Citations de Lucien Jerphagnon (149)
Au temps des Sévères, une secte parmi beaucoup d'autres, en ce monde cosmopolite qui en comptai tant, commençait à devenir pour beaucoup un sujet d'intérêt, voire de préoccupations. On les appelait les chrétiens, du nom d'un certain Chrestos ou Christus, crucifié à Jérusalem sous Tibère, et qu'ils adoraient comme un dieu sauveur. Des chrétiens, on ne savait pas grand chose et nonobstant, on en disait pas grand bien. mais le nombre sans cesse croissant de leurs adeptes, leur présence un peu partout et jusque dans les hautes sphères, l'activité bienfaisante qu'ils dépensaient volontiers en faveur des pauvres, l'entêtement aussi qu'ils mettaient à refuser toute participation aux cérémonies publiques et aux sacrifices en l'honneur des dieux, tout cela les mettait à part, et donc les rendait tout à la fois mystérieux et suspects. La secte, à ses débuts, s'était infiltrée sans bruit dans l'Empire, et dans l'indifférence générale. Un dieu de plus ou de moins dans un monde qui ne les comptait plus risquer tout au plus de passer inaperçu. S'ils étaient facilement superstitieux, les Romains n'avaient rien de sectaire : de ce point de vue, Rome était une ville ouverte. Dès lors qu'on ne se faisait pas remarquer, qu'on ne troublait pas l'ordre public, on pouvait bien adorer qui on voulait. Pour autant qu'on y ait prêté attention, ces gens passaient pour venir du lointain Orient hébraÏque, et l'opinion les confondait avec les juifs dont ils partageaient le monotheisme strict. Ils eussent sans doute continué à être pris pour une secte juive si l'on ne s'était pas aperçu que les Juifs, qui jouissaient dans l'Empire d'un statut particulier, s'en démarquaient avec énergie comme des dissidents à ne pas fréquenter.
introduction
,,, il est déjà bien hasardeux d'assigner des causes au déclin des grandes civilisations. Paul Valéry se bornait à constater qu'elles étaient mortelles, et Rutilius Namatianus l'avait dit quinze siècles avant lui. Il est plus difficile encore, et surement vain, d'avancer des raisons à leur seconde mort dans le souvenir. C'est une mort à petit feu : on cesse d'en parler, on en parle pour ne rien dire ou pour en dire des riens. Ceux mêmes qui savent découragés de précher dans le désert, finissent par se parquer d'eux-mêmes dans de petites réserves de spécialistes, d'ailleurs bien vivantes.
Dans la propagation des idées fausses, certains romans qu'on dit historiques ont leur part de responsabilité. Une documentation hasardeuse
sert souvent de cadre à des intrigues qui n'eussent rien perdu à se dérouler dans l'aujourd'hui des auteurs. je constate toutefois qu'une réaction s'amorce vers plus de rigueur, et je m'en réjouis. Mais quand l'antiquité romaine est portée à l'écran, c'est là qu'on a les plus belles surprises : libertés avec l'histoire, bricolages dans la chronologie, perspectives chamboulées, anachronisme allant jusqu'au loufoque. j'ai pourtant quelque peine à en vouloir aux faiseurs de péplums, peut-être parce que je leur suis redevable des crises de fou rire que j'ai prise en faveur de l'obscurité.
J’étais en train de penser à ce que Jankélévitch dit, quand il avance que le désespoir est un sentiment tout à fait romantique, le fait même de le dire à quelqu’un… Mais, objection votre Honneur, et si on se le dit à soi-même ? Si on est tout seul et qu’on se le dit à soi-même ? C’est là effectivement que l’on risque sérieusement de basculer dans l’ultime solution qu’il semble préconiser.
Ah Jankélévitch, mon cher vieux maître… Oui, homo sapiens sapiens, l’homme qui sait, et qui sait qu’il sait. Mais malheureusement, qui sait une chose de trop à savoir qu’il finira. C’est un coup terrible cette chose de trop, on sait que ça finira, l’homo sapiens en a trop appris.
Nondum amabam sed amare amabam, « je n’aimais pas encore mais j’aimais aimer », c’est magnifique non ? « Et je vins à Carthage ; partout autour de moi crépitait la chaudière des honteuses amours. Je n’aimais pas encore, mais j’aimais à aimer » (livre III.1). C’était si vous voulez, le côté anté-proustien, j’aimais aimer… Il s’est apercu du décalage, c’était quelque chose de narcissique, d’encore plus narcissique que « j’aimais être aimé ». C’est une redondance en somme d’un narcissicisme qui jusque-là, n’était que peu évoqué dans l’Antiquité.
Augustin est toujours imprégné de mauvaise conscience qui lui vient de son itinéraire, de son enfance. J’avoue n’être pas très gentil avec sa sainte mère.
La bonne philosophie, je crois que c’est celle qui vient toute seule. Vous vous trouvez en train de… appelons ça “ philosopher ”, et vous ne l’avez pas fait exprès. Si vous vous y mettez en disant : « allez bon, c’est pas tout ça, il faut que je philosophe… » Hum…
Les philosophes ont toujours tendance, simplifiant le problème, à considérer que tout ce qui était avant eux était de la connerie. Or, ça n’est pas de la connerie ! Il faut justement ne se laisser mettre la main dessus par aucun philosophe. Si votre esprit, appelons ça votre âme pour faire vite, votre “ psyché ”, votre “ noûs ” - mettons-là des mots grecs - n’est pas d’accord, ne se sent pas – j’hésite à dire l’expression drôlatique – une âme bien dans sa peau, on obtient alors un mélange des deux cultures, un spiritualisme matérialisant et un matérialisme spiritualisant, c’est souvent ce qui arrive.
Vous avez des gens qui parlent de la matière avec une telle ferveur, que pour un peu ils vont à la sainte Table ! Et puis vous en avez d’autres qui parlent de l’esprit avec une telle précision, que vous avez l’impression qu’ils peuvent le dévisser. Ils dévissent le bon Dieu avec d’un côté le père, le fils, etc… et puis ensuite ils remontent le tout à une vitesse, c’est prodigieux ! On a plaqué du rationnel sur du mystique en quelque sorte, exactement comme le comique disait Bergson était “ du mécanique plaqué sur du vivant ”. Bien souvent, on plaque du rationnel quand on parle de Dieu. Alors là on sait comment c’est fait, comment ça marche, et cette fois-ci ça me donne immédiatement envie de m’en aller ! J’ai aussitôt une grosse envie de devenir, non pas athée parce que ça ne veut pas dire grand-chose, mais de rester ce que je suis.
La cité terrestre, fille de Caïn, périra d'avoir trop voulu se suffire.
J'ai sous les yeux une dédicace écrite à l'encre bleue de la main de Vladimir Jankélévitch, sur la première page de son livre sur La Mort qu'il m'offrait ce jour-là : Après tout, la mort est la banalité suprême.
Tout me séparait de François Mitterrand : je ne m'en suis jamais caché ; pourtant , cet homme possédait trois dimensions.../...la culture et le style d'abord: quel académicien il aurait fait ! La constance aussi devant la souffrance et la mort : un Sénèque que Néron aurait laissé suivre jusqu'au bout le chemin. Enfin, par-delà cet agnosticisme que plus d'un, parmi nous, aura connu, l'espérance chrétienne retrouvée au seuil de l'éternité.
Les hommes sont ainsi faits qu'ils méprisent ceux qui les ménagent et qu'ils respectent ceux qui ne leur concèdent rien. Thucydide La guerre du Péloponnèse
Peu d'enfants sont pareils à leur père: la plupart sont pires. Homère Odyssée II v 275
Bref, pour nous mortels, il n'y a pas d'amour heureux, tout simplement parce que le bonheur est une idée abstraite, cristallisant tous nos désirs, à commencer par le désir d'éternité.
Que de fois, au long des Dialogues de Platon, Socrate a affirmé que de ceci ou de cela il ne savait rien, mais que cela, lui au moins le savait ! Ce qui le distinguait de beaucoup, et d'autant plus qu'il ne s'en cachait pas !
Va et mets le bordel dans les têtes.
Auguste mort, la succession passa sans à-coups à Tibère, neveu par alliance devenu gendre et fils adoptif. Bref, en restant dans la lignée des Julio-Claudiens, issus d’Énée et donc de Vénus, le nouveau régime ne sortait pas de la famille.
[Credo quia absurdum]
C'est parce que les mystères divins sont d'un autre ordre que je n'y puis accéder qu'en y croyant. (p.190)
Cependant, je sens que j'aime la monotonie des sentiments de la vie, et si j'avais encore la folie de croire au bonheur, je le chercherais dans l'habitude.
(p.161, François-René de Chateaubriand, René).
Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau! La vie n'est qu'une ombre qui passe....Une histoire contée par un idiot pleine de fureur et de bruit et qui ne veut rien dire.
(p.135, William Shakespeare, Macbeth, Acte V, sc.5).