne à celles des maquis

Votre jeunesse était l'Histoire de ce monde

Vous aviez nom Kostov ou London ou Slansky…”







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Ouragans tropicaux

La Havane 2016. Un apparatchik est retrouvé mort dans son bel appartement de La Havane avec vue sur le Malecon, atrocement mutilé. Un pur salopard, «  incarnation du Mal pour les milieux artistiques » dans les années 1970, censeur intransigeant à la tête du processus de persécution des artistes cubains ne rentrant pas dans le rang, organisant la purge des hérétiques avec un tempérament de féroce inquisiteur, détruisant des vies en toute impunité. Les forces de l’ordre sont débordées, la capitale s’apprête à accueillir Barack Obama, un défilé Chanel et les Rolling Stones. Elles font appel à l’inspecteur retraité Mario Condé. C’est sa dixième enquête, la première pour moi et je suis conquise.



L’enquête s’enlise, se mord la queue, Condé suivant patiemment ses prémonitions, attendant stoïquement que le fil à tirer finisse par survenir. En soi, elle est suffisamment dense et complexe pour se suffire à elle-même, mais Leonardo Padura est joueur et rajoute un deuxième arc narratif qui semble complètement hors sol par rapport avec le premier : des extraits du polar historique écrit par Condé lui-même, mettant en scène la guerre des proxénètes qui a sévi à La Havane en 1910, Français vs Cubain, avec en leur cœur des prostituées assassinées et le charismatique proxénète aux aspirations politiques, Alberto Yarini.



Pendant un petit moment, j’ai eu du mal à jongler avec les deux enquêtes, trouvant le procédé artificiel et plutôt pesant, lisant avec moins d’attention la trame 1910, bien plus intéressée par la trame 2016, sa verve, ses dialogues plein d’humour, son festin de personnages truculents tous remarquablement incarnés avec les ambiguïtés qui sonnent justes.



Et puis j'ai commencé à saisir les parallèles, les connexions, le passé en miroir du présent : 2016 et 1910, deux périodes d’effervescence qui soulèvent les espérances d’ouverture, de changements, qui ravivent la possibilité de rêver à vivre dans un meilleur endroit. Et puis j'ai commencé à comprendre les intentions de Leonardo Padura pour décrire Cuba d’aujourd’hui sur le temps long, Cuba la sclérosée, pervertie par des décennies de dictature.



Condé est un hypermnésique qui n'a pas envie de tourner les pages déshonorantes de l'histoire cubaine, dans un pays à la courte mémoire historique où l'oubli est « une façon de dissimuler une partie de la charge de ce passé pour pouvoir faire face au présent et avoir même la vaine prétention d'améliorer le futur. » Le passé est indélébile et les puantes remugles du passé longtemps enfouies ne peuvent que remonter à la surface.



Ouragans tropicaux est un roman lucide, désenchantée, pessimiste, mélancolique, à l’image de son enquêteur. Mais la lumière perce tout de même. L’auteur aime passionnément son île, la raconte en historien, sociologue, psychologue même. L’intrigue polar (excellemment menée) ne semble presque être qu’un prétexte pour faire le portrait de La Havane, dans toute sa pluralité. Grâce à Mario Condé, sorte de double de l’auteur, on comprend ce qui y rend la vie malgré tout supportable : la bonté, l’amour, l’amitié fidèle, l’honnêteté, toute une éthique à partager autour d’un verre en bonne compagnie.



Un excellent roman humaniste, dense et profond, qui me donne très envie de lire d’autres enquêtes de Mario Condé.
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Retour à Ithaque

Je n’ai pas vu Retour à Ithaque, le film de Laurent Cantet, hélas ! Mais après avoir lu ce livre bâti autour de la réalisation menée par le metteur en scène de Entre les murs, j’ai une furieuse envie de visionner Retour à Ithaque.

Il faut dire que dans ces pages éditées par Métailié, je retrouve avec plaisir l’excellente plume de Leonardo Padura (L’homme qui aimait les chiens, La Transparence du temps) et, rien que ça, mérite le détour.

Dans une première séquence, Laurent Cantet explique pourquoi il a voulu tourner à Cuba ce film sur l’amitié, même si celle-ci est quelquefois mise à mal. Il précise que tout fut tourné en dix-sept nuits, sur une terrasse, à partir des dialogues signés Leonardo Padura, que ce film avait été retiré du Festival international de La Havane mais enfin projeté dans le cadre de la Semaine du cinéma français, toujours dans la capitale cubaine, et qu’il réunit deux fois mille deux cents spectateurs, déclenchant ensuite, immanquablement, des discussions passionnées.

Une fiche technique m’apprend que le film est librement inspiré du roman de Leonardo Padura : Le Palmier et l’Étoile (La Novela de mi vida) et que Lucía López Coll, épouse de l’auteur, a collaboré à l’écriture du scénario.

Ainsi, Amadeo, Aldo, Tania, Rafael (Rafa) et Eduardo (Eddy), à la cinquantaine, se retrouvent sur la terrasse de la maison d’Aldo qui est noir, ingénieur mécanicien, sans boulot, et fabrique clandestinement des batteries de voiture.

Amadeo est au centre des discussions car cet écrivain parti vivre seize ans en Espagne, est de retour. Tania est ophtalmologue mais ne gagne pas assez d’argent pour vivre. Rafa est un peintre qui s’adapte aux goûts de ses clients pour vendre ses croûtes. Enfin, Eddy qui est normalement journaliste, dirige une agence touristique d’État. Lui, n’a aucun problème d’argent.

La discussion qui s’engage est vite passionnante, pleine de rebondissements, de surprises, de coups de sang, de révélations et permet de revisiter les années passées, l’idéologie du régime, la censure, toutes leurs souffrances mais aussi leurs joies. Les vieilles tensions ressortent comme les jalousies mais tout s’enflamme lorsqu’Amadeo affirme qu’il ne retournera pas en Espagne, qu’il est revenu à Cuba, son pays, pour y rester.

Tout ça est formidablement écrit, détaillé, expliqué. Leonardo Padura ne néglige pas le décor, la ville autour, le Malecón tout proche et la mer. Ils boivent, ils mangent aussi car Fela (80 ans), la mère d’Aldo, leur a préparé un repas à condition qu’ils rangent et fassent la vaisselle.

Quand le jour se lève, l’histoire s’achève mais pas le livre car une troisième séquence conte l’élaboration du projet, détaille les étapes précédant le tournage, redonne les éléments du scénario.

Enfin, l’éditeur offre deux fragments du roman de Leonardo Padura qui a inspiré Retour à Ithaque et je constate que les personnages sont sensiblement différents. Ils sont écrivains ou poètes mais l’esprit est le même, ce retour sur une vie pas souvent facile mais où l’amitié, malgré quelques soupçons, finit par triompher.


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Une enquête de Mario Conde : Hérétiques

Trois parties composent ce passionnant et riche roman de Leonardo Padura, Hérétiques.

Elles concernent trois personnages. La première intitulée Livre de Daniel raconte l'histoire de ce jeune juif polonais de Cracovie Daniel Kaminsky envoyé chez son oncle Joseph à Cuba pour échapper à la fureur nazie et l'espoir qu'il a eu de retrouver sa famille fin mai 1939 lors de l'arrivée à La Havane du paquebot Saint-Louis parti de Hambourg quinze jours auparavant. En effet, les parents et la soeur du petit Daniel faisaient partie des neuf cent trente-sept juifs passagers. Mais, six jours après son arrivée au port, le président Bru cédant à la pression nord-américaine ordonne au Saint-Louis de sortir des eaux territoriales cubaines, les passagers se voient ainsi refuser l'entrée à Cuba. À peine un peu plus d'une vingtaine de juifs ont pu descendre du bateau. Daniel Kaminsky se débat alors dans les brumes de sa douleur et prend la ferme décision de renier sa condition de juif. Il ne reverra jamais les siens…

Le deuxième livre est consacré à Elías Ambrosius Montalbo de Ávila, Juif séfarade, qui en 1643, prend la décision irréversible d'apprendre l'art de la peinture et devient apprenti de Rembrandt, contre la Loi de sa religion.

La troisième partie, Livre de Judith concerne une jeune emo, Judy, les emos constituant une des « tribus urbaines » apparues vers 2008 dans la rue G à La Havane. Elle fait partie de ces ados tourmentés qui avec piercings et scarifications rejettent la société et sont en quête d'individualité.

Les trois protagonistes en cherchant, chacun à leur manière un moyen de s'affranchir des diktats de leur temps ou de leur communauté pour vivre libres, exprimant une façon de penser dissidente, marginale, deviennent ainsi « Hérétiques ».

Mario Conde, cet ancien policier cubain pure souche reconverti en acheteur de livres anciens va nous guider parmi ces amoureux de la liberté, en se lançant sur la piste d'un mystérieux tableau de Rembrandt, disparu dans le port de la Havane en 1939 et retrouvé comme par magie des décennies plus tard dans une vente aux enchères à Londres. Ce portrait d'un jeune juif ressemblant au Christ est le véritable fil rouge de l'histoire.

Hérétiques de Leonardo Padura est une véritable épopée dédiée à La Havane. Il est aussi un formidable roman d'aventures dans lequel l'enquête policière avec le destin énigmatique de ce tableau peint par le Maître a une place de choix et il est surtout un bel essai sur le libre arbitre, abordant maintes pistes de réflexion sur le combat à mener pour vivre libre.

Ce roman très dense, véritable fresque foisonnant d'informations m'a emportée de Cuba, à Amsterdam et même en Pologne pour mon plus grand plaisir, même si j'ai pu être lassée parfois par quelques longueurs. Mais le personnage fétiche de Padura, cet ex-policier, avec sa compagne Tamara, ses copains chaleureux et accueillants, toujours prêts à trinquer avec une bonne bouteille de rhum et surtout ses talents de fin limier m'ont fait passer d'excellents moments de lecture tout en tutoyant la grande histoire.

La condition des Juifs, la vie cubaine avec l'ère Batista, puis la révolution et le régime castriste, la jeunesse d'aujourd'hui qui tend à se marginaliser, la peinture hollandaise au XVIIe siècle, tels sont les thèmes évoqués dans ce richissime bouquin, le tout sous-tendu par cette quête de liberté si justement exprimée par Elías à son grand-père, au haham Ben Israël et à Rembrandt : « Vous m'avez appris qu'être un homme libre c'est plus que vivre dans un lieu où on proclame la liberté. Vous m'avez appris qu'être libre, c'est une bataille qu'il faut livrer tous les jours, contre tous les pouvoirs, contre toutes les peurs. »

Polar, roman historique, essai philosophique sur le libre arbitre, Hérétiques de Leonardo Padura (Retour à Ithaque, La transparence du temps, Poussière dans le vent, L'homme qui aimait les chiens) est un roman passionnant et enrichissant où fiction et réalité se mêlent avec brio !


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Ouragans tropicaux

Nous sommes en 2016 à La Havane et la capitale cubaine s’apprête à recevoir dans quelques jours Barack Obama, Les Rolling Stones et un défilé Chanel. Alors que l’effervescence dans l’île est à son comble, Mario Conde, la soixantaine bien installée, ex-enquêteur de police, reconverti dans l’achat-vente de vieux livres, est désabusé, pessimiste, très sceptique, mais lucide. Il pense que, comme après les ouragans tropicaux, quand les vagues se seront retirées, les choses vont rester les mêmes.

La police est débordée et un ancien collègue, le lieutenant-colonel Manuel Palacios appelle Conde pour demander son aide dans une affaire épineuse, lui expliquant que lui-même et quatre-vingt-dix pour cent des effectifs sont mobilisés en prévision des événements. Reynaldo Quevedo, un apparatchik, un ancien cadre de la censure, un spécialiste de la répression impitoyable et acharné, a été assassiné. Il avait été dans les sombres années 1970, l’incarnation du Mal pour les milieux artistiques du pays.

Tous les artistes dont il a brisé les carrières et spolié les œuvres, sont des coupables potentiels.

Bien qu’appréhendant de se sentir plus proche des meurtriers que du mort, notre détective fétiche finit par se décider à mener l’enquête.

Parallèlement à cette histoire contemporaine, Mario Conde est en train d’écrire un roman relatant une autre enquête menée par l’inspecteur Arturo Saborit et narrée par celui-ci sur le meurtre sordide de deux prostituées. Celle-ci se déroule durant l’année 1910, année chargée de mauvais présages : la comète de Halley menaçant la Terre et la guerre entre deux bandes rivales de proxénètes, les Français surnommés les Apaches, et les Cubains. À la tête de ces derniers, Alberto Yarini, fils de très bonne famille et en même temps tenancier de bordel entend bien devenir président de la toute nouvelle République de Cuba.

Les deux récits sont haletants mais je dois avouer que j’ai eu un peu de mal au tout début de passer du présent au passé, mais bien vite, la comparaison entre les deux histoires s’avère passionnante. Aussi bien pour les similitudes que pour les différences.

J’ai été ravie de retrouver ce personnage de Mario Conde, toujours aussi attaché à ses amis et amoureux de sa compagne Tamara, qui bien qu’ayant perdu ses illusions, conserve néanmoins un solide appétit pour la vie.

En entrelaçant le passé et le présent, en alternant les époques, Leonardo Padura nous offre un roman exceptionnel et fascinant sur la société cubaine, un roman vibrant d’humanité.

Sur près d’un siècle, l’auteur nous fait découvrir Cuba de l’intérieur comme seul un homme ayant toujours vécu à La Havane peut le faire.

Avec ce censeur assassiné, inspiré par des figures qui ont existé, on découvre ou redécouvre avec horreur, ces sinistres années 1970 du régime castriste pendant lesquelles des écrivains et des artistes dont les œuvres ou les orientations sexuelles étaient jugées non conformes à la ligne révolutionnaire ont eu leur vie détruite à jamais.

Leonardo Padura brosse avec mélancolie mais aussi beaucoup d’humour un portrait de cette société cubaine pour laquelle espoirs et désillusions alternent, les déceptions succédant à de courtes périodes de prospérité… Comme Mario Conde qui lui ressemble beaucoup et ceux de sa génération, il a rêvé d’une société égalitaire et fraternelle qui aurait dû naître de la révolution et est contraint de vivre dans un Cuba où la corruption et les inégalités sont toujours d’actualité.

Aujourd’hui encore de nombreux jeunes et même de moins jeunes émigrent ou aspirent à émigrer pour une vie meilleure.

Ouragans tropicaux de Leonardo Padura est un véritable roman policier, un roman noir qui m’a tenue en haleine de la première à la dernière page mais il est aussi et surtout un roman historique, politique et social fabuleux.


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L'homme qui aimait les chiens

« D’où m’est venue l’idée que moi, Ivan Cardenas Maturell, je voulais écrire et même peut-être publier ce livre ? D’où avais je sorti que dans une autre vie lointaine, j’avais prétendu et cru être écrivain ? L’unique réponse à ma portée était que cette histoire m’avait poursuivi parce qu’elle avait besoin que quelqu’un l’écrive. Et cette sacrée garce m’avait choisi moi, justement moi ! »



La Havane en 2004. Ivan regarde les fossoyeurs descendre, avec désinvolture, le cercueil d’Ana dans la fosse ouverte. Ana, si essentielle à l’existence d’Ivan. Ana pour qui vivre était devenu un enfer. Ana qui s’était battue jusqu’au bout de ses forces, venait enfin d’obtenir ce qu’elle et lui avait tant souhaité et que murmurait le Pasteur « Repos et Paix ».

C’est toujours Ana qui avec sa force de conviction, après avoir lu les quelques feuillets, qu’Ivan avait écrits sous une subite impulsion, puis mis de côté, sans parvenir vraiment à retranscrire, tétanisé, le souvenir de ces différentes rencontres qui avaient débuté au printemps 1977 avec l’homme qu’Ivan avait surnommé « L’homme qui aimait les chiens ». Donc, Ana lui avait dit « qu’elle ne comprenait pas comment il était possible que lui, justement lui, n’ait pas écrit un livre sur cette histoire que Dieu avait mise sur son chemin. Ivan lui fit la réponse qu’il avait tant de fois éludée mais la seule qu’il pouvait donner « Je ne l’ai pas écrite parce que j’avais peur » !



Léonardo Padura nous offre un livre remarquable que je ne suis pas prête d’oublier. Sous la forme d’un thriller de six cent cinquante pages, il nous raconte l’endoctrinement et la préparation d’un individu éduqué dans le seul but d’assassiner un autre être humain, Lev Davidovitch Trotsky. Ce dernier mourra des suites de cette agression à l’Hôpital de Mexico, le 22 août 1940.



La construction du roman est conçue de façon à ne jamais lasser le lecteur, bien au contraire, celui-ci tourne les pages avec avidité, impatient de découvrir la suite. Les chapitres sont alternatifs et sont divisés en trois récits distincts mais qui finiront pas se recouper. On assiste à l’ascension en politique de Trotsky, puis à son exclusion et enfin à ses différents exils, pourchassés par la haine de Staline. Un autre récit relate l’histoire de Ramon Mercader, recruté par les agents de Moscou, dans le camp républicain lors de la guerre civile espagnole, et l’impact qu’à eu sa mère, Caridad Mercader, sur la destinée de son fils.



Et enfin Ivan, personnage fictif mais essentiel à la narration, cubain, écrivain émasculé par la censure cubaine qui va être amené à rencontrer « L’homme qui aimait les chiens » et qui, pour qui, pourquoi, à force de conversations intimes, gravement malade, va lui confier son histoire. Une histoire faite de haine, de souffrance, de manipulation, de crime, une véritable plongée au cœur des ténèbres, vision sinistre des machinations élaborées par des hommes. Ivan, dans ce Cuba où l’homme est tout particulièrement contrôlé, où la misère se faufile partout, va se sentir étouffer de peur sous le poids de ses révélations.



Et heureusement, il y a les chiens, ce fil rouge qui unit ces hommes. Le chien qui est le symbole de la fidélité jusque dans la mort, guide de l’homme pendant le jour jusqu’à la nuit de la mort.



Au cours de son premier voyage au Mexique, l’auteur a visité, à Coyoacan, la maison fortifiée de Lev Davidovitch Bronstein dit « Trotsky ». Devant son ignorance quant à l’histoire de l’ex-dirigeant bolchevick, Léonardo Padura a ressenti le besoin de s’intéresser de plus près à la destinée des acteurs de ce crime.

Bien que ce récit soit basé à la fois sur l’Histoire de l’Union soviétique mais aussi sur certaines supputations, l’auteur ne laisse rien au hasard, tout est parfaitement maîtrisé lorsque l’on s’est intéressé à la personnalité de Staline. La paranoïa, la manipulation, les purges, les procès truqués, tout y est décrit avec précision et clarté. Ce fut un long travail, quinze ans d’étude, de recherches, à la fois pour s’appuyer sur ce que l’on sait avec certitude mais aussi pour envisager un récit spéculatif qui puisse conserver toute sa cohérence dans l’histoire dramatique de l’utopie du XXème siècle. Léonardo Padura s’est aussi appuyé sur la vie de Ramon Mercader racontée par son frère, Luis Mercader, avec l’aide du journaliste German Sanchez.



Au cours de ma lecture, j’ai retrouvé un passage qui fait référence « au complot des blouses blanches », de Jonathan Brent. J’ai ce livre dans ma bibliothèque. J’ai du renoncer à sa lecture tant j’ai trouvé la narration touffue.



On peut aussi retenir la leçon que dégage ce livre, je dirai sa quintessence, « ne jamais perdre son esprit critique ».

Ce fut un réel plaisir que cette lecture, instructive et passionnante, une plongée dans l'enfer de l'Union Soviétique et le mode d'emploi pour créer un assassin convaincu de la nécessité de son crime. Absolument mémorable!



« Ces dix années furent aussi celles qui virent naître et mourir les espoirs de la perestroïka et, pour beaucoup, celles qui plongèrent dans la stupeur, provoquées par les révélations de la glasnost soviétique, par la découverte des vrais visages de personnages comme Ceausescu, et par le changement d’orientation économique de la Chine, avec la divulgation des horreurs de génocide de la Révolution culturelle menée au nom de la pureté marxiste. Ce furent les années d’une rupture historique qui changerait non seulement l’équilibre politique du monde mais jusqu’aux couleurs des cartes géographiques, jusqu’aux vérités philosophiques et, surtout, qui transformerait les hommes. Ces années furent celles où on traversa le pont qui menait de la croyance enthousiaste en une amélioration possible à la déception devant le constat que le grand rêve mortellement touché et qu’en son nom, on avait même commis des génocides, comme dans le Cambodge de Pol Pot. Ce fut le temps ou se concrétisa la grande désillusion ».





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L'eau de toutes parts

« Je suis un écrivain cubain qui vit et écrit à Cuba parce que je ne peux ni ne veux être autre chose, et que (malgré les difficultés les plus diverses, j'insiste) j'ai besoin de Cuba pour vivre et écrire….C'est aussi simple que ça. », répond Leonardo Padura , aux divers questions incessantes du public sur les motivations du pourquoi il vit et écrit à Cuba. Pourtant une des constantes de la littérature cubaine est l'exil et nombreux sont ses poètes et écrivains qui vécurent à l'étranger, mais toujours poursuivis par l'Ile dans leurs pérégrinations .

Padura le définit en ces termes amères ,”Plus que dramatique, l'appartenance est tragique : à l'intérieur, c'est la sensation d'enfermement ; dehors, le fléau de la nostalgie. Pour beaucoup, le moyen terme n'existe pas.”

Padura aime cette île qui vit dans un quotidien difficile avec ses éternels espoirs déçus et ses perpétuelles angoisses. Un amour qu'il nous transmet à travers sa musique de pacotille, son marché régit aux lois de la jungle, son sport national le plus prisé “le dolce farniente”, son addiction au base-ball , la pelota, « Je crois qu'aucune autre activité sociale et populaire – sauf, peut-être, la musique – n'a exercé une influence aussi considérable sur la vie culturelle et matérielle cubaine, sur la formation de l'identité et sur l'éducation sentimentale de tant de gens nés sur cette île de la Caraïbe » . Quand aux espoirs déçues et les perpétuelles angoissent, ils sont illustrés à travers de nombreuses références aux auteurs cubains et à ses propres livres dans le contexte de l'histoire politique chaotique du pays dont l'échec strident de son communisme utopique, qui n'aurait finalement apporté qu'une corruption très répandue, une improductivité enfin révélée dans toute son ampleur, contre une perte de valeur du travail et des principes éthiques les plus élémentaires qui rongent comme un fléau la société qui aurait dû être l'avenir du pays . Il semble que cet échec et les conditions de survis qui en découlèrent fut la source de la grave blessure portée à la spiritualité nationale, gommant ses repères essentiels et constitutifs.

Padura avec ce livre donne une image, plutôt ses propres images « d'insider » de son pays, une île dont l'importance et la renommé semblent en apparence, surfaites. Ayant fait le tour de l'île en 2016 en quelques semaines , je suis rentrée terriblement déçue. Je n'y ai décelé que misère, pire qu'en Amérique du Sud. Une mendicité répandue dans la rue pour des denrées de base comme le savon, la liberté d'expression inexistante d'après notre guide cubain, diplômé de sciences politiques, qui faute de travail exerce un métier « alternatif », culturellement des points d'attraction pour touristes limités aux reliques de la Révolution, de Fidel , de Hemingway et une « musique de pacotille, répétitive, aux paroles agressives et grossières », les paroles même de Padura. Des couleurs délabrés, des grosses américaines décapotables à La Havane qu'il faut négocier à des prix exorbitants même en dollar pour quelques tours sur le Malecon, magasins d'alimentation et librairies aux produits et livres aux quantités d'une maigreur drastique, sans choix pour les premiers, et une prostitution effroyable sans aucune pudeur. le fait que les études gratuites soient excellentes et le système sanitaire « parfait » ( ??? Padura précise qu'en cas de besoin sanitaire, avoir recours à un pote dans le système est nécessaire ) , ne sert pas à grand chose vu qu'il n'y a pas de travail, et les gens ne mangent pas à leur faim ou mangent mal. Padura ne renie aucunes de ces constatations et contradictions , de plus il est peu élogieux pour ses compatriotes (« nous avons réussi à produire des fils de putes en quantités industrielles »), et acquiesce « que Cuba supporte le poids de sa démesure ». Un pays qui a dû affronter un destin qui en a fait un espace plus grand que son territoire, victime de l'Histoire qui l'a choisi pour être au centre de quelques-uns des débats universels les plus importants, aux pointures trop grandes pour le petit pays qu'il est. Mais l'amour et la fidélité de Padura à son pays et son talent d'écrivain convainquent que Cuba a dans son fond une forte identité que l'écrivain en fera justement le fond de l'ensemble de son oeuvre, et c'est la suite de cette compilations d'essais passionnants , les coulisses de ses livres où il raconte en détail le processus de création littéraire de quelques uns d'entre eux. Et là je suis à terre, moi qui n'ai lu qu'un seul livre de lui, j'ai hâte d'aborder « L'homme qui aimait les chiens » , déjà dans ma PAL, et tous les autres. Un livre à ne pas manquer pour tous les aficionados de Padura et de Cuba et bien sûr pour toutes les curieuses ET les curieux !



“La maudite circonstance de l'eau de toutes parts.”

Virgilio Piñera



Un grand merci aux éditions Métailié et NetGalley pour l'envoie de ce livre.

#LEaudetoutesparts #NetGalleyFrance

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L'homme qui aimait les chiens

Le roman historique : peut-être la meilleure et la plus évidente façon pour la littérature d'être « utile » ; lorsque le romancier atteint le sommet de son art, il peut faire avaler la plus indigeste quantité de faits et de dates sans que jamais le lecteur n'ait envie de quitter la classe, ni de regarder les marronniers pousser par la fenêtre... On ne peut que le remercier de nous avoir fait revivre un pan entier de notre Histoire sans avoir à sacrifier au sacro-saint Divertissement…



La mission est ici remplie avec brio ; un colossal morceau d'Histoire, des révolutions russes à la guerre d'Espagne, avec les vies de Trotsky et de son assassin Ramon Mercader comme socles statuaires.



Construction en trois couches — en aller-retour temporel — trois vies, dont une contemporaine cubaine du narrateur, tentation autobiographique, racontant sa vie plutôt tragique, et comme acmé sa relation avec un Mercader en fin d'incroyable parcours, d'une existence qu'aucun romancier n'aurait osé imaginer.



La langue est discrète, efficace, et les effets narratifs s'avèrent au final plutôt rares, ce qui pour un si gros morceau d'Histoire semble à double tranchant, la sobriété finissant par lasser face à une telle montagne de faits ; ce n'est pas que l'on s'ennuie (loin de là), mais on aurait aimé davantage de changements de rythme ou de personnalité romanesque… en parler semble quelque peu difficile, tant ce qui manque à ce livre reste insaisissable, et cette critique n'aidant pas comme elle devrait à synthétiser cela…



La strate cubaine apparait comme le maillon faible : trop pleine de pathos, laissant le lecteur glacé d'effroi devant les questions qu'elle soulève, le narrateur-écrivain potentiellement victime de sa liberté de ton face à un système pseudo-communiste, stalino-castriste en voix de complet essoufflement, questionnant sur la liberté du livre tout en cherchant ce qui aurait pu être suggéré, occulté, en vue de ne pas trop froisser le Régime local, lequel n'est finalement jamais évoqué de front.

Le doute demeure face à cette possible subtilité, laissant de côté ce qui aurait pu définitivement justifier ce tiers de roman, alourdissant au final l'ensemble.



Le parti pris de s'intéresser à l'intimité de personnages dont la simple existence fût soufflé par l'Histoire en marche s'affadit par la relative distance conservée. La focale employée apparait floue, incertaine, comme si l'auteur n'avait jamais su correctement établir le degré de familiarité à employer pour cette entreprise.



L'ensemble restant cependant très bien mené, jamais son côté sérieux ne tombant dans l'austérité, garantissant une lecture fluide, remplissant avec succès sa délicate mission de nous conter un si gros pan d'Histoire mondiale, ses relatifs défauts étant aussi gage de qualité, l'équilibre vie privée / vie publique — si périlleux à tenir — se portant ici comme un charme ( haaaa… le flou hamiltonien… ).



Reste que ce roman manque d'une « magie » qu'aurait pu y insuffler par exemple un Albert Sánchez Piñol, ou un Max Aub, Guerre d'Espagne oblige ; toutefois, je m'associe à tous ceux qui vous en recommande la lecture : les canons du roman historique réussi y étant largement réunis.
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Ouragans tropicaux

Mario Conde et Arturo Saborit sont les deux protagonistes du dernier Padura, deux histoires cubaines qui se déroulent à presque un siècle d’intervalle, et se croisent en mise en abyme. Cette petite île des Caraïbes qui étonnamment a fait et fait encore tant parler d’elle et de son Histoire rocambolesque tragique , est entrevue ici à travers la vie de ces deux flics , dont un ex-policier reconverti en libraire de livres d’occasion,mais qui revient sur le terrain à la suite du meurtre d’un ancien tortionnaire . Argent , sexe, drogue, magouilles et Misère en toile de fond à la Havane où « Les chemins de la littérature et de la vie sont tentés par caprice de se croiser et, quand l’une et l’autre se frottent, elles mettent à nu des essences inquiétantes, révélatrices parfois », dont Padura ici en fait son délice.

Avec grâce et élégance il nous couche sur papier du sexe cru, des meurtres sadiques, des personnages inquiétants, vils, dans une atmosphère de décadence totale de 1910 à 2016 à Cuba, un pays malade de corruption , d’oubli et d’excès . Bien que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, étonnamment le décor et les personnages restent inchangés dans leur essence. Le seul maître, hier et aujourd’hui, reste l’argent et ce que l’on peut acheter avec dans un endroit où tout est en vente, où tout ce qu’on a sous la main est bon pour réussir, où la façon dont on gagne l’argent n’est nullement essentielle. D’incroyables personnages sillonnent le livre dont celui d’Alberto Yarini, le leader des proxénètes, le personnage le plus connu, admiré, controversé et redouté de La Havane en 1910 , alors que la comète de Halley se rapprochant et l’inquiétude allant croissant, la folie en ville est à son paroxysme . Yarini, un illuminé? Un dément avec des rêves délirants de grandeur, qui lit Freud ?….mystère , en tout cas un homme très attirant , addictif et par là définitivement dangereux dont la rencontre marquera le début de la fin pour Saborit, « l’homme honnête »😊.

La même folie bat son train un siècle plus tard alors que dans quelques jours débarquera Obama et les Stones, faisant miroiter l’espoir de la fin du blocus, la fin de la misère pour ce pays dévasté par le communisme.

Le fil conducteur des deux récits sont deux meurtres deux putes pour le premier, deux déchets mâles pour le second à travers lesquels Padura autopsie son pays malade qui en un siècle n’a pas progressé d’un pouce. Un pays où tout est relatif , aucuns principes , aucunes valeurs , où le pauvre mot « honnêteté » est terriblement maltraité et les promesses devenues poussières dans le vent ( clin d’œil à Clara de son avant-dernier livre publié en France ).

Ouragans tropicaux est un livre ouraganesque qui risque de vous engloutir à moins que vous êtes un ou une habituée de la littérature de ces contrées d’Amérique du Sud où il faut être littérairement bien equipé 😁contre dictatures, corruptions , magouilles et meurtres de plus haute envergure…..Excellent livre, un excellent Padura !





« Si tu es déprimé, tu vis dans le passé. Si tu es anxieux, tu vis dans le futur. Si tu es en paix, tu vis dans le présent. »

« …..le passé est indélébile et l’Histoire ne se termine jamais. »

« …..la justice est nécessaire mais pas forcément juste. »



Un grand grand merci aux Éditions Métailié et NetGalleyFrance pour l’envoi de ce superbe livre !

#Ouraganstropicaux #NetGalleyFrance

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Retour à Ithaque

J'avais beaucoup apprécié Leonardo Padura dans L'homme qui aimait les chiens, un récit-roman de la vie de Ramon Mercader, l'assassin de Léon Trotski, et La transparence du temps, un des romans de la série policière ayant pour héros le lieutenant-enquêteur Mario Condé, le roman noir permettant à l'auteur, un des meilleurs témoins des réalités cubaines, de distiller une vraie réflexion sur ce pays.

Ayant eu la chance de pouvoir me rendre sur cette magnifique île des Caraïbes, séjour malheureusement interrompu par l'arrivée du virus, lorsque j'ai vu à ma médiathèque, ce livre co-écrit avec Laurent Cantet Palme d'or du festival de Cannes en 2008 avec le film Entre les murs, je n'ai pas hésité !

Retour à Ithaque composé de cinq séquences nous propose le scenario du film, sorti en France en 2014, mais également la genèse de celui-ci. Leonardo Padura explique pourquoi, bien que n'aimant pas écrire pour le cinéma, a d'abord accepté un projet de film 7 jours à la Havane, composé de brèves histoires de la ville « où je suis né, où je vis et où j'écris ». Celui-ci l'a finalement mené à Ithaque. Dans la liste des réalisateurs ayant rejoint ce projet de film choral sur la Havane, se trouvait Laurent Cantet, dont le désir était de tourner à Cuba et qui avait été emballé par la traduction française parue en 2009 du roman le Palmier et l'Étoile de Leonardo Padura (un extrait nous en est d'ailleurs donné).

Un groupe de vieux amis, Cubains, la cinquantaine, sont réunis sur la terrasse d'un immeuble dominant la ville, à La Havane. Il y a Tania, la médecin ophtalmo payée en poulets et fruits par des patients fauchés, Aldo, l'ingénieur mécanicien qui n'a pas de boulot et qui pour gagner sa vie fabrique des batteries de voiture, clandestinement, Eduardo (Eddy) le fonctionnaire qui peut voyager à l'extérieur et parfois faire du trafic, n'ayant jamais pu exercer son métier de journaliste, et Rafael (Rafa), le peintre en manque d'inspiration, heureux de se retrouver avec Amadeo, écrivain, vivant depuis seize ans en Espagne où il était resté à l'occasion d'une tournée de la compagnie de théâtre dont il était le dramaturge et aujourd'hui de retour sur l'île.

Ils se souviennent de leur jeunesse, des interdictions entre autres, d'écouter de la musique américaine mais aussi les Beatles, de porter les cheveux longs et des pantalons serrés, « déviationnisme idéologique » et « signe d'immaturité politique », mais aussi des obligations pour les étudiants d'aller travailler deux mois aux champs. Ils se rappellent ce vieux slogan « l'Homme Nouveau puisait sa force dans l'Éducation … le Travail et le Fusil ! »

Beaucoup de tristesse et d'amertume dans leurs propos sur ces brimades acceptées alors, avec l'espoir d'un monde meilleur avec aujourd'hui, beaucoup de désillusion.

Et lorsque Amadeo annonce à ses amis son souhait de ne pas repartir et de rester sur l'île, c'est la surprise et l'incompréhension ! La conversation va s'emballer et plusieurs non-dits vont enfin avoir une explication et les amener à se poser des questions essentielles. Après ces désillusions, faut-il quitter Cuba ou y rester et en ce cas à quoi continuer à croire ? Questions particulièrement sensibles pour ces Cubains, mais questions universelles en même temps, car ne sont-elles pas ce que chacun d'entre nous se sont posées ou se poseront, une fois arrivé à la cinquantaine ?

Ce bouquin nous dépeint comment Laurent Cantet, ce cinéaste, maître dans l'art de montrer la psychologie humaine, en étroite collaboration avec l'écrivain Leonardo Padura et l'implication totale des acteurs a pu réaliser un film où les sentiments les plus intimes sont exposés au grand jour sans filtre, un film « cubain » en quelque sorte comme il aime à le rappeler et qui a pu finalement être montré à un public cubain dans le cadre de la Semaine du cinéma français de la Havane, le 2 mai 2015.

Avec Retour à Ithaque, j'ai découvert un beau livre sur Cuba, sur l'exil, sur l'utopie qui fut au coeur de la jeunesse et les désillusions qui ont suivi, mais aussi sur la force et la fragilité de l'amitié. Me reste à voir ce film que je suis impatiente de découvrir !


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L'eau de toutes parts

Certains romanciers, éternels nomades, sont des êtres de partout et de nulle part. D'autres sont viscéralement ancrés dans le sol qui les a vus naître. C'est le cas de Padura, qui pourrait s'exclamer, comme dans le film de Mikhaïl Kalatozov: «¡ Soy Cuba! »

L'eau de toutes parts, qui baigne les côtes cubaines. est un recueil de textes ayant pour cadre son pays, qui peut aussi se lire comme un ouvrage autobiographique, tant Cuba a façonné Padura, et tant Padura a parlé de Cuba. Au fil des pages, le lecteur découvre cette île unique, jadis joyau de l'empire espagnol, puis salle de jeu des Etats-Unis, théâtre d'une révolution, petite soeur éloignée du grand frère soviétique, fatiguée par les restrictions, épuisée, que l'on quitte pour une vie meilleure mais que l'on ne peut oublier. Que l'on quitte sauf d'irréductibles Cubains dont Padura fait partie, ou la poétesse Dulce Maria Loynaz qui avait décidé de vivre dans l'île « Parce que je suis arrivée la première ».



Cosmopolite, généreuse, accueillante, Cuba se dévoile, et Padura est son historien, son chroniqueur, tout en étant celui de sa vie. « La maldita circunstancia del agua por todas partes », comme l'a écrit le poète Virgilio Piñera, dans La isla en peso , encercle trois parties, l'exil, la littérature, et les mutations politiques qui ont façonné l'île.

Le délicieux paradoxe de Padura, c'est qu'il est un romancier viscéralement Cubain et singulièrement universel, tant via son double Mario Conde (ah, Electre à la Havane et Les brumes du passé!) que via l'excellent Hérétiques, et le remarquable L'homme qui aimait les chiens. Que les amoureux de ces romans se réjouissent. Dans L'eau de toutes parts, Padura s'attarde longuement sur leur naissance (dans la douleur, ou la durée), et c'est passionnant.

Je remercie les éditions Métailié et Babelio pour l'envoi de cet ouvrage reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.

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Une enquête de Mario Conde : La transparence ..

La transparence du temps est le deuxième roman que je lis de Léonardo Padura. J'avais beaucoup apprécié L'homme qui aimait les chiens, livre qui traitait de la mort de Trotski et j'ai été à nouveau conquise.

Mario Conde, ex-flic, actuellement acheteur de vieux livres pour les revendre ensuite afin de subsister, vit à La Havane et voit avec une grande appréhension approcher la soixantaine. de nombreuses questions le taraudent : « Sur le point d'avoir soixante ans, qu'avait-il ? Que lèguerait-il ? Rien de rien et qu'est-ce qui l'attendait ? »

Il est donc dans un grand désarroi quand un coup de fil interrompt son état de tristesse et de mélancolie. C'est Bobby, de son vrai nom Roberto Roque Rosell, ancien camarade de lycée et d'université qui est au bout du fil et lui demande au nom de leur ancienne amitié de l'aider.

Conde, en ouvrant la porte à son ancien collègue venu lui expliquer de vive voix, est pour le moins surpris par le nouveau look de cet homme perdu de vue depuis de nombreuses années : «… un être androgyne, les cheveux teints en blond cendré, une boucle dans le lobe de l'oreille gauche, les sourcils redessinés… »

Bobby lui avoue qu'il est homo. Il lui explique qu'il est tombé amoureux de Raydel, l'a installé chez lui, a vécu deux ans avec lui. Mais, voilà, pour le commerce d'achat et de vente d'objets précieux, oeuvres d'art, bijoux… dont il vit, il a dû s'absenter pour aller à Miami régler une affaire. Lorsqu'il est rentré, son amant avait disparu ainsi que tous ses biens, bijoux, télé, matelas et surtout… une statue de la Vierge noire de Regla qu'il tenait de son arrière-grand-père, statue détentrice de pouvoirs spéciaux.

S'il n'a pas porté plainte et fait confiance à son ancien ami pour retrouver sa vierge, c'est parce qu'il est toujours amoureux, et qu'il compte sur son ami pour la retrouver, moyennant rétribution. Conde, flatté peut-être par la confiance que lui témoigne Bobby et surtout attiré par la somme assez conséquente qu'il lui propose et qui lui permettrait de sortir pour quelque temps de l'indigence, accepte.

Marco Conde, entouré de sa femme Tamara, de ses amis fidèles et de son inséparable chien Bassara II, va, pour retrouver cette statue, devoir faire connaissance avec des négociants d'art et les rencontrer, certains ayant pignon sur rue et d'autres pas du tout déclarés.

Au moyen de cette enquête policière, Leonardo Padura nous fait vivre une vraie saga historique et nous plonge dans cette vie torride de la Havane où se côtoient des habitants survivant dans une extrême pauvreté, dans des quartiers vraiment insalubres et les fameux « gagnants » de l'ouverture cubaine que sont les marchands d'art.

Par la qualité et la richesse de son écriture, l'auteur réussit à nous faire humer les plus belles senteurs, partager les meilleures saveurs et ressentir la puanteur de ces rues de bidonvilles.

Par l'intermédiaire de cette vierge noire qui a traversé l'histoire, il réussit même à nous faire revivre le siège de la ville chrétienne la plus riche et la plus convoitée de la terre qu'était Saint-Jean d'Acre.

J'ai vraiment été subjuguée par la façon dont Leonardo Padura réussit à mener cette enquête de manière aussi brillante avec un suspense maintenu de bout en bout, au coeur de cette Havane si colorée, si odorante, si riche et si pauvre.

Si la mélancolie est omniprésente, elle est tempérée par beaucoup d'humour et l'amour, l'amitié et l'entraide sont rendus avec une grande justesse. La lecture de ce roman m'a remis en mémoire Quand nous étions révolutionnaires de Roberto Ampuero, un auteur qui abordait également le désenchantement politique.

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Métailié qui m'ont permis de lire ce roman qui m'a à la fois tenue en haleine et fait découvrir la grande histoire cubaine et l'Histoire en général : une grande fresque littéraire. La très belle couverture contribue, à mon avis, à renforcer l’atmosphère de La transparence du temps.




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Poussière dans le vent

Qu’il est bon de se plonger dans l’écriture d’un grand romancier qui sait mêler romance et historique d’un pays ! Un gros travail qui ne peut que forcer le respect du lecteur. Il nous fait entrer dans chacun des personnages, nous donnant la sensation de les connaître réellement. Idem avec des animaux comme le chien et surtout cette scène magnifique avec un cheval. C’est Cuba qui domine tout. L’énorme crise économique des années 1990 fait fuir des milliers de cubains en radeaux. Parmi eux des membres du Clan comme se sont appelés ce groupe d’amis dont les destins seront bien différents aux quatre coins du monde, tel des poussières, après cet exil forcé. C’est le jeune couple qui se forme et une photo qui va faire ressurgir les mystères du passé, en autre le suicide de Walter et la disparition brusque de Loreta alias Elisa, enceinte mais de qui, puisque son mari est stérile ?

Je remercie Masse Critique et Bookycooky. Le hasard a fait qu’elle était en cours de lecture de celui-ci et que je lui ai demandé son avis pour postuler.

Le titre aurait pu être : « - Mais qu’est-ce qui nous est arrivé ? »
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Ouragans tropicaux

Padura n'était plus un inconnu pour moi (trois livres lus) mais son héros récurrent l'était encore. Ce livre était proposé par Netgalley, j'ai saisi l'occasion de découvrir Mario Conde. Et, je pense que j'aurais pu en deviner l'auteur dès le premier chapitre. Chapitre où j'ai retrouvé tout ce que j'aime chez Padura : l'élégance et la pertinence de son écriture, son amour pour son ile, Cuba, son désenchantement que partage son héros, vis-à-vis de l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui, encore et toujours.



Deux histoires alternent dans ce livre, procédé un peu déroutant au premier abord, un peu frustrant aussi, car on regrette à chaque fois de ne pas en savoir plus sur celle des deux que l‘on lisait avant de plonger avec finalement beaucoup de bonheur dans l'autre. Et finalement, ces deux histoires qui finiront par se rejoindre se complètent et s'enrichissent mutuellement. Elles sont témoins chacune d'une époque particulière, où l'effervescence règne, où l'espoir d'un changement n'est pas totalement mort, mais où ainsi que le dit Conde :

« C'est comme les ouragans tropicaux : ils passent, ils font un max de dégâts et puis ils s'en vont, ils se perdent… »



Mario Conde, jadis policier, jadis vendeur de livres d'occasion, aujourd'hui en 2016 vigile dans une boite de nuit, est appelé à la rescousse par un de ses anciens collègues. L'ile est sous effervescence : visite de Obama, concert des Rolling stones, les forces de l'ordre sont débordées. Et toute aide sera la bienvenue pour enquêter sur la mort aux circonstances bien surprenantes et sordides d'un ancien apparatchik, jadis censeur de la culture et pourtant propriétaire de nombreuses toiles d'artistes jadis portés plus bas que terre et contraints d'abandonner leur art.

En parallèle, nous voici en 1910, quelques années après l'indépendance de l'ile, dans une république qui trahit bien des idéaux de ceux qui ont mené la guerre d'indépendance, où la richesse de certains s'oppose à la misère de beaucoup, où la vie de certaines n'a pas beaucoup de valeur. Et c'est sur deux morts de ces femmes qui n'ont d'autre choix que de monnayer leur corps qu'un jeune inspecteur de police Arturo Saborit va enquêter. Va enquêter et se perdre quelque peu au contact d'un homme diablement séducteur, proxénète, attiré par la politique, au charme immense, au sourire éclatant, Alberto Yarini.



Les deux enquêtes se déroulent en parallèle, donnant l'occasion à l'auteur de peindre avec beaucoup de réalisme, beaucoup de détails, deux époques à un siècle de distance, mais où de façon récurrente, quelques privilégiés se partagent le gâteau, où l'argent coule à flots pour certains tandis que la majorité peine à trouver de quoi manger, où la liberté se trouve réduite par le contrôle exercé par le pouvoir, où la corruption règne.

Elles s'enlisent parfois, sont relancées par des hasards heureux ou des prémonitions et finiront par être résolues, même si parfois le meurtrier se révèle plus sympathique que la victime. Elles sont toutes les deux fort bien construites et j'ai aimé suivre la progression des deux enquêteurs.



Mais l'intérêt principal du livre réside pour moi dans tout ce que l'auteur partage avec nous en dehors, et qui revient dans tous les livres que j'ai lus de lui, la vie quotidienne si difficile quelque soit l'époque, son amour envers son île, sa lucidité aussi vis-à-vis de celle-ci et des conditions de vie qui y règnent, l'influence de l'histoire sur le présent, l'inutilité de vouloir nier ce qui a été. Les ravages de la période communiste sont encore bien présents et les changements récents sur l'ile ne peuvent les faire disparaitre :

« Et c'est la certitude que le passé ne se termine jamais. Même avec la mort. le passé est tout ce qui a été, chaque instant que nous avons été, et il est si obstiné que c'est toujours lui qui décidera ce que nous serons. Si le passé s'effaçait, nous cesserions d'exister. »



Merci à NetGalley et aux éditions Métailié pour ce partage #Ouraganstropicaux #NetGalleyFrance



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Une enquête de Mario Conde : Les brumes du pa..

Ma rencontre l'autre jour avec “L'homme qui aimait les chiens” a laissé des traces, des traces indélébiles. 2016 serait-elle l'année Leonardo Padura ?

Avec son humour pince-sans-rire, ses longues phrases si bien construites que l'on se surprend de temps à autre à les lire à haute voix, son regard sans concession sur le monde qui l'entoure, l'auteur cubain méritait bien dans la foulée une deuxième approche.



La vie à Cuba n'est pas une sinécure. Depuis le début des années 90 la crise économique a pris des proportions jusque là jamais atteintes. Parmi les trafics en tout genre, souvent liés au tourisme, celui des livres rares et précieux s'est développé ces dernières années. Le pays regorge de trésors bibliographiques disséminés chez des particuliers autrefois fortunés. Mais lorsque qu'une faim “à manger des cailloux” vous tiraille, la beauté d'un livre ancien perd forcément un peu de son éclat...



Mario Conde a passé dix ans dans la police avant de démissionner. Depuis trois ans il traficote avec un copain, achète pour les revendre ces oeuvres littéraires pouvant atteindre plusieurs milliers de dollars à l'étranger .

Un jour alors qu'il feuillette un des milliers de livres appartenant à une famille aux abois, un article glissé entre deux pages et se rapportant à une chanteuse de boléros disparue mystérieusement cinquante ans plus tôt réveille ses instincts d'ancien policier mais aussi de cinquantenaire jamais indifférent aux attraits féminins.



Comment en l'occurrence résister au charme fou de cette Violeta del Río, à ce corps de rêve glissé dans un fourreau de lamé, à cette voix épaisse, chaude, obstinée, avec cet accent de dédain de femme fatale qui vous parle à l'oreille plus qu'elle ne chante !



“Tu te souviendras de moi

Où que tu écoutes ma chanson,

Car enfin je fus celle

Qui t'enseigna tout… tout…

Ce que tu sais de l'amour…”



Le roman ‘'Les brumes du passé” est tout à la fois policier, historique et sociologique. Il vous fera passer alternativement de l'ambiance insouciante des cabarets des années cinquante aux bas-fonds havanais d'aujourd'hui.

L'intrigue sort des sentiers battus, la sensualité de Violeta est évidemment inoubliable et Mario Conde et ses acolytes sont de joyeux drilles toujours d'humeur égale malgré la pénurie ambiante.



Un boléro cubain en fond sonore, un verre de rhum et un havane à portée de la main pour se laisser bercer de façon optimale dans “Les brumes du passé”...







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Une enquête de Mario Conde : Hérétiques

Hérétiques est plus qu'un roman, Hérétiques se divise en trois livres et se termine par une Genèse. Les trois livres portent les prénoms de DANIEL, ELÍAS et JUDITH, personnages bibliques hébraïques.

J'imaginais que Hérétiques avec le personnage de Mario Conde, ex-policier reconverti dans le commerce de livres anciens et détective à ses heures était un roman dans la lignée de Brumes du passé que j'avais apprécié. Erreur, si Mario Conde fidèle à lui-même, un homme sensible, humain, analyste, qui va au fond des choses, occupe une place de choix dans une grande partie du roman, il est absent du second livre, livre de ELÍAS, partie historique consacrée au peintre Rembrandt et son époque. Pour ce qui est du troisième livre, le livre de JUDITH, Mario Conde découvre une jeunesse cubaine qui se marginalise, divisée en tribus, emo, freaks, rockeurs ... tous voulant afficher leur non-conformisme et leur liberté. Conde recherche une jeune fille émo disparue ...

Leonardo Padura, fidèle à lui-même, raconte Cuba et La Havane personnage principal de ses livres et raconte, dans le livre de ELÍAS qui se déroule dans les années 1643-1645 à Amsterdam, la Nouvelle Jérusalem, une partie de l'histoire des Juifs, de leurs persécutions, l'atelier de Rembrandt et l'évolution d'un de ses élèves, juif qui brave sa religion lui interdisant la peinture, pour revenir à La Havane en 2008 dans le livre de JUDITH.

Hérétiques est un roman magistral !
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Ouragans tropicaux

Cuba 2016, la pérestroïka castriste est en route, la diaspora cubaine de Miami a les yeux tournés vers leur île. La visite de Barack Obama, la venue des Rolling stones et cerise sur le gâteau le défilé Chanel ont de quoi réjouir un peuple marqué par plus de soixante ans de combats, de souffrances et de misères. Pour Mario Conde ex flic et bouquiniste ces événements sont un coup d’épée dans l’eau, pour lui rien ne changera. Pour survivre il travaille dans une boîte de nuit, surveiller les clients lui rappelle son ancien métier. Un meurtre plutôt sordide va être l’occasion à Mario de reprendre du service, retrouver ses sensations, ses automatismes. Quand la victime était un apparatchik du régime en place et un être abominable ça fait réfléchir.

Début du vingtième siècle dans une Havane au parfum des années folles Arturo Saborit jeune policier

Honnête et droit se retrouve dans un commissariat de police où la misère du monde semble s’être donner rendez-vous. La ville est en effervescence, la comète de Halley se rapproche de la terre, pour la population la fin du monde est proche et propice à tous les excès . La découverte d’un cadavre d’une prostituée va ouvrir une porte à notre jeune flic ainsi que la reconnaissance d’un certain Alberto Yarini fils de bonne famille et proxénète notoire .

Voilà la trame des deux histoires qui se chevauchent, c’est mon premier roman de Leonardo Padura et je n’ai pas été déçu. Oubliez tous les clichés des agences de voyage, les voitures vintages, le buena vista social club, les plages et le cuba libre. J’ai aimé le personnage de Mario Conde, c’est pas un super Mario, il est honnête, fidèle, droit dans ses bottes, malgré son pessimisme on ne peut que l’aimer.

En attendant de lire « poussière dans le vent »et « l’homme qui aimait les chiens » je vous recommande « ouragans tropicaux ».

Merci à la maison d’édition Métailié pour m’avoir permis de découvrir Leonardo Padura et merci à Babelio et à son opération masse critique.
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