Citations de Michel de Montaigne (950)
Un gentilhomme des nostres, merveilleusement subject à la goutte, estant pressé par les médecins de laisser du tout l'usage des viandes salées, avoit accoustumé de respondre fort plaisamment, que sur les efforts et tourments du mal, il vouloit avoir à qui s'en prendre, et que s'escriant en maudissant tantost le cervelat, tantost la langue de boeuf et le jambon, il s'en sentoit d'autant allégé.
(p.25)
Certes, c'est un subject merveilleusement vain, divers et ondoyant, que l'homme. Il est malaisé d'y fonder jugement constant et uniforme.
(p.13)
"Il n'est pas seulement dangereux de lire Montaigne pour se divertir, à cause que le plaisir qu'on y prend engage insensiblement dans ses sentiments, mais encore parce que ce plaisir est plus criminel qu'on ne pense. Car il est certain que ce plaisir nait principalement de la concupissance, et qu'il ne fait qu'entretenir et que fortifier les passions, la manière d'écrire de cet auteur n'étant agréable que parce qu'elle nous touche et réveille nos passions d'une manière imperceptible."
(p. 4, Introduction, citation de Malebranche par Maurice Rat).
Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : " Parce que c'était lui, parce que c'était moi."
Nous sommes mieux en la compagnie d'un chien cognu qu'en celle d'un homme duquel le langage nous est inconnu. (D'après Saint-Augustin)
Chapitre IX - Des Menteurs.
Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien ; s'aime et se cultive avant toute autre chose ; refuse les occupations superflues et les pensées et propositions inutiles.
Chapitre III - Nos affections s'emportent au-delà de nous
C'est, respondit-il, que ce seul dernier déplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer.
Chapitre II - De la Tristesse
Adonne-toi à l'étude des lettres pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne.
Nous veillons dormants, et veillants dormons.
L'ignorance qui se sait, qui se juge et qui se condamne, ce n'est pas une entière ignorance ; pour l'être, il faut qu'elle s'ignore soi-même.
Nous recevons notre religion à notre façon et par nos mains, et non autrement que les autres religions se reçoivent. Nous nous sommes rencontrés au pays où elle était en usage, où nous regardons son ancienneté ou l'autorité des hommes qui l'ont maintenue ou craignant les menaces qu'elle attache aux mécréants ou suivant ses promesses.
A quoi bon faire provision de couleurs si on ne sait ce qu'on va peindre ?
Il me déplaît de voir faire trois signes de croix avant le repas, autant à fin, et voir le reste du temps occupé par la haine, l'envie et l'injustice.
Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.
Il faut nous battre bec et ongles pour préserver les plaisirs de la vie que les années nous enlèvent des mains les uns après les autres.
Si d'autres vous surpassent en science, en grâce, en force, en fortune, vous avez des causes tierces à qui vous en prendre, mais de leur céder en fermeté d'âme, vous n'avez à vous en prendre qu'à vous.
Les amitiés communes, on les peut départir ; on peut aimer en celui-ci la beauté, en cet autre la facilité de ses mœurs, en l'autre la libéralité, en celui-là la paternité, en cet autre la fraternité, ainsi du reste ; mais cette amitié qui possède l'âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu'elle soit double.
[III - 8]
Tous jugements en gros sont lâches et imparfaits.
C’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme.
Extrait de l'introduction
Cette recherche de l'adaptation, c’est ce qui nous conduit, de nos jours, à donner la priorité à une éducation orientée vers le marché du travail. Ainsi, les humanités se voient de plus en plus reléguées à un second plan au profit de la formation technique. Montaigne est ainsi utilisé pour argumenter à l'encontre de l'éducation fondée sur des contenus. Toutefois, l'option qui domine, à l'heure actuelle, celle du « savoir-faire », ne concorde pas avec les idées éducatives de Montaigne. Revenir à Montaigne et, concrètement, au chapitre « De l'institution des enfans » permet de réfléchir à l’ordre des priorités dans l’éducation, bien différent pour Montaigne : l'objectif principal, auquel est subordonné la simple connaissance de contenus et le savoir-faire actuel, c’est le « savoir-être ». La formation de la personne précède la formation en tant que professionnel. C'est pourquoi ce que l'on appelle les
« humanités » devraient, si nous appliquons la logique de Montaigne, être placées au début et au milieu du parcours éducatif, en gardant pour la fin l’acquisition de compétences liées à un métier.
Ainsi, dans un monde tel que le nôtre, où l’éducation est orientée en fonction du marché du travail, en revenir à Montaigne signifie que l'on va à contre-courant, dans la mesure où il inverse le rapport Lettres-Sciences, et aussi dans le sens où il rappelle que, au-delà des changements qui surviennent, de la diversité des sociétés et des individus, la finalité de l'éducation ne change pas, car il s’agit de former des êtres humains. Les contenus de l'éducation et des métiers peuvent changer, et donc les savoir-faire à mettre en œuvre pour être efficace, mais la finalité demeure, qui est de former des individus dotés d’un jugement autonome. […] Si nous éduquons avec l’intention de former le jugement pour former ainsi des individus à part entière, alors il sera plus difficile de tomber dans le piège d’une société dystopique semblable à celle que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Une éducation fondée sur les idées de Montaigne s’harmonise avec une société pleinement démocratique, qui exige des individus libres et autonomes, pensant par eux-mêmes.