Ce livre constitué de quatre récits est déroutant et exigeant. Dans le premier (Les grands moments d'un chanteur), le narrateur raconte l'histoire d'un obscur musicien, devenu pour un temps un chanteur d'opéra adulé, et de sa relation difficile avec une admiratrice. Le deuxième (La chambre des enfants) est le récit d'un rêve où un père de famille caché derrière une porte écoute l'étrange conversation d'adultes tenue par un groupe d'enfants ou peut-être bien par un seul enfant tenant le rôle de plusieurs personnages. Le troisième (Une mémoire démentielle) raconte comment le protagoniste principal (Louis-René des Forêts ?) reconstruit par la mémoire un épisode de son passé de collégien pendant lequel il est resté muré dans un silence obstiné. Le quatrième récit (Dans un miroir) est construit en deux parties : la première est un dialogue improbable entre une femme et un homme qui dans la deuxième partie se révèle être une construction littéraire écrite par le narrateur.
Il est intéressant de retrouver d'un récit à l'autre certaines résonances (l'importance donnée au rêve, la difficulté à savoir ce qui est vrai, ce qui s'est réellement passé, quelles sont les motivations des personnages...). Chaque récit donne l'impression d'être construit sur du sable et devant ce qui apparaît souvent comme un flot de paroles sans autre signification que celle de succéder à un flot précédent, j'avoue m'être demandé où l'auteur voulait en venir.
Les motivations des personnages sont généralement obscures, tortueuses et leurs sentiments sont incertains. Les phrases forment une sorte de carapace autour de la réalité et deviennent inaptes à la décrire de manière fiable. Le langage pourtant très élaboré, précis et rigoureux forme paradoxalement une sorte de brouillard qui n'est peut-être que la nature même de l'existence selon Louis-René des Forêts. Les dialogues très littéraires, interminables, de nature théâtrale, ne semblent pas avoir réellement de sens comme si l'auteur voulait nous montrer le décalage permanent entre langage et réel.
Commenter  J’apprécie         120
Pour moi qui ai entendu sa voix deux fois sur les vingt où elle fut la plus belle du siècle, je ne tenterai pas d'expliquer ici le merveilleux phénomène qui a permis à un obscur exécutant de disposer d'emblée, quoique pendant un temps très court, d'un registre si extraordinairement étendu qu'il a pu se livrer à des acrobaties vocales sans précédent comme de franchir avec aisance les plus grands écarts sonores, de monter et de descendre jusqu'aux notes les plus inaccessibles ou, selon les nécessités du rôle, de tenir indifféremment la partie de basse, de baryton ou de ténor léger. Tout se passe, a-t-on dit, comme si le gosier de notre chanteur avait été le théâtre d'un bouleversement organique, peut-être de nature cellulaire, qui l'eût doué d'un élasticité exceptionnelle jusqu'à la résorption définitive du mal. Hypothèse des plus fantaisistes, bien qu'elle ait reçue devant moi l'approbation de l'intéressé, mais quand même ce curieux cas trouverait ici son explication physiologique, il resterait bien d'autres énigmes à résoudre et celle-ci en premier lieu : d'où vient que ses interprétations de Don Juan, d'Othello ou de Caspar aient éclipsé par leur richesse et leur vérité celles que ses prédécesseurs infiniment plus exercés et au renom plus durable avaient données de ces mêmes rôles ?
Rien ne saurait donner une idée de la stupéfaction, de la honte qu'il éprouva à se tenir planté indiscrètement derrière la porte entrouverte de la chambre des enfants. Il sent bien qu'il serait plus raisonnable de regagner la sienne, mais il s'étonne de ne pouvoir refaire à rebours, par une décision de sa volonté, les quelques pas qu'il a faits tantôt par pure distraction, sinon dans une demi-somnolence; il s'étonne surtout de ce malaise qu'il juge hors proportion avec sa cause, car enfin, s'il est vrai que jamais avant ce jour il ne s'était hasardé jusqu'à la porte de la chambre des enfants ni probablement aucun des enfants jusqu'à la sienne, quel scrupule moral, quelle convention domestique le lui auraient interdit ?