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Critiques de Louis Guilloux (143)
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L'Indésirable

Le premier roman de Louis Guilloux n'a pas trouvé d'éditeur. L'auteur, conscient des lacunes de son manuscrit, l'a posé au fond d'un tiroir sans jamais revenir dessus. « L'Indésirable » voit le jour près d'un siècle plus tard. Se pose la question de l'intérêt de lire un texte inachevé et inabouti. Des passages du roman ont été tronqués, d'autres écartés par l'auteur ont été placés en annexe. Ce roman est conseillé à qui veut saisir la philosophie et les principes de l'oeuvre de Guilloux. « L'Indésirable » est l'ébauche d'un des plus grands romans de notre littérature, « le sang noir ». le romancier s'est inspiré d'un scandale survenu à Saint-Brieuc en 1917. L'action se déroule pendant la première guerre mondiale, à Belzec (Balzac…), une ville de province étouffante, réplique a minima de notre société. Un camp a été construit en périphérie de la ville. Des indésirables de tout type y sont incarcérés de manière arbitraire. La guerre a ouvert la boîte de Pandore des haines confites. le dimanche, les Belzéciens viennent en famille conspuer les internés. Les notables de la ville expriment avec véhémence leur zèle patriotique quand leurs fils reviennent écoeurés du conflit. La ville confinée dans la morale et la bêtise s'organise pour bannir ses parias. La nature humaine n'est guère réjouissante à observer ; heureusement des coeurs purs s'affranchissent de ces conventions. La postface d'Olivier Macaux éclaire avec pertinence ce roman et l'oeuvre d'un auteur qui a – dans sa vie comme dans sa littérature – toujours exprimé sa sympathie à l'égard des indésirables et des marginaux.
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La Maison du peuple

Encore un livre découvert par la préface d'Albert Camus...

La maison pour tous, un lieu rêvé pour échanger, partager, se cultiver... qui verra le jour, plus tard, bien plus tard sous la forme, notamment des Maisons pour Tous (MPT)

Une chronique intéressante parce qu'enrichie des souvenirs personnels de Louis Guilloux .
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O.K., Joe !

Premières semaines de la Libération dans la région de St Brieuc. Les Américains tiennent désormais le secteur, même si les grandes villes environnantes ne sont pas encore libérées, et que des troupes allemandes résistent, par endroits localisés, à proximité de la ville.

Période où la loi se cherche. Celle des Français, libérés d'un seul coup du joug allemand et qui improvisent avec les FFI, quelques notables bien vus d'eux, ou aussi les justiciers de la vingt-cinquième heure, une organisation administrative et des règlements de compte plus ou moins expéditifs.

Celle de l'armée américaine, pleine de bonne volonté et de bons sentiments, révoltée par le sort fait aux Juifs, mais implacable avec ses délinquants.



O.K., Joe ! Trouvé dans la collection Folio2€.

2 € pour être transformée en punching ball !



Après la préface d'une admiration ardente d'Eric Vuillard, qui explore avec obsession la longue et mystérieuse genèse de ce texte, le livre lui-même déboule, au plus nu de l'expression. Et le plus nu est le plus rudement efficace. Au fur et à mesure de ma lecture, j'en viens à appréhender les pages suivantes.



Louis, le narrateur, qui assumait des fonctions vagues et indéfinies à la mairie, est recruté par l'armée américaine comme interprète. Louis accepte ce poste, plutôt à contrecoeur, semble-t-il. Dans cette fonction, il va assister à l'interrogatoire des victimes françaises de soldats américains, et aux procès qui s'en suivent.



Des phrases courtes, factuelles, pour rapporter aussi bien l'ambiance dans la ville récemment libérée que les allées et venues, les rencontres, la chambre partagée avec cinq soldats, les repas au mess. Les dialogues sont d'une grande banalité. Les échanges cordiaux avec les officiers et soldats américains que Louis est amené à fréquenter quotidiennement, restent d'une superficialité confondante. Car, jour après jour, les procès se suivent, les condamnations se succèdent et les officiers que Louis accompagne dans leurs enquêtes et les audiences, sont aussi ceux qui requièrent contre les accusés ou les défendent à la barre du tribunal militaire.



Et Louis constate que tous les accusés sont noirs.



Les seuls sentiments que le narrateur exprime, ce sont un peu d'ennui, une incertitude sur son avenir après la Libération, et par ses questions aux Américains, son étonnement prudent sur le fait que tous les soldats jugés et condamnés sont des Noirs. Mais la distance que cette froideur devrait imposer au texte, est pulvérisée par tout ce qui n'est pas écrit, ce qui est sous les mots, qui est pourtant une évidence et une évidence qui dévaste.



Certains auteurs ont ce talent fascinant : celui de susciter, faire naître chez le lecteur, une foule d'émotions, violentes parfois, sans jamais en exprimer une seule. Louis Guilloux, dans ce texte, use de ce procédé de façon magistrale.



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La Maison du peuple

J’avais vaguement entendu parler du roman « le Sang noir » et de son auteur, Louis Guilloux. J’ai découvert qu’il était né à Saint-Brieuc, ville à laquelle il est resté attaché toute sa vie, et que son œuvre appartenait au mouvement réaliste. J’aime beaucoup les Côtes d’Armor, j’ai eu la chance d’y séjourner fréquemment, et j’apprécie ce courant littéraire. Je me suis donc lancé dans la lecture de son premier roman, « la Maison du peuple », publié en 1927.



Ce roman est une chronique familiale, inspirée de l’enfance de l’auteur. Louis Guilloux raconte la vie modeste d’une famille briochine au début du XXème siècle. Le père, cordonnier, perçoit des revenus faibles et irréguliers qui lui permettent à peine de subvenir aux besoins de sa famille. Son épouse se charge de l’éducation de leurs trois enfants. Le lecteur n’est pas invité à s’apitoyer sur le sort de cette famille. Le récit est toujours très simple et poignant, mais il ne tombe jamais dans le pathos. La famille est pauvre mais digne. Voici un exemple de cette dignité : le narrateur ne découvrira le logis de sa grand-mère qu’à sa mort ; celle-ci ne laissait jamais ses proches entrer chez elle pour leur cacher son indigence. Les évènements les plus durs d’une existence sont racontés avec des mots très simples, sans emphase, en courtes scènes : le chômage du père, la maladie de la mère, le décès de l’aïeule, les problèmes d’argent.



Ce roman est aussi une chronique politique qui raconte le développement d’un mouvement socialiste dans la ville de Saint-Brieuc (ce cadre n’est jamais dépassé). Le père participe à la création d’une section locale. Cet engagement n’est pas sans risque. Les militants sont régulièrement sanctionnés, certains doivent même quitter la ville. Il fait campagne pour son parti lors des élections municipales. C’est une victoire et un désenchantement puisque cette élection fera naître de nombreuses divisions au sein du groupe. Le mouvement renaît doucement. Les militants décident de construire bénévolement une « maison du peuple », un lieu de rencontre, d’échange, de culture et de propagande.

Mais la construction de cette maison va être interrompue par la mobilisation de 1914, la Première Guerre Mondiale va débuter… Et interrompre, à Saint-Brieuc comme partout en Europe, l’essor d’un mouvement socialiste et pacifiste.



Louis Guilloux parvient en quelques mots à restituer un univers familial et le contexte d’une époque. Il rend le plus beau des hommages à ces gens modestes qui ont su rester dignes et ont su trouver, malgré les sanctions, la force de s’engager, de se battre et d’espérer.

Un très beau texte.
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Le Sang noir

Mon attention avait été attirée par l'excellente note moyenne de ce livre pour moi inconnu. Tout comme son auteur du reste. Et puis, et puis, c'est en lisant la correspondance d'Albert Camus à Maria Casares que je me suis décidée.



Camus y parle à plusieurs reprises de son ami Guilloux, dont il vante le talent d'écrivain. Qu'à cela ne tienne, je ne pouvais que m'y plonger.



Sauf que le début de cette histoire m'a un peu rebutée. Cet anti-héros, -n'est-ce pas un des premiers ?-, de Cripure, -et quel nom …!-, ce lettré moqué, à l'allure folle, revêtu d'une peau de bique, qui se réfugie dans son mépris pour la gent humaine, tout en partageant la couche de sa bonne à tout faire, bref. Je l'ai laissé de côté, pour le reprendre et le terminer sans plus désemparer.



Cela ne raconte pourtant que vingt-quatre heures, une seule journée, d'une ville de province en 1917, avec ses notables planqués qui contemplent les troufions que l'on envoie au casse-pipe, les mondanités et les faveurs que l'on arrache ou achète.



Tout est dans le style, n'est-ce pas ce que Céline disait ?, et ici, quel style !



Assurément de la grande littérature. Je recommande chaudement à ceux qui aiment.
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Le pain des rêves

Louis Guilloux livre ses souvenirs d’enfance à travers deux personnages de sa famille

- son grand-père

- la cousine Zabelle

Enfance pauvre où le grand-père s’échinait du matin au soir à son métier de tailleur.

Cette première partie est émouvante, même si le style est simple et désuet.

La seconde partie, dédiée à l’extravagante cousine Zabelle ; flanquée de son mari, « le pauvre Michel », et de son amant apathique, est beaucoup plus vivante et attrayante.

Certes, le texte a un peu vieilli, mais il n’est pas lassant pour autant et se lit sans déplaisir.

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Salido (suivi de) O.K., Joe !

A l’aube de ce 11 septembre 1939, le ciel est clair, le soleil déjà haut ; une belle journée d’été s'annonce. Le narrateur se promène dans la gare de Saint-Brieuc. Volontaire au sein d’un centre d’accueil, il attend un train de réfugiés originaires de Paris ou du nord du pays. Une sirène d’alerte qui se met à hurler et la présence de soldats anglais rappellent que la France est entrée en guerre une semaine plus tôt. Le narrateur aperçoit au loin un vagabond et se remémore sa rencontre trois mois plus tôt avec un soldat Républicain nommé Salido. Le narrateur s’occupait alors de l’accueil de réfugiés espagnols pour le Secours rouge. Au sein d’un groupe de miliciens blessés, le lieutenant Salido se singularise par son « regard de bête folle de rage derrière les barreaux ». Le narrateur le compare à un chat sauvage. Lors d’une entrevue, Salido lui a communiqué son souhait de s’évader pour gagner Moscou. Le narrateur accepte d’aider le fugitif.



Le second récit débute peu après la libération de Saint-Brieuc. Louis, le narrateur, est interprète auprès du maire de la ville. Désœuvré, il accepte la proposition d’officiers américains d’assurer la traduction des enquêtes et des procès de la justice militaire des forces armées américaines. De par sa mission, il se situe au cœur de l’action. Il a beau être le témoin privilégié de l’Histoire en marche, il se sent étranger aux événements. Les GI sont bienveillants à son égard et affichent une assurance impressionnante et un optimisme naïf. Lors des séances de la cour martiale, les fractures de la société américaine apparaissent au grand jour. Les soldats jugés pour des faits de viol ou de meurtre sont exclusivement des afro-américains. Ils sont condamnés à mort dans la plupart des cas. Le seul blanc poursuivi pour le lâche assassinat d’un résistant est acquitté. Cet officier des Rangers s’était pourtant déjà illustré par sa folie furieuse en abattant gratuitement des prisonniers allemands. C'est la guerre, son lot d'injustices, de tueries et de malheurs...



J’ai retrouvé dans ces deux récits la marque de fabrique de Louis Guilloux. L’écriture est précise et limpide. Tout est raconté avec justesse et simplicité. Il raconte aussi bien l'histoire de militants communistes qui organisent la fuite de leur camarade espagnol, par solidarité, que celle d'un maquis breton écrasé par la milice. Les témoignages sont poignants, réalistes et sans fioritures. Figure oubliée, Louis Guilloux demeure pourtant un écrivain majeur du XXème siècle.



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La Maison du peuple

Je connaissais Louis Guilloux de nom. J'ai découvert ce volume là sur les conseils d'un ami et je n'ai pas regretté mon choix de lecture. L'histoire est profondément touchante et humaine, sans sombrer dans le mélo, et elle remet à la place centrale des "gens de rien" qui constituent l'âme d'un pays. Ils n'ont pas de diplômes ronflants et ne se lancent pas dans des analyses sociologiques percutantes, non. Ils se contentent de raconter leur quotidien et celui de leurs proches, de ceux qui vivent comme eux. C'est beau parce que porteur d'espoir et que cela permet de ne pas désespérer de voir un jour la justice et la liberté triompher.
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Le Sang noir

Louis Guilloux, romancier français né et mort à Saint Brieuc (1899-1980).

Ce Briochin vivra de nombreuses années à Paris pendant lesquelles il fera des allers-retours réguliers entre Bretagne et Paris.

Saint Brieuc sera le théâtre de l'essentiel de ses romans, notamment dans le sang noir même si la ville n'est jamais directement citée.

Admirateur et ami d'Albert Camus, Louis Guilloux, quelque peu oublié aujourd'hui, souvent relégué à tort comme un écrivain de terroir a pourtant fait partie des grands noms de la littérature française.

Auteur populiste, il est également l'auteur de la maison du peuple, récit autobiographique dans lequel il revient sur ses origines prolétariennes et du Pain des rêves.



Le sang noir, chef-d'oeuvre qui a propulsé Louis Guilloux dans le paysage littéraire français, a été publié en 1935 aux éditions Gallimard. Il a manqué de peu le prix Goncourt.

Ecrit dans l'Entre-deux guerres, détail non négligeable puisqu'il parait à une époque où les intellectuels ont pris conscience de l'absurdité de la première guerre mondiale dont ils ont la conviction qu'elle sera la dernière.



Merlin, le personnage central de ce roman, anti-héros par excellence, est un professeur de philosophie baptisé Cripure par ses élèves. Il doit ce surnom à ses travaux sur Emmanuel Kant, Cripure étant la contraction de la critique de la raison pure.

Cet homme atypique est marginalisé par les notables de cette petite ville de province.

Malgré ce statut de marginal, chacun s'accorde pourtant à reconnaître que Cripure est un personnage important de cette petite société. On dénigre l'homme mais on admire le savant et l'imminent professeur qu'il représente et qui est un atout non négligeable pour la commune.

Il a fait sa renommée par la publication de deux ouvrages dans sa jeunesse : le premier sur Turnier, le second sur les Mèdes.

Il est pourtant vu comme un « raté » dont toute l'existence est risible : son mariage et sa séparation avec Toinette, son concubinage avec Maï, une goton illettrée qui le trompe mais l'aime comme une mère, son fils conçu avec une souillon et qu'il a refusé de reconnaître. Tout en Cripure est de nature burlesque. C'est pourquoi il rêve à un nouvel ouvrage où il pourrait enfin être reconnu à sa juste valeur. Cet ouvrage qu'il appelle sa « Chrestomatie » serait l'ultime ouvrage de sa vie. Sa disparition entre les crocs de ses chiens que pourtant il semblait aimer, contrairement aux autres hommes qu'il semble abhorrer, lui sera insurmontable et viendra se rajouter à la honte qui l'assaille.

Au début du texte, Cripure est victime d'une tentative d'assassinat, fait qui se reproduira plusieurs fois dans la journée. Au fil du texte, en découvrant les différents personnages, on comprend rapidement que Cripure suscite la jalousie chez certains notables, particulièrement Nabucet, son ennemi juré qui aurait tout intérêt à le voir disparaître de la cité et qui va précipiter sa chute.



Pour le personnage de Cripure, Louis Guilloux, bien qu'il s'en soit souvent défendu, s'est fortement inspiré de son professeur et ami, le philosophe Georges Palante.

A l'instar du personnage qu'il a inspiré, Georges Palante était surnommé Schopen en raison de son admiration pour Schopenhauer.

Georges Palante souffrait également de cette étrange infirmité qui handicapait Cripure et qui peut rendre le personnage burlesque.

Mais surtout, Louis Guilloux fait parler Georges Palante dans la bouche de Cripure. Tous deux ont des parcours similaires, partagent la même philosophie. Celle d'un individualisme pessimisme qui condamne une société hypocrite et bien pensante qui n'a de cesse de freiner l'homme dans sa quête.

Georges Palante est l'auteur de la sensibilité individualiste.



Dans le roman, il y a également un effet de mise en abîme avec la thèse de Cripure sur Turnier. Georges Palante avait lui-même écrit une thèse sur Jules Lequier dont la vie et surtout la mort ressemble trait pour trait à celle de Turnier.

Les deux philosophies de Georges Palante et Jules Lequier apparaissent donc nettement tout au long du roman.



Aux côtés de Cripure, Louis Guilloux décrit et retrace la journée de nombreux personnages, qui fait du Sang noir un texte digne d'un roman dostoïevskien. On y rencontre essentiellement les notables, acteurs de cette petite ville de province.



Un des points forts de ce texte se situe dans la durée de l'action qui se déroule sur vingt-quatre heures, le lecteur peut ainsi suivre chronologiquement les différents protagonistes dans leurs actes et pensées tout au long de cette longue journée.

A travers des descriptions extrêmement détaillées, on parvient au fil du texte à cerner les personnalités, souvent complexes, des personnages.



Roman à première vue sur la première guerre mondiale, le sang noir ne traite pas de la guerre à proprement parler.

Le front n'apparaît jamais directement, excepté dans les conversations.

Le récit se déroule à l'arrière, dans une petite ville de province où les habitants, loin de l'enfer du front, ignorants de sa réalité ne pensent qu'à un patriotisme démesuré, à outrance.

Ils ignorent ou feignent les réalités de cette guerre dont ils se portent les garants au nom de

la Mère patrie.

Leur quotidien est toujours le même qu'avant-guerre, préoccupés par leurs petits soucis futiles et matériels, indifférents de la boucherie qui se joue à quelques kilomètres d'eux, sur le front.

Ils targuent les jeunes embrigadés de conseils patriotiques avisés sans pour autant mettre leur propre existence et leur petit confort en danger.



L'idée essentielle que Louis Guilloux développe tout au long de son roman va donc bien au-delà du conflit franco-allemand qui n'est pas le vrai sujet du texte bien qu'il soit indéniable que Louis Guilloux dénonce la guerre et son hypocrisie. Cependant, le texte est ponctué de nombreux détails et anecdotes historiques sur la guerre de 1914 et surtout l'année 1917, date essentielle dans ce conflit marquant d'une part la révolution russe et d'autre part, les multiples rébellions de jeunes soldats français éveillés sur les réalités.

Par ses nombreux personnages, l'auteur cherche à démontrer avant tout la bassesse de l'Homme dont même l'enfer de la guerre ne parvient pas à corriger les vices.

Tout au long de cette journée, le lecteur suit ces notables égoïstes, hypocrites, pervers qui incarnent toutes les bassesses de l'être humain.

Ces vicissitudes exacerbées de ce petit groupe de notables amènent le lecteur à une réflexion générale sur l'Homme. le comportement de ces hommes pour qui les valeurs importent peu écoeurent peut-être même plus que la guerre elle-même.



Tout au long du roman, les personnages se livrent à des réflexions métaphysiques sur l'absurdité de la vie, mais aussi de la mort. Cette absurdité, accentuée par celle de la guerre, n'est pourtant pas liée directement à cette dernière.

Dans ce discours universel et sans âge, les personnages, particulièrement Cripure, réfléchissent à l'absurdité de devoir mourir et de passer ainsi de vie à trépas.



Mais outre ces personnages, la mort, personnage imperceptible, sournois, rôde, omniprésent.

Outre les victimes qu'elle atteint au loin au front, elle atteint là où on ne l'attend pas toujours.





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Le Sang noir

Compte rendu de la séance du club lecture du 21 juin 2014



Le sang noir de Louis Guilloux



Ce livre écrit en 1935 apparaît d'une lecture difficile pour la plupart des membres, déroutés par l'écriture : elle est belle mais d'un style ancien, avec beaucoup de~longues descriptions~d'une très grande densité. Dans la narration, les personnages foisonnent, les scènes sont très fouillées, mais il n'y a pas vraiment d'histoire, il faut attendre la fin avec le duel pour avoir un peu de rebondissement. L'intrigue se déroule sur une journée et une nuit, dans l'année 1917, celle de la révolution russe et des mutineries de la guerre 14 - 18.

Certains membres se sont laissés prendre après quelques pages, ont aimé la galerie de portraits, très savoureux pour certains : Maïa, Nabucet.....~

"Le Sang noir" est un grand livre ; ce n'est pas une lecture d'évasion, mais un livre dérangeant qui conduit à réfléchir sur l'hypocrisie de la société, les conventions sociales de la bourgeoise et son mépris des "petites gens". La grande guerre n'est pas précisément le sujet du livre, mais elle est sous-jacente tout au long du récit, on y parle à mots couverts des mutineries et des soldats fusillés pour l'exemple, sujet tabou encore en 1935.

Le personnage central autour duquel se bâtit le roman est Cripure, professeur de philosophie ; il ne s'intéresse pas à la guerre mais tout en se disant libertaire et anarchisant vit dans son monde de contradictions et de petites compromissions à l'intérieur du microcosme très provincial de Saint-Brieuc et dans le cercle étroit du lycée. Le roman pourrait se situer dans n'importe quelle ville de province partout en France.

Du front dont on ne sait que la version officielle et le témoignage de quelques jeunes soldats en permission que personne n'a envie d'écouter, mais la guerre est malgré tout omniprésente à travers les propos revanchards des patriotes, l'ironie des planqués et quelques renseignements d'officiers de passage.



De la discussion se dégagent deux points de vue.

François Merlin dit Cripure est un personnage "camusien", marqué par sa bivalence entre révolte et soumission, il renvoie à l'absurde. Dans le mythe de Sisyphe, Camus dit qu'"Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris". Cripure, universitaire intellectuel jusqu'à l'absolu, méprise le monde et divague jusqu'au moment où la vie n'aura plus de sens pour lui que dans la mort.

Cripure est fortement inspiré de George Palante, philosophe peu connu du début du 20ème siècle, il a enseigné au lycée de Saint-Brieuc et fut le maitre de Louis Guilloux. Il était atteint comme son double, d'acromégalie, maladie qui engendre une déformation et un agrandissement des extrémités. Amoureux éconduit, il a vécu et s'est marié avec sa bonne, il~était spécialiste du philosophe Jules Lequié.

Ses recherches philosophiques s'inscrivent dans la lignée des moralistes français. Pour lui, il y a antinomie entre l'individu et la société qui est représentée par les institutions : l'état, l'école, l'armée. Ces trois piliers tiennent le pouvoir et sont censés assurer la cohésion sociale. Ainsi l'individu socialisé ne peut être que conformiste ou grégaire.

Le Sang noir est une sorte de mise en situation de la pensée de Palante. Cripure refuse la société et tout ce qui vient d'elle, il exècre Nabucet et tous ceux qui gravitent autour de lui. La guerre, résultat de l'antinomie entre la société et l'individu, est le fait des institutions et les soldats partis la fleur au fusil étaient pour lui des grégaires, c'est la raison de son désintérêt. C'est lorsqu'il reçoit Étienne, puis Amédée et qu'il apprend la condamnation du fils du proviseur qu'il commence à comprendre son erreur. Il prend la mesure du fossé entre la société patriote et revancharde et la situation atroce des soldats du front ; il prend conscience de leur révolte et de l'espoir qu'elle suscite chez une partie de la jeunesse (Étienne, Lucien et même ce benêt d'Amedée). Louis Guilloux après avoir beaucoup admiré Palante qui fut un temps son maître à penser, prend dans ce livre ses distances avec l'immobilisme de sa philosophie. Cripure, écorché vif, masochiste est tourné sur lui-même ; à travers ses contradictions et ses compromissions, il se met en retrait de l'histoire et est ainsi incapable de percevoir l'évolution de la société.

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Coco perdu - Essai de voix

Monologue de deux jours d’un homme qui voit sa vie se déliter peu à peu. Retraite, retour en province, un ménage qui bat de l’aile. Deux jours qui sonnent comme le début de la fin, celle que l’on ne s’avoue pas, celle d’une vie sans relief.

Livre court, tout entier fait de la triste solitude d’un homme passé à côté de tout mais qui n’attendait rien d’autre de la vie. Une vie qui s’est déroulée comme une mécanique bien rôdée qui n’a jamais nécessité l’intervention de personne et qui s’achèvera dans la même indifférence qu’elle s’est déroulée.



Ce livre n’est pas le plus représentatif de l’œuvre de Louis Guilloux, cet écrivain breton et communiste du siècle dernier, mais il est le dernier roman qu’il a publié, deux ans avant sa disparition en 1980. Et le récit de cette fin inéluctable prend alors un autre relief. Il a l’amertume d’une vie qui s’en va sans s’être trouvé un sens, et, chose étonnante, il n’a pas la veine militante dont Louis Guilloux a fait preuve toute sa vie. Je pensais que le Coco du titre serait un communiste sur la fin, mais je n’ai aucune idée, après avoir refermé ce livre, des opinions politiques du narrateur, et c’est le coco pauvre type et non le coco rouge qui narre cette histoire depuis le seuil de la vieillesse.

Ce livre, sous-titré « Essai de voix » est à la fois une réflexion sur le temps qui passe et un timide essai stylistique pour sortir des conventions de la narration. S’il n’égale pas le grand chef-d’œuvre de Louis Guilloux qu’est Le Sang noir, et s’il semble dénoter parmi ses livres sur la grandeur ouvrière (Le pain des rêves) ou la lutte politique, ce court roman dévoile une facette de l’auteur qui ne m’était pas familière, plus humaine, plus résignée. Plus lucide peut-être aussi, une facette qui décrit les limites de la philosophie de l’absurde popularisée par Camus et dont Louis Guilloux est un précurseur.

Je referme ce livre avec la gorge serrée, quittant ce personnage dont je ne connais même pas le nom et qui me fait penser à mes grands-parents qui eux aussi reprenaient le chemin de leur ville de Bretagne pour prendre leur retraite. Serons-nous tous ainsi lorsqu’il nous sera donné de savoir que les années et les projets sont dorénavant derrière nous ? Donner un sens à sa vie, vivre sans regret, est-ce bien possible, est-ce bien raisonnable. Est-ce seulement possible ?
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O.K., Joe !

Ils sont bien sympathiques ces Américains : tout sourire, démonstratifs et chaleureux, se présentant par leurs surnoms, disant toujours « ok » ou « take it easy ». Ils mangent bien, distribuent des cigarettes, des chewing-gum, du chocolat... Ils sont éduqués, cultivés...Et puis, surtout, ce sont des libérateurs du pays en ce début d'été 1944. Ils sont donc accueillis par les bals, les sourires des filles, les flonflons de l'accordéon. L'auteur restitue donc toute cette atmosphère de légereté qu'on associe à la Libération.

Mais la guerre n'est pas finie. On entend encore les bombardements, on voit passer des files de blindés, des soldats prisonniers, des ambulances... L'atmosphère légère n'est en réalité qu'une toile de fond, c'est le malaise et l'angoisse qui prédominent. Dans des paragraphes de quelques lignes saississant, l'auteur évoque les horreurs de la période : arrestations arbitraires d'un homme dénoncé – et non jugé – coupable de collaboration, une boutique saccagée car son propriétaire a un nom d'origine germanique, la milice – des Français donc, pas des Allemands – qui attaque un maquis et torture des civils. Il décrit aussi les vengeances sur le corps des femmes, avec une femme tondue en public, une autre attaquée chez elle, accusées par la foule d'avoir couché avec des Allemands. Et il y a cette scène bouleversante de moins d'une page, où il entre chez une vieille femme, claquant la porte, claquant ses brodequins militaires contre les marches, sans comprendre tout de suite pourquoi cette femme juive terrorisée qui a perdu plusieurs membres de sa famille dans des rafles n'ose pas ouvrir la porte...

Et ces Américains sont-ils si sympathiques que ça ? Guilloux ne le dit pas clairement, non, mais on sent un malaise, une retenue, qui se ressent dans l'écriture même qui reste très allusive, ne dit pas les choses de façon affirmée. Nous ne sommes qu'en août 1944, mais certains soldats prévoient déjà une troisième Guerre Mondiale contre les Soviétiques. Eux qui sont pleins de certitudes, qui pensent se battre pour la liberté et la démocratie, ne comprennent pas pourquoi les Français ont plusieurs partis politiques. Ils se battent contre le nazisme, mais jugent chacun d'entre eux selon sa couleur de peau ou son origine : le Peau-Rouge, les soldats noirs, les juifs. Ces préjugés racistes se doublent de préjugés de classe : le jeune homme de bonne famille, violoniste, avocat, regarde avec un certain mépris le petit voyou du Bronx.

Jugent, c'est le mot oui. Car le Narrateur, l'Auteur lui-même, assiste à plusieurs procès militaires, des crimes (viols ou meurtres) commis par des soldats américains sur les populations locales, les Bretons donc, les femmes bretonnes essentiellement. Or, avec presque une forme de naïveté au départ, qui est peut-être un refus de voir la vérité, il demande pourquoi ces accusés sont-ils tous des Noirs ? Est-ce que le camp de prisonniers est un camp pour Noirs ? Avec naïveté aussi dans leurs réponses, ses amis soldats ne comprennent quasiment pas : non, seuls les accusés sont jugés ou emprisonnés, quelque soit leur couleur, et ce n'est qu'un hasard statistique si ce sont seulement des Noirs... Le racisme intériorisé est tel qu'ils ne se posent pas la question des causes. Ils ne voient pas non plus – ou ne veulent pas voir – que lorsqu'un soldat blanc est arrêté pour des faits similaires, il est acquitté...

Guilloux parle anglais, apprécie la culture américaine. Il a des idées politiques communistes. Or, ce qu'il voit entre en contradiction avec avec ses convictions et ses valeurs. L'écriture est donc toute en retenue, le texte lui-même a mûri et maturé pendant trente ans avant d'être publié, parce qu'il souffre de tous ces décalages. Sans le dire clairement, on comprend qu'il a été proche des résistants – il ne déclare pas précisément avoir eu un rôle actif, mais au moins de soutien, et ne peut accepter que les libérateurs et les libérés puissent finalement se comporter aussi mal que les occupants.

Un texte très court, mais très puissant, qui dans son écriture même traduit toutes les ambiguïtés de la période qui suit le Débarquement et le début de la Libération – même si, pour moi en tant que Normande, le Débarquement est d'abord celui de Normandie...
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Cripure

Cette pièce, écrite en 1961, est une tragédie métaphysique. Elle est inspirée du chef d’œuvre, "Le sang noir", de Louis Guilloux paru en 1935 chez Gallimard.

En 1917, en plein cœur de la grande guerre, l'année même des grandes mutineries et de la révolution soviétique, monsieur Merlin, professeur de philosophie dans une petite ville de province, est surnommé Cripure.

Si quelques-uns de ses élèves l'admirent, ses idées ne font pourtant pas l'unanimité parmi ses concitoyens.

Une mauvaise querelle, suivie d'une gifle, lui promet un duel avec un collègue.

Désorienté, Cripure, au cours de sa veillée d'armes, médite sur la mort, songe à s'enfuir, se résoud à se battre et finalement signe un message de regret mais sa dignité est mortellement atteinte....

Le personnage de Cripure est inspiré à Louis Guilloux par son professeur de morale en classe de troisième à Saint-Brieuc : Georges Palante. Car son professeur, philosophe et sociologue individualiste, se donna, en 1925, après une controverse et l'échec d'un duel, la mort à Hillion, dans une petite maison au bord de la mer.

Du roman qui inspira cette pièce, Gaston Gallimard disait, en 1953, qu'il était l'un des meilleurs livres que la maison ait jamais publiés.

Et son auteur, Louis Guilloux, d'ajouter : "Le sang noir" ne met pas seulement la bourgeoisie en cause. Il remet toute la vie en question".

La pièce, parue également à "l'avant-scène Théâtre" est un prestigieux morceau de la scène contemporaine et moderne, empreinte d'un fort humanisme et d'une puissante émotion que sert magnifiquement la finesse de son écriture.
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Le Sang noir

Livre étrange de cet ami de Camus, paru 7 ans avant L’étranger. Meursault, homme simple et indolent, tuait par hasard dans le face-à-face avec un inconnu — pistolet contre couteau —, et mourait serein. Cripure, professeur de philosophie, échappe au duel avec un collègue (il voulait le pistolet, l’autre voulait l’épée), et se suicide dans l’exécration générale, y compris de lui-même. Érudit lamentable à ses propres yeux, il a étudié l’influence des Perses sur les philosophes grecs, mais il figure l’exact opposé du Kalos-Kagathos : il est difforme, alcoolique, déguisé, malodorant, colérique, pleurant auprès d’une prostituée l’ancienne histoire d’amour où l’aimée a fui, il hait ses pairs et la hiérarchie, décourage ses élèves et refuse de s’impliquer dans l’action. Autour de lui, la ville de province et la guerre de 14, la veulerie des pères à l’arrière qui composent des poèmes nationalistes, la colère soumise des fils qui montent au front ou en reviennent amputés, tous victimes consentantes, sauf Lucien, le permissionnaire blessé que Cripure a pris pour témoin et qui veut filer à Londres rejoindre un cercle révolutionnaire. « Vous comprenez, dit Lucien, Cripure est surtout à plaindre en ceci : c’est que nous ne pouvons pas l’aider. Nous ne pouvons rien pour lui, comme il ne peut rien pour nous (…). Nous pouvons à la rigueur lui éviter le duel. Il ne nous en saura aucun gré. Je puis vous prédire que sa fureur se retournera contre nous. (…) Mon pauvre Cripure ! Il a été mon initiateur, comprenez-vous. Il a été mon maître au sens noble du mot. Je l’ai adoré et je l’ai maudit. Ensuite, je l’ai compris. Je ne veux pas dire justifié. (…) Cripure va disparaître. Il a droit à toute notre pitié. Et puis que ce soit fini. (…) J’ai découvert que ce qu’enseignait Cripure, c’était le mépris » (p 534). Beaucoup de parenthèses dans cette citation parce que si l’action tient en un jour, le texte est délayé, riche en digressions dans les dialogues comme dans les descriptions.



Un roman noir et sanglant comme son titre.

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La Maison du peuple

La préface a été rédigée par Albert Camus lui-même, alors je ne vais certainement pas tenter de vous redire la même chose en moins bien. Lisez la préface.

Nous sommes à Saint-Brieuc au début du 20è s. ; le livre s'achève à l'été 1914 par la mobilisation générale. Il relate la création de la première section socialiste, ses débats et ses divisions, et le début de la construction de la Maison du peuple.

J'ai été profondément touchée par ce récit du monde dans lequel ont vécu mes grands-parents : une ville sans électricité, où ne circulent que des voitures à chevaux, les multiples artisans dans leurs petites échoppes, la campagne toute proche. Un monde où on prenait soin des objets, achetés pour durer une vie : le père est cordonnier, la grand-mère réparatrice de parapluies.

Émue également par les personnages - le roman est très largement autobiographique - de la grand-mère, de la mère, pivot du foyer ouvrier. À une exception près, les femmes briochines en 1913 semblaient davantage tournées vers la statue de la Vierge Marie que vers le drapeau rouge. Mais qu'ils sont touchants, ces dialogues entre le père revendicatif et la mère soucieuse qui tente de calmer le jeu, mais en définitive fait confiance à son homme...

La nouvelle qui complète le recueil, “Compagnons”, est également magnifique d'humanité et de sensibilité.

LC thématique de novembre 2021 : ''Faites de la place pour Noël”

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Hyménée

Le canotier penché sur l'oreille, la démarche hardie et l'air gaillard, Maurice se rend au bal. Fils unique des Lacroix, une famille modeste et sans histoire de Saint-Brieuc, Maurice est un beau garçon et un sportif accompli. Suivant le sillage de son père, il occupe un poste administratif aux Chemins de fer, tout en nourrissant une toute autre ambition. Maurice rêve de gagner Paris pour y mener une vie plus libre et gagner plus d'argent, loin de la monotonie de cette ville de province. Il est également miné par son célibat et rêve de connaître le bonheur de l'amour. Les femmes qui lui ont plu l'ont toujours repoussé, fuyant cette âme passionnée pour des histoires plus légères. Tout change lorsqu'il croise la fille de son ancien instituteur, Berthe Garel. Après plusieurs jours de flirts, Maurice et Berthe se donnent rendez-vous au bal. Souhaitant s'attacher ce grand garçon timide, Berthe décide de lui céder. Maurice exulte : «J'ai une maîtresse.» Mais peu après, elle lui annonce sa grossesse accidentelle. Il se fait un devoir de l'épouser. Il se sent piégé et déchante rapidement. Ses illusions amoureuses et son rêve d'aventure s'évanouissent.



« Hyménée » est un petit roman publié en 1932, trois ans avant « le Sang noir », qui traite du thème du mariage malheureux. le roman combine étude psychologique et récit réaliste. A travers cette histoire ordinaire transposée dans un cadre populaire, l'auteur décrit avec pertinence les rêves de liberté d'un jeune-homme, la naissance et la fin des sentiments amoureux et le début de dissensions au sein d'un couple. Un court roman à la facture classique riche en enseignements à conseiller à tous ceux qui nourriraient encore quelques illusions sur le mariage.

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Compagnons

Pour l'heure, je n'ai pas accès à ce texte, nouvelle à la Tolstoï nous dit Albert Camus dans un élan de générosité envers son ami qui précise en outre : "voilà le grand art de Louis Guilloux qui n'utilise la lumière du jour que pour mieux éclairer la douleur du monde" Ouahou ! Bon je lirai Compagnons si je peux disposer du livre si le grand maître l'a dit ! J'y vois intérêt.



En attendant, je dispose d'un texte très court de Louis Guilloux, une préface à Nouvelles paru en poche en 1967 qui comprend Maître et serviteur, le Perge Serge, le Cheval, Polikouchka, le Diable de Tolstoï. J'ai trouvé ce texte admirable en tout point car il évoque à mes yeux la grande littérature, chose à laquelle Louis Guilloux a probablement accédé avec Le Sang noir, la littérature qui fait appel comme un tableau de Bruegel, à un fort humanisme, à un environnement hostile dominant, voire féroce, à la couleur, au peuple, à une tonalité collective en lutte, sans filtre bourgeois, du véritable en quelque sorte.



On connaît ou pas d'ailleurs l'engouement, l'admiration de Louis Guilloux dans sa jeunesse pour le grand écrivain russe, il en parle dans une bio filmée où il déclare que probablement il a été pour quelque chose dans sa vocation d'écrivain.



Voici un extrait de cette préface emplie de souvenirs à la fois attachants et impérieux tout à fait à la hauteur du maître qu'il met en exergue :

"Après les Cosaques, j'ai dû lire Résurrection.

Le souvenir que j'en ai baigne tout entier dans la ferveur amoureuse de l'adolescence. Ferveur secrète, pudique. Un monde à soi. Je ne discernais pas les moyens par lesquels l'auteur m'entraînait, m'enchantait, au sens magique du mot, mais je me sentais transporté dans un autre monde, le monde même de l'âme, de l'amour, des grandes questions simples, de la nature et de la vérité. Il me semble que c'était ainsi .

Ce souvenir chaleureux est lié à une image. de même que je me souviens du vieux livre dans lequel j'ai lu les Cosaques et que j'en revois le titre sur la couverture comme si je l'avais encore sous les yeux. Je me souviens de celle de Résurrection. Cette fois elle était illustrée. Toute ma vie je me suis souvenu de cette image.

>>> (..) Quand on est jeune, on lit tout ce qui vous tombe sous la main. On lit dans un certain désordre, ensuite tout se recompose dans l'esprit, et l'univers qu'on vous propose s'organise. Mais parallèlement à la lecture des oeuvres, on veut s'instruire sur l'homme .."



Et si l'on ajoute à cela l'odeur du livre et peut-être un aspect intimiste qui vient vous séduire, vous parler à un moment donné étant adolescent alors que vous vous posez plein de questions qui vous perturbent, avec l'oeil peut-être de la pub United crédit qui vous arrache au sort pesant, ennuyeux, fermé du monde que vous avez devant vous, vous avez un sentiment commun d'appartenir à quelque chose qui va mijoter en vous toute une vie, l'aventure littéraire ..



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Le Sang noir

C’est un chef-d’œuvre. Il y a dans ce roman un souffle – un vrai souffle, comme on en trouve dans le grand roman russe, ou encore chez John Cowper Powys ou Knut Hamsun – le souffle de l’humanité, celui aussi de l’esprit. Il y a aussi du Céline dans le style absolument somptueux de Guilloux – une oralité magnifique, des images saisissantes, des formules qui laissent pantois de concision et de justesse, des fins de phrases typiques avec deux points et deux mots, qui résument tout ce qui précède d’une expression foudroyante. Et enfin dans la dénonciation de l’absurdité on retrouve son ami Camus, mais un Camus qui aurait enfin réussi à se déployer, à faire passer la littérature avant les idées, qui n’aurait plus eu peur de la narrativité, de la fresque, de l’épopée et se serait délivré de l’apologue et de ses pesanteurs. Guilloux réussit le tour de force de concilier la prose habitée par l’esprit que je citai en commençant – et l’existentialisme, par nature asséchant, livide, osseux, dans cette œuvre exceptionnelle.
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Le Sang noir

« Pendant les travaux, la vente continue », peut-on parfois lire sur certaines vitrines.

« Pendant la guerre, la vie continue », semble répondre en écho Louis Guilloux, qui décrit dans le sang noir, une journée de 1917, à l'arrière du front, dans une petite ville de province qui n'est pas nommée, mais qui pourrait être Saint-Brieuc, sa ville.

Le récit gravite autour de François Merlin, professeur de philosophie. On y observe, à travers les mesquineries et les turpitudes de quelques personnages hauts en couleur, la bêtise et la bassesse humaines, dont il va faire les frais.

Au début du roman, on fait la connaissance de ce héros, ou plutôt de ce anti-héros. Pendant que certains perdent leur vie dans les tranchées, François Merlin fait l'amer constat, à un an de son départ en retraite, qu'il a raté la sienne. Son infirmité –ses pieds immenses et déformés– le handicape ; sa femme, Toinette, l'a quitté, et il ne s'en est jamais remis ; Maïa, son ancienne domestique devenue sa compagne, est une souillon illettrée à « l'air ahuri de grosse commère » (page 450), qui, de surcroît, le trompe avec Basquin ; son fils Amédée –en tout cas, le fils de Maïa–, lui renvoie l'image de sa vie ratée (« il avait commis l'impardonnable sottise de légitimer cet enfant de trente-six pères » - page 18) ; sa thèse sur le philosophe Turnier, jugée fantaisiste, a été recalée par la Sorbonne ; ses collègues le raillent ; ses élèves, qui l'ont affublé du surnom de « Cripure », chahutent pendant ses cours et lui font des mauvaises blagues de potaches ; résolu à s'en plaindre auprès du proviseur, M. Marchandeau, il le dérange au moment précis où celui-ci vient d'apprendre que son fils va être fusillé pour mutinerie. Décidément, ce Cripure, « où n'était-il pas de trop ? » (page 395) ; enfin, son accoutrement, –sa peau de bique et son éternel filet pour les courses–, tout concourt à faire de lui « la risée de la ville » (page 38).

Puis, au fil du roman, la journée se déroule, au sein de cette petite société de notables de province. Ainsi, dans l'après-midi, Mme Faurel, la femme du député, va être décorée de la Légion d'Honneur par le Général, pour les soins qu'elle a prodigués aux blessés. Otto Kaminski, jeune interprète affecté à la Préfecture, se prépare à recevoir ses amis pour un thé chez Mme de Villeplane, dans la pension de famille dont il est désormais le seul pensionnaire. M. Marchandeau et sa femme déploient l'énergie du désespoir pour empêcher l'exécution de leur fils. M. Babinot ne sait pas encore que son fils est mort, mais ses collègues professeurs, eux, savent déjà la nouvelle et n'osent pas la lui apprendre… Quant à Cripure, il se trouve bientôt convoqué en duel, pour que soit réparé l'honneur de son collègue Nabucet qu'il a giflé, et se fait du mauvais sang.

La guerre constitue la toile de fond de ce superbe roman : les soldats qui partent en train la fleur au fusil et qui paraissent si peu se douter de la mort, les femmes qui travaillent aux usines, le maire qui fait sa tournée pour annoncer les décès aux familles, les permissionnaires qui ne veulent pas regagner le front, les mutineries qui se développent, la révolution qui se lève à l'Est, etc.

Mais elle n'en constitue pas le matériau principal. En effet, si le sang noir comporte peu d'actions et une intrigue limitée, il offre en revanche une galerie de portraits dépeints par une très belle langue. Certaines formules font mouche par leur côté pathétique, d'autres par une pointe d'humour qui n'est pas sans rappeler Le Guépard.

Par exemple, lorsque Lucien Bourcier, le fils du censeur, refuse de revêtir son uniforme en vue de la cérémonie de remise de la Légion d'honneur à Mme Faurel, sa mère et sa soeur s'agitent et s'énervent. « Elles n'avaient pas encore fait donner les larmes, mais il était clair que ça n'allait pas tarder » (page 113). Rien n'y fait. Du député, M. Faurel, on apprend que « tout en lui trahissait l'homme qui a passé sa vie parmi les femmes » (page 205). Enfin, le maître de cérémonie, M. Nabucet, est dépeint comme un lèche-bottes de premier ordre : « Ah ! Mon Général, donnez-moi une botte à lécher, rien qu'une ! Et si par bonheur il vous en restait une vieille dont vous ne vous serviriez plus, mon Général, faites-moi la grâce de me l'offrir, je l'emporterai chez moi, je la lècherai à domicile … » (page 292).

Les relations entre Madame de Villeplane et Otto Kaminski offrent également d'autres grands moments dans la lecture de cet ouvrage. Madame de Villeplane « contemplait avec épouvante ce qu'avait été sa vie et quelque chose comme une volonté de justice se joignait en elle à son amour pour Otto. Il ne se pouvait pas qu'une vie de femme ne fût que ce qu'avait été la sienne. (…) Le sentiment poignant de la vie manquée, du temps perdu, donnait à sa volonté une force pathétique » (page 180). A cette femme, qui lui déclare qu'elle est tombée amoureuse de lui (« Oui j'ai soixante ans. Mais mon corps n'en a pas quarante, c'est vrai. Elle se leva soudain. Veux-tu que je mette nue devant toi ? Elle le défiait. Allons, du calme, fit-il … ») (page 444), Otto Kaminski préfère la jeune Simone Point, de quarante-deux ans sa cadette, qui ne souhaite que « se servir encore de lui pour franchir les derniers obstacles qui la séparaient de la liberté et de la richesse » (page 215), ce dont il ne se doute pas.

Enfin, l'annonce du duel est, à mon sens, le sommet de l'oeuvre. Le pathétique y atteint un sommet. Après que Cripure a expliqué à Maïa ce qui l'attend, il nous livre sa terrible réflexion : « Je n'ai plus qu'elle, murmura-t-il, et elle n'y comprend rien » (page 453). L'humour n'est pas en reste : « Un cas élémentaire. Une gifle : un duel. Il n'y a avait pas à chercher midi à quatorze heures : il fallait se battre à l'aube » (page 522).

On notera, en outre, certains mots, qui ont le charme de ceux aujourd'hui inusités : goton (page 10), requimpette (page 152), quinquet (page 163), lopes (page 171), charibotée (page 211), haridelle (page 246), esbigné (page 310), houseaux (page 339), fafiots (page 479).

Le sang noir reste néanmoins actuel par la réflexion intemporelle et universelle qu'il porte sur le sens de la vie, et donc sur celui de la mort, et inversement, c'est-à-dire, finalement, sur la condition humaine. Il y a dans cette oeuvre une part de Comédie humaine, à la manière d'un Balzac, et aussi une part de tragédie humaine, de la veine d'un Dostoïevski. Car, comme son nom l'indique, le sang noir est une oeuvre noire, profonde, puissante. A ce titre, il mérite de sortir de l'oubli dans lequel il est injustement tombé et de (re-)prendre place parmi les oeuvres majeures de la littérature française.

(Les numéros de pages renvoient à l'édition Folio de 1999).

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Le Sang noir

Le sang noir est un roman sombre et profond et il faut prendre le temps de le lire. 1917 fût une année de mutineries en France, et de Révolution en Russie ; Louis Guilloux y ancre l' histoire de Merlin dit Cripure, inspirée par celle de l'un de ses professeurs de morale. L'auteur s’acharne à dénoncer tout ce qu’il refuse dans la société bourgeoise de l'époque. Critique de l’Armée, de l'éducation et de l’État, tout y passe. C'est un très bon livre qui n'est pas sans rappeler Dostoïevski dans l'exploration en profondeur des motivations humaines.
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