AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Paola Pigani (173)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Des orties et des hommes

Un famille de paysans dans les années 70.

On les appelle “Panzanis”, car les parents venus s'installer en Charente viennent du pays des “papaveri”*. Leur gagne-pain, leur rempart, sont les vaches. Ces “mucche” comme les appellent les parents, qui semblent des prieuses, silencieuses et patientes, et “entrent à l'étable comme les mémés à l'église, chacune à sa place sans regarder les autres”.....Et qu'on devrait “aimer davantage, comme des personnes, pas seulement comme des remparts contre la pauvreté”.

Ils sont cinq enfants, dont la cadette Pia de dix ans. C'est elle, l'alter ego de l'écrivaine, qui nous raconte cet univers de labeur, où ils arrivent à peine à vivre de leur travail, où les enfants besognent à plein temps à la ferme hors des heures d'école , et même si ce n'est pas la misère totale, le père doit tous les mois se tortiller devant le gars “ impeccable comme un maître d'école en mieux habillé “, le directeur du Crédit agricole, (« Les jours de Crédit agricole, je le sais tout de suite, c'est moi qui cire les chaussures......Papa dit qu'il a plus de dettes autour du cou que la reine de Belgique de perles à son collier.»).

Et puis il y a Joël, le garçon pas comme les autres, et ça c'est une autre histoire. Et enfin les orties, celles du titre, alors là il y a plus d'une histoire .....



Émouvante, touchante cette très belle prose de Pagani, à l'humour subtil. Elle noie la rudesse et la tristesse de cette vie paysanne dans les mots et les métaphores qui irradient le texte, et en deviennent sa force. On sent qu'elle a la nostalgie de cette enfance campagnarde en communion avec la nature et les bêtes, mais où pourtant elle “n'a pas grandi avec du Nutella entre les doigts mais avec la glaise, la sueur, les caresses animales et la sale matière du travail pur “. Bien que dans le fond, ce ne soit qu'une niéme chronique d'une vie rural, le vrai talent d'écrivaine de Pagani en fait une ode à un monde en voie de disparition, celle de la richesse du sentiment d'appartenance au monde de la terre, un monde qu'elle a dû quitter pour un autre, mais auquel elle accepte pleinement son appartenance, même si ce n'est plus qu'au passé.

Je dois cette lecture à Mollymon, que je remercie en passant. Si vous aimez ce genre d'histoires, c'est magnifique, n'hésitez pas.



« ....tout est permis, la vie rêvée, la vie ratée.....Longueur d'un rêve : une nuit et toute une vie. »



*Coquelicot en italien.
Commenter  J’apprécie          1108
Des orties et des hommes

Ce livre sent merveilleusement bon. Il sent la grappa servie dans les tasses de café, il sent la poussière d'été à l'éclatement d'une meule de foin, le vert anisé des orties ramassées, les effluves matinaux de chicoré, l'odeur douceâtre et melliflue de la peau du lait chaud, celle écoeurante des fleurs de pommes de terre.

Il a la riche musicalité de la campagne : les abois des chiens, les sabots des vaches, le tintement de leurs chaines contre les mangeoires, leurs meuglements et leurs cascades d'urine, les cris des tronçonneuses, le bruit perlé des feuilles au vent, la giclée soudaine du lait dans le sceau en fer, les frous frous de la paille propre, les cris des enfants, le sifflet de la Cocotte-minute, le bruit éraillé du moulin à café, le clapotis de la polenta sur la cuisinière.

Et il est assorti de couleurs, souvent vives, rouge sang, rouge coquelicot, vert presque bleu poussant à la communion avec la nature, parfois ternes à l'image de ces petits villages en décrépitude :



« Tout est gris ici, le portail des granges, les volets en bois délavé, les chiens bâtards, les tabliers des femmes et les murs. Avec Nonna, on avance dans la tristesse du soir sans dire un mot. J'ai envie de crier juste pour avoir l'écho de la vie qui pourrait sortir d'une fille comme moi dans ce pétrin d'ennui ».



Les sensations enfantines d'un lieu, celui de la campagne charentaise, d'une période, les années 70, sont restituées avec sensibilité et émotion, avec sensualité. Sensations rassurantes et éternelles pour celle qui comprend si bien les paysages et les gens, la petite Pia, qui n'est autre que l'auteure.

A la lecture de ce livre, senteurs, sons, couleurs, se sont fourrées dans ma tête telles des graines semées dans le terreau fertile de ma mémoire de quadragénaire. L'écriture de Paola Pigani, écriture de dentelle, y a fait éclore de petites fleurs sépia, des fleurs de nostalgie, poussées entre les interstices, faisant surgir ce qui s'était immiscé en moi. J'ai l'impression d'être comme les tiroirs de l'armoire de la grand-mère de Pia, où « il y a du bruit à l'ouverture et à la fermeture. Les souvenirs crient de voir le jour ».



Les parents de cette famille paysanne installée en Charente viennent d'Italie. Leurs modestes revenus proviennent du lait des vaches, ces vaches qu'on « devrait aimer comme des personnes, pas seulement comme des remparts contre la pauvreté », ces vaches avec leur pis gonflés qui ballottent entre leurs pattes, « lourdes et lentes de tout leur lait et de la fatigue des prés ». Ils sont cinq enfants dont Pia âgé de 10 ans qui nous raconte son univers, un univers aimé mais dur ; c'est en effet un univers d'éreintant labeur, où les enfants aident quand ils ne sont pas à l'école, un monde coincé entre le rien et le peu « Entre ceux qui vivent de rien et ceux qui vivent de peu, il n'y a pas beaucoup d'envieux par chez nous ». Elle nous relate, de son point de vue d'enfant, l'arrivée des quotas laitiers avec les directives de la PAC, l'importance croissante des normes d'hygiène, la grande sécheresse de 1976, le dépeuplement progressif quand les anciens partent. Elle nous raconte de façon poignante son déracinement en pensionnat, son amour vibrant pour sa terre, pour ses habitants.



Même le tragique d'une inondation devient beau sous la plume envoutante de Paola Pigani : « le temps s'est envasé mais c'est beau de me sentir perdue dans ce village que je connais par coeur. C'est beau les saisons qui ravagent et recréent des horizons. le soleil se déclare au fur et à mesure que je m'éloigne du bourg et des champs d'eau ».



Ce récit c'est aussi une course contre la perte de l'enfance, contre ce qui est en train de changer dans la société, ce monde en voie de disparition, irrémédiablement, la petite Pia le sent confusément, de façon viscérale, instinctive, et essaie de retenir le temps :



« Mes doigts se dépêchent, s'enfuient dans le vert, cherchent à reconnaître l'enfance petite, la couleur innocente. Je sens bien qu'il y a autre chose, cette noirceur qui pousse en dessous. Plusieurs couches de saisons et le courage d'y croire encore au pays des parents, à tous ces gens autour qui durent. Un troupeau, des hectares de terre à travailler. Papa et maman sont usés et rien qui balaie la peine de vivre sauf les rires qu'ils s'inventent parfois ».



Ce témoignage c'est enfin l'amour de Pia pour son prochain, quel que soit son âge, quelle que soit sa différence. Une ode aux mélange des générations, un éloge du vivre ensemble, à l'image de l'affection qu'elle témoigne pour les petites mamies au sourire qu'elle aimerait amener avec elle, ou à l'amitié qu'elle ressent pour Joël, bossu :



« Je voudrais qu'il se déplie, le bossu, qu'il soit plus grand que nous tous.

Il vit toujours dehors, à saluer tous les passages, le facteur, le laitier, les troupeaux, les tracteurs. Il doit saluer le vent aussi. C'est un garçon-paysage avec une colline sur le dos qui absorbe les cris des chiens du vieux Ferdinand, les moqueries des récréations, le roulis des saisons. On le voit souvent sortir d'une grange, des buissons ou d'un fossé avec un drôle de sourire qui oublie le poids de sa bosse. Moi, je suis sûre que c'est la bonté qui dépasse de sa colonne vertébrale, un mystère de roche humaine ».



Les mots de Pia, loin de ressembler « à ces petits noeuds durs qui brillent comme sur les fils barbelés autour des prés » sont percutants de beauté, d'émotion, de délicatesse, de trouvailles. Une vibration animiste les enlace pour former un émouvant témoignage de la condition paysanne en France dans les années 70, une photographie de la France rurale de cette période, celle de la fin des Trente Glorieuses, notamment une photo en demi-teinte des agriculteurs non propriétaires de leur ferme et de leur terre, lourdement endettés, soumis aux cadences infernales du productivisme agricole à coup d'engrais et d'ensilage, d'élevage de poulets en batterie. « Avec les meilleurs voeux de bonheur du Crédit agricole qui nous serre un peu le cou ou la ceinture, ça dépend des jours ».



Le titre énigmatique s'éclaire alors, le parallèle avec le magnifique « Des souris et des hommes » de John Steinbeck, parlant lui aussi d'ouvriers agricoles, le parallèle est là, les parents émigrés rêvant eux aussi d'un lopin de terre à eux, d'une maison à eux, d'une agriculture humaine…En attendant, ils n'ont que les fossés et les palisses où ils peuvent cueillir gratuitement les orties pour les mélanger ensuite dans la nourriture pour les bêtes. « Il suffit de les prendre par la douceur et la peau ne sent rien. Je mets mes bras en cercle pour tenir le haut du sac. Nonna le remplit sans rien dire ».



Après une telle lecture, nous avons en bouche le caillé des superlatifs murmurés, et « le dire des arbres et du vent » que nous désirons alors écouter, seuls, sur les talus, le soleil couchant nous faisant un peu larmoyer, une tâche de bonheur sur le front, et des souvenirs devenus d'un coup si vivants…

Commenter  J’apprécie          9416
Des orties et des hommes

Nostalgie d’un passé, qui nous semble si proche et qui nous a construit, peu à peu, en avions- nous l’intuition, sinon la conscience?



Dans les années 70, être enfant d’immigrés, en Charente, c’est ne pas échapper aux sobriquets, macaroni, panzani. C’est aussi pour l’auteur vivre dans l’ombre d’une demeure, habitée par une demoiselle, dont on est les fermiers. Et accepter sans la plus petite arrière-pensée cet état des choses. C’est normal, c’est ainsi. Ce n’est que plus tard lorsque la nécessité de rejoindre le collège que les différences se dessinent avec ce qu’elles impliquent de conséquences : lutte ou rejet, fierté de ses origines ou énergie consommée pour les cacher.



Les pages défilent avec l’enfance, éphémère comme un bouquet de fleurs des champs, et l’auteure sait parfaitement y insérer ces repères dérisoires avec lesquels on se construit une image du monde restreint : a t-on ou non Tout l’univers?



C’est aussi le chant du cygne d’un secteur qui se bat désespérément, pot de terre contre pot de fer, happé par le chant des sirènes d’une organisation qui les dépasse : les agriculteurs vivent la fin d’un monde à visage humain.





Superbe récit d’enfance, où l’on voit poindre la future écrivaine, la poétesse qui écrit déjà sans imaginer alors que cette attirance pour les mots ne la quitterait jamais.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          912
Venus d'ailleurs

Ils s’appellent Mirko et Simona. Leur passé les rejoint parfois, au coeur de la nuit, envahis par des scènes de violence, celles-là même qui les a contraint à partir, partir d’une région où l’on ne cherche plus à vivre mais à survivre, avec la peur permanente accrochée aux tripes. L’Italie, puis la France. Lyon. Dans une précarité totale : logements provisoires, travail épisodique, lutte pour comprendre et se faire comprendre, incertitudes… Si Simona joue le jeu de l’intégration, luttant jour après jour pour effacer l’identité révélée dans une prononciation approximative, Mirko exorcise ses fantômes sur des terrains vagues, armé de couleurs et signifiant son existence dans un paraphe revendiqué.



C’est avec une grande délicatesse et un art de sublimer l’infortune que Paola Pigani nous fait partager le quotidien de ces deux immigrés kosovars, qui pourraient être originaires de biens d‘autres contrées mises à feu et à sang, condamnant leur peuple à fuir pour ne plus jamais se sentir chez soi.

Perte des illusions, patience infinie et peut-être vaine, ou trait sur l’histoire, chacun lutte avec ses ressources.



L’auteur épingle aussi le mépris et l’amalgame, l’inconstance de la compassion qui varie avec l’accoutumance, les absurdités d’un système empirique, qui subit ce qui était prévisible depuis longtemps et qu’aucun nationalisme ne pourra ignorer.



La plume est subtile, tout en nuance, et aborde ce sujet délicat avec pudeur mais détermination.



Une belle découverte
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          850
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

Premier roman de Paola Pigani, lu après le deuxième, Venus d’ailleurs. Le thème est proche : s’immiscer au coeur d’une population sinistrée. Si Venus d’ailleurs s’attachait à l’itinérance de ceux qui fuient une guerre, une oppression, et la menace permanente, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures aborde en contraste la mise en captivité d’un peuple essentiellement nomade. La guerre est encore ici le prétexte à contrôler les gitans.



« En période de guerre, la circulation des nomades, individus errant généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté"



Eux qui avaient déjà payer leur tribu à la France lors de la Grande Boucherie de 14-18, sans pour autant recevoir l’inutile honneur de figurer sur les monuments de gloire posthume, se retrouveront séquestrés en zone occupée dans des camps qui n’ont rien à envier aux sinistres établissements polonais ou allemands.



C’est à travers Alba, une toute jeune fille qui découvre les émois de l’adolescence, que l’auteur nous fera vivre le quotidien misérable du groupe, grossi peu à peu des nouveau-nés ou d’arrivants arbitrairement désignés.



Toute la vie dans ce camp est synonyme de perte : de l’identité, de la liberté, de l’envie de vivre même pour certains. L’évasion est illusoire, à l’extérieur , il ne suffit pas d’échapper à la vigilance des Schmits, la horde des bien-pensants est là pour signaler les errances et envoyer à l’abris des regards les différences qui incommodent.



Superbement écrit, le récit ne peut que nous séduire et nous rallier à la cause de cette minorité, malmenée dès que les désordres de la vie sociale réclament un bouc émissaire.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          844
Des orties et des hommes

L'auteur se remémore son adolescence au sein d'une famille de modestes agriculteurs de Charente, dans les années soixante-dix, alors que le monde rural en pleine mutation voit peu à peu disparaître les petites exploitations et mourir les villages.





Pia est la dernière-née d'une famille de cinq enfants, surnommés les Panzanis parce que les grands-parents sont venus d'Italie. La ferme et ses vaches laitières suffisent à peine pour joindre les deux bouts, au prix d'un travail incessant auquel participe activement la fratrie. L'enfance de Pia est pauvre et travailleuse, mais heureuse, au sein d'une tribu turbulente et unie, au contact de la nature et des animaux, dans un village qui connaît l'entraide.





Pia grandit, part en pensionnat à l'heure du collège puis du lycée, se retrouve confrontée à une société éloignée des préoccupations des « ploucs » en pleine crise. Déchirée entre sa fidélité à ses racines et l'appel du large, la jeune fille voit avec impuissance se déliter l'univers de son enfance : son frère et ses soeurs partent chacun leur tour vers leurs destins, les plus âgés et les plus fragiles des êtres chers disparaissent, personne ne reprendra la ferme familiale.





Le récit aux mille détails authentiques observe sans juger et avec humour les petits et grands évènements du quotidien, dans une ode à un monde en voie de disparition, pleine de tendresse et de nostalgie : c'est avec une infinie tristesse que s'impose sans recours l'incompatibilité entre l'énergie et les rêves de la jeune génération d'un côté, la déliquescence d'un univers condamné de l'autre.





Récit personnel et intime, servi par une langue souvent surprenante par ses trouvailles, Des orties et des hommes est un roman sensible et touchant, où l'émotion contenue rivalise avec l'humour, pour évoquer le passage du temps et l'éphémèrité de la vie.





Prolongement avec la petite histoire des orties, dans la rubrique le coin des curieux, en bas de ma chronique sur ce livre sur mon blog :

https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/06/pigani-paola-des-orties-et-des-hommes.html


Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          742
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

Le 6 avril 1940 le gouvernement décrète :

"La circulation des nomades est interdite sur la totalité du territoire.

Les nomades, c'est-à-dire toutes personnes réputées telles dans les conditions prévues à l'article 3 de la loi du 16 juillet 19121, sont astreints à se présenter sous les quinze jours qui suivent la publication du présent décret, à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de police le plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans une localité où ils seront tenus à résider sous surveillance de la police. Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du Préfet".

Le rapport relatif à ce décret précisait :

"En période de guerre, la circulation des nomades, individus errant généralement sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté".





Pour Alba, qui a alors quatorze ans, et ses parents, Louis et Maria, ce sera le camp des Alliers, situé sur la commune de Sillac, près d’Angoulême, qu’ils atteindront après une longue marche, dans le froid et sous la pluie, encadrés par les « schmits » (= gendarmes)

« C’est une horde de noyés qui franchit le portail du camp des Alliers ce jour de novembre 1940 »



Ils ont toujours vécu sous le vent, dans la crainte des murs, ils sont trop vivants pour les faiseurs de loi qui aiment que tout soit encadré même le rire des enfants.



Tout ce qui fait leur vie va s’éteindre comme la flamme de leurs feux.
Avec leur arrivée dans ce camp d’internement où on les parque, tout ce qui faisait leur joie, leur grâce et la légèreté de leur pas va s’étioler : « le seul savoir qui vaille chez les siens : avancer dans une vie où rien ne se perd, où tout est donné dans l’instant. »

Ce camp, en bordure de la ligne de chemin de fer Paris Bordeaux, va être le lieu sordide d’une succession de pertes : l’odeur du feu de bois qui imprégnait les vêtements, celle du lièvre grillé, de la lessive en plein air, 
perte du compagnon de voyage, l’animal le plus important pour leur survie, le cheval qui finit par mourir faute d’une nourriture appropriée

«  Les chevaux sont leurs ailes, leur puissance, leur signe extérieur de richesse. Ils sentent l’orage, les drames, imposent le respect aux gadjé, emportent des familles entières où bon leur semble. C’est à cheval qu’on s’enfuit, qu’on enlève les fiancées, qu’on traverse les forêts, les contrées inconnues, qu’on franchit les regards hostiles. » p 56



Perte du goût de faire vibrer les cordes du violon

p 88 le violon qui accompagne les fêtes et les deuils n’a plus que trois cordes et ils n’ont plus le goût d’en jouer.



Alba va devenir femme dans ce camp (p 75 « Alba est devenue une jeune fille grave, poussée par son propre sang et par l’absurdité de la guerre. »)

C’est par ses yeux que nous traversons le quotidien de la vie, les joies, les peines, les humiliations de ces années.



Parmi les joies celle, par exemple, d’entendre arriver et voir la migration des grues cendrées : « Un doux vacarme fait lever tous les yeux en même temps que les siens. Un voile sonore qui enfle au-dessus de leurs têtes, au-dessus des barbelés. Il les oblige à se souvenir qu’un grand territoire leur appartient encore, une zone libre céleste. C’est le passage des grues cendrées, là-haut. Des centaines d’ailes bruyantes, un immense V comme un accroc dans le bleu du ciel. p 54



Mais aussi la grande tristesse devant la dégradation des liens de la tribu : « Des règlements de compte agitent de nombreuses familles ici. La faim , le froid attisent des haines surgies de choses minuscules. » p 86 « …des mensonges des envies y faisandent » 
« Louis n’aime pas la tournure que prennent les choses, l’ennui qui éteint les regards et les voix, les jalousies nouvelles qui brisent les liens et cette peur toujours latente qui ruine l’espoir. »



Paola Pigani a réinventé la vie d’Alexienne (Alba dans le livre) qu’elle a rencontré alors qu’elle avait 80 ans. Elle nous dit qu’elle a « écrit sur des silences, sur un lieu qui n’existe plus. » Merci à elle pour avoir su ranimer la mémoire et redonner vie, à travers la voix de Alba-Alexienne, dans une belle langue pleine de poésie, à tous ceux qui y ont souffert et pour certains qui y ont laissé leur vie.

Commenter  J’apprécie          591
Et ils dansaient le dimanche

Ce très beau roman social aux contours historiques est centré sur le personnage de Szonja dont l'apparente fragilité cache un courage exemplaire. J'ai aimé la suivre tout au long du roman dans la découverte de sa personnalité, de ses attentes, de ses rencontres.



En 1929, l'usine française de textile Gillet et Chatin installée en Hongrie ferme définitivement ses portes. Tous ses ouvriers sont déplacés dans le nouveau site industriel installé à Lyon, la Sase (Soie artificielle du sud-est renommée plus tard Tase pour Textile) qui fabrique la viscose alors en plein essor.



L'usine embauche, l'emploi est rémunérateur. La promesse d'un meilleur avenir pour toute une jeunesse hongroise rurale et pauvre.

C'est donc avec le coeur et le pas encore légers que Szonja et Marieka, deux adolescentes de 17 ans quittent leur famille pour Lyon, c'est un contrat provisoire de 6 mois dit-on.

Seule la grand-mère sait. « De ses lèvres s'écoulait une prière ». La scène de la grand-mère sous l'ombre d'un tilleul au milieu des volailles est très poignante. Dernière image sur arrêt avant le voyage interminable vécu comme un enfer « On ne sait plus si on attend le soleil ou l'éternité ».



A travers Szonja, Paola Pigani fait revivre intensément toute une époque, un quartier, les lieux de vie austères où sont cantonnés les jeunes filles et les couples mariés, les échappées sur le canal de Jonage, les très dures conditions de travail.

Une ambiance restituée de façon très documentée qui frappe par sa puissance visuelle comme les murs de l'Hôtel des religieuses, rue de la Poudrette et son règlement intérieur très dur envers les jeunes filles «  On veut leur voix claires pour le chant des offices, leurs doigts fins pour embobiner le fil de viscose. Et surtout pas de rêves qui dépassent, pas d'envies de baisers derrière les buissons, ni d'échappées hors de la cité ».



La description à la fois très détaillée et puissamment humaine fait surgir de terre la mélancolie de la cité ouvrière, le familistère censé être la porte du bonheur dont l'architecture patriarcale renvoie les femmes mariées à leur condition «   Elles secouent à leurs fenêtres les petits riens de la vie entre l'appel aux enfants, le cognement des casseroles, les fredons de gaieté et les sorties de messe ».



A l'usine, les phrases courtes reproduisent la mécanique du labeur, les mains comme des pièces détachées du corps, attelées au filage, 60 heures par semaine dans l'odeur insupportable de l'acide sulfurique, du bruit, de la moiteur par le manque d'aération. 



L'écriture très imagée de Paola Pigani aide à affronter le quotidien de Szonja qui suffoque dans l'usine et dans sa vie de jeune femme.

Car l'imagination est la force de Szonja. Elle rêve près du château d'eau au bord du canal, laisse venir les notes nostalgiques d'un violon polonais, hume les herbes coupées de sa prairie natale quand le fermier apporte le lait.



Szonja la rêveuse se construit aussi à travers les autres et à travers la danse le dimanche, dans les bals de plein air « les femmes sont belles même sans bas dans de vieux souliers ajourés ».

Szonja apprend la légèreté, à relever la tête. Danser, c'est vivre.

Les rires sont les siens mêlés aux sonorités de voix étrangères de toutes nationalités et de toutes religions soudées par des liens plus forts que ceux du sang. «  Ce soir et pour 3 jours, chaque bal va assourdir le monde entier et ses rumeurs funestes, guerrières, raciales. On va envoyer son corps paître au-devant de soi dans une prairie d'étoiles, picorer des baisers. La musique va pousser chacun au centre, sur la piste » .



Le grand bal pour une insurrection joyeuse avant les grands rassemblements sociaux qui feront vivre à Szonja l'aventure collective de la solidarité.



J'ai beaucoup aimé ce roman pour son fonds historique et sa véracité, sa dimension sociale et le touchant portrait de Szonja qui parle au nom de toutes les femmes.



Paola Pigani dans un style à la fois réaliste et poétique entrelace avec talent les liens d'une communauté dont le patrimoine industriel aujourd'hui disparu en était le socle.



Un roman très fort et authentique.
Commenter  J’apprécie          552
Des orties et des hommes

Les auteurs que je vais rencontrer à la Comédie du Livre (salon du livre de Montpellier, pour les non-initiés ;) ) sont d'habitude les joueurs que j'ai déjà lu et apprécié et avec qui j'ai envie de parler de cette première lecture avant qu'ils me parlent de la prochaine. Avec Paola Pigani, ce fut totalement différent. J'ai eu la chance de la rencontrer plus longuement, puisqu'elle est d'abord venue animer, dans le cadre de sa résidence à Montpellier, un atelier d'écriture auprès du public que j'accompagne professionnellement. C'est forcément un temps privilégié, où on découvre en premier lieu la personne elle-même. Les exercices furent intéressant et la volonté d'enrichissement mutuel par l'échange évidente.



Je ne pouvais ensuite que venir la rencontrer sur son stand du salon pour m'intéresser plus directement à son versant auteure, raison d'être tout de même de sa présence à Montpellier. Entrée en littérature par le biais de la poésie puis de la nouvelle, Paola Pigani s'est essayé au roman à partir de 2013. Celui-ci est son deuxième, qu'elle m'a conseillé comme une entrée en matière dans son œuvre. Et le côté indéniablement autobiographique du livre est en effet un plus pour s'immerger dans son univers.



Car Pia, la jeune héroïne du livre c'est bien Paola. Le village de Cellefrouin est le village natal de l'auteure, la narration à la première personne, on ne cherche pas à nous masquer la vérité. C'est bien son histoire, celle de sa famille exploitante agricole cherchant à survivre de son travail, à acquérir des terrains, à faire construire une maison pour ne plus dépendre du propriétaire qui les fait travailler, tout cela dans un monde en pleine évolution, où on observe ces enfants sollicités dans le travail qui découvrent la musique, les émois amoureux et qui observent les changements en comprenant que cela impactera fortement leur avenir.



Le style est très recherché, il y a beaucoup de trouvailles stylistiques, de métaphores, de recherches pour évoquer l'influence des saisons, des bêtes sur les humains. Cela est parfois troublant car il y a une sorte de décalage entre un récit par une enfant devenant adolescente et un style clairement adulte, mais on finit par s'habituer et comprendre que ce sont à la fois des souvenirs d'enfance et une recréation d'un monde par une adulte nourri de toutes ses nouvelles connaissances. On sent poindre chez la jeune fille le rêve de l'auteure, distillé sans être affiché clairement, au milieu des doutes sur le futur qui ne s'annonce pas tranquille. La galerie des personnages qu'il soit familiaux ou non est très riche également. Ils réapparaissent de façon très ordonnée, rythmant agréablement le récit, marquant des points d'étape car la narratrice se voit évoluer en constatant en miroir les changement chez eux, qu'il s'agisse de ses sœurs, de ses amies d'enfance, des vieilles dames du village qui perdent en autonomie.Mention également pour les orties, qui figurent presque elles-aussi un personnage principal, du titre où elles prennent la place des souris de Steinbeck aux différentes apparitions où elles sont le plus souvent réhabilitées, par leur utilité et par ce qu'elles symbolisent d'un monde qui ne se laisse pas facilement saisir.



Paola Pigani sait donc à merveille peindre le temps qui passe, le temps ravageur pour cette agriculture traditionnelle et ce petit village isolé, tellement mal armé pour résister à la marche de l'époque. Le Monde évoque pour en parler "un chant d'adieu au monde paysan", malgré la tristesse qui sourt de ces lignes j'ai assisté avec plaisir au récital.
Commenter  J’apprécie          538
Des orties et des hommes

Des orties et des hommes est un roman autobiographique dans lequel est racontée l’enfance semi sauvage d’une petite fille de dix ans. On y comprend vite que Pia le personnage principal n'a pas grandi avec du Nutella entre les doigts au goûter, mais avec « la glaise, la sueur, les caresses animales et la salle matière du travail pur ».



« Nous, le temps qui passe, les saisons on s’en fiche, du moment qu’on les relie aux choses de la vie, aux récoltes. Pourtant je grandis, je porte déjà des robes de Dora avec des chaussures d’Adamo. Je ne me regarde jamais dans la glace et je ne suis bien qu’en pleine terre. »



De « son pays perdu de l’enfance », dans une mise en lumière des gestes du quotidien d’une ferme charentaise des années soixante-dix, les yeux de cette enfant à la fois libre et loyale écrivent sur un cahier d’essai des pages et des pages sur le travail de la terre et la vie des animaux, donnant ainsi beaucoup de dignité à la rude vie d’exploitant agricole.



La survie de sa famille d’Italiens exilés nous est dessinée sous la forme d’un récit très intimiste rendu ultra sensible grâce à une plume ciselée mais aussi poétique là où, vu le contexte, on s’attendrait à autre chose de plus chaotique. C’est d’ailleurs toute la gageure de ce type de récit que d’être à même de déposer ça et là tant de douceur.

« Mais qu’a-t-on à gagner à vivre loin des arbres et de nos bêtes ? » se demande-t-elle lorsqu’avec l’âge elle est obligée de partir découvrir d’autres cultures que la sienne, notamment au pensionnat. Alors, une colère souterraine sera exhumée de ses retranchements intellectuels pour l’accompagner ensuite partout où les cloisonnements de caste projetteront moults injustices et dysfonctionnements sociaux.



« La pension, c'est les sœur grises ou les professeurs raides comme des branches mortes ».



Ce qui éclaire aussi ce texte original, c’est la plongée dans la question des racines, du déterminisme social, de l’exil (des grands-parents et parents entre autre). La langue se dessine de manière imagée dans la lignée de Raymond Depardon.



« Est-ce que ce pays est trop petit ou bien trop grand ici ? »

Hélas, même si j’ai apprécié la teneur et l’effort d’écriture précédemment décrits, les bruits du « froufrou de la paille propre et de la cascade d'urine des vaches » m’ont lassée assez rapidement. Les cris des frères et des sœurs dans la cuisine, le tac-tac du sifflet de la cocotte-minute… ne m’ont pas passionnée.

« Comment trouver sa place dans une vie en vrac ? » n’est-il pas finalement la grande question que chaque personne équipée d’un minimum de sensibilité s’est posée à un moment ou à un autre ? Rien de transcendant là-dedans, parce que l’auteure a fait le choix de pas aller au fond des choses (comme le fait si bien Annie Ernaux) préférant le travail de la langue avant tout, et la beauté des images littéraires.



Certes, la fraternité et le respect qui existent entre ces gens-là, malgré la douleur et la dureté de leur quotidien et les conflits inhérents au monde agricole sont touchants, mais j’ai trouvé que ce texte manquait aussi de rythme.

Pour moi, cette chronique intime n’explore pas suffisamment les âmes des uns et des autres, restant trop en surface des faits et des actes qu’ont recueilli les yeux et les oreilles de l’enfant PIA.



C’est donc un sentiment de déception que je ressens à l’issue de cette lecture trop longue pour moi, même si je suis certaine que cette lenteur peut plaire à d’autres.




Lien : http://justelire.fr/des-orti..
Commenter  J’apprécie          450
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

Je ne sais pas si vous connaissez le décret du 6 Avril 1940 qui édictait la norme suivante: "en période de guerre, la circulation des nomades, des individus errant généralement sans domicile fixe, ni patrie, ni profession effective, constitue pour la défense nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté. »



Suite à cette disposition, environ 350 Tsiganes de Charente et de Charente-Maritime furent internés en octobre 1940 au camp des Alliers sous l’autorité du préfet et de la Kommandantur d’Angoulême alors en zone occupée. Les familles ont vécu là six années dans des conditions déplorables.



Paola Pigani a recueilli les souvenirs d’une grand-mère Manouche qui a passé toute son adolescence dans ce camp d’internement, elle nous livre un beau récit poignant, véritable roman d’initiation ou Alba qui a 14 ans à son arrivée au camp le quittera six année plus tard jeune mère de famille. Entre temps elle aura tout vécu, le froid, la faim, l’humiliation ,le deuil mais aussi la solidarité, l’amitié et l’amour.



D’une écriture sensible et poétique, l’auteur sait donner vie et chair à toute cette communauté et longtemps après les personnages nous poursuivent. Voici une fort belle œuvre littéraire mais aussi un vrai récit humaniste qui donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. Une très belle découverte de cette rentrée et une nouvelle plume, celle de Paola Pigani, qui écrivait jusqu'alors des nouvelles et des poèmes, à suivre désormais avec la plus grande attention!!.

Commenter  J’apprécie          451
Venus d'ailleurs

N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Paola Pigani a été pour moi un moment fort de lecture avec son cocktail d'émotions, de poésie et d'indignation devant le tragique sort réservé aux tziganes français à partir de 1940. C'est donc avec confiance que j'ai abordé la lecture de : Venus d'ailleurs .

Mais le bel enthousiasme éprouvé à la lecture du premier n'a pas été au rendez-vous car très vite j'ai senti que je ne serais pas sous l'emprise de la mystérieuse alchimie qui s'opère dans les bons romans.

Ce dernier répond pourtant aux mêmes principes : de courts chapitres qui racontent la terrible odyssée d'un frère et d'une soeur, Mirko et Simona, obligés de fuir leur Kosovo natal à feu et à sang pour se retrouver sur les chemins de l'exil comme des milliers de Kosovars qui, en 1999, ont dû fuir la guerre .

La qualité de l'écriture est toujours là : art de croquer un portrait en quelques traits, de suggérer une ambiance de rue vivante, colorée, odorante ou bien feutrée et irréelle sous le poids de la neige et de la nuit. Paola Pigani a un oeil de peintre et la plume poétique. Mais une succession de scènes bien vues ne suffit pas à faire un bon roman et entraîner la lectrice ou le lecteur dans son sillage. Et c'est vrai que je n'ai pas suivi pas à pas Mirko et sa soeur dans leur parcours du combattant pour obtenir le droit de vivre sur le sol français, à Lyon plus particulièrement, ville choisie par Mirko parce "qu'avec deux fleuves et deux gares, cette ville pouvait bien ressembler à un port."

Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Je pense que c'est d'abord dû au fait qu'il n'existe pas la tension créée par un fil narratif bien tissé : trop de scènes répétitives -visites au libraire de la Croix-Rousse- ou presque digressives comme celles qui ont pour cadre le milieu des taggers. Trop de scènes convenues aussi : celle ou une vilaine "mèmère à chienchien" xénophobe humilie Mirko publiquement ou bien celle où il se fait massacrer par un groupe de skins.

Quant aux deux héros de cette histoire Mirko et Simona, j'ai trouvé qu'ils manquaient d'étoffe, de complexité, surtout Simona dans sa rage d'intégration dépeinte, me semble-t-il, de façon un peu caricaturale.

Je me suis donc demandée si la différence de qualité que j'ai perçu entre ces deux romans ne venaient pas d'un problème de mise à distance de la réalité pour le deuxième. J'ai senti Paola Pigani tiraillée entre d'une part la volonté de rendre compte au plus près de la tragédie des migrants et d'autre part la nécessité de s'approprier en tant que romancière le parcours de deux d'entre eux en suivant les règles de l'univers fictionnel qui obéit à d'autres critères que ceux du simple témoignage.

Et ce n'est pas la première fois que je constate que, de façon paradoxale, l'univers fictionnel lorsqu'il fonctionne bien par la force et la densité des récits qu'il propose est beaucoup plus efficace dans l'effet qu'il produit sur le lecteur que le simple témoignage. C'est ce que j'ai ressenti dans N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures et pas dans ce roman.

Mauvaise pioche pour moi ce qui ne veut pas dire que d'autres lectrices ou lecteurs éprouveront les mêmes ressentis...
Commenter  J’apprécie          432
Des orties et des hommes

Un petit trésor de tendresse et de poésie. ..pourtant dans la ferme Charententaise où les parents de Piano, émigrés italiens s'escriment, le travail est âpre pour faire face au quotidien : élever les enfants, rembourser l'emprunt au Crédit Agricole. ..Mais la famille est soudée ; peut-être "petites gens" au grand coeur mais à la dignité farouche. .



Je découvre Paola Pigani,avec ces souvenirs d'enfance.Un

Texte extraordinaire ,hommage double à des parents vaillants,aimants, transplantés hors de leur Italie natale et hommage, mise en situation du monde finissant paysan des années 70...

Une prose fluide,avec une petite musique originale,de belles images,métaphores poétiques et décalées. ..Un vif plaisir de

lecture où on s'attache rapidement à la petite Pia ainsi qu'à la famille, et aux personnages qui gravitent autour. Un petit monde (en effet) à la fois "gigantesque et minuscule"...



Je prolongerai plus tard (avec mon ordi) ma chronique...Car là avec le téléphone portable c'est juste pas possible...Cela s'efface ..Des coquilles se glissent...Une acrobatie pas très satisfaisante !!



Pour dire toutefois mon très vif plaisir d'avoir découvert cette auteure-poétesse, à la plume allègre et joyeuse, en dépit de la vie âpre et éreintante de ses parents dans la campagne française. C'est en plus une excellente chronique sociale des années 70 d'un monde rural finissant et si peu considéré.















Commenter  J’apprécie          396
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

La poésie du titre de ce livre mérite à elle seule 5 étoiles. Il s'agit d'un proverbe tzigane que Paola Pigani a mis très justement en application pour son premier roman. Fille d'une famille d'immigrés italiens, elle a côtoyé dans sa jeunesse en Charente, une communauté manouche et c'est l'histoire vraie de la grand-mère, qu'elle fait renaitre sous les traits d'Alba, son héroïne, qui l'a inspirée.



Fait assez méconnu de l'Histoire, de nombreux "nomades" ont été parqués dans des camps d'internement pendant l'occupation allemande. Dans celui des Alliers, près d’Angoulême, Alba et les membres de sa famille vont y être enfermés de 1939 à 1946, donc entre les 14 et les 20 ans de la jeune fille.

L'auteure nous raconte dans ce roman leur quotidien, principalement celui des femmes et des enfants, les hommes étant autorisés à sortir par obligation de travailler. Les autorités savent que le lien de la famille étant très puissant chez les gitans, ils rentreront chaque soir au bercail retrouver les leurs. Pour ceux qui ont pour maison le monde entier, la privation de liberté est encore plus terrible, ajouté à cela la privation de leurs seuls biens, leur roulotte et l'autre partie d'eux-mêmes que sont leurs chevaux. Au milieu de la misère décrite avec pudeur, la talent de l'auteure transperce à travers la poésie qu'elle distille çà et là, telles les roses que Louis, le père d'Alba, veut faire pousser sur le fumier. Mais surtout c'est l'espoir qui sommeille dans le cœur de certains comme la braise qui charmille dans le feu en apparence éteint. Malgré l'enfermement, la vie continue avec son lot de deuils, ses naissances, ses premiers émois.



Paola Pigani n'accuse personne, ne cherche pas de responsables, elle évoque plus ceux qui aident les prisonniers, ceux qui font le bien, que ceux qui obéissent aveuglément aux ordres. Quand arrivera l'Armistice, il faudra encore un an avant que le camp des Alliers soit libéré. Ceux qui auront survécu reprendront leur vie de errance à zéro, sans aucune reconnaissance de l'Histoire pour le préjudice subi. La Mémoire des gens du voyage ne figurera sur aucun monument. Devant les prémices de la sédentarisation des siens et les débuts de l'alphabétisation des jeunes, celle qui a inspiré Alba n'a plus qu'un souhait, vieillir en paix et oublier, toute la sagesse d'un peuple appelé à vivre et mourir dans la discrétion.



Tout simplement magnifique, plein d'émotions et de retenue, le contenu de ce roman à l'écriture sobre, mérite donc, comme son titre, la note maximale de 20/20.
Commenter  J’apprécie          390
Des orties et des hommes

L'an dernier, la lyonnaise Paola Pigani a sorti en grand format, chez son fidèle éditeur Liana Levi, "Des orties et des hommes ", son troisième roman, qui est sans doute le plus personnel, le plus abouti et le plus reconnu médiatiquement.



Un roman quasi autobiographique, qui relate l'histoire d'une famille d'italiens exilés, des petits paysans en grande difficulté, dans la Charente dans les années 70, où les enfants tentent d'aider leurs parents pour survivre au milieu de la nature.



Dans ce beau roman, sensible et pudique, Paola Pigani a senti le besoin de revenir sur le terreau de son enfance, la Charente, avec un regard à hauteur d'enfant sur un milieu social particulier, celui de la France rurale et catholique des années 70.



Ce portrait d'un monde paysan vivant en autarcie, monde aujourd'hui totalement disparu, est décrit sans concession, mais avec une tendresse et une empathie évidente.



Ce monde paysan fraglisé par de grosses exploitations sans vergogne est le point névralgique d'une France alors en pleine mutation que Pia, la petite fille du roman de Pigani ne perçoit évidemment pas sous cet angle.



"Des orties et des hommes", qui nous immerge dans l'intimité d'une famille italienne à l'organisation très patriarcale, est un récit d'une puissance évocatrice indéniable.



On y perçoit pleinement la force de l'invisible et du vivant, ainsi qu'une ode au courage des hommes (et des femmes) avides de labeur, de besogne.La nature, omniprésente et souveraine, y est très présente, grâce à l'écriture très sensorielle de son auteur.



Elle contrebalance avec le sentiment d'enfermement et d'emmurement que va connaitre Pia, en partant pour un 'internat bien plus hostile que cette terre âpre mais finalement si accueillante.



Un hommage aussi poétique que réaliste à un monde révolu...
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          372
Des orties et des hommes

Ces derniers jours, je me suis coulée dans l'univers de Pia, cernée par des petites phrases si simples, si belles, si poétiques, si vivantes et débordantes d'énergie que j'en ai encore le tournis. Je me suis laissée prendre dans ce tourbillon de mots, de verbes précieusement choisis et assemblés pour faire éclater les images qui jaillissent de l'univers de cette exploitation laitière, dans une petite ferme de Charente.



Chez Pia, vous y trouverez la fragilité du sourire de Joël, le poids de sa bosse et ses saluts sur le bord de la route. La 4L piquée de rouille conduite par le papa dont la voix entonne inlassablement Io sono un povero negro. Mademoiselle qui occupe aux beaux jours le château d'à côté, une autre vie ordonnée et silencieuse. Les cris de ses trois soeurs et de son frère, l'éphémère d'une grande fratrie. Les corvées de tous les jours avec le ronron des trayeuses, les vaches aux pis gonflés pour remplir le tank à lait. La force des biscoteaux pour transformer la crème battue en belles mottes de beurre. Les herbes sèches jetées dans la botteleuse.

Vous apprendrez à cueillir en douceur les orties pour ne pas qu'elles se vengent.

Vous devinerez les vestiges des origines italiennes qui ressurgissent à travers les clapotis de la polenta et les « porca miseria » à chaque coup dur. Et les coups durs planent avec la politique d'écrasement des petits producteurs pour donner les moindres miettes du gâteau aux tout-puissants qui contrôlent cultures et élevages. Ils se cachent aussi derrière les emprunts au Crédit Agricole, sous les blessures de la grande sécheresse de 1976, dans le hameau qui se dépeuple lorsque l'au-revoir aux anciens arrive, inévitablement.



Et tant, tant de choses encore, tous les restes de l'enfance perdue au milieu des champs.



Une toile de fond égrène les années 70 avec ses feuilletons, ses chansons, son odeur de chicorée et ses petits biscuits à messages. Souvenirs, souvenirs.



Ce n'est pas une grande histoire mais un chapelet de petits riens, de petits faits qui remplissent les jours puis les années d'une enfance à la campagne. Une enfance dont les gestes, les élans, s'effacent tout doucement pour d'autres horizons.

En savourant chaque phrase, j'ai trouvé beaucoup d'émotions tapies derrière ces orties et derrière ces hommes sur cette terre de Charente, dure mais attachante.

Paola Pigani a su en faire des explosions de tendresse, en toute simplicité, comme celle-ci :

« À la maison, la polenta est prête. Maman a préparé un gâteau. Elle roule l'amour des siens dans la farine. Le chagrin de nous avoir loin d'elle pendant des jours, elle le pétrit et l'aplatit comme elle peut. »

Je n'ai pas résisté, j'ai adoré !

Commenter  J’apprécie          375
Des orties et des hommes

Une lecture magnifique sur le plan poétique, j'ai adoré tout le long du récit le style, la musique, le phrasé, l'ambiance, les personnages, l'époque ah oui j'ai adoré me replonger dans ces années de mon enfance, retrouver les odeurs, les chansons, les parfums de mon adolescence, Pia c'était un peu moi, Pia m'a enchantée tout le long du roman. Un pur bonheur de lecture. Si l'agriculture connaissait les prémices d'un changement inévitable , les difficultés vécues par les petits exploitants, la vie était quand même bien différente et d'une certaine façon plus facile qu'aujourd'hui.

Pia nous fait vivre une évolution tant de la société que de l'enfance vers l'adolescence puis vers l'âge adulte.

tout est sensible, à fleur de peau, intimiste, tendre, coloré parfois un peu pastel comme les posters de David Hamilton. D'ailleurs si je devais comparer ce roman du moins l'image c'est vers ces ambiances de ce grand photographe que je me tournerai. Tout dans la nuance, le clair obscur, la douceur, malgré des passages bien campagnards mais ça reste pourtant poétique.

Un pur régal à lire pour ceux qui aiment la poésie, les nostalgiques des années 70 -80 se réjouiront de revivre une époque révolue.

A lire, à partager, à relire, à découvrir. Magnifique !
Commenter  J’apprécie          361
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures

Beaucoup de poésie et de sensibilité pour ce beau roman qui évoque l’internement des gens du voyage dans des camps pendant la 2e guerre mondiale.

En se basant sur les souvenirs d’une vieille tsigane, l’auteure raconte l’adolescence d’Alba, jeune fille de 14 ans enfermée avec sa famille dans un camp de Charente : six longues années à souffrir de la faim, du froid et de la vermine, six longues années privée de mouvement, de plein air, de feux de bois et de nuits à la belle étoile, à s’interroger sur les raisons de cet internement… Une belle réflexion sur la liberté porté par un texte extrêmement poétique. Merci Babélio et Liana Lévi !

Commenter  J’apprécie          360
Concertina

J'aime beaucoup les recueils de nouvelles et il m'arrive souvent d'en lire parallèlement à une lecture de roman. "Concertina" restera l'un de mes recueils préférés, je ne suis pas certaine de le ranger sur son étagère, afin de relire quelques pages, comme pour retrouver un ami ou une existence qui m'habite désormais.





Les nouvelles très courtes - quelques pages seulement, moins de dix (sauf une), qui constituent ce livre sont autant de récits de vie, autant de malheurs de vie, autant de récits d'exil. Tous sont bouleversants, racontant ces êtres souvent cabossés, déboussolés et qui se raccrochent à une présence ancienne, un être cher, un visage entre-aperçu ou quelques notes de musiques entendues, un élément de leur environnement comme point d'ancrage dans une vie trop éparpillée afin de ne pas sombrer. Ce sont des récits de solitude, d'exclusion, de nostalgie. Des récits qui nous font voyager aux côtés d'enfants, d'adolescents perdus, d'émigrés, de gitans, au sein des villes ou en campagne. C'est cosmopolite géographiquement, socialement et humainement et c'est ce qui fait la richesse de ce recueil.

Le paysage et la nature urbaine ou rurale sont des personnages à part entière de chaque récit comme pour confirmer que l'Homme n'existe qu'en regard de ce qui l'entoure.





J'avais déjà découvert l'écriture de Paola Pigani avec un autre de ses livres, auparavant, et la poésie qui y habite m'avait époustouflée et c'est le même sentiment que j'ai eu en lisant les pages de ces nouvelles, sentiment multiplié par autant de morceaux de vies que j'emporte désormais dans ma tête.







Ne passez pas à côté de ce merveilleux recueil si vous appréciez le genre...
Commenter  J’apprécie          316
Venus d'ailleurs

En 2001, comme plusieurs kosovars fuyant la guerre, un frère et une sœur arrivent en France, à Lyon plus précisément ; c'est leur parcours que nous retrace l'autrice. Chacun des deux a une volonté différente, leur avenir l'est aussi : l'une souhaite ardemment s'intégrer à la société française ,

J'ai beaucoup apprécié les descriptions poétiques de l'hiver lyonnais, j'ai parcouru avec les protagonistes de l'histoire les rues et les quartiers que je connais bien, j'ai compris sans regarder le lexique un des seul mot albanais que je sais.

Hélas, la situation est bien différente maintenant, près de vingt ans après et il n'est plus guère question de droit d'asile et d'accueil décent pour ces migrants venus de l'Est !
Commenter  J’apprécie          300




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Paola Pigani (569)Voir plus

Quiz Voir plus

Sur la piste des homonymes

pioche et veste

brouette
manche
poche
truelle

13 questions
224 lecteurs ont répondu
Thèmes : lexique , homonymeCréer un quiz sur cet auteur

{* *}