Citations de Mohammed Dib (352)
Toute vie, toute œuvre d’homme ne sont que signes sur le sable.
Tu restes avec ta patience au creux du corps, avec ton doute qui ne veut pas s’écouler. Alors ne parle plus, là-bas s’élèvent des appels qui pourraient aussi bien être des cris funèbres. Mais ce n’est rien de grave. C’est la pitié inépuisable que tu réserves au monde, c’est ton cœur qui est féroce et tendre comme un sexe de femme. Ce que tu cherches pour l’instant, tu penses ; mais tu ne sais pas ce que tu cherches. Alors ne parle plus.
Nous avons conscience du silence. Nous ne l’avons pas entendu tout de suite, ne nous rendant compte d’abord que d’un faux silence, de quelque chose comme l’envers d’un grondement, mais déjà de si étranger à tout ce que nous connaissons, à tout ce que nous avons appris à écouter et à apprécier que nous restons longtemps, passons un moment avant d’y prêter attention
LE CHANT DU SABLE
Criées
Montées
jusqu'au silence.
Les cigales.
Montées jusqu'au bleu.
Impérissables. Le jour
est leur gîte.
p.57
C'est triste d’être toujours à la recherche d'un homme et de savoir en même temps que les chances de se tromper sont si grandes et celles de trouver un vrai compagnon si minimes...
La terrine aurait pu tenir dans le creux des mains. Et ils étaient six. Nom de Dieu ! si seulement ils avaient du pain ! Ils auraient alors avalé une grande bouchée de pain avec une petite cuillerée de riz.
Ils s'en furent réveiller les paysans dans toute la campagne. Ceux-ci s'étaient enfermés dans leurs cabanes ; les messagers frappaient aux portes. La flamme vacillante d'une torche illuminait d'un éclat soudain les faces des fellahs. Ils s'étaient déjà reconnus au son de la voix. De l'opaque noirceur, il n'y avait que les visages qui se détachaient, caressés par le doux toucher de la lumière. Les visiteurs remettaient les papiers et puis s'enfonçaient de nouveau au coeur de la nuit
Je sais des chemins qu'ils ne trouveraient même pas en plein jour.
[...]
Chaque fois que la nuit tombe, reprit Ba Hamida, le pays redevient nôtre... Il nous revient.
[a beau lit]
reverdis, charme alarmé, vers l'aine
A onze heures, aux portes mêmes de l'école, une bagarre s'engagea à coups de pierres. Elle se poursuivit encore sur la route qui longeait les remparts de la ville.
Violentes, parfois sanglantes, ces rencontres duraient des journées entières. Les deux camps, composés de gamins de quartiers différents, comptaient bon nombre de tireurs hors ligne. Ceux du groupe d'Omar l'emportaient par leur habileté, leur prestesse, leur témérité. Ils étaient les plus redoutés, bien que peu nombreux. Quand on disait : les enfants de Rhiba, on évoquait de vrais démons que personne ne prétendait mettre à la raison. Que de fois ils avaient poursuivi leurs adversaires au centre même de la ville et jusqu'au Grand Bassin en semant la terreur parmi les paisibles citadins!
Seul devant une table, je regardais autour de moi les groupes qui bavardaient et fumaient sans relâche. Au fond d'une atmosphère obscurcie, les joueurs battaient leurs dominos avec des claquement de fouet qui, à la longue, portaient sur les nerfs.
La vérité puise sa lumière dans ta nudité, amie.
CHARGE DE TEMPS
Chemin
innocence de l'être
l'arc du bonheur enjambe
une femme aromatique
la source en-dessous
chante la dernière neige
effacé par qui l'a dessiné
sitôt rendu à son objet
ce sera l'été allégé
safrané dans les creux
confondant le sommeil
la veille et un rêve
propice à la blancheur
l'auront oublié sitôt
révélé ces mots plus que lui
pressés de se perdre au loin
p.20
- Il faut se méfier des mots. Ils ne disent jamais exactement ce qu'on croit.
- Alors les mots jouent avec nous.
- Ils se jouent de nous également.
Pour cela, je dis : les avocats, c’est de la bagatelle ; défends-moi quand j’en ai encore besoin, défends-moi avant mon crime, et ne me laisse pas en arriver là… Après, il est trop tard !… Une fois que je suis lancé, personne ne me rattrapera, j’irai jusqu’au bout, je courrai jusqu’à ce que je tombe. Vous pouvez me ligoter, mais c’est le monde qu’il faudrait changer, imbéciles ! Et surtout ne m’enseignez pas comment il faut vivre ; peut-être serais-je capable, tel que je suis, de vous donner des leçons là-dessus. Donnez-moi plutôt la possibilité de vivre ! Comment ne comprenez-vous pas cela ? Condamnez-moi sévèrement, condamnez-moi à mort ; cela vaudrait mieux… C’est votre monde qui me dégoûte. Les hommes en souffrent trop. Il vaudrait mieux nous supprimer.
pays d’œil
...
se reposer dans ces froncements
ces palpitantes levées de temps
où tu fais tache et converger
vers les litanies du sommeil
capturer la source fertile
sous une moisson de cris
sous une moisson de cils la raison
propagée de tes gîtes d’air
Je me sens envahi par son odeur sèche et blanche jusque dans mes derniers retranchement. Désert du désert. Poussière de la poussière. Silence du silence. Peut-être avons-nous gagné et le monde perdu. Le vide aurait fait en vous son nid et vous voici comme tout un chacun ouvert à tous ls vents, n’ayant pour substance et enveloppe que ce vide qui ne sait que se vider et vous dissoudre dans le flamboiement du jour.
Levant les yeux, je trouve la vie toujours là. Que s'est-il passé entre-temps? Uniquement des heures, des jours. Mais toute proche, toute offerte, cette vie se fait fumée dès la seconde où vous êtes tentés d'en saisir quelque chose, d'en prendre une boulée au creux des mains.
Le violoniste algérien, en fait toujours un altiste, joue assis sur un tabouret ou par terre sur des coussins, les jambes croisées. Sans instrument est planté à la verticale sur son genou gauche, il manœuvre l'archet latéralement aux cordes. Ainsi ne revient-il pas à l'archet de produire la note mais à l'instrument qui, pivotant sur lui-même dans la main qui le tient, présente à l'archet la corde propre à donner le son voulu. Il en est de même dans tous l'Orient, me semble-t-il. La loi du moindre effort n'aurait pas existé, nous l'aurions inventée.
Sur la terre, errante
extrait 1
Quand la nuit se brise,
Je porte ma tiédeur
Sur les monts acérés
Et me dévêts à la vue du matin
Comme celle qui s’est levée
Pour honorer la première eau ;
Étrange est mon pays où tant
De souffles se libèrent,
Les oliviers s’agitent
Alentour et moi je chante :
— Terre brûlée et noire,
Mère fraternelle,
Ton enfant ne restera pas seule
Avec le temps qui griffe le cœur;
Entends ma voix
Qui file dans les arbres
Et fait mugir les bœufs….