Une main collecte l'argent sur la plage. Un autre homme qui porte un turban, mais vêtu comme un citadin. Une veste claire, tachée de sueur au cou, aux épaules. Le gros homme hurle. La bouteille de Pepsi-Cola tressaute sur son ventre mou. Il faut qu'ils se dépêchent, ils sont à découvert. Même s'ils contrôlent la situation. Les prétoriens loyalistes ont reçu l'ordre de laisser partir les embarcations. Maintenant, le Raïs veut que la Méditerranée se remplisse de miséreux pour faire peur à l'Europe. C'est sa meilleure arme. La chair flétrie des pauvres. C'est de la dynamite. Elle fait exploser les centres d'accueil, les hypocrisies de ceux qui gouvernent.
Cette nuit-là, Angelina comprit ce que c'était que la guerre. Quand la confiance a déserté de partout. Cette sensation de vide, de s'être tout fait prendre. Si on fait un faux pas, si on regarde là où il ne faut pas, si les jambes se dérobent unpeu. Au-delà de la ligne, il y a l'abîme. Des Arabes en uniforme qui jaugent votre agitation.
Angelina ne savait que le jeune Kadhafi allait expulser jusqu'aux morts du cimetière d'Hammangi. Que l'Italie devait ramener les dépouilles de milliers et milliers de soldats morts en Libye.
Que son père et sa mère, leurs amis du village d'Olivetti, ceux des rues voisines, la Sciara Derna et la Sciara Puccini, du quartier ouvrier Case Operaie, ceux qui avaient construit les routes, les immeubles, les fosses d'égout, qui avaient transformé le désert en verger, que tous ceux-là allaient payer pour les méfaits du colonialisme cruel et velléitaire de l'Italie libérale de Giolitti et de la quatrième rive fasciste.
Son père a été confectionné par un tailleur sur le modèle de ses robes d'avocat: il s'esquive toujours derrière un flot de paroles qui submergent la vie, qui la diluent jusqu'à l'émousser.Sa mère est tout le contraire, elle ne peut qu'être elle même.Elle ne porte pas de vêtements élégants, elle ne porte même pas de soutien-gorge. Vito comprend maintenant pourquoi son père a divorcé.Quelquefois, lui aussi,il a l'impression d'être pris au piège. Angélina est capable de rester silencieuse pendant des journées entières.Elle ne lui fait pas de reproches. Simplement elle se met à vivre en silence, comme Ghandi. Elle lui laisse des petits billets.Elle est née pour être célibataire.Une alpiniste solitaire.
Les gens que l’on prive d’eux-mêmes perdent tous leurs repères ; face au peloton, ils peuvent avouer un meurtre qu’ils n’ont pas commis.
Elle veut lui laisser des souvenirs. Le sentiment d’avoir derrière soi une maison dans laquelle on peut revenir les yeux fermés, juste pour respirer.
Il dessine bien, c’est la seule chose qui lui a toujours semblé facile, naturelle. Peut-être parce qu’il n’y a pas besoin de raisonner, juste laisser courir sa main. Peut-être parce qu’il a passé beaucoup de temps à gribouiller sur ses cahiers, sur les bancs, au lieu d’étudier.
La mer est un monde en soi. Un monde à l’intérieur du monde. Avec ses lois, sa force. Elle enfle, elle se soulève.
Tu n'as pas respecté le stop. Tu es passée à pleine vitesse, dans ta veste en fausse fourrure, ton baladeur posé sur les oreilles.