Citations de Michel de Montaigne (959)
A quoi bon faire provision de couleurs si on ne sait ce qu'on va peindre ?
Il me déplaît de voir faire trois signes de croix avant le repas, autant à fin, et voir le reste du temps occupé par la haine, l'envie et l'injustice.
Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cherche.
Il faut nous battre bec et ongles pour préserver les plaisirs de la vie que les années nous enlèvent des mains les uns après les autres.
Si d'autres vous surpassent en science, en grâce, en force, en fortune, vous avez des causes tierces à qui vous en prendre, mais de leur céder en fermeté d'âme, vous n'avez à vous en prendre qu'à vous.
Les amitiés communes, on les peut départir ; on peut aimer en celui-ci la beauté, en cet autre la facilité de ses mœurs, en l'autre la libéralité, en celui-là la paternité, en cet autre la fraternité, ainsi du reste ; mais cette amitié qui possède l'âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu'elle soit double.
[III - 8]
Tous jugements en gros sont lâches et imparfaits.
C’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme.
Extrait de l'introduction
Cette recherche de l'adaptation, c’est ce qui nous conduit, de nos jours, à donner la priorité à une éducation orientée vers le marché du travail. Ainsi, les humanités se voient de plus en plus reléguées à un second plan au profit de la formation technique. Montaigne est ainsi utilisé pour argumenter à l'encontre de l'éducation fondée sur des contenus. Toutefois, l'option qui domine, à l'heure actuelle, celle du « savoir-faire », ne concorde pas avec les idées éducatives de Montaigne. Revenir à Montaigne et, concrètement, au chapitre « De l'institution des enfans » permet de réfléchir à l’ordre des priorités dans l’éducation, bien différent pour Montaigne : l'objectif principal, auquel est subordonné la simple connaissance de contenus et le savoir-faire actuel, c’est le « savoir-être ». La formation de la personne précède la formation en tant que professionnel. C'est pourquoi ce que l'on appelle les
« humanités » devraient, si nous appliquons la logique de Montaigne, être placées au début et au milieu du parcours éducatif, en gardant pour la fin l’acquisition de compétences liées à un métier.
Ainsi, dans un monde tel que le nôtre, où l’éducation est orientée en fonction du marché du travail, en revenir à Montaigne signifie que l'on va à contre-courant, dans la mesure où il inverse le rapport Lettres-Sciences, et aussi dans le sens où il rappelle que, au-delà des changements qui surviennent, de la diversité des sociétés et des individus, la finalité de l'éducation ne change pas, car il s’agit de former des êtres humains. Les contenus de l'éducation et des métiers peuvent changer, et donc les savoir-faire à mettre en œuvre pour être efficace, mais la finalité demeure, qui est de former des individus dotés d’un jugement autonome. […] Si nous éduquons avec l’intention de former le jugement pour former ainsi des individus à part entière, alors il sera plus difficile de tomber dans le piège d’une société dystopique semblable à celle que décrit Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes. Une éducation fondée sur les idées de Montaigne s’harmonise avec une société pleinement démocratique, qui exige des individus libres et autonomes, pensant par eux-mêmes.
[Essais, I, 3]
Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà.
Je dirais qu'il y a plus de distance de tel homme à tel homme qu'il n'y en a de tel homme à telle bête.
Il ne faut rien projeter de si longue haleine ou au moins avec telle intention d'être affecté si l'on n'en voit la fin...
Sortez de ce monde comme vous y êtes entré. Le même passage que vous fîtes de la mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites-le de la vie à la mort. Votre mort est une des pièces de l'ordre de l'univers. c'est une pièce de la vie du monde..."
Les mortels s'échangent la vie entre eux et, comme des coureurs, ils se transmettent les flambeaux de la vie. (Lucrèce, "De rerum natura")
Je veux que la mort me trouve plantant mes choux mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait...
Quant à la hardiesse et au courage, quant à la fermeté, à la constance, à la résolution contre les douleurs, la faim et la mort, je ne craindrais pas de confronter les exemples que je trouverais chez eux aux plus fameux exemples de l'Antiquité que l'on retrouve dans les histoires de notre monde.
("Des coches")
L'amour est un effort pour fonder une amitié à partir de la vue de la beauté" (Cicéron, "Tusculanes", d'après la définition donnée par Zénon).
Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui : parce que c'était moi...
L'ancien Ménader disait celui-là heureux, qui avait pu rencontrer seulement l'ombre d'un ami. Il avait certes raison de le dire, surtout s'il en avait tâté. Car à la vérité si je compare tout le reste de ma vie, quoiqu'avec la grâce de Dieu je l'ai passée douce, aisée, et sauf la perte d'un tel ami, exempte d'affliction pesante, pleine de tranquillité d'esprit, ayant pris comme mon dû mes commodités naturelles et originelles sans en rechercher d'autres - si je la compare, dis-je, toute, aux quatre années, qu'il m'a été donné de jouir de la douce compagnie et société de ce personnage, ce n'est que fumée, ce n'est qu'une nuit obscure et ennuyeuse. Depuis le jour que je le perdis, je ne fais que traîner languissant. Et les plaisirs qui s'offrent à moi, au lieu de me consoler me redoublent le regret de sa perte. Nous étions à moitié de tout : il me semble que je lui dérobe sa part...
(Chapitre 28)
Nous ne sommes savants que de la science présente.
L’art n’est pas autre chose qu’un examen : peu d’entretiens m’intéressent , me retiennent, quand ils sont dénués de forme et de vigueur. La grâce et la beauté me comblent et m’occupent autant au plus que le sérieux et la profondeur.
L’amitié est une bête de compagnie, non bête de troupeau , ce qui me rend délicat pour le commerce des hommes. Je vois les gens en assez grand nombre, mais trouve rarement avec qui j’aime à parler avec comme but simplement la fréquentation et conversation , l’exercice d’esprit, sans autre profit.
Je reconnais les gens qui me conviennent à leur silence, à leur sourire. Une âme bien faite naturellement et exercée à la pratique des hommes se rend agréable par elle-même.
Mon opinion est qu'il faut se prêter à autrui, et ne se donner qu'à soi-même.
Aussi y a_t_il des défaites plus triomphantes que les victoires.
Nous embrassons tout mais nous n'étreignons que du vent.
Quand je considère le tour que prend, de mon temps, ma rivière de Dordogne, pour pousser vers la rive droite de sa descente, quand je vois qu'en vingt ans elle a tant gagné, et sapé la base de plusieurs bâtiments, je vois bien que c'est une agitation extraordinaire. Car si elle était toujours allée de ce train, ou devait y aller à l'avenir, la figure du monde en serait renversée.
Mais les rivières changent : tantôt elles se répandent d'un côté, tantôt de l'autre ; tantôt elles se contiennent.
Je ne parle pas des inondations soudaines dont nous savons les causes.
Dans le Médoc, le long de la mer, mon frère, sieur d'Arsac, voit une de ses terres ensevelie sous les sables que la mer vomit devant elle. Le faîte de quelques bâtiments apparaît encore.
Les habitants disent que, depuis quelques temps, la mer pousse si fort vers eux qu'ils ont perdu quatre lieues de terre.