Citations de Louise de Vilmorin (123)
Je ne peux plus rien dire
Ni rien faire pour lui.
Il est mort de sa belle
Il est mort de sa mort belle
Dehors
Sous l’arbre de la Loi
En plein silence
En plein paysage
Dans l’herbe.
Il est mort inaperçu
En criant son passage
En appelant, en m’appelant
Mais comme j’étais loin de lui
Et que sa voix ne portait plus
Il est mort seul dans les bois
Sous son arbre d’enfance
Et je ne peux plus rien dire
Ni rien faire pour lui.
Il n’y a rien sous le ciel, ô silence,
Rien que silence et signe blanc
Et flèche de l’indifférence
Sous la rose des quatre vents.
Rien qu’une flèche sous la rose
Aux pétales d’éternité,
Rien que le vent qui décompose
Les roses des témérités.
Prenant l’amour à son image,
La lune brise au fil de l’eau
Les amants pris au fil de l’âge
Et leur indique les roseaux.
Les roseaux hantés de suicide
Et le dessein de belle mort
Fixé aux profondeurs liquides
Où se perd le plongeur de sort.
Le vent réunit deux nuages
Qui voudraient se mettre en ménage
Mais aussitôt qu’ils sont unis
La tempête les désunit.
Ton souvenir porte poignard
Et me poursuit à main armée.
S’il est trop tôt, il est trop tard.
Ne t’ai-je encore assez aimée ?
LES DEUX VOIX
Extrait 4
Dans l’armoire pendue
Au-dessus du plancher
Ma robe est toute nue
je n’ose la toucher.
Maintenant un tambour au loin bat ma retraite.
L’âge est seul en ma chambre à me serrer de près.
Le drapeau du malheur est le drap des secrets.
Je n’irai plus dans mes habits de fête
Me baigner au lac des tendres toujours,
Adieu mousselines, voici les prêtres,
Adieu beaux jours à ma fenêtre,
L’extrême-onction sent le velours.
La cascade aux roches roucoule,
Criez plus fort : le bruit est sourd.
Chaque fou court après son moule.
L’extrême-onction sent le velours.
Fantaisies
La duchesse fumait
La duchesse fumait dans une pipe en terre
Du tabac d'Orient.
La pipe trait pour trait représentait grand-père
Grand-père souriant
(P.141)
Assise sur la plaine
Elle tissait le soir
Le châle de mes peines
Du fil de mes espoirs.
Mes mains chaudes et mains moites
Blancs oiseaux passagers
J’aimais ses mains étroites
Sur mon cœur en danger.
J’aimais que son visage
Mît mes jours en péril
Et risquer mon courage
Aux traits de son profil.
La faute originelle
Plantée en son bel œil
Fleurissait sa prunelle :
Couronne de mon deuil.
Et j’aimais sa démarche
Son air d’ange entêté
Quand nous passions sous l’arche
Des ponts d’hiver hantés.
À l’abri des colonnes
Prunelles des amours
Fleurissez de couronnes
Les baisers sans retour.
Elle rendit son ombre
Au grand vent d’un matin
Feuille à peine plus sombre
Que la feuille au jardin.
Mains moites, mains glacées
Oh ! mains de pain béni,
Reposez enlacées
Le long châle est fini.
Salons de l’autre monde
Dans les eaux des miroirs
Aux côtés de ma blonde
Je vais venir m’asseoir.
Dans le ciel mauve / La lune est ronde,
C’est une blonde / Mais elle est chauve.
Mon cadavre est doux comme un gant
Doux comme un gant de peau glacée
Et mes prunelles effacées
Font de mes yeux des cailloux blancs.
Deux cailloux blancs dans mon visage,
Dans le silence deux muets
Ombrés encore d’un secret
Et lourds du poids mort des images.
Mes doigts tant de fois égarés
Sont joints en attitude sainte
Appuyés au creux de mes plaintes
Au nœud de mon cœur arrêté.
Et mes deux pieds sont les montagnes,
Les deux derniers monts que j’ai vus
À la minute où j’ai perdu
La course que les années gagnent.
Mon souvenir est ressemblant,
Enfants emportez-le bien vite,
Allez, allez, ma vie est dite.
Mon cadavre est doux comme un gant.
- Madame, en me décevant, vous avez atteint en moi un sentiment que vous aviez fait naître et que vous gouverniez. Vous l'avez réduit à prendre sa retraite : ne comptez plus sur lui.
Etonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne hélas
Comment hésiterions-nous à confier notre argent à des banques qui mettent des petites chaînes à leurs stylos à bille ?
Étonnamment monotone et lasse,
Est ton âme en mon automne, hélas !
Ma tante
Ma tante avait un beau salon de poche.
C'etait le nom de ce petit salon
Placé par elle à l'abri des reproches
Dans la province où parfois nous allons
Nous éloigner de ce qui nous est proche.
Du piano, d'un mouvement expert, elle faisait monter en triples croches
Tournois des fleurs, sables de ses déserts
Qui retombaient au fond des vide- poches
Dans le silence à ses voeux grands ouvert.
(...)Elle buvait et devenait bleu gris
- " C'est amusant, disait-elle joyeuse,
Le piano depuis hier a maigri,
Le vent des tours me déguise en scabieuse.
Argent en poche est argent qui s'aigrit.
(...)
Dans un monde où le succès et le renom d'une femme dépendent moins de sa beauté que de son élégance, Mme de était, avec beaucoup de grâce, la plus élégante des femmes. Elle donnait le ton à toute une société et comme les hommes la disaient inimitable, les femmes réfléchies s'efforçaient de la copier, de s'apparenter à elle par un peu de ressemblance qui leur rapportait l'écho des compliments qu'on ne cessait de lui adresser. Tout ce qu'elle choisissait prenait un sens nouveau ou une nouvelle importance ; elle avait de l'invention, elle éclairait l'inaperçu, elle déconcertait.
Mensonge
Mensonge songe à tout,
Pays des paysages,
Un doigt tourne la page.
Mensonge a le doigt long,
La lèvre impérative
Et l’aurore à son front
Est l’aube sensitive.
A mon âge, ça fait toujours un drôle d'effet de penser qu'on a été petit et qu'on a eu des parents. Il n'y a pas à dire, quand on perd son monde il ne vous reste pas grand-chose ici-bas. Moi, j'ai dans l'idée que c'est la mort de nos proches qui nous change. Ils emportent beaucoup de nous-même avec eux : des jeux, des paroles, des sentiments, toutes sortes de petites choses, de petits riens, que personne d'autre ne pourrait comprendre. Si je ne retrouve plus mes yeux d'autrefois dans ma figure d'à présent, c'est que je les ai perdus avec ceux qu'ils avaient l'habitude de regarder. Ils les ont emportés dans la tombe.
Le 15 septembre, vers midi, le prince d'Alpen et Mme Facibey sortaient du magasin d'un grand bijoutier à Paris. Leur élégance, apanage d'une certaine société internationale, avait un je ne sais quoi d'inimitable, de désinvolte et de précis qui les distinguait du commun des mortels et faisait d'eux un couple remarqué des passants.
"Je t'enlacerai, tu t'en lasseras."