Olivier Frébourg

le Contentin est un songe. Une mosaïque de paysages, de sensations. La partie la plus surnaturelle de la Normandie. Presqu'île du Contentin, Atlantide normande, plongée hallucinante. Fidèle et rebelle, le Contentin relève du miracle.

contemplation profonde [...]. le matin, à sept heures moins cinq, et le soir, à vingt heures cinq, nous collons l'oreille contre le post de TSF, à l'écoute du bulletin de la météo marine. Nous ne sommes là pour personne. Nous nous préparons à ce moment solennel, guettons les oracles des dieux du vent et de la mer. Nous sommes à l'abri, prêts à affronter les quarantièmes rugissants. Notre vie du lendemain dépend du bulletin de Météo-France.
Tout d'abord, une voix. De femme. Douce, oisive qui semble ne se vouer qu'à cette passion maritime. Et puis soudain l'épopée, qui semble raconter le temps des navigateurs, cette litanie de noms qui énonce un royaume ultramarin, sans frontières, façonné par les tempêtes, les brumes, les embruns : cap Finistère, Ouest-Irlande, Sud-Portugal, Viking, Forth, German, Cromartie, Humber, Tamise, Nord-Pas-de-Calais, Manche-Est, Sud-Gascogne, Sole, Ouest-Ecosse. Et on se surprend à s'imaginer gouverneur de ces provinces, amiral de flottes de caravelles, ou simple gardien de phare. Avis de coup de vent, anticyclone des Açores, dépression de 1030 hectopascals. Ces mots de sirène épousent le grand mouvement des océans. Situation générale et prévisions par zone pour les vingt-quatre heures. Nous commentons, levons les yeux, nous exclamons. Soudain, nous bondissons de notre chaise longue et, aux profanes qui nous entourent avec des yeux interrogateurs, délivrons le verdict : Demain, beau temps !

c'est un pays d'églises et de bocages, de talus et de contreforts, de vallées et de sentinelles, de lacets et de recoins, d'intimité et d'introspection.

c'est le ciel qui est maritime.

la Normandie le hante : j'y suis né. Elle m'a donné l'amour de la mer, des voyages, de l'histoire, de la littérature. À chaque retour, j'y découvre une nouvelle route buissonnière, une autre vie imaginaire. En Normandie, on peut être paysan dans le pays de Caux, marins-pêcheur à Fécamp, peintre dans l'Eure, soldat américain à Omaha Beach, dandy à Trouville, naufrageur au cap de la Hague, hobereau dans le Perche, révolutionnaire à Caen et réactionnaire à Carteret. [...] Cette province est nordique, occidentale, mais certains jours sait se révéler orientale et méridionale. Tous les Normands ont eu un jour le désir de quitter leur feu de cheminée pour conquérir de nouveaux mondes au-delà de l'Atlantique ou de la Méditerranée. Ce sont des sédentaires ancrés dans leurs sillons de terre que la vie a pousses à devenir nomades. Mais l'absence est une mutilation. Le Normand finit toujours par rechercher les feux de sa province natale, cette mosaïque de continents, de ciels et de terroirs.

J’ai compris que nous allions connaître la dégrindolade alors que je me trouvais à la montagne avec ma petite famille qui, ce matin-là, dormait encore. C’était en mars 2004. A Madrid, plusieurs trains de banlieue venaient d’exploser : attentats commis par des islamistes marocains. 911 jours après les attaques du 11 septembre 2001. Je regardai alors par la fenêtre du chalet, comme pour remonter à la surface, l’aiguille du Midi éclatante de neige et de lumière. Le sociologue Louis Chauvel venait de publier Les classes moyennes à la dérive. L’Histoire avec sa gueule de feu se réveillait. Et nous les Européens, les petits Occidentaux, nous déclinions. Les classes moyennes, le nœud de notre société, s’appauvrissaient. Ce retournement était l’un des symptômes de la fin de notre civilisation. Il s’accompagnait d’un dérèglement climatique. La nature dans laquelle l’homme avait planté ses banderilles se révoltait et allait l’écraser de son implacable soleil avant elle-même de mourir.

Il y a encore des tirages papier de nos premières années dans cette maison avant que tout ne soit balayé par le numérique qui participa de l’explosion de notre famille. Nos enfants étaient nés autour de l’an 2000, juste avant ou après la bascule du millénaire. Ils seraient baptisés « Millenials » par l’univers GAFAM. Mais pour le moment ils n’appartiennent à aucun réseau social, qui sera plus tard leur famille, leur parti politique, leur prison.

J'avais la conviction que ma lecture de Flaubert dans laquelle je m'étais délecté comme un cochon s'ébattant dans sa boue avait détruit toute possibilité d'harmonie.

J'ai basculé, quitté le monde de l'espérance pour quoi au juste ? Une contrée incertaine qui doit être un peu celle des limbes.

Nous croyons que faire des enfants est l'apothéose de l'amour, de notre intimité, du mystère humain et nous découvrons que la Loi, grande ou petite, divine ou mesquine, nous surveille dès la vie utérine.

Flaubert se montre très fort pour emmurer les sentiments. Il parvient à pétrifier ses personnages dans la beauté de ses phrases. Il est mal à l'aise quand il parle de paternité.

Maupassant se montre très critique contre le système français de la colonisation, les nominations des fonctionnaires. Il pointe les méthodes d'expropriation, juge les colons, garde sa sympathie aux militaires restés au contact des populations locales. Mais sa plume se montre aussi raciste -" qui dit Arabe dit voleur, sans exception" -, antisémite : "Dès qu'on avance dans le sud, la race juive se relève sous un aspect hideux qui fait comprendre la haine féroce de certains peuples contre ces gens et même les massacres récents.". Sa description des commerçants juifs et des usuriers ? Une caricature d'époque !

Au yeux de Flaubert, Guy est le neveu d'Alfred, puis un jeune admirateur, un ami, un disciple, un fils adoptif ; ultime consécration, un fils en littérature.

Le 17 avril (1880), Maupassant publie Boule de suif dans Les soirées de Médan (éditeur Charpentier). Huit jours plus tard, parait son premier recueil de poèmes, Des vers. Tout s'enchaîne. Le 8 mai, Flaubert meurt. Le fils devenu écrivain, le père se retire du jeu.

Maupassant a peu évoqué la Basse-Normandie, le pays d'Auge. Il est resté accroché au pays de Caux. Est-il allé dans le Cotentin, berceau de ses ancêtres maternels ? Au cimetière de Saussemesnil, près de Valognes, la plupart des tombes portent le nom de Lepoittevin-Dubost. A-t-il visité Gruchy, près du cap de la Hague, la maison de son peintre favori, Jean-François Millet ? Il aurait aimé cette Irlande normande, ce paysage de granit, de bocage dont Barbey d'Aurevilly est le seigneur. En Normandie, l'habitant du village voisin est déjà un horsain, un étranger.