Citations de Mohammed Dib (352)
Le chant du sable
Les frontières nues
La cigale bleue
au plus rouge.
Son cri
au plus vert.
Le temps comme il
s'écoute.
Immobile le nomade
dans la steppe.
p.28
Le chant du sable
Vive neige
Tu as rêvé
éphémère
et libre.
Rêvé
d'un été blanc
et dangereux.
Et qu'un chêne
brûlant ses feuilles
y a pris pied.
p.29
Le chant du sable
L'entre être
Déprise
reprise
traversée.
Sourire et dérive
le mal tourne court
le mal tourne lourd.
Elle. Elle échappée
dans une larme.
Vive.
p.24
Sur cette terre maudite, nous avons été enfantés comme des objets d'opprobe, grommelait la mère, nous avons été nourris comme des objets de rebut et nous avons été abondonnés comme des parias
En arrivant devant la maison de la lumière, on commence à gravir des pentes rocailleuses battues par les vents.
La campagne est déserte, une rumeur confuse monte de la plaine. Les dernières vagues des cultures qui accourent à l'horizon viennent mourir ici, sur les contreforts de Bni Boublen.
Si l'humilié entrait dans le jeu de l'adversaire,malheur à lui, il se condannerait às'associer au cycle des violences où un coup en appelle un autre,et à faire couple à la fin avec son ennemi. S'il n'y prenait garde,le persécuté endosserait à son tour la responsabilité d'un persécuteur.
Moi de même, je me souviens d'une existence avare et terrible. On s'y ennuyait, une lassitude qui étreignait l'âme en émanait comme une brume somnolente. On s'ennuyait tellement qu'on se sentait étouffer : c'était une coulée de plomb qui vous remplissait la poitrine. Quand j'évoque ce passé proche, j'ai peine à croire que tout était vraiment ainsi. L'homme, c'est sûr, était enveloppé dans un linceul d'ignorance et de crainte. Il marchait la tête basse ; plein de timidité, il n'osait se montrer au monde
Les femmes protégeaient leurs yeux des deux mains en visière. Le jour lacérait l'espace, en proie à un intense éclat, bien que le soleil demeurât caché.
Omar ne demandait plus un morceau de pain trempé dans l'eau de la fontaine : quand les plus grands malheurs fondent sur nous, ils nous suffisent pour tromper notre faim. Il ne pensait plus à sa faim ; elle s’était estompée, devenue lointaine, et ne veillait en lui que comme un vague haut-le-cœur qu'il ne parvenait pas à refouler. La tête lui tournait ; il mastiquait sa salive et l'avalait. Cela lui donnait une bizarre sensation de nausée. Il ne rencontrait qu'un vide à l'intérieur de lui-même : au-dessus de ce vide, se balançait le souvenir de ce qu'il avait mangé la veille.
— Il y a tout de même de telles misères dans ce pays qu’on ne sait comment en parler. On s’en rend compte surtout lorsqu’on revient, comme moi, d’un endroit où tout le monde travaille, gagne de l’argent, vit son content.
(le Compagnon)
Et la terre continue, infatigable, à tourner ! Mais pourquoi faire ? A proposer, prodiguer tout. Mais que veut-elle ? Pourquoi ces cadeaux à la pelle, ces dons inutiles ? Lui Habel, ce n'est pas ce qu'il désire avoir.
Sabine parle, et lui, il l'écoute pendant que le grand jour, la rumeur de la ville, la lente chute du temps, s'accumulent doucement autour d'eux. Comme d'habitude, ne faisant que parler, elle, et lui n'éprouvant ni contrariété, ni rien de pareil, ne tirant pas satisfaction de ça, non plus, ni d'autre chose. Et calme en fait, il ne sent rien, et demeure ainsi, sur cette terrasse avec ses quelques chaises et tables d'où, tandis que Sabine parle, il regarde les bagnoles ourdir, tisser de leurs navettes rapides une tapisserie qui ne monte jamais, se défait à mesure qu'elle s'amorce, et ce faisant, ne pas se priver de fomenter tout le boucan désirable, d'emplir toute la rue d'un sabbat où les passants cessent d'être quelque chose d'humain pour devenir des marionnettes et aller avec des mouvements cassés.
Le pain qu' elle a pétri cette nuit attend d' être au four. L' homme y imprime
un doigt ; la pâte a levé. Il grommelle :
-Il faut se hâter si on ne veut pas qu' elle tourne à l' aigre .
Je suis revenu chez moi. Ce n’est pas un rêve, j’ai retrouvé mes montagnes. Tournant le dos au bas-pays, la dechra se découvre soudain, tapie dans une crevasse, après un méandre du chemin. Il faut quitter la route et s’en remettre au sentier de chèvres qui grimpe du fond de la vallée. Au bout, on est accueilli par cette espèce d’anse. Aussitôt on s’y sent plus isolé qu’en haute mer. Les habitations : quelques cabanes de glaise et, creusées à même la roche, des grottes qu’aveugle un mur, ce sont celles-là mêmes qui m’ont vu naître, et courir, enfant. Tout est à la fois vide, abandonné, et hanté par de muettes ombres…
Jamais je n’ai eu plus l’impression d’être étrangère en ce monde, - inutile aussi, mal tombée. J’avais escompté que la naissance du bébé y changerait quelque chose. Rien de tel ne s’est produit. Au fur et à mesure qu’il grandit, je me prends à oublier qu’il est de ma chair. Je l’aime comme on aime un tendre petit animal sans protection, vulnérable. Mais sentir nos deux existences fondues comme au début, non, c’est fini. Nous formions alors une même pâte, nous n’étions que cette pâte. Une situation neuve pour moi, à l’époque, et qui me plongeait dans des abîmes d’étonnement, de trouble. L’arrivée d’Oleg, mes occupations à l’extérieur, le temps qui passe et ne se rattrape pas, ont accompli leur œuvre d’usure. Le fait sans doute aussi que Lex commence à manifester son indépendance, notamment par des cris aigus, tout à coup péremptoires. Il devient quelqu’un d’autre.
O ombra del morir
3
Tant de soleil
et jamais rien.
Jamais personne.
Ainsi vigie
resteras-tu l'orbite
rivée au-delà.
Ayant partie liée
avec la lumière.
p.106
Le chant du sable
L'arête native
Repliée
alentie
presciente.
La crainte
d'être au bord
− et le cri.
Et comment
le cri fait
silence.
p.37
Le chant du sable
L'épreuve du nom
Ce blanc
s'il fait allégeance.
S'il garde
pure une neige.
Si nul
ne vient à passer.
Si ce qui noir
a le dernier mot.
p.45
Le silence
1
Chaque jour
égal au jour.
Chaque moment
l'égal de tous.
Passé futur
et maintenant.
Il y a toujours
autre chose dis-tu.
Vivant tout près
un dire sans feu.
2
Parole qui cherche.
Parole qui prépare.
Toujours quelqu'un.
Toujours quelque chose.
Soleil dans sa nuit
et sa terre d'oubli.
On s'écoute soi-même.
On le dit sans fin.
p.94-95
Aïe! Ne disons pas, Zina ma chère que nous avons déjeuné. Disons seulement que nous avons trompé la faim, répliqua AÏni.
...
-Nous passons notre temps à tromper la faim..