En 2010, alors qu’il est invité à participer à une conférence à l’université d’Arkhangelsk, Olivier Rolin, passionné par la Russie depuis toujours décide de prendre l’avion pour aller visiter un monastère sur les îles Solovki. Il vient souvent faire des conférences dans ce pays auquel il est attaché depuis l’époque de l’URSS, ayant été lui-même maoïste dans sa jeunesse.
Il est attiré par ces îles tant sur le plan géographique, le nord de la Russie, l’immensité de la Sibérie que sur le plan historique.
Ce monastère a été le premier goulag mis en place. Il apprend lors de sa visite, « qu’il y a avait existé, dans le camp, une bibliothèque de trente mille volumes, formée directement ou indirectement par les livres des déportés qui étaient, pour beaucoup d’entre eux, des nobles ou des intellectuels… » C’est ainsi que naît, d’ailleurs, l’idée de lui consacrer un film.
Au cours de sa visite, il tombe sur un album, reproduction de lettres qu’il envoyait à sa femme Varvara et à leur fille Eléonora, âgée de quatre ans quand il est déporté, dessins, herbiers, devinettes, et fait ainsi la connaissance de leur auteur : Alexeï Féodossiévitch Vangengheim, déporté aux Solovki en 1934. Cet album, hors commerce a été publié par Eléonora, à la mémoire de son père.
Tout au long de ce livre, il va nous raconter la vie de cet homme, né en Ukraine, d’origine noble, qui quitte tout pour épouser le Communisme et se consacrer corps et âme à la reconstruction de son pays en épousant la cause de la Révolution. Alexeï est météorologue et ses prédictions permettent aux avions de décoller ou atterrir dans de bonnes conditions ou aux bateaux de se frayer un passage dans la mer gelée.
Ce que j’en pense :
J’ai eu envie de lire ce livre après avoir vu le film "Solovki, la bibliothèque disparue" qui m’avait beaucoup intéressée.
On assiste à l’emballement d’Alexeï pour le communisme ; il est membre du Parti, fait partie des gens influents dont le travail est reconnu car ses prévisions peuvent être d’une grande aide pour l’agriculture socialiste que Staline dans sa folie veut collectiviser en éliminant les propriétaires terriens (des bourgeois, ou des nobles) ce qui aboutira à la famine en Ukraine provoquant la mort de trois millions de personnes…
Alexeï Féodossiévitch Vangengheim a des idées novatrices, il fait établir un cadastre des vents (il a la vision d’une forêt d’éoliennes, car « l’énergie du vent n’est pas seulement énorme sur notre territoire, écrit-il en 1935 mais elle est renouvelable et inépuisable… le vent peut transformer les déserts en oasis » et il envisage même « un cadastre du soleil » (quel précurseur !!!)
Un jour, où il devait se rendre au théâtre avec sa femme, il est arrêté. Un de ses collaborateurs vint d’avouer qu’il existe une organisation contre-révolutionnaire au sein du service d’Alexeï et qu’il en est le chef. Leur but : saboter la lutte contre la sécheresse en falsifiant les prévisions météorologiques.
Après un simulacre de procès, il est condamné pour sabotage économique et espionnage, à dix ans de camps de rééducation par le travail.
Oliver Rolin a divisé son livre en quatre parties. Dans la première, environ la moitié du livre, il évoque la vie d’Alexeï jusqu’à son arrivée aux Solovki. Dans la deuxième partie, on découvre la vie au Monastère et le courrier qu’il envoie à sa famille et aux autorités. La troisième partie est consacrée à la fin du voyage. Et enfin, dans la dernière Olivier Rolin reprend la parole et livre son interprétation des évènements.
L’auteur décrit très bien l’enthousiasme de ces pionniers, les héros comme les pilotes par exemple, mais aussi le citoyen ordinaire car tous ont l’impression de participer à une grande œuvre, mais début 1934, certains commencent à faire de l’ombre à Staline.
Il raconte la détention, les interrogatoires, la torture qui commence à se mettre en place (on appelle les années 1933-1934 la Terreur ordinaire ; elles évolueront vers la Grande Terreur en 1937, et alors la torture sera courante. Staline verra des espions partout, ceux qui dénoncent sont arrêtés à leur tour quelques jours plus tard et bien sûr, il y a comme toujours ceux qui passent entre les mailles de filet.
Alexeï est un homme curieux. Il a la foi en le communisme chevillée au corps, (il ne peut s’agir que d’une erreur et Staline ne peut pas être au courant, tout va s’arranger, on va reconnaître son innocence). Parfois, on s’irrite contre sa naïveté, parfois, il nous attendrit parce qu’il se bat pour prouver son innocence, il écrit à Staline ou aux autres. Cela, ainsi que sa correspondance avec sa femme et sa fille, va lui permettre de tenir, alors qu’il sent qu’il n’est plus rien.
Il n’est pas le seul dans ce cas. Ils sont tous tellement persuadés de participer à la nouvelle société qu’ils ne peuvent envisager ce qui se trame. Une fois de plus, personne ne sait, personne n’a rien entendu. L’espérance en un monde meilleur était tellement forte.
L’auteur intervient dans le récit et nous livre en même temps son analyse, il s’identifie à Alexeï , dont il a partagé l’espérance, ayant lui-même un passé maoïste. Parfois, le « Je » se substitue au « Il ».
On fait le parallèle bien-sûr avec les atrocités nazies, les deux tyrans, dictateurs fonctionnent de la même façon faisant régner la terreur ; Hitler a fait périr des millions de gens parce qu’ils étaient juifs, ou simples opposants, Staline a fait mourir son peuple, les paysans qu’il détestait, les intellectuels, et tant d’autres, car l’antisémitisme est omniprésent aussi.
Tous deux ont exploité le culte de la personnalité et, on peut dire qu’ils ont fait des émules ; tout deux aussi ont déporté, assassiné des personnes et les goulags russes sont aussi bien organisés que les camps d’extermination nazie. Ce vingtième siècle a imposé la terreur par ses dictateurs le vingt-et-unième siècle débute par des guerres de religions qu’on croyait d’un autre âge…
L’écriture d’Olivier Rolin est belle, avec beaucoup de rythme et on dévore ce livre avec passion. Parfois, il faut faire une pause pour s’aérer l’esprit car certaine scènes sont dures, notamment la troisième partie mais tout cela a existé. La description des paysages, de la Sibérie, des aurores boréales sont tellement vivantes qu’on a l’impression de faire partie du voyage, d’être penché par-dessus l’épaule d’Alexeï pour le voir dessiner. Les dessins sont exposés à la fin du livre, avec des herbiers géométriques, arithmétiques d’une belle précision.
Ce livre rend un bel hommage à cet homme ordinaire, qui n’était pas un politicien, pour bien prouver que cela pouvait arriver à n’importe qui. Olivier Rolin rend aussi hommage à la littérature russe, notamment un auteur qui est dans ma PAL depuis un moment : Vassili Grossman, qui évoque cette période dans son œuvre (« Vie et Destin »), ou Bounine (« La vie d’Arséniev ») et d’autres.
Évidemment, ce livre est un coup de cœur et je vous le conseille vivement, ainsi que le film.
Note : 9,2/10
Et voici le lien avec le film, cela vous donnera une idée…
https://www.youtube.com/watch?v=pZtpHbF0wLE
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