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Critiques de Louis-René des Forêts (33)
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Ostinato

Récit d’une grande souffrance qui se plaît et qui s’aime encore, toujours vive à l’esprit de Louis-René des Forêts lorsqu’il essaie de la raconter et donc indiscutable en ce qui concerne la matière même du propos. Dans Ostinato, le parcours d’une vie observée sous le prisme de la différence se déploie. Louis-René des Forêts reste aussi troublé par ses souvenirs les plus anciens que par ses impressions les plus récentes. L’exercice est périlleux pour tout autobiographe rétrospectif : quel langage employer pour décrire le cheminement de décennies qui ne se sont pas données à connaître sous la même forme de pensées ?





Louis-René Des Forêts utilise une prose poétique élusive dans le fond, comme si ses confessions ne méritaient peut-être pas, après réflexion, d’être happées par l’esprit de n’importe quel lecteur avide. Pourtant, leur forme est à l’exact opposé de cette pudeur. On peut certainement être séduit par l’écriture d’Ostinato mais quant à moi, je l’ai trouvée corrompue, sans émotion, agressive à la fois vis-à-vis du lecteur qu’elle essaie de tenir à distance et de l’écrivain qu’elle met dans une position schizophrène, entre le désir de se confesser et la peur de se dévoiler.





« Toi qui ne sais rien de l’aventure de ta mort que seuls vaincus par elle nous avons à vivre sans toi côte à côte comme déjà couchés nous-mêmes dans la tombe. »

(on comprend que ce n'est rien de très gai mais c'est déférent et j'ai du mal à associer le vrai désespoir et l'opacité littéraire qui ne peut résulter, selon moi, que de deux choses : 1° une mauvaise capacité à s'exprimer ; 2° la recherche du style plaisant à outrance (la flatterie selon Platon))





Et pourtant, il est difficile de renier totalement cet Ostinato. L’édifice si fragile ne tient qu’à un fil : en disant qu’on lui trouve peu de consistance, on craindrait de le voir s’effondrer et de provoquer la mort définitive d’un écrivain qui semble être resté en sursis toute sa vie.
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Ostinato

Fragments ou aphorismes, notes ou proses poétiques, faux journal des vraies « couleurs, odeurs, rumeurs », poème en prose ou monologue intérieur ? Omniprésence de l'enfance dans ce monde « fragmentaire » qu'on aurait envie de citer à volonté.
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Ostinato

adulte, n'ayant pas encore refermé la porte derrière laquelle se tient impitoyable l'enfant aux yeux vifs, criant éructant, sa jeune tendre volonté imprécise mais impitoyable du refus d'être bouffé du dehors!
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Poèmes de Samuel Wood

Les Poèmes de Samuel Wood est le titre d’un petit recueil de poésie de Louis-René des Forêts publié en 1988 aux belles éditions de Fata Morgana.



Au travers de plusieurs poèmes, l’auteur s’empare d’un thème souvent abordé dans la littérature, celui de l’être (l’écrivain ici) et de son double (Samuel Wood). Dans ses textes, Louis-René des Forêts loge la voix de son personnage et la fait agir comme la conscience du poète. Celle-ci s'adresse à lui, l’interpelle sur l’acte d’écrire, sur l’aspect dérisoire et vain de l’écriture.



Dans un long monologue, la voix de Samuel Wood interroge, met en évidence la dualité entre le pouvoir des mots et les raisons de vivre. Quel sens, quel avenir ont les mots quand l’être qui les a écrits, qui les a sortis de son imaginaire, est un être déjà condamné à mourir, à disparaître ? Le style n’est-il pas en soi la marque du dérisoire, de l’éphémère ?



" Mais c’est compter sans le retour du soleil

le glorieux soleil qui magnifiera encore

La vie sur terre et la terre elle-même

Quand nous y serons dessous avec les morts

Là où les mots que voici n’ont plus cours

Auxquels nous donnons corps en les disant

Véreux demain comme le muscle de nos langues,

Rongés dans leur substance par la rouille du temps,

le temps que prend la mort pour parfaire son œuvre,

la hâte qu’elle va mettre à ruiner la nôtre

Bientôt plus indéchiffrable qu’une épitaphe

Aux lettres biffées par la rigueur des saisons.

Faut-il donc se taire ou dire autre chose

qui ait chance d’échapper au sort commun ? "



Dans ces vers assez représentatifs du recueil, apparaît l’écart, le conflit qui habite le langage, fait d’excès et de régression. Le langage porte en lui la condition de son existence mais aussi de sa disparition. Louis-René des Forêts défait, sépare, pervertit la notion de langage, mais par l’écriture lui accorde encore d’être ce qui nous porte, nous raconte, nous rapproche.

Au travers de la voix de son double, l’auteur dénonce l’illusion poétique en comparant ses écrits à une chimère, à un non-sens. Cependant, malgré lui, il continue de jouer grâce à elle le jeu du poème, de parler de lumière dans l’obscurité.



J’ai personnellement beaucoup aimé ce recueil de Louis-René des Forêts, qui dans une langue simple, apparaît comme une belle méditation sur la finitude, sur la vie et la mort entre existence et recherche d’identité.

L’écriture, la poésie, interrogent sans cesse l’usage du langage, elles le remettent en question pour mieux s’en approcher et s’en saisir. C’est la condition pour toucher son inépuisable réserve de beauté et de sens.



" Silence. Veille en silence. Pourquoi t’obstiner

À discourir sans rien savoir de la mort ?

Que du mot même émane une force sombre

Crois-tu par tant de mots pouvoir l’adoucir,

Donner un sens à l’énigme du non-sens ?

Vois plutôt vaguer les oiseaux au soleil

Écoute leur concert la nuit dans les bois

D’où s’élèvent en trilles maints duos amoureux

Qui sonnent clairs comme les eaux des montagnes.

Si proche soit la fin que tu sens venir

Libère-toi de ton funèbre souci

Épouse la liesse des créatures du ciel

Vivre et chanter c’est tout un là-haut ! "
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Le bavard

Le narrateur, qui n'est pas nommé, est un bavard obsessionnel. Même s'il n'a rien à dire, il a sans cesse besoin de parler. C'est là son vice. Il n'y a que très peu d'action dans ce roman à part l'une des premières scènes où il tente désespérément de draguer une superbe femme dans un bar avant d'être poursuivi dans la rue par un rouquin éperdument amoureux de la femme à laquelle il a tenté en vain de faire la cour. En fait, ce livre est plutôt une réflexion sur le langage et sur la valeur des mots. Le protagoniste se rend parfaitement compte qu'il est atteint d'un mal qui le ronge car bien qu'à force de trop parler, ses mots en viennent à être dépourvus de sens, il ne peut s'en empêcher et surtout, il a besoin qu'une oreille attentive soit à son écoute. Réflexion philosophique, pourrait-on dire, sur la valeur et le sens des mots ainsi que sur celle du silence. Livre qui peut paraître contradictoire puisque, bien que le lecteur soit atteint du mal de trop parler, le lecteur, lui, en déduit une morale sur le sens du silence. Livre un peu difficile d'accès puisque, comme je viens de le démonter, il mélange plusieurs styles d'écriture mais rempli de richesses !
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Voies et détours de la fiction

A partir d'une réflexion sur sa propre œuvre, qu'il éclaire ainsi de manière nouvelle, Louis-René Des Forêts s'interroge sur les conditions mêmes de l'écriture, les problèmes de la fiction, et donne sa réponse à la question de Blanchot: "Comment la littérature est-elle possible?"
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La chambre des enfants

Ce livre constitué de quatre récits est déroutant et exigeant. Dans le premier (Les grands moments d'un chanteur), le narrateur raconte l'histoire d'un obscur musicien, devenu pour un temps un chanteur d'opéra adulé, et de sa relation difficile avec une admiratrice. Le deuxième (La chambre des enfants) est le récit d'un rêve où un père de famille caché derrière une porte écoute l'étrange conversation d'adultes tenue par un groupe d'enfants ou peut-être bien par un seul enfant tenant le rôle de plusieurs personnages. Le troisième (Une mémoire démentielle) raconte comment le protagoniste principal (Louis-René des Forêts ?) reconstruit par la mémoire un épisode de son passé de collégien pendant lequel il est resté muré dans un silence obstiné. Le quatrième récit (Dans un miroir) est construit en deux parties : la première est un dialogue improbable entre une femme et un homme qui dans la deuxième partie se révèle être une construction littéraire écrite par le narrateur.



Il est intéressant de retrouver d'un récit à l'autre certaines résonances (l'importance donnée au rêve, la difficulté à savoir ce qui est vrai, ce qui s'est réellement passé, quelles sont les motivations des personnages...). Chaque récit donne l'impression d'être construit sur du sable et devant ce qui apparaît souvent comme un flot de paroles sans autre signification que celle de succéder à un flot précédent, j'avoue m'être demandé où l'auteur voulait en venir.



Les motivations des personnages sont généralement obscures, tortueuses et leurs sentiments sont incertains. Les phrases forment une sorte de carapace autour de la réalité et deviennent inaptes à la décrire de manière fiable. Le langage pourtant très élaboré, précis et rigoureux forme paradoxalement une sorte de brouillard qui n'est peut-être que la nature même de l'existence selon Louis-René des Forêts. Les dialogues très littéraires, interminables, de nature théâtrale, ne semblent pas avoir réellement de sens comme si l'auteur voulait nous montrer le décalage permanent entre langage et réel.
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Le bavard

C'est bizarre, je me suis retrouvé dans ce livre. Suis-je donc un de ces incorrigibles bavards ? Est-ce possible ? Ça ne peut être que ça. Je plains mon entourage. D'autant que j'ai perdu la clé de contact et qu'il faut attendre la panne sèche pour que stoppe la machine. Il est préférable de contrôler la jauge avant de s'asseoir en terrasse.

Vérifiez votre niveau avec se merveilleux ouvrage, vous m'en direz des nouvelles... quoique, il est sans doute préférable pour vous de ne pas refaire mon plein.
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Le bavard

Avec « le bavard », René-Louis Des Forêts nous montre combien le 20ème siècle, avec le Surréalisme et le Nouveau roman, a proposé des textes d'une grande originalité.

Certes, ce récit est difficile au premier abord mais je l'ai trouvé très intéressant et je n'ai pas pu le lâcher.

René-Louis Des Forêts a écrit ce livre en 1944, pendant la résistance, dans l'euphorie d'un moment très particulier. Il a été publié en 1946 dans l'indifférence générale, comme s'il tombait mal ou était trop original. Il a été inspiré du surréalisme et d'André Breton en particulier.

Ecrit à la première personne il fait appel à une écriture discursive.



C'est l'histoire d'un homme silencieux pris soudain d'une envie de parler et en parlant, il va précipiter sa chute. A mesure que le temps passe, il va détruire son discours en récusant son propre témoignage. C'est un homme égocentrique mais attachant. Il est en pleine crise de bavardage et a le sentiment de parler pour ne rien dire. Alors il fait une sorte de confession sans que l'on réussisse à savoir si les faits raconter, la rencontre avec une femme dans un bal et les problèmes qui vont suivre, sont vrais ou pas.

C'est donc un exercice de style car les faits n'ont pas vraiment d'importance.

Et puis, il y a une autre singularité, c'est que le lecteur est partie intégrante du récit puisque le narrateur l'interpelle a plusieurs reprises.

Si l'histoire semble donc ne pas présenter un grand intérêt, c'est un livre qu'on ne lâche pas comme ça. Car les logorrhées du narrateur nous entraînent dans un tourbillon de mots assez fascinants.



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Le bavard

Après les commentaires brillants des critiques, il reste au lecteur lambda à ajouter quelques banales remarques de son cru.

« j’avais envie de parler et je n’avais absolument rien à dire », confession liminaire d’un bavard obsessionnel ; il s’interroge sur ses « crises » de logorrhée, en remontant à des scènes fondamentales : une tentative désastreuse de séduction par le verbe d’une femme, dans un cabaret, puis l’agression dans un parc par un amant mécontent.

Derrière le personnage du bavard intarissable, séduisant et insupportable, on interroge la figure de l’écrivain, affligé du besoin incoercible d’écrire et de produire, son lien ambigu avec le lecteur, la mise en question de l’acte même d’écrire.

L’écriture serait-elle une logorrhée, un vice fondamental ?

Si vous l’avez « vous êtes condamné à monter sur les tréteaux, il faut vous y résoudre à faire le charlatan ».

D’abord soulignons la construction méticuleuse de cette nouvelle d’une centaine de pages qui se déroule en trois mouvements/chapitres : la scène du cabaret mal famé, l’agression dans un parc glacé, le silence final.

Autant d’indications qui donnent à cette « confession » une architecture musicale ;

- « l’ouverture » avec l’esquisse des thèmes tels la recherche de l’authenticité, de la sincérité en littérature, la présence d’un lecteur auditeur soumis aux caprices d’écriture du raconteur,

- Puis la musique discordante du cabaret, faite de «  rires bruyants, [de] crissements des souliers sur le parquet, [d’] interpellations de diverses natures et le plus souvent grossières que recouvrait avec peine un orchestre dont la musique aigre éclaboussait les murs… »

- et enfin un chœur céleste de voix enfantines, souvenir personnel de «  la chapelle du collège breton » avec la note discordante de l’oiseau grotesque, cauda burlesque - ou tragique, analogue au rire que la femme du cabaret oppose au séducteur bonimenteur.

La respiration entre ces mouvements, andante, scherzo, finale, force l’attention de l’auditeur, comme dans un symphonie de Berlioz, à ceci près que notre bavard impénitent séduit et accumule des commentaires sans laisser le loisir d’une distance critique.



Même sens de la caricature dans les nombreux éléments picturaux qui jalonnent le texte : confidence paillarde entre deux ivrognes hilares dans le cabaret, à la manière des peintres hollandais, croquis au fusain des rues désertes, de l’ arbre obscur dans le parc enneigé , etc.



Si le discours du bavard, tout en incohérences et contradictions, témoigne d’une grande virtuosité [prétendument refusée et dénoncée] dans l’art d’écrire, les incursions sonores et plastiques séduisent en mettant mal à l’aise : l’agression dans le parc relève du cauchemar où, au lieu d’une arme, le guignol roux, l’amant mécontent, sort et consulte sa montre, renvoyant ainsi le bavard à une scène fondamentale de son enfance.

C’est dans ce décor et cette intrigue que le bavard, tel un prestidigitateur, cherche à « enchanter » puis à « désenchanter » son public, amenant son lecteur à examiner le lien qui le lie à l’auteur, le pacte établi avec celui-ci et la notion même de création littéraire conçue comme un vice dont le bavard, figure transparente et avouée de l’écri-vain « n’est pas à la hauteur ». « Seul le silence est grand » disait le poète.

Pour commenter « le bavard » de René-Louis des Forêts, rien de plus pertinent que les avis éclairés des critiques ( Maurice Blanchot et Pascal Quignard ) qui suivent le monologue dans l’éditions in quarto de Galllimard.

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Les Mégères de la mer - Poèmes de Samuel Wood

« Les Mégères de la mer » est un long poème de Louis-René des Forêts publié en 1967 au Mercure de France. Mon édition de 1983 ne contient que ce poème épique qui mêle évocation et incantation.

La langue est belle et rythmée par les vagues de la mer et les souvenirs de la mère. Cela ressemble à une quête de l'origine, des lieux de l'enfance.

Le poète raconte par métaphores, la perte de l'innocence enfantine par une scène traumatique. C'est au bord de la mer, près de falaises, que vivent des mégères troglodytes. Elles sont toutes vieilles à l'exception de l'une d'elles. Fasciné, l'enfant est écartelé entre l'interdit et l'irrésistible attraction qu'exerce ce vaste corps maternel (le trouble et la faute).

Face aux mégères, Louis-René des Forêts nous fait assister au naufrage de son enfance sur fond de musique océane. C'est assez triste et plutôt négatif mais, ce qui est agréable, dans ce poème, c'est le bercement des mots.





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Le jeune homme qu'on surnommait Bengali

Quand j’ai découvert en librairie ce petit ouvrage de Louis-René des Forêts, je me suis réjouie de découvrir la plume d’un auteur dont on m’avait vanté les qualités il y a… plusieurs années. Voilà en effet une belle entrée en matière que cette histoire d’un prisonnier « aguerri », qui s’est forgé une carapace et des rituels pour échapper à la folie de l’enfermement et de la solitude, se rendant ainsi hautement répréhensible aux yeux de ses gardiens, et qui voit un tout jeune prisonnier apeuré imposé par ces gardiens briser ses mécanismes de défense patiemment construits.



Entre manipulation et tendresse, attention et agacement, les relations entre les deux hommes font bouger les lignes du narrateur, le « vieux » prisonnier. La fin de la première journée mettra brutalement un terme à cette ébauche d’humanisation.



Si la lecture proposée en fin d’ouvrage par Jean Roudaut a révélé des interprétations auxquelles je n’aurais même pas pensé, les dessins de Frédérique Loutz ont été pour moi un contrepoint parfait au récit de Louis-René des Forêts. J’imagine que la silhouette dessinée de page en page est celle de Bengali, le jeune prisonnier qui se cogne aux barreaux de la cage. L’épais trait noir au fusain qui cerne son corps évoque l’enfermement tandis que les dizaines de dessins et de motifs naïfs, frais et colorés qui l’emplissent montrent qu’au premier jour de son incarcération, Bengali porte intacts en lui ses rêves, ses désirs, ses amours, ses aspirations. Sa silhouette traverse le livre de page en page, tantôt pleine de dessins, tantôt vide, tantôt à moitié remplie, et les motifs colorés l’accompagnent sans cesse, suggérant le mur d’une cellule, les barreaux d’une cage, un oiseau prêt à s’envoler, ou encore les crayons de couleur qui permettent cette évasion.



J’ai beaucoup aimé la manière dont Frédérique Loutz s’est emparée du très beau texte de Louis-René des Forêts. Encore une belle réussite de cette petite maison d’édition qui propose des objets-livres soignés.
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Le bavard

« Je présume qu’il est arrivé à la plupart d’entre vous de se trouver saisi au revers de la veste par un de ces bavards qui, avides de faire entendre le son de leur voix, recherchent un compagnon dont la seule fonction consistera à prêter l’oreille sans être pour autant contraint d’ouvrir la bouche », écrit Louis-René Des Forêts au début de cet excellent texte, comme pour définir le bavardage. Personnellement, ça m’est arrivé quelques fois, dans la vie et en tant que lecteur. Cette désagréable impression qu’on vous postillonne au visage sans le moindre égard. Ce n’est pas tout à fait le cas ici, car l’auteur de ce texte est en vérité très attentif à son lecteur et s’adresse très souvent à lui, même s’il n’est pas forcément amical.

De fait, l’auteur a écrit un livre qui ressemble à du bavardage, rempli de confidences, avec une certaine impatience à dégurgiter son discours et qui, parfois, pourrait paraître incohérent. Pourtant, tel que le narrateur commence par se décrire dans son rapport au monde et aux autres, il semble être le contraire d’un bavard. C’est un grand taciturne qui ne se confie jamais à ses proches.

Cependant, en son for intérieur, lui sait qu’il est un bavard et il le prouve. Un bavard spécial, un bavard de l’intériorité, un bavard en puissance, dont seul le désir pressant de s’épancher importe, qu’il devienne effectif ou non. Et ce désir - ces « crises », écrit-il, car ce n’est pas un désir constant et il le ressent comme un « mal » - s’abîme invariablement dans l’angoisse. Doucement, alors, à travers le récit d’une soirée trop arrosée qui a mal tournée, une nuit blanche, il analyse le sempiternel mécanisme chrétien : désir, assouvissement, honte, culpabilité, peur irraisonnée, expiation.

Mais où est la vérité, où commence le mensonge, le bavardage, dans cette entreprise de sape de la communication, mise-en-abyme infernale et ironique, aux contradictions assumées ?

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Ostinato

Ayant enfin jeté les masques de la fiction (Les Mendiants, Le Bavard, La Chambre des Enfants), l'auteur s'enfonce dans soi-même et parcourt, à mots couverts, les étapes de sa propre vie. Luisent, dans l'ombre savamment entretenue de longues phrases qui se transforment parfois en aphorismes, les figures que l'on devine de son enfance, l'éducation dans un collège religieux de Bretagne, du service militaire, pendant la "drôle de guerre", du mariage et des jours heureux au foyer, jusqu'à la perte irréparable de l'enfant. Son Requiem achevé, qui étonne par sa beauté sombre, vient "Après" : une partie du livre où le discours se replie sur lui-même. Tribut à l'époque, la fascination du langage pour le langage ? Les structuralistes vouaient un culte au signe en tant qu'élément d'un ensemble, sans voir de vérité qu'arbitraire derrière, par exemple, les mots.

Mais on approche de près la poésie. Louis-René des Forêts fréquenta, entre autres, La Tour du Pin et Yves Bonnefoy. Retentissent des échos (involontaires?) de René Char ou de Cioran dans ces sentences taillées comme des pierres vives.

Hormis l'envoûtement persistant de ces périodes mystérieuses, force est pourtant de reconnaître que des Forêts, qui s'interroge constamment sur l'issue de son entreprise à mesure qu'il continue d'écrire, devient un peu lassant. Le recueil de fragments, voulu inaccompli et dont l'informité délibérée semble mettre en question toute forme, n'a pas trouvé son aboutissement. L'échec annoncé était-il donc inévitable ?

Le mode de progression de l'ouvrage est bien représenté par le motif en spirale de la couverture de l'édition Gallimard (collection L'Imaginaire). Inanité de la littérature ? Reste le sentiment d'accompagner un poète dans sa marche hésitante, et le bonheur de l'entendre sans fin.
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La chambre des enfants

La chambre des enfants est constitué de 4 nouvelles. La première est celle que j'ai préférée, elle est peut être aussi la plus accessible tant le style de Louis René des Forêts peut paraitre ampoulé. Il s'agit de l'histoire d'un chanteur d'Opéra dont le succès fulgurant autant qu'improbable ne sera dépassé en vitesse que par sa chute.



La chambre des enfants, deuxième récit est une sorte de rêve. Le narrateur assiste médusé dans le couloir de sa maison à une scène surréaliste où des enfants conversent dans une chambre sans qu'ils se rendent compte de sa présence. Les dialogues sont d'une telle richesse qu'il est tout à fait improbable que des enfants puissent tenir un tel discours. Le mystère est qu'un d'entre eux reste muet.



Les quatre récits ont pour points communs le rêve, où le délire intérieur du narrateur. Des jeux complexes de miroir font basculer le lecteur dans la perplexité la plus totale.



Je retiendrai quand à moi l'incroyable richesse de la langue de Louis René Des Forêts qui m'avait davantage subjugué avec Les Mendiants.



19 février 2012
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Ostinato

Ostinato, ç'est un thème répétitif en musique. Là, c'est l'histoire d'une vie obstinément tournée vers l'écriture, depuis la toute petite enfance jusqu'à l'attente de la mort. A la recherche de ce qui n'existe pas encore par les mots et qui pourtant est en lui, le poète oscille entre le doute et les conseils qu'il se donne à lui-même.

Des paragraphes composés de 1 ou 2 phrases longues, les verbes sont à l'infinitif souvent.

Lecture exigeante qui demande parfois de s'arrêter, de relire.

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Le bavard

Le Bavard, c'est un imposteur - dont "[la] revanche consistera à laisser toujours ignorer si [il] mentai[t] encore quand [il] prétendai[t] mentir" (p. 160, dernière) - qui parle de son besoin de parler. Il s'agit aussi du narrateur d'un monologue à la première personne qui prend toujours le lecteur comme interlocuteur direct, jusque dans la célèbre phrase d'excipit : "Allons, Messieurs, puisque je vous dis que je ne retiens plus personne !", pour ne rien dire du tout, c'est-à-dire pour coudre autour d'une trame dérisoire et peut-être charlatanesque, la description de sa pulsion compulsive vers l'oralité. Sous le déguisement d'un remède à des "crises" de manque de loquacité, cet anti-héros que son asociabilité rend besogneux du lecteur nous fait part en fait du fondement de la psychanalyse (la valeur thérapeutique de la parole) dont de nombreux lecteurs sauront bien reconnaître la généralité:

"Je parlais et c'était une sensation magnifique. Il me semblait qu'en faisant ainsi étalage de ce que j'osais tout juste m'avouer à moi-même, je me déchargeais d'un fardeau très lourd, que j'avais découvert enfin une méthode pour m'affranchir de certaines contraintes généralement reconnues nécessaires au bien public, propre à me redonner une légèreté que j'avais recherchée, mais jusqu'ici sans succès ; je me sentais délivré des tumultes malsains qu'on entretient soigneusement à l'abri des regards dans un monde clos et défendu ; les luttes, les fièvres, le désordre avaient cessé ; j'obtenais enfin un jour de sabbat ; [...] c'était un plaisir aussi bouleversant que la plus réussie des voluptés érotiques." (p. 62-63).



Vous l'aurez deviné : la caractéristique stylistique la plus marquante de ce superbe monologue, ce sont des phrases d'une longueur extraordinaire, que je ne croyais plus usitée depuis Proust. Je ne peux résister à la tentation de citer intégralement la plus longue en absolu, car elle me paraît à elle seule pouvoir tenir place de nouvelle:

"Eh bien, c'est au moment où je me représentais sans la moindre arrière-pensée tout ce qui existait, par-dessus la cécité stupide des autres, d'affinités secrètes entre cette femme et moi, où je m'enchantais de la trouver silencieuse, grave, attentive, quoique apparemment peu apte à pénétrer le sens lointain de certains de mes aveux en raison de son incapacité évidente à comprendre tous les termes d'une langue qu'elle connaissait mal, ce qui d'ailleurs m'épargnait de surveiller mes expressions et de passer sous silence certains détails un peu trop tristement révélateurs et préjudiciables à l'idée avantageuse que j'espérais bien qu'elle se ferait de moi, mais qu'en dépit de leur caractère scandaleusement intime la peur de rompre le fil de mon discours me poussait à exposer, c'est au moment où, persuadé de bonne foi qu'il venait de survenir dans mon existence, sous la forme d'une belle étrangère, un élément réel d'émotion et que notre complicité allait prendre - elle le prenait déjà avec une extraordinaire intensité - l'allure d'une expérience cruciale, tout m'invitait à croire que j'avais enfin réussi à passer d'une solitude froide et triste (le plus souvent elle n'était en réalité ni froide ni triste, elle ne me paraissait telle à cet instant que par contraste avec mon désir) à la bienfaisante chaleur d'une entente réciproque, c'est à ce moment-là, il m'en coûte de le dire, c'est exactement à ce moment-là que cette femme qui n'était somme toute qu'une putain comme les autres partit sous mon nez d'un brusque éclat de rire." (p. 70-72)



A quoi bon ?... à quel but narratif correspond donc cet ultime aveu - formulé dans les dix dernières pages, tout en faisant un clin d’œil à une auto-référence qui n'était pas encore à la mode, et à un rapport narrateur-auteur qui l'était depuis Pirandello et Unamuno, que le narrateur-personnage est un imposteur ? Une façon de pied-de nez au lecteur, une façon de justifier que le Bavard puisse se taire en révélant son truc, une ultime justification morale : ces options sont toutes exprimées. De toute façon, le méta-bavardage est encore un bavardage : là est peut-être la leçon cruciale (que les critiques devraient bien retenir...)

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Le bavard

Rien que son nom est prometteur quand on tombe sur l'un de ses livres... Le Bavard comporte trois parties, où l'auteur use des artifices de l'écriture pour les démonter après. L'histoire tient à très peu de choses. Ce qui compte, c'est que le narrateur a envie de bavarder :



Il va donc parler, que ce qu'il dise soit vrai ou non. Il nous raconte comment il est arrivé un soir dans un lieu où l'on boit et on danse :



Il nous dit sa manière d'être souvent en retrait, sauf ce soir-là, où il voit une belle femme danser avec un garçon plus petit qu'elle, un rouquin pas très engageant. Il décide de l'inviter et là naît un malaise. Cette nuit-là, le narrateur a parlé (sous l'effet de l'alcool?) plus qu'il n'aurait dû et s'est mis dans une situation délicate. Mais tout l'art de l'auteur est de justement nous maintenir, nous lecteurs, dans un état de désir de savoir qui ne sera jamais vraiment satisfait.



La deuxième partie se passe dans un parc enneigé, après cette soirée dont il a souffert : il tente de camoufler sa blessure psychologique par un mal physique.

Dans la dernière partie, il apostrophe encore le lecteur, le défie, se montre désagréable avec lui. De bavard, il devient paranoïaque, il dit savoir ce qu'on pense de lui mais s'en fiche aussi, il est comme un gamin qui nargue et se fait détestable, par bravade.



Le Bavard est un livre qui ne ressemble pas aux autres : l'auteur écrit soi-disant pour ne rien dire mais dit des choses qui nous tiennent en haleine, ne serait-ce que parce que l'écriture est belle. Et puis, les autres disent-il plus que ce que lui a écrit?

Il nous interroge sur le mensonge, sur l'importance d'une vérité ou non en littérature. Il est possible d'écrire un livre avec du rien, en se centrant sur un fait qu'on peut étirer jusqu'à épuiser sa substance.

C'est à lire, c'est à part...






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Pas à pas jusqu'au dernier

L'erreur d'Ostinato répétée ? Lorsque le texte n'a plus d'objet même dans le passé, mais questionne sans cesse sa propre possibilité, une certaine lassitude s'installe en dépit du talent de l'écrivain. Même si celui-ci prétend qu'il écrit pour se maintenir en vie - ou parce qu'il se maintient en vie : les deux sont liés dans le projet de ce livre. Parler pour parler, telle pourrait être la devise de Des Forêts. On peut dire qu'il y réussit.

D'une certaine façon, par un mouvement inverse de celui d'Ostinato : si le concret s'évanouissait là devant la théorie de l'oeuvre même, ici le discours abstrait fait place sur le tard à quelques notations de la vieillesse, de la santé, de l'amitié littéraire trahie, voire fugitivement de l'amour conjugal. le memento mori gagne ainsi en réalité. A moins de cela on aurait du Joyce sans le romanesque, un Beckett grammaticalement correct mais dépourvu d'humour irlandais.

Au total : une certaine idée de la littérature comme limite, qui a connu sa fortune sous Maurice Blanchot. Est-elle toujours d'avant-garde, celle-là, qui recherchait sa propre disparition en guise d'éternité ?
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Les mendiants

Kaléidoscope de scènes contées par les principaux protagonistes, ce roman expérimental d'une des personnalités importantes - quoique secrète - de la vie littéraire française au XXème siècle sacrifie aux travers de l'époque (1943): le Nouveau Roman réunirait bientôt, dans cette veine, audaces narratives et ennui, hélas, de la lecture. Louis-René des Forêts échappe heureusement (mais de justesse) à ce dernier écueil. Il faut néanmoins traverser nombre de chapitres où s'exerce une volonté affirmée de nous égarer, exploitant toutes les ressources du monologue à la Joyce, du pathétique déconstruit de Faulkner, et, semble-t-il, des récits dostoïevskiens où les motivations du personnage se dérobent sous la retranscription aveugle et angoissante de ses seuls actes, pour aborder une seconde partie où commence à se former l'image d'ensemble, et avec elle l'intérêt du lecteur. Avant cela, le courage de poursuivre ne se soutient que par le style, une prose sombre, somptueuse, et des chapitres courts aux bribes de récit intrigants. L'ambiance est très datée, on se croirait dans un film de Jean Renoir, ou dans certains romans de Queneau - dont des Forêts fut d'ailleurs un ami ; elle ressuscite une France oubliée, intime, poussiéreuse. (la suite de la critique sur mon blog)
Lien : http://siladola.unblog.fr/20..
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