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Critiques de Madison Smartt Bell (23)
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La couleur de la nuit

Quand t’es dans le désert…



Mae, croupière dans le Nevada, une vieille caravane, pas de chien, juste un fusil. Elle s’aventure la nuit, la poussière tourne autour d’elle, des yeux de coyotes la scrutent. Les lumières se sont éteintes, loin de l’agitation frénétique de ces villes de jeux et de néons. Même la lune a disparu. Et quand le bleuté de la lune s’enfuit sur d’autres horizons, la vie perd de son sens, ne lui laissant que les souvenirs passés, seule dans ce désert.



La serveuse lui dépose son verre de whisky, et d’un air dégoûté, cette tranche de bœuf XXL tellement saignant que son cœur parait battre encore dans cet amas de chair rouge. Une télévision en fond d’écran derrière le comptoir. Les chaines d’infos en continu diffusent toujours les mêmes images. Inlassablement. Eternellement. Des avions qui s’écrasent contre deux tours. Des tours qui s’effondrent. Des victimes effondrées de peur, de rage, de terreur. Mae jouit de ce spectacle, coupée de la réalité du monde, ne voyant défiler depuis des années que des cartes de couleurs noir ténèbre ou rouge sang et des jetons noir et rouge. Indifférente à la vie de ces mortels, si ce n’est que pendant 7 secondes, 7 putains de longues secondes qui passent en boucle et durent des minutes, des heures, elle reconnait Laurel, amante et aimante d’un passé oublié. Et son passé ressurgit de sa mémoire.



Les cauchemars de l’Amérique en toile de fond, le désert du Nevada en décor. Les souvenirs de Mae la ramènent à son enfance, entre indifférence des parents et inceste d’un frère tortionnaire. Une fuite pour s’échapper, le temps d’un été, the summer of love, et les voix douces et aimantes d’un gourou, une guitare folk et l’amour libre, baises sauvages dans la nature l’esprit libre et la haine envers les cochons. California Girls. Un roman inclassable et dérangeant, les chapitres sont aussi courts que la vie d’un corps qui plonge en haut d’une tour, double salto avant, les pages défilent aussi rapidement que deux tours mettent à s’écraser au sol. La poussière du désert est la même qu’à Ground Zero. 0 espoir, 0 soupir, je respire l’air du Nevada, loin du tumulte bruyant et lumineux des casinos, à la lumière des étoiles, sous le regard hurlant d’un coyote sauvage – mais pas autant que Mae – la couleur de la nuit est celle d’une nuit sans lune. Mais une nuit illuminée par la musique de Captain Beefheart et son magic band, les pieds dans le sable.
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Le Soulèvement des âmes

Répression, représailles, contrôle, vengeance, colère, pouvoir, exemple, folie, cruauté pure... la violence est partout. Elle rythme la narration des soulèvements des peuples de l'île qui deviendra Haïti.

Le soulèvement des esclaves dans les plantations de Saint Domingue n'est pas le seul mouvement intéressant, carrément fascinant, de ce roman historique aussi complexe que le sujet dont il s'inspire. Car il y a aussi l'opposition des royalistes et des républicains, des "grands blancs" et des "petits blancs", des métisses et des blancs, des français et des anglais ou des espagnols... et j'en passe!

Un roman dont je craignais qu'il rende ma lecture lente, ce qui fut le cas, mais pas par sa densité ni son choix de langage!

Non, avant tout, ce fut un plaisir violent et choquant, lu en V.O. et donc dynamisé par du français et du créole et bourré de thèmes intéressants: mélanges et chocs religieux parmi les noirs, maroons ou esclaves, développant des rites uniques, des personnages qui prennent vient entre les lignes, humains ou pas, un Toussaint mystérieux, et chaque personnage offrant une réflexion intégrant sa culture, ses croyances, peurs et espoirs...

Quelques dernières pages qui vous remplissent à la fois d'espoir et de terreur.

Le second tome m'attend déjà parmi ses camarades dans la pile "À LIRE"... à suivre donc!
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Le Soulèvement des âmes

Premier tome de la trilogie haïtienne de Smartt Bell, un roman très ambitieux et très réussi.



Paru en 1995, ce premier tome de la trilogie haïtienne de Madison Smartt Bell allie un souffle proprement épique à une construction romanesque d'une grande finesse.



Le fil narratif principal démarre en 1791, lorsque les agents provocateurs des royalistes et des grands planteurs (blancs) fomentent une révolte d'esclaves destinée à faire rapidement changer d'avis les émissaires des révolutionnaires métropolitains concernant le caractère indispensable du maintien de "lois raciales" (pour employer un anachronisme) dures. On suivra ainsi de près un médecin fraîchement arrivé de métropole à la recherche de sa sœur et un esclave marron gravitant dans l'orbite des dirigeants de la "fausse révolte" (qui dégénère très rapidement en révolte authentique et de très grande ampleur), ainsi qu'une impressionnante galerie de personnages "secondaires" (mais parfois cruciaux), au nombre desquels Toussaint Louverture lui-même, alors encore commis, affranchi, d'une grande plantation.



Le second fil narratif, en un redoutable effet d'accélération, nous place en 1802 avec l'arrestation de Toussaint Louverture, alors au faîte de sa puissance, et son chemin d'exil et de captivité dans le Jura malgré les promesses faites par Bonaparte, sans que cela puisse vraiment ralentir la marche d'Haïti vers l'indépendance et l'égalité raciale.



"Je me suis senti le cœur plus léger en entendant, ce matin, que notre vaisseau levait l'ancre. Ces derniers jours au port ont été extrêmement pénibles à vivre, à cause des rumeurs annonçant de nouveaux troubles, voire une révolte plus grave que les précédentes, provoqués par la présence à bord de notre prisonnier, le chef brigand Toussaint en instance de déportation. Toutes les factions de la ville du Cap - ou de ce qu'il en reste - sont une fois de plus dressées les unes contre les autres. Quant au port proprement dit, ses eaux grouillent de requins venus s'y repaître avec voracité de la chair des perdants des combats qui se déroulent sur le rivage."



Mêlant rapports policés très "Ancien Régime", cruautés et exactions des différentes factions en guerre, rapports troubles et sensuels, cyniques ou sincères, entre les personnes, éléments réels dûment documentés et inventions romanesques habiles dans les "blancs" de l'histoire, cette fresque imposante (730 pages en Babel pour ce premier des trois tomes), écrite par un romancier américain qui découvrira notamment par la suite Lyonel Trouillot, provoque l'admiration, et une très nette horreur rétrospective, tant la précision et la crudité du propos, mieux que bien des essais, nous renvoie à la cruauté absolue des conceptions majoritaires de l'époque, et à l'incroyable complexité des mécanismes d'émancipation.

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La Ballade de Jesse

Déjà envoûtée par les talents de conteur de Madison Smartt Bell avec All Souls Rising et le chemin vers l'indépendance d'Haïti, me voilà qui renouvelle l'expérience, cette fois-ci dans un tout autre registre.



"Anything Goes", titre original du roman, c'est aussi le nom d'un groupe de blues, peut-être un peu de rock, d'un peu tous les genres dans ce ton là, un groupe comme tant d'autres, qui vivote sur les circuit des bistrots et gargotes dans le Sud des USA, fuyant l'hiver, sans se démarquer, ni vraiment se renouveler.



"Quel intérêt ?", me direz-vous. Ah. L'intérêt, c'est la dynamique entre les membres du groupes, tous très différents. Mais c'est aussi l'histoire familiale de Jesse, le narrateur, et par conséquent, des questionnements sur ses origines et le racisme (jamais vraiment évoqué directement, simplement mentionné, mais toujours là, comme une tension permanente).

Ou encore le quotidien du groupe "en tournée", avec son public souvent involontaire, ses embrouilles, ses histoires de nanas, de jeu, de fric, de drogue, la routine, la lassitude & les motels miteux... on y est.

Et surtout la mention constante de la musique, au fil des reprises puis des compos qui s’immiscent dans l'humeur de Jesse, ou lentement distillées de son humeur, aussi. Une musique qui enveloppe chaque mot, chaque phrase, de manière si subtile qu'elle nous accompagne flottant à la limite de la conscience tout au long du roman, un personnage à part entière.



Un road trip mélancolique et humain, bien loin de l'image bling-bling & glamour que l'on nous vend trop souvent avec la musique.
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Le Soulèvement des âmes

"Le soulèvement des âmes" est un roman magnifique qui se mérite. La lecture n'est pas aisée car le contexte historique complexe est très présent et les évènements narrés sont cruels.

Haïti, colonie française, voit les esclaves noirs se soulever contre la domination blanche , dans une rage bouillonnante et sanglante. La loi du Talion domine : ce que les planteurs ont fait subir aux esclaves , les planteurs vont le vivre. On apprend ainsi toutes les tortures, les sévices et les exactions que les esclaves ont subis. Sur ces passages, j'ai avancé chapitre après chapitre, l'un après l'autre entrecoupé de pause.

Mais on s'attache peu à peu aux personnages : Toussaint Louverture bien sûr mais aussi les personnages secondaires comme le docteur épris de Nanon. Outre l'aspect historique passionnant, le récit accroche : de constants va-et-vient dans le temps donnent envie de progresser dans la lecture pour connaitre la suite, de multiples personnages complexes donnent toute la nuance de l'être humain en général impossible à résumer au bien d'un côté et au mal de l'autre.

C'est un récit brillant, premier d'une trilogie.

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Le maître des carrefours

adison Smart Bell livre avec "le maître des carrefours" le deuxième volet de sa trilogie consacrée à Haîti : un long pavé de 900 pages qui se lit avec bonheur. Le livre couvre la période 1793 - 1801, c'est-à-dire après le début du soulèvement des esclaves de 1791, alors que Toussaint est un officier au service des Espagnols, au milieu des alliances (et des revirements d'alliances) compliquées de la guerre opposant France, Angleterre et Espagne ; partisans de l'Ancien Régime et révolutionnaires ; Noirs , Mulâtres et Grands Blancs, jusqu'à la proclamation de la constitution de l'ile qui irritera fort le premier consul Bonaparte.



Il s'agit d'une fiction mais très documentée sur les campagnes militaires et les alliances de Toussaint Louverture. Nous suivons une série de personnages qui gravitent autour de Toussaint et permettent à l'auteur de mettre en évidence la diversité et la complexité de la société haïtienne de l’époque; société dont une majorité de membres a fini par reconnaitre en Toussaint son meilleur protecteur et guide; y compris certains "grands blancs" ex propriétaires d'esclaves, pour des raisons mêlant intérêt bien compris, reconnaissance de l'autorité et admiration sincère. Ce n'est pas le moindre paradoxe du personnage : esclave affranchi , il protégera, par réalisme économique, les plantations et obligera les anciens esclaves libérés à retourner travailler dans les plantations, comme salariés certes, mais toujours sous les ordres des propriétaires.



Les deux personnages les plus emblématiques sont certainement Riau et le docteur Hébert. Riau est un ancien esclave devenu officier, fidèle de Toussaint, adepte de Vaudou. Une partie des chapitres est constituée du récit intérieur de sa participation aux campagnes et aux massacres, de sa compréhension de Toussaint , de sa relation avec les esprits du Vaudou, de sa vie entre les Noirs et les Blancs, entre les anciens esclaves et les officiers Noirs ou Blancs qui suivent Toussaint.



Le docteur Hébert est un Blanc arrivé depuis 10 ans en Haïti pour rejoindre sa sœur mariée à un colon. Il devient le médecin de Toussaint et de ses armées et aussi un de ses secrétaires . Grâce à ce rôle, nous suivons les choix diplomatiques de Toussaint, souvent très habiles mais très sinueux, que le médecin ne comprends pas toujours avant qu'ils n'aient produit leurs effets. Le docteur Hébert est passionnément amoureux d'une femme "mulâtre", Nanon, née de la relation forcée d'un propriétaire et d'une esclave. L'histoire tumultueuse de cet amour est un fil rouge du livre.



On trouve aussi des officiers français, ex-royalistes ou révolutionnaires, des officiers anglais, des généraux Noirs rivaux de Toussaint, d'ex grands planteurs au passé cruel en quête de rédemption, des "Gens de couleurs" (c'est-à-dire dans la terminologie d'Haïti "issus d'une mélange blanc/noir) parfois revanchards, des trafiquants naviguant d'un camp à l'autre, des "prêtres de savane" alliant catholicisme et vaudou, des femmes de prêtres et leurs enfants, des praticiens de rites vaudous soignant une femme blanche à l'esprit perdu... les relations humaines se nouent , brisant parfois la barrière des races, des cultures et des haines issues de l'esclavage. Parfois aussi les barrières restent dressées et la mort est au bout, violente et cruelle.



Les alliances et les événements de cette longue guerre fluctuent comme la stratégie des puissances européennes et de leurs envoyés, dont certains ont du mal à admettre qu'un Noir ( et ce n'est pas le terme qu'ils emploient ) soit un grand général à la tête d'une armée organisée et l'homme le plus puissant de l'île. La guerre est violente aussi entre des factions haïtiennes, luttes raciales entre les "gens de couleur " et l'armée de Toussaint, conséquences de manœuvres des espagnols et des anglais pour contrôler les richesses de l'ile.



Le personnage de Toussaint reste mystérieux et indéchiffrable même pour son entourage et donc pour le lecteur. L'auteur ne tente pas de lui donner la chair d'un personnage de fiction. Je pense que l'essentiel des scènes où on le voir agir relève de l'Histoire et ont pu être relatées ici ou là. Madison Smart Bell ne se livre pas au jeu qui aurait pu être celui des confidences inventées entre le docteur et le général. Pour moi, il s'agit là d'une des qualités essentielles du livre qui le démarque de beaucoup de romans "biographiques".



Le titre du livre " Le maitre des carrefours" fait référence à une divinité vaudou " Maît' Kalfou"" que Riau aperçoit autour de lui mais est aussi une sorte de définition de Toussaint Louverture, au carrefour entre les Blancs et les Noirs, entre les cultures et les histoires de l'Europe et de l'Afrique qui se retrouvent en Haïti.
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Toussaint Louverture

Toutes ces luttes acharnées menées par le courageux Toussaint Louverture pour que les esclaves des Antilles soient libres! mais n'est-ce pas pour tomber plus tard sous la domination économique des États-Unis?

François-Dominique Bréda esclave noir surnommé Toussaint, est né un 1er novembre 1743 à la plantation de Bréda à Saint-Domingue, il sera affranchi en 1776, grâce à sa bravoure au combat qui le pousse à ouvrir des brèches dans les lignes ennemies, et lui vaudra d'ajouter celui de Louverture. Au moment de la grande insurrection d'août 1791, c'est lui qui rassemble et organise les bandes d'esclaves marrons, disséminées à travers l'île, en une armée de 4000 hommes. Malgré ses opinions anti-esclavagistes, Sonthonax le représentant de la convention à Saint-Domingue, doit envoyer la troupe pour rétablir l'ordre. Dans la lutte qu'il livre aux français, Toussaint est soutenu par l'Espagne qui occupe l'Est de l'île, l'Angleterre est de la partie car celle-ci est en guerre contre la France, et les deux pays paient l'armée insurgée. Pour gagner les noirs à la cause française, Sonthonax abolit l'esclavage le 29 août 1793, mais à l'automne l'île est envahie par les anglais qui rétablit l'ancienne loi. Toussaint Louverture est bien décidé à se battre au côté des français pour imposer l'abolition, et cette fois-ci durablement à Saint-Domingue en courant de victoire en victoire sur les espagnols et les anglais coalisés. La guerre s'achève enfin en 1798 avec l'établissement d'une convention d'évacuation signée par le général anglais Maitland. Un peu plus tard Toussaint est nommé général de brigade et commandant en chef des troupes, et il sera promu en 1800 gouverneur à vie de Saint-Domingue, avec le droit de choisir son successeur, en unifiant l'île sous son autorité. Il se montre un administrateur remarquable: il garantit aux planteurs la possessions de leurs terres, accorde un quart des récoltes aux habitants et relance le commerce par des traités avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Mais poussé par les planteurs qui se sentent lésés, Bonaparte rétablit l'esclavage en 1802. Le choc est brutal, et à la tête de 20 000 hommes, le général Leclerc envahit l'île, qui se soulève encore. Battu et trahi, Toussaint Louverture est déporté en France. Il sera enfermé au fort de Joux dans le Jura, et le héros de Saint-Domingue succombe au froid, le 7 avril 1803.





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La Ballade de Jesse

« La ballade de Jesse » nous emmène sur les routes des États-Unis, de Nashville en Floride ou dans le Vermont, en tournée avec Jesse et le groupe Anything Goes.



Anything Goes fait la tournée des boîtes de nuit souvent glauques, et des motels qui sentent le moisi : Une ballade dans une ambiance de spleen, parfois langoureuse, et avec quelques moments de grâce, en répétition ou sur scène. Un bon reflet de l'oscillation de chaque individu entre génie et médiocrité.



« Je lui ai tourné le dos pour m'enfoncer dans le magasin. On avait par moments l'impression que les guitares exposées sur les murs frissonnaient quand on passait devant elles, comme si le vent avait caressé leurs cordes, pour faire de la musique. Il n'y avait pas de vent, bien sûr. A l'extrémité d'une rangée de Gibson archtop pendait une aria blanche – elle avait en fait la couleur de l'érable ondé, claire et satinée. Les cordes ont soupiré doucement quand je l'ai décrochée. »



Avec l'histoire personnelle de Jesse, les thèmes de la recherche de ses origines, de la paternité, ou de la réconciliation avec le père et de l'amour sont évoqués avec beaucoup de sensibilité.



On peut lire « La ballade de Jesse », en écoutant les morceaux égrenés au long des pages, pour s'imbiber encore davantage de cette atmosphère du spleen, de l'incertitude et de la douceur du chemin.
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La couleur de la nuit

Pensant laisser de côté les lectures ardues [ :-)], j'ai abordé en toute innocence « La couleur de la nuit », ma première incursion dans le monde de Madison Smart Bell. Moi qui mets souvent en place des stratégies d'opposition, de résistance ou de contournement de la violence et à la sauvagerie, j'ai été harponnée des le premier paragraphe. « Comme mon cœur a chanté quand les tours sont tombées ! ... ». Ce premier paragraphe, j'ai du le relire pour m'assurer de ce qui était écrit, reconnaître la force du texte, et la force de la fascination pour la destruction.



Malgré la plongée vers le mal et l'horreur qui se dévoile au long du livre, on ressent la douceur toujours vivante de la relation entre les deux femmes, Laurel et Mae, qui se sont aimées trente ans auparavant.



Les marches dans le désert fournissent un espace qui rend le livre supportable, et en même temps une très belle représentation symbolique de ce qui se joue « Le coyote a tourné la tête vers moi... Tout son être concentré sur l'ombre du rocher dans laquelle il savait certainement que je me trouvais.

On est restés ainsi, longtemps. Je l'ai gardé jusqu'à l'aube entre les traits croisés du viseur, et l'ai laissé partir.»
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La couleur de la nuit

"J'ai toujours dit que j'écrivais sous la dictée des démons" confie Madison Smartt Bell (auteur américaine) dans La couleur de la nuit (son dixième roman publié chez Actes Sud).

Effectivement, sa nuit est rouge, rouge sang, rouge incandescent, un rouge qui brûle de la flamme de l'enfer, celui de la poussière ferrugineuse du désert du Névada, celui des sectes broyeuses d'égo, celui des viols, des orgies,de l'inceste,des coups,des meurtres,de la défonce, de la prostitution,des jeux cruels.

"Comme mon coeur a chanté quand les deux tours sont tombées!"

Dés le début tout est dit!

"Encore et encore". Mae, scotchée à son écran le 11 novembre 2001, ne se lasse pas de dévorer les images, elle en jouit (Rasez! Rasez!), se délecte de leur anéantissement car depuis son enfance,elle porte en elle le sceau de la violence.

Sans repères, complètement larguée entre un Papa et une Momma dite "la chose-mère", inexistants, soumise à un frère sadique (Terrel , qui "l'a aguerrie"), elle a touché dans Le Groupe au mal à l'état pur, hypnotisée par la voix toute angélique du diabolique gourou D, elle a baisé pour gagner sa croûte, s'est fait baiser pour sa croûte,a lâché le feu de son flingue et armé son bras d'un couteau ses yeux de shootée injectés de pourpre .

Et lorsque trente ans plus tard, elle surprend l'image de son ancienne amante Laurel "douce au premier abord, appétissante", sur une vidéo parmi les décombres, elle essaye de renouer le contact pour que revive le rouge de la mémoire "encore et encore".

Est-ce une bonne idée?

Entre remontée dans le passé et présent, la plume diabolique de Madison Smartt Belle nous entraine dans une descente aux enfers dont on ne sort pas indemne. Cauchemars garantis!

Une bonne campagne de propagande anti secte, en tous cas, car le personnage de D, évoque des gourous pervers genre Charles Manson!
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La Ballade de Jesse

Un livre dans lequel on entre en douceur, qui ne vous secoue pas sur le moment, mais que l'on conserve longtemps...

Au-delà de l'histoire et du personnage tout en finesse et en tristesse cachée de Jesse, on retient des images de bars enfumés et la mélopée de la route et du sud des États-Unis, les beuveries du samedi soir et la musique partout comme une évidence.
Lien : http://luluoffthebridge.blog..
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Le Soulèvement des âmes

4ème page de couverture

En cette fin de XVIIIe siècle, Haïti est une contrée rongée par la malaria, hantée par la violence qui a marqué sa colonisation, déchirée entre les intérêts contradictoires de ses races (mulâtres, Blancs, Noirs déportés d’Afrique) et de ses classes (propriétaires et négociants, prêtres et soldats, affranchis et esclaves). Sur fond de plantations incendiées et de tumulte révolutionnaire, le légendaire Toussaint-Louverture, esclave africain de la deuxième génération, tout autant résolu à résister aux excès de la masse qu’à mettre fin à la domination française en Haïti, se prépare à devenir le héros d’une rébellion inconcevable de violence… Finaliste au National Book Award 1995 et au Pen/Faulkner Award 1996, ce roman saisissant de réalisme et de puissance dans l’évocation tragique constitue le premier tome d’une trilogie consacrée à la révolte des esclaves en Haïti et plus largement à la question de la haine raciale.



Mon avis :

Un livre très interessant sur l'abolition de l'esclavage à Saint Domingue (République Dominicaine) et l'accès à l'indépendance de la future île qui deviendra Haïti. (Pour ma décharge, il a même fallu que j'aille vérifier où était cette île, car j'avais du mal à la situer).

De très belles évocations (mais très dures également) et explications sur ce qu'ont enduré les "mulatres, les noirs" pour pouvoir accèder aux droits des blancs, qui leur refusent ce droit pour pouvoir profiter d'eux un maximum, que ce soit sur le plan du travail que du droit de "cuissage". Des scènes très cruelles de torture, du côté des blancs (Les Grands Blancs : les propriétaires terriens) mais également les noirs (Les esclaves). Il eut alors été facile de prendre parti, mais l'auteur nous remémore bien que ces exactions ont bien eu lieu des deux côtés.

Toutes ces scènes sont "adoucies" par le biais de quelques personnages, le docteur Hébert (que j'aime vraiment beaucoup), qui, bien que blanc, se sent partagé entre ces 2 cultures et sa propre réflexion intellectuelle. (Il est français, possède une plantation, mais ne comprend néanmoins pas que l'on puisse situer l'esclave, dans l'échelle de l'homme, juste au dessus de la mule !) Il y a également l'esclave Toussaint (qui deviendra par la suite "Toussaint-Louverture") qui également, par la "manière douce" permettra l'accès à l'indépendance, en constituant intelligemment une armée (il va utiliser les officiers "blancs" rejetés à la fois par les monarchistes et les républicains, et en expliquant à ses soldats (une majorité quand même d'anciens esclaves assoiffés par la vengeance) que la barbarie n'est pas la solution à tout.

Comme dit Mousseline, un style simple de la part de l'auteur qui permet de ne pas décrocher et au contraire de vouloir toujours en savoir plus.

En tout cas, une grande saga historique comme je les aime.
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La couleur de la nuit

Quel livre étonnant ! Au fil des nombreux et courts chapitres, se dessine le portrait d'une femme à la santé mentale plus que perturbée. L'ambiance est sombre, mystérieuse, les Flash-back s'enchaînent sans aucune chronologie, c'est sans doute parfois déroutant, mais participe à donner une atmosphère vraiment étrange au roman. Et pourtant la lecture de ce livre est facile tellement l'écriture est claire et précise, contrastant avec le climat mortifère de l'histoire et l'incroyable tension du récit.

"Avec nos couteaux nous avons tracé ce simple trait.

Ils saignent et meurent.

Pas nous."

Ce roman n'est pas un thriller, il n'est pas linéaire et reste surprenant du début jusqu'à la fin. Il est très littéraire et multiplie les références à la mythologie grecque (La Couleur de la nuit convoque les Orphée et les Médée des temps modernes dans une volonté de mettre à l'épreuve les vertus de l'antique catharsis) mais aussi à la secte de Charles Manson et aux attentats du 11 septembre. Et pourtant c'est un roman intimiste ! Bref on ne peut comparer La couleur de la nuit à aucun autre roman, c'est profondément original, passionnant et pour tout dire, I.N.D.I.S.P.E.N.S.A.B.L.E.

"D'autres nuits, il n'y avait pas de lune. Les cités et les villes, toutes lointaines, étaient encore impuissantes à teinter le dôme céleste du reflet de leur lumière dilapidée. Sans lune, la couleur de la nuit était celle d'un riche velours noir, comme si on était plongé dans du chocolat, ou au cœur d'un sombre flot de sang coulant dans une veine profonde."
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La Ballade de Jesse

Jesse a eu une enfance difficile : il n’a pas connu sa mère et de la part de son père alcoolique il a reçu plus de coups que de caresses jusqu’à ce qu’il se décide à quitter la maison familiale. Mais à vingt ans, la chance se présente sous la forme d’un engagement comme bassiste dans un petit groupe de musiciens pour une tournée sur la côte Est des USA. Même s’ils ne se produisent pas dans de grands cabarets et ne logent pas dans des palaces, Jesse le Melungeon (dérivé de « le mélangé », le métis) apprécie cette nouvelle vie remplie de musique, où s’enchaînent les concerts, les répétitions, les virées entre copains et les voyages.

Quand son père vient le voir, Jesse se méfie et reste sur ses gardes. Il leur est difficile de renouer, ou plutôt, de nouer des liens, le passé ayant laissé une trop forte empreinte. Mais progressivement ils vont s’apprivoiser et réussir à établir entre eux des relations d’estime et d’affection. Daddy lui présente une chanteuse, Estelle, bien vite adoptée par le groupe. Malgré quelques aléas, quelques mauvaises rencontres et des bagarres, Jesse poursuit sa route et se découvre des talents de compositeur...

Avec ce roman l’auteur donne envie d’écouter la musique et les chansons de ce groupe, les Anything Goes. Il nous offre de temps en temps des bouts de partition comme « mi bémol, si bémol, ré bémol, la, do, ré, si... » mais mes connaissances en solfège se bornant à lire les notes sans les entendre, j’avais un petit sentiment de frustration !

Jesse et ses amis sont des personnages attachants, j’ai aimé les suivre dans leurs balades rythmées par leurs ballades.

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La couleur de la nuit

Trajectoire déjantée et exorcisme personnel d'une rescapée d'une secte, que le 11/09/ 2001 réveille



Paru presque simultanément aux Etats-Unis et en France en 2011, ce nouveau livre de Madison Smartt Bell a eu un peu de mal à trouver sa place dans son pays d'origine : sa première phrase garde en effet là-bas des allures de tabou puissant : "Comme mon cœur a chanté quand les tours sont tombées ! Une telle poussée de force pure, se tordant, se désagrégeant, s'épanouissant en ce gigantesque astre de ruines avant de jeter au sol toute sa substance... Ces escarbilles semblables à des moucherons qui tournoyaient tout autour s'avéraient être des mortels jaillissant des flammes. Drapés dans le linceul de leurs cris, ils descendaient. Si j'avais su que la mort pouvait en détruire un tel nombre !"



Mae, l'héroïne, a passé plusieurs années au sein d'une secte hippie déjantée dans les années 1970. Musique rock, substances illicites, expériences mystiques, emprise d'un gourou dionysiaque,... l'adolescente y a été durablement transformée, et l'on n'apprendra que peu à peu à quel point, à travers les souvenirs et les actes de la Mae de 2002, prédatrice affûtée dissimulée sous la croupière de Las Vegas, quittant la nuit sa caravane pour tenir les créatures du désert dans la lunette de visée de son fusil... et qu'une image fugitivement entrevue à la télévision le 11 septembre 2001 va relancer dans un processus qu'elle avait oublié.



"Les puits de goudron de La Brea. Comment je m'étais retrouvée là, je n'aurais pas su le dire précisément. Peut-être en prenant un bus pour descendre le long de la côte, ou alors un véhicule privé en échange de quelques services particuliers rendus en chemin. J'étais assise en demi-lotus sur le rebord cimenté du trou noir. Il semblait d'un noir d'encre au premier abord, profond comme l'espace infini, mais à force de le fixer, j'ai commencé à distinguer un spectre dans le miroitement de la surface huileuse, à l'image des premières lueurs de l'aube qui tourbillonnent pour échapper à la couleur de la nuit."



Les 230 pages de cette étonnante trajectoire d'exorcisme personnel constituent une intense expérience de lecture, durant laquelle, bien souvent, on aura le sentiment que le Riau de la trilogie haïtienne, oscillant entre raisonnement et abandon aux puissances du vaudou, se tient à nos côtés et à ceux de la narratrice... Smartt Bell poursuit ici, et avec quelle force, son exploration des ressorts du mal et de la sauvagerie au sein de nos psychismes...

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Le Soulèvement des âmes

L'histoire de la naissance de Haiti, à partir de la vie de Toussaint Louverture, abolitioniste
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Le Soulèvement des âmes

Livre d'aventures, haletant, livre d'horreur et d'humanité, un épisode de l'histoire comme un roman policier. Magnifique du début à la fin.
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La Ballade de Jesse

une ballade musicale dans le bayou, les groupes de "baluche" qui cherchent le cacheton chaque soir ,la vie d'un groupe en tournée au fin fond des rades où personne n’écoute la musique, ce truc suinte le blues.

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La couleur de la nuit

j'ai ouvert ce livre un soir et je l'ai refermé le lendemain matin. Des similitudes dans la construction avec le" Maria" de Joan Didion, mais Madison vénère cette femme et s'en réclame, c'est donc un compliment.

Un conseil lisez ce livre .
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La couleur de la nuit

Après ‘La ballade de Jesse’, excellent roman rock, conventionnel et mélancolique, Madison Smartt Bell revient à un registre plus âpre dans cette ‘Couleur de la nuit’ qui remet en scène un vieux trauma de l’Amérique des seventies, l’affaire Manson, pour une méditation sur la violence et la fascination qu’elle provoque. L’héroïne, Mae Chorea, vit en semi-marginale dans une caravane près du désert du Nevada. Sa passion ? Dézinguer des coyotes au fusil, la nuit. Arrive le 11 septembre 2001, avec ses images en boucle d’immeubles qui s’effondrent. Sur une vidéo, elle reconnaît le visage de Laurel, son ancienne compagne. Ensemble, elles ont adhéré dans les années 1960 à une secte menée par un gourou (personnage largement inspiré de Charles Manson) et par un chanteur psychédélique, tous deux adeptes des rites sexuels brutaux… Apre, virulent, ‘La couleur de la nuit’ est un roman sur la violence, le nihilisme, l’érotisme et leurs rapports, avec l’idée sous-jacente que la racine de la violence américaine est d’abord et avant tout d’origine sexuelle. De ce point de vue, Mae a tout subi : l’inceste avec son frère aîné, puis les rites meurtriers au sein de la secte. Pour elle, le 11 septembre réactive les pulsions anarchiques et sauvages de sa jeunesse ; mais la Laurel vieillie qu’elle retrouve sera-t-elle prête à la suivre dans son attirance renouvelée pour la violence ? Construit en courts chapitres (une à trois pages) à la première personne, avec une structure complexe à base de flashbacks, ce livre sombre, parfois un peu labyrinthique, laisse un arrière-goût troublant, comme s’il levait un coin de voile sur ce qui ne devait pas être vu : les profondeurs psychiques de son héroïne, et finalement l’inconscient collectif de la nation entière. « J’ai toujours dit que j’écrivais sous la dictée des démons, écrit l’auteur dans sa note finale. S’il est des gens pour se dire que l’expression doit relever de la figure de style, il est possible que ce livre démontre qu’il convient de l’entendre au sens littéral ». En effet.
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