Dans ce recueil, les vers de
Louis-René des Forêts sont d'une puissance incroyable. Ils possèdent un rythme et une musicalité assez étonnantes, et dès lors les lire à haute voix pour les faire vibrer comme ils le méritent devient un impératif. Etrange aussi, car souvent, mimant des alexandrins, les vers possèdent en réalité 13 pieds, créant une sorte de déséquilibre surprenant, de rupture du rythme appris, qui ajoute au lyrisme et fournit un surcroît de force.
Les mégères de la mer, le plus court, n'est pas des deux celui que je préfère. Il est pourtant assez remarquable. Il va et vient, inlassable, dévastateur parfois, hurlant comme la marée qui submerge puis se découvre, rugit et gronde avec le vent chargé d'écume et de sel. Il est aussi par moment assez obscur et il arrive que l'on perde le fil de l'image ou de la perception. On ne demande pas à un poète de s'expliquer, et il n'y a guère que les imbéciles, je suppose, qui ne le comprennent pas (tant pis pour moi quand je me suis senti égaré, nulle main secourable ne s'est tendue vers moi).
Mais c'est la raison pour laquelle j'ai préféré le second :
Poèmes de Samuel Wood. Ce long poème désespéré sur la mort atteint des hauteurs sublimes. Il a la dureté de la lucidité la plus crue, la violence sournoise de la fin qui approche, la nécessité de lutter, tout en acceptant la perspective inacceptable en tentant la voie de l'apaisement, car la mort ne connaît pas d'échec. Et le poème s'exalte dans une inflation de mots, une ultime ivresse verbale qui emporte tout sur son passage.
Pour le découvrir, je peux vous donner un conseil.
Alain Cuny a déclamé en partie ce poème et un musicien, Jack Yantchenkoff, a plus tard composé une musique pour l'ajouter sur la voix (CD intitulé « Jack Yantchenkoff redonne la parole à
Alain Cuny », sans doute difficile à trouver maintenant). le résultat est tout à fait remarquable.
Alain Cuny, grand acteur de théâtre, possède la voix grave et puissante qui convient. Et il a aussi la compréhension du texte, de ce qui se joue. Ce n'est pas un poème pour rire, à l'inverse, tout de rage et de férocité, il supporte l'emphase. On pourra juger, certains jugeront, qu'
Alain Cuny en fait trop, et peut-être auront-ils raison. Pourtant, il suffit ensuite d'écouter d'autres interprétations pour comprendre que c'est bien ainsi qu'il faut porter ces vers et les déployer comme une faux qui tranche tout sur son passage.
Ne nous quittons pas sans que je vous en donne un court extrait, que voici :
Dis-toi qu'aux deux extrémités du parcours
C'est la douleur de naître la plus déchirante
Et qui dure et s'oppose à la peur que nous avons de mourir,
Dis-toi que nous n'en finissons pas de naître
Mais que les morts, eux, ont fini de mourir.
Retourne d'où tu n'es venu que pour les rejoindre
Ces morts dont les noms tout muets sur la pierre
Nous rappellent à nous autres qui rêvons de survivre
Que n'être pas ou n'être plus ont absolument le même sens.