Citations de Margaret Mazzantini (170)
Elle ne savait rien des violences de guerre. Elle apprendrait ces choses plus tard. Quand on lui parlerait des viols, quand elle verrait les photographies des fosses communes dans le sable, les rangées des Bédouins pendus.
Dire au revoir à sa vie n'est pas difficile. C'est une aube de plomb. Ils sont en vie, c'est l'essentiel.
Dieu dans le désert, c'est l'eau et c'est l'ombre.
Elle circulait telle une funambule dans son chaos, les lèvres continuellement agitées par des reproches susurrés - comme un rosaire serré entre ses dents.
Elle sait comment finissent les dictateurs. Quand leur corps devient un mannequin que l'on traîne par terre. Le déchaînement insensé de la colère posthume. Pas la moindre joie, rien qu'un macabre trophée qui salit les vivants. La mémoire est une couche de chaux sur les trottoirs du sang.
Sa mère lui a dit il faut que tu trouves un lieu, à l'intérieur de toi, autour de toi. Un lieu qui te corresponde au moins en partie.
Un jour sa mère le lui a dit. Sous les fondations de toutes les civilisations occidentales, il y a une blessure, une faute collective.
Sa mère n'aime pas ceux qui revendiquent leur innocence.
Elle fait partie de ces gens qui veulent assumer les actes commis. Vito pense que c'est une forrme d'orgueil.
Angelina dit qu'elle n'est pas innocente. Elle dit qu'aucun peuple qui en a colonisé un autre n'est innocent.
Tous les deux, ils jouaient comme ils ne jouaient avec personne. Comme si leurs deux bouches ne faisaient qu'une lorsqu'ils chantaient, leurs deux jambes une seule lorsqu'ils sautaient. En synchronie totale, tels des oiseaux sur une même trajectoire. Les mêmes pensées, les mêmes mouvements.
On les avait emmenés à Tripoli: une journée de vacances pour visiter la ville. Puis on les avait conduits dans des villages de la campagne. Ils se retrouvèrent devant des kilomètres de désert où ne poussaient que quelques arbustes. Ils se mirent au travail. Beaucoup de ces Italiens étaient juifs.
Farid regarde la mer. Pour la première fois de sa vie. il la touche du bout du pied, il la recueille au creux de ses mains. Il la boit et il la recrache.
Le sable laisse affleurer des guenilles, bigarrées. Une chemise, un jean qui paraissent vides, comme des tissus désséchés étendus sur le sol. Un peu plus loin, une chaussure.
Puis des têtes dévorées par la chaleur, enfouies dans le sable.
(...)
Ce sont tous des noirs. Morts depuis quelques mois déjà. Avant la guerre. Leurs vêtements sont intacts, aucun projectile ne les a tués.
Tout le monde sait qui ils sont. Ce sont les réfractaires du Niger, que les caravaniers ont abandonné au milieu du désert après les accords du Raïs avec l'Europe pour bloquer les flux migratoires des sans-espoir.
il porte une amulette autour du cou. Tous les les enfants en portent une. Un petit sac de cuir renfermant des petites perles, ou une touffe de poils d'animal.
Les regards malveillants se porteront sur l'amulette et toi, tu seras à l'abri, lui a expliqué sa mère.
Ce qui fait la fortune des riches fait le malheur des pauvres.
Dieu dans le désert, c’est l’eau et c’est l’ombre.
Nous sommes invisibles aux yeux du monde, mais pas à ceux de Dieu.
La mémoire est une couche de chaux sur les trottoirs du sang.
Le désert, c’est comme une belle femme qui ne se révèle jamais, qui apparaît pour aussitôt disparaître.
C’est un travail auquel il ne donne aucun sens. Dicté par le désespoir sans fond qu’il ressent.
Il n’y a rien de pire qu’une ancienne poseuse d’explosifs. Elle continue à placer des bombes dans tes pensées.
Il n’y a rien de pire qu’une mère atypique. Une mère qui ne ressemble à aucune autre mère, une mère qui ne porte jamais de chaussures fermées, dont le sac ne contient pratiquement rien, des cigarettes, les clefs de la maison, dix euros. Un téléphone portable dont elle ne se sert pas. Un sac sans rien d’extraordinaire, comme sa vie.