Citations de Mohammed Dib (352)
être paille devant la flamme
beau feu en nourrir le feu
de temps en temps en être l'ombre aussi
vivre à ses pieds partager sa confiance
de temps en temps à genoux la traverser
parcourir la nuit chargé de ses pavots
"La photographie capte l'instant et le fixe pour l'éternité. Là est le drame : elle assèche le temps, qui est expression de vie" (p 107).
Je vis désormais dans un monde en paix. Je ne veux plus connaître l'autre.
Mon regard et moi commençons à être fatigués de toute cette distance. La vue elle-même s'y perd. S'il y avait une chaise, une pierre, une souche. S'il y avait au moins sur quoi s'asseoir.
L'enfant devait comprendre toutes ces choses ; c'est pourquoi il réfléchissait, étendu dans l'herbe, en écoutant Comandar qui parlait de la vie réprouvée des fellahs. Les enfants, en réalité, savent et comprennent. Omar savait vraiment ces choses-là, sans qu'il ait eu besoin de réfléchir à chacune d'elles en particulier. Son esprit avait déjà saisi le rapport qui existait entre cette mort et la pauvre fatigue de sa mère, entre le sort des fellahs et la faim de Dar Sbitar ; il revoyait les policiers qui avaient envahi un matin Dar Sbitar.
Mais de la même façon que cela s'était produit à plusieurs reprises déjà, avant que j'eusse ouvert la bouche, je l'entends me répondre :
— Il est des choses, Iven Zohar, sur lesquelles tu ne peux poser de questions... et sur lesquellles tu n’auras aucun pouvoir.
Elle se tut. Elle reprit après un long silence :
— Cours sur la rive sauvage ; peut-être sauras-tu...
Dès lors, j'eus le sentiment de cingler vers une autre terre hospitalière, de m'approcher, non sans doute d'un sens, qui persévérait à rester aussi insaisissable qu’au commencement, mais d'un souvenir, un souvenir sans prix, lequel, tout singulier qu'il promît d'être, allait m'éclairer sur l'énigme. Je m'aventurai aussi loin que possible sur cette terre vierge, éclairée par une aurore de feu. Ce ne fut pas sans peine ; plus d'une fois, je déclarai au ciel ma haine et mon dégoût, reniai mon entreprise. Mes yeux continuaient d'avancer dans la mystérieuse voie. (Le talisman).
Vous torrents
4
Sans cesse
disant autre chose
d'une même voix.
Torrents
dans notre présent
et votre futur.
À l'œuvre
dans la nuit
le vide.
Si seulement
quelqu'un se trouve
à vous écouter.
p.82
L'orage
L'herbe,
sombre soudain
fertilise la roche nue.
Riveraine
surgit
l'ossature qui nous accore. . .
S'insurge en son coma
la discontinuité dépourvue de visage,
la distorsion d'un vol qui nous prévient,
hissant vers nous
la menace élinguée des choses.
Intime en ce recueillement
l'évènement majeur :
sans fondement
la terre
p.71
Vous torrents
1
Torrents
dans le calme
et la nuit.
Torrents à vif.
Racontez à présent
vos chutes.
Et ce qu'il y a
de plus ancien
dans la nuit.
2
À vous
s'attache la pensée.
Vous dans vos eaux.
Vous tombant.
Vous risquant
le pas.
Allant
toujours vers plus
d'obscurité.
3
Vous descendant
plus bas encore.
Pour parler moins
et manquer de mots.
Et répondre au vent
par un bruit de vent.
Ne gardant rien
pour vous.
p.79-80-81
De par le vent
7
Rocher
tu n'endures
qu'alertes.
Avec le vent
pour toute et seule
compagnie.
Ta forme de rocher
se trouve être même
œuvre de vent.
Tu demeures
exposé au vent.
8
L'herbe
épelle le vent.
Tranquilles
les pierres écoutent.
Nues
agenouillées.
Les pierres
écoutent.
Les déchirures ne sont
que voix d'air.
9
Rien à dire
Rien à faire.
Rien à soi.
N'a qu'à vouloir.
Il a droit sur tout.
Le vent.
Il vide le jour.
Il cuivre le jour.
p.76-77-78
On peut exercer sa pensée sur tout mais pas sur l’infini. L’objet, oui ; surtout l’objet aimé. Le pouvoir, oui. Le sexe, oui. La mort, oui. Mais l’immanent ?
Le mensonge est la plus féconde de nos activités, et c’est la raison qui en fait aussi un jeu un peu tragique. Dans la mesure où nous y risquons cette même intégrité que nous voulons sauver, c’est certain ! Car le menteur, le simulateur, prétend être celui qu’il n’est pas…
… le malheur avec les Occidentaux, c’est qu’ils en sont arrivés à penser que la civilisation est tout ce qui est bon pour eux ; ils s’enferment dans le confort qu’elle leur procure comme dans un bastion fortifié et hors duquel un cataclysme même ne saurait les tirer que pour les emporter avec leur refuge…
Au prix de combien de souffrances, de sacrifices, ce pays aura été ce qu’il est devenu, nos fils risqueront de l’oublier. Il serait bon que quelqu’un le leur rappelle de temps en temps, que quelqu’un le leur dise. Car s’ils l’oublient… Ah, il n’a pas été fait sans peine. S’ils l’oublient… mon Dieu, ce ne sera peut-être pas bien grave. Mais peut-être que si. Peut-être que ce sera le signe que quelque chose commence à aller mal chez eux sans qu’ils s’en doutent. Il serait bon alors que quelqu’un soit là pour le leur rappeler.
Il faut que tous aient à manger à leur faim et de quoi s’habiller et même, plus tard, de quoi s’acheter des autos. En attendant, ils bénéficieront de congés payés et d’allocations, et c’est à la Révolution qu’ils le devront.
Nous aurons un guide qui ne sera ni berger ni mouton ! Notre cœur fondra, brisé par le premier de ses regards. Il nous appellera de sa voix de bélier, nous l’entendrons et nous sortirons de nos tombes. Mais les cadavres, il n’en voudra pas, il les repoussera ! Seuls les vrais morts le suivront, marchant au nouveau soleil. Ceux-là ne seront pas abandonnés. Un épervier dessinera des cercles au-dessus de leur tête. Oh, seigneur des chasses, je suis en route, je danse en allant mon chemin, libre dans un monde d’hommes libres !
Il faut souvent beaucoup de temps pour arriver à un résultat.
La parole est maintenant à la pupille du jour dilatée sur ces montagnes. Elle est au vent et à la lumière qui balaient leur solitude, elle est à l’après-midi qui ne passe plus.