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Critiques de Patrice Jean (132)
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L'homme surnuméraire

Patrice Jean, auteur que je viens de rencontrer grâce au billet de Christophe, entre d'emblée avec le personnage de Serge le Chenadec propriétaire d'une agence immobilière, dans le vif d'une autopsie de nos sociétés contemporaines.

Ce monsieur Tout le monde au physique médiocre, arrivé à l'âge adulte se noie dans des questions existentielles superficielles. Il va vite retrouver ses repères dans une rencontre fortuite avec une femme « qui lui est supérieure », la rencontre se finalisant avec un mariage et deux enfants , « Vraiment, le mariage arrangeait tout : plus de solitude, fornication à volonté, respectabilité, approbation maternelle , sentiment d'être un homme. » Sauf que cette finalité qui rassure , s'avère très vite n'en être pas une. D'un père de famille, il est vite réduit à un simple domestique oeuvrant à la satisfaction matérielle des membres de cette même famille, qui le méprisent, pour son aspect physique, son manque d'intérêts culturels,....bref symbol de la difformité. « Serge le Chenadec, agent immobilier,quarante-cinq ans, marié, deux enfants : l'homme surnuméraire “, traduction : le loser qui n'a plus sa place dans nos sociétés contemporaines, un personnage en trop et superfétatoire. Alors qu'on se demande ce qui va s'en suivre car nous sommes qu'au tout début du roman, Patrice Jean change de perspective et nous introduit un second personnage « surnuméraire », Clément Artois, la trentaine, beau garçon, grand lecteur au chômage......mais qui va pourtant bientôt se lester d'un boulot éditorial assez particulier. Ce dernier consistant à faire subir des cures d'amaigrissement assez drastiques aux grands classiques littéraires, coupant dans l'oeuvre « les morceaux qui heurtent trop la dignité de l'homme, le sens du progrès, la cause des femmes..... pour les rendre humaniste». L'écrivain en profite pour se lancer dans une critique sans pitié des milieux éditoriaux, avec quelques piques aux lecteurs et lectrices, surtout à ceux ou celles qui ne se contentent pas de lire mais qui profèrent aussi ses opinions, comme nous par exemple 😁 ! Perso j'ai trouvé cette partie très divertissante, vu que c'est juste et lucide.



Ces deux personnages surnuméraires, qui n'ont strictement aucun terrain de rencontre, vont se croiser par le biais de la littérature. L'histoire de le Chenadec est un roman dans un roman, une mise en abyme. À travers l'analyse des relations sociales et privées des deux protagonistes,on débouche sur une satire brillante de nos sociétés actuelles . le snobisme des classes privilégiées envers tout ceux ou celles qu'elles ne voient pas dans leur rang (argent, milieu, capital culturel, salaire et même aspect physique et habillement ) ; le pédantisme des intellos des milieux universitaires dont les borborygmes deleuziens ou foucaldiens résultent dans des discours sans queue ni tête (« ...en gros il ne disait rien... »), mais qui face au désir charnel se réduisent à l'état de primate 😁 (revanche époustouflante de l'auteur et de son alter-ego fictif Patrice Horlaville).



Un livre intéressant qui touche à de nombreux thèmes.Doté d'une excellente prose et d'une structure particulière, sans tomber dans de profondes réflexions pédantes , l'auteur s'emploie à nous donner une piètre image de l'humain et de ses occupations existentielles , le couple, le sexe ( quand on emploie le mot copuler pour faire l'amour, c'est déjà autre chose ), l'amour, l'amitié, et les rapports sociaux. L'image d'une société scindée en deux, les gagnants et les perdants, achève ce tableau pessimiste, où l'on a d'yeux que pour les premiers, et qu'on méprise royalement les seconds , le « on » étant un très large public. Personnellement , j'ai aimé nos deux perdants, nos deux hommes surnuméraires qui restent fidèles à eux-mêmes quitte à rester "losers" !



Merci Christophe, ton billet ne m'avait pas donnée envie de le lire d'emblée, mais finalement la curiosité l'emportant , c'est toi qui me l'a fait lire 😁!



«  J'avais toujours été frappé par le dogmatisme bébêtes des philosophes, du moins des professeurs de philosophie que j'avais rencontrés.Même quand il citait le sceptique Montaigne, c'était pour fabriquer une théorie du scepticisme, où il ferait bon vivre, à l'abri de l'existence. »
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La Poursuite de l'idéal

Quand je serai grand, je serai poète.

Esthète, mon grand, ce n’est pas un métier.

A défaut, Cyrille Bertrand, la vingtaine rêveuse et indécise, après des études supérieures (à quoi ?), trime dans les rayons désenchantés d’un Carrefour Market puis au service contentieux chez Salons&Cuisines. Les vers sont dans le fruit.

Son amitié pour un grand bourgeois ambitieux, Ambroise d’Héricourt, lui fait effleurer les cimes de la haute société et du luxe sans lui permettre d’y planter son piolet. Le garçon est à la fois attiré par les chimères du modernisme et déchiré par son désir d’écrire de la poésie. Il ne veut pas être un poète maudit, mais un poète riche, plus Valery Larbaud que Rimbaud. Un désuet bling bling.

Par piston et compromission, « notre héros », comme l’appelle l’auteur par hommage à Stendhal, va faire son trou dans le milieu culturel en participant à la création d’un musée de la littérature française, appât à controverses, puis dans la production d’une série TV netflixée, bien loin de ses poésies. La vie devient matériellement confortable, Cyrille goûte au succès, mais son âme étouffe. L’existence est salissante. L’arrivisme qui ne mène à rien.

Dure est la vie des personnages des romans d’apprentissage qui se frottent au monde et se confrontent au déterminisme social. Coups de cœur pour des femmes prises et éprises d’un autre, coups de massue sur la réputation, coups de coude pour se faire une petite place au paradis des lettres, coups tordus au boulot, cou…rage pour ne pas perdre toutes ses illusions. C’est le métier qui rentre.

Ils devraient fonder un mouvement, les Julien Sorel, Pip, Lucien de Rubempré, Candide et consorts et se plaindre contre tous ses auteurs qui douchent l’idéal et savonnent l’ambition dans le dos.

Patrice Jean respecte les codes du genre mais comme dans son précédent roman, l’homme surnuméraire, le récit est l’occasion de fissurer les miroirs flatteurs de l’époque. Carglass répare, Patrice Jean brise la glace. Son œuvre reprend le flambeau de celle de Philippe Muray par la voie romanesque. Il ne porte pas l’universalisme dans son cœur, les cultureux qui cultivent la bien-pensance lui donnent des boutons à vouloir aseptiser le monde, à juger l’histoire ou à la réécrire pour la rendre présentable. Ses personnages se mettent au diapason au rayon pessimisme. Un vieil universitaire, Trézénik, qui coordonne la création du musée joue dans l’histoire le rôle de l’oracle aigri et du vieux pas très sage. L’auteur lui oppose habilement un intellectuel télégénique qui surfe sur les vagues en vogue de la repentance et de la moraline. Le fameux « mutin de Panurge » de Muray. Les autres protagonistes, plus ancrés dans le quotidien, permettent de ne pas sombrer dans un simple débat d'idées. L'histoire vit, nous transporte à Naples et dans toutes les couches de la société.

En ces temps où le moindre pas de côté devient une polémique, j’ai apprécié ce récit à contre- courant, courageux et résistant qui ne s’interdit pas grand-chose tout en conservant une vraie verve romanesque. Ce qui m’a séduit également, ce sont les ambigüités des personnages qui permettent d’éviter à l’histoire de tomber dans le pamphlet. Certes, la lecture est lente, les tergiversations du héros parfois agaçantes et ses passions amoureuses parfois ennuyeuses, mais le style est vif, les aphorismes pullulent et tout le monde en prend pour son matricule.

La nostalgie des poètes disparus.

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L'homme surnuméraire

Les Editions Langlois ont lancé une collection « humaniste » publiant les chefs d’oeuvres de la littérature mondiale expurgés de leurs contenus « politiquement incorrects ». Etienne Weil, le directeur de collection, est secondé dans ce jeu de massacre par Clément Artois un jeune diplômé que Lise, sa fiancée, a pistonné en jouant de ses relations universitaires.



Weil et Artois ont mis un mouchoir sur leurs scrupules de « censeurs » quand ils ont vu le succès médiatique et financier de la collection … rapidement copiée par les concurrents. Certes effacer quatre-vingt pour cent d’un livre de Céline n’est pas anodin, mais les lecteurs se délectent de l’ouvrage aseptisé et les rares critiques sont rapidement pulvérisées par le talentueux Etienne Weil, redoutable polémiste et référence morale inattaquable dans le milieu germanopratin qui dicte sa loi aux médias.



Doté d’un regard incisif et d’une plume caustique, humoristique et ironique, Patrice Jean régale son lecteur en décrivant les éditeurs, les universitaires, les sociologues et les modes qui façonnent l’édition. D’une écriture élégante il peint la réussite des lancements « humanistes ».



Mais tout se corse quand il s’agit de rewriter « L’homme surnuméraire », ouvrage commis par l’obscur Patrice Horlaville dont la conclusion, notamment mais pas seulement, est jugée « incorrecte ». La vie romanesque de Serge Le Chenadec, Claire son épouse, leurs deux enfants et leurs amants respectifs va devoir s’inscire dans cet « humanisme » pour nous offrir le feu d’artifice final.



Il y a du Houellebecq en Patrice Jean et je suis ravi de le voir désormais publié par Gallimard qui va le sortir de sa « Tour d’ivoire » et le révéler. Quel art pour jongler entre deux couloirs narratifs en menant le lecteur de rebondissement en rebondissement. Quelle liberté de propos pour s’amuser de nos « précieuses ridicules » qui encombrent les médias avec leurs expressions préfabriquées ! Quelle empathie vis à vis des petites gens (Chantal), des provinciaux et des paysans.



Et surtout l’auteur plaide pour la culture classique, les humanités, la littérature … de quoi le classer du coté des nostalgiques soupçonnés de collusion avec qui vous savez.



Dois je avouer que je me suis délecté avec ce chef d’oeuvre qui évoque « Le Voyant d'Étampes » ?
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Revenir à Lisbonne

Les portugais ne sont pas tous maçons. Stop aux clichés ! Il y a aussi des plâtriers, des couvreurs, des carreleurs, des peintres, des tailleurs de pierre…

Je reviens de Bacalhau city avant l’invasion de tous les scouts et Côme de France pour les JMJ et je suis effaré du nombre de maisons en perpétuels travaux. Moi, les vacances, c’est les pieds dans le sable. Eux, c’est les mains dans le ciment. En fait, incapable de planter un clou droit, c’est vraiment la jalousie qui parle face à ce peuple de bâtisseurs… et d’entraîneurs de foot aussi.

Cette digression inaugurale n’est pas sans lien avec le roman de Patrice Jean. Gilles, professeur de son état, donne un coup de main et de truelle à un ami pour des travaux dans son appartement parisien. En bleu de travail, une charmante galeriste le prend pour un maçon. Amusé et séduit, Gilles décide d’entretenir le malentendu et il endosse le rôle manuel dans l’espoir de plaire à la jeune femme qui semble plus excitée par la force brute et les mains cornées que par les intellectuels au cerveau en pierre ponce.

La belle Armande va trainer Gilles dans des vernissages nombrilistes de bobos qui se prennent très au sérieux, l'inviter à des performances artistiques improbables qui voisinent le ridicule, le rendre complice d'actions de résistances culturelles pathétiques digne des Césars. Gilles joue le jeu pour mettre la jeune femme dans son lit. C’est le sens masculin du sacrifice.

Comme il n’est pas à un mensonge près, il va s’inventer une épouse en ressortant une vielle photo prise lors d’un voyage au Portugal et sur laquelle il pose avec une belle inconnue. Le faux-maçon va repartir à Lisbonne pour la retrouver ainsi que pour rencontrer un écrivain, Lorenzo de Lenclos, auteur du cultissime « Traité de l’honnête homme au XXI -ème siècle.

Pour mon voyage, j’avais choisi d’embarquer ce roman car j’étais en rade de Saramago, que le Livre de l’intranquillité de Pessoa pour suicidaires amateurs de falaises prend trop de place dans une valise envahie par les paires de chaussure de sa moitié et que les romans de Eça de Queiroz sont des romans de cheminée et pas de plage.

Excuses bidon car la vraie raison, c’est que j’apprécie la vision de monde sarcastique de Patrice Jean, son aversion pour une culture des artifices et son style classique de dresseur de subjonctifs.

Néanmoins, ce petit roman n’est pas son meilleur. L’histoire est un peu trop décousue, les personnages peu attachants et j’ai trouvé que l’idée savoureuse de départ de jouer sur l’imposture des étiquettes sociales aurait mérité d’être élargie au-delà du microcosme culturel chic.

Il reste des passages assez drôles et des formules bien senties, plats signatures de l’auteur qui boîte à droite.

On dirait pas mais j’adore le Portugal, aimant à retraités défiscalisés. J’aime surtout trop les Pastéis de Nata et le vinho verde...

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La Philosophie selon Bernard

Une belle réflexion sur celui qu'on est vraiment et celui qu'on rêve, imagine, ou qu'on s'acharne à être, surtout pour la vitrine sociale, de surcroît ici dans une image un peu plus compliquée . Un employé de banque divorcé, deux enfants ( chez la mère) , qui n'aime que le foot, les blagues cochonnes , l'apéro entre copains , les films comiques, concentré sur le c.. de sa belle supérieure mariée, se retrouve du jour au lendemain projeté dans la sphère de la réflexion, la pensée et les livres. Tout ça parce qu'un collègue de travail a eu la mauvaise idée de lui rapporter les paroles de la dite supérieure le concernant, « Oh oui, mais Bernard c'est un philosophe ! ».

Moi qui est très sceptique sur les philosophes contemporains ( déjà que je cale sur les anciens à part Seneque), suis ici dans mon élément. D'autant plus que l'angle d'attaque ironique très simple de Patrice Jean , enfilant les perles à la pelle, reflète exactement mes propres pensées sur la question. A part qu'on y rigole beaucoup, c'est aussi un bon manuel d'initiation pour qui déciderait d'embrasser une carrière de philosophe du jour au lendemain pour des buts lucratifs 😆, qui d'après ce livre semblent nombreux ! Et pour conclure en sourire, une perle du philosophe Bernard sur le sexe, réflexion profonde sur la thématique « sexe et moral » , qui doit drôlement faire retourner papa Freud dans sa tombe 😁, “La Corinne, c'est surtout pour moi une façon de me décharger les couilles”.

Patrice Jean décortique superbement l'âme humaine où se côtoient sophistication intellectuelle et l'instinct humain le plus primitif, superbement illustré dans “Bernard et la peinture abstraite “.

Ce très bon livre sur la bêtise humaine , dont j'ai adoré l'écriture simple teinté d'humour avec un final philosophique 😆qui m'a bien plue, est une des tentations qui m'a été infligée par un nouvel ennemi de ma Pal depuis peu ( elles et ils sont nombreux sur le site 😁), merci Christophe ! Si vous voulez passez du bon temps entre deux bouquins de littérature de gros calibre , vous le conseille pour vous détendre .



“Un grand philosophe est un homme juste et qui dit le Vrai “😆

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Le parti d'Edgar Winger

Un grand soir à la petite semaine.

Romain Bisset est perfusé aux idées progressistes et son parti révolutionnaire (PR - pas très original) le missionne pour retrouver la trace d’Edgar Winger, un théoricien mythique disparu depuis vingt ans, sorte de croisement de Bourdieu et de Badiou. Ils ont fait des petits. Toutes les idéologies ont besoin d’un phare pour illuminer leurs opinions et ne pas s’échouer à la première contradiction.

Dans ce jeu de nupes, de dupes pardon, ma main gauche s’est rebellée sur le clavier, le jeune idéaliste va aller de déceptions en désillusions. Tel un petit garçon qui va sonner chez les voisins avec les photos de son chat disparu ou parti s’encanailler pendant la période des chaleurs de mimine, Romain va demander aux quidams s’ils n’ont pas croisé le « convergeur » des luttes, le Wokeman aux supers pouvoirs.

La première partie du roman, construite sous forme d’un journal intime, détaille la quête du grand gourou, qui se déroule en grande partie, non pas en Australie, mais à la terrasse d’un café de Nice que l’illustre aurait fréquenté. Comme le maître à penser pense mais ne boit pas forcément tous les jours son petit noir, pardon son ballon de rouge, Romain Bisset lui, dépense et panse ses idées comme il peut en l’attendant.

Il voit son séjour se prolonger et certaines réalités viennent heurter ses grandes certitudes. Faire rentrer des ronds dans des carrés, nous avons tous essayé. Lui s’obstine. Il va devoir fréquenter un vieux réactionnaire, se faire dépouiller par des jeunes des cités, se détourner de son odyssée devant le premier décolleté. Comble du comble, il va faire l’objet d’une enquête interne au sein de son mouvement et quitter Nice pour Le Havre. Oui, là c'est trop dur.

Le personnage est assez agaçant de naïveté et un peu trop caricatural pour sonner juste mais l’auteur ne masque pas sa partialité, exercice qui est toujours ridicule quand le propos se veut politique et cette première partie est sauvée par la très belle plume de Patrice Jean qui poursuit sa déconstruction du manichéisme et des morales dominantes. Ce n’est pas beau de se moquer mais le mauvais esprit est un si bel alibi.

Les chanceux qui ont lu et aimé « La poursuite de l’idéal » ou « l’homme surnuméraire » retrouveront avec plaisir ces personnages arrivistes qui n’arrivent nulle part, un peu lunaires, satellites de la galaxie Houellebecq. Ne cherchez pas ici de l’espoir ou un plan quinquennal…

La seconde partie consacrée à la rencontre avec Edgar Winger est une vraie perle littéraire. Le propos est plus nuancé, les personnages ne sont plus seulement les étendards des luttes actuelles mais des êtres carnés pétris de contradictions assumées. Les convictions se lézardent avec le temps.

Ce roman est publié quelques mois après « Le voyant d’Etampes » qui porte la même verve et la même ambition mais il souffre à mes yeux la comparaison. Il est également moins drôle que le dernier roman de Benoît Duteurtre sur le sujet. Publié aussi un an à peine après son « La Poursuite de l’idéal », j’ai eu l’impression que Patrice Jean a négligé certaines finitions pour ne pas rater le train des polémiques actuelles autour de ces sujets qui s'érodent vite. C’est cruel, car il occupe la place depuis plusieurs années avec un talent trop méconnu.

L’auteur vient d’être récompensé par le Prix des Hussards et si je pense que ses deux romans précédents méritaient davantage cette reconnaissance, Patrice Jean a néanmoins toute sa place dans cette famille dont l’esprit avait été si bien décrit par Marcel Aymé : « C’est le désespoir avec l’allégresse. C’est le pessimisme avec la gaité. C’est la pitié avec l’ironie. C’est l’honneur avec le courage et le courage avec la désinvolture. C’est une fierté avec son charme. C’est ce charme-là hérissé de pointes. C’est une force avec son abandon. C’est une fidélité. C’est une élégance. »

L'hymne des anticonformistes.



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Le parti d'Edgar Winger

Tout se tient, la domination masculine et les frontières : « le mâle blanc impose sa libido à la terre entière, tout doit être à sa disposition, les sols, les fleuves et les culs. le phallus érige le barbelé des frontières comme il asservit les femmes. »



Les militants du Parti Révolutionnaire (PR) ont une vision simpliste du monde et Romain Brisset, enfant de la grande bourgeoisie, a fait don de sa personne et de son héritage au PR, groupuscule en quête d'un « penseur », un successeur de Sartre et de Marx. Edgar Winger serait idéal s'il donnait signe de vie, mais depuis vingt ans il n'a rien publié et nul ne l'a rencontré. La rumeur publique l'aurait aperçu à Nice où Romain se rend illico presto.



L'atterrissage du bourgeois parisien dans le sud de la France est douloureux. Dépouillé par la « racaille », violé par deux punks qui filment l'agression, Romain essaye de se consoler avec Clara ou Blanche, mais le PR l'exclut sur accusation d'avoir « palpé le postérieur de Lamia ».



Romain localise Edgar Winger reclus dans l'Allier et découvre qu'il a évolué en deux décennies. « un jour, j'ai déjeuné avec ce que j'abominais le plus au monde : le directeur général d'une multinationale alimentaire. Il m'a posé cette question : « Grâce à notre entreprise, des milliers d'individus ont un travail et des millions de personnes trouvent, dans nos supermarchés, de quoi se nourrir. Et vous, grâce à vos livres, combien de personnes nourrissez-vous ? ». J'ai ricané, je lui ai lancé au visage l'exploitation des pays les plus pauvres, le salaire des caissières, l'abrutissement des masses... Il n'a pas répondu... Les semaines qui ont suivi ce repas, l'argument de ce directeur général n'a cessé de me tourmenter... le capitalisme est abject, mais pouvais-je prétendre que mes camarades et moi saurions le remplacer par une société plus juste ? ».



Quelques semaines plus tard Romain reçoit une lettre d'Edgar qui précise sa réflexion, sa fuite du monde et donc son refus de rejoindre le PR. La confrontation entre l'idéologie et la réalité heurte la quiétude intellectuelle de Romain et ébranle ses convictions mais il a le sentiment que Winger est un traite.



Une inhumation dirige Romain vers Le Havre où il rencontre une enseignante de 35 ans, qui, à presque 15 ans, fut séduite par un quadragénaire qui a été condamné et emprisonné. Ludivine confesse avoir « allumé » le désir de son partenaire, qui était loin d'avoir tous les torts, et observe qu'enseigner à des adolescents de 15 ans oblige à se remettre en question et à contester en même temps le « jouir sans entraves » et « la culture du viol ».



« La discussion le laisse au bord des choses, sur l'à-côté de la compréhension. Il n'entre pas. La vérité des êtres lui échappe. Avant de rencontrer Ludivine, une théorie sociologique et politique éclairait le drame dont elle avait souffert ; quand il la quitte (…) la théorie n'a pas évolué, comme si les concepts suffisaient à tout expliquer. Il reste au bord avec ses postulats. Il essaie d'imaginer la (scène), il en connaît les deux acteurs, le coupable et la victime. Ni l'un ni l'autre ne se décrivent ainsi. Ils ont tort. Ils doivent avoir tort. »



Le refus du réel, de sa complexité, de sa subtilité, la négation du bien et du mal, l'effacement de la morale, mêne à la folie, au suicide, au néant et la malédiction qui pend entre les jambes de Romain le pousse vers La Sioule …



Patrice Jean prend le parti de la culture et de l'intelligence face à la bêtise et à l'idéologie ce qui limite drastiquement son public, mais j'avoue me régaler sans vergogne de son humour et de la finesse de ses observations.



PS : L'homme surnuméraire
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Rééducation nationale

Géniteurs d’apprenants,

ou parents d’élèves pour les ploucs non-initiés, le continuum éducatif et nos humbles ingénieurs en science de l’éducation (hors vacances scolaires et grèves), vous déconseillent la lecture de la dernière masse langagière de Patrice Jean, ce Juda réactionnaire qui vient adultérer ici sur la Cène, pardon dans la salle des profs, leur génie progressiste.

Afin de ne pas assommer les quelques Babéliotes curieux de mes humeurs, je vais abandonner le jargon boursoufflé de nos pédagogues pour oser dire quelques mots du roman de Patrice Jean, lui-même professeur à ses heures perdues pour la littérature.

Je trouve hélas que cet auteur dont j’adore le style et la verve satiriste perd ici en qualité ce qu’il gagne en quantité avec ce troisième roman en un an. La société le chafouine, il ne manque pas de sujets qui bouillonnent ses globules, mais si je devais noter la copie, mon appréciation serait la suivante : élève brillant mais travail un peu bâclé. Peut mieux faire.

Pourtant le sujet, l’idéologie éducative, était porteur. On ne parle plus ici de transmissions de connaissances (trop ringard) mais de sensibilisation à des idéaux sociaux. L’élève, auparavant novice est devenu un apprenti, le prof descend de son estrade pour jouer le rôle d’un compagnon qui propose des outils dans le dialogue et dans la co-construction pour identifier les problèmes de la société et la changer en vue d’une plus grande justice égalitaire, verte… et des pas mures.

Comme à son habitude, Patrice Jean confie les clés de son récit à un personnage absurde, caricature du jeune prof de lettres qui trouve les devoirs ringards, les leçons dépassées, l’apprentissage des classiques ennuyeux. L’idéaliste veut immuniser la progéniture contre la tentation du capitalisme désastreux, réécrire l’histoire, déboulonner certaines grandes figures et chasser les derniers vieux dinosaures réfractaires aux techniques modernes d’enseignement.

Candide du pédagogisme pédant, Bruno Gigoire effectue donc sa première rentrée au lycée Malraux. Il est persuadé qu’il va éveiller les consciences des jeunes. Au diable l’instruction des fondamentaux.

La présence d’une statue Khmère dans le bureau du directeur, pillée au Cambodge par Malraux et son épouse pour effacer quelques dettes dans les années 20 et offerte au lycée, va provoquer une guerre civile au sein de l’établissement entre ce que des esprits éclairés par des lumières tamisées autour d’un zinc pourraient qualifier au quinzième jaune, les « Perchés » contre les « Réacs ».

Ce que je reproche à l'ouvrage, c’est la faiblesse de l’argument romanesque. Cette histoire de statuette est assez insignifiante. Elle aurait pu constituer une sympathique péripétie dans une trame plus élaborée. L’auteur aurait pu aiguiser ses mots autour des sujets inflammables qui ne manquent pas dans les collèges et lycées : le port de l’uniforme obligatoire stylé par Brigitte M (Crop top et décolletés du grand plongeoir versus combinaison intégrale du pensionnat de Chavagnes), les menus spécifiques à la cantoche (si une religion avait proscrit la macédoine ou le céleri rémoulade à mon époque, j’aurai adhéré de suite !), les toilettes non genrées pour LGBT constipés, l’évaluation des compétences avec le barème de l’Ecole des fans ou l’agressivité des parents persuadés d’avoir pondu des surdoués incompris à la chaîne (HPI – Haute Probabilité d’Idiots).

Une déception sauvée par le mauvais esprit qui souffle sur les pages de ce roman. Je proposerai bien le redoublement s’il existait encore.







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Louis le magnifique

Le poète coiffeur.

Si, si, l’impératrice, cela existe. Mise en plis de mots. Vers bigoudis. Cela change de la météo et des fines analyses politiques.

Louis Gilet, vous connaissez ? Non, peut-être un de ses pseudos alors. « P’tit Louis » ? « Zéphyr » ? Toujours pas ? Dernier indice qui va vous aider. Il fut membre d’un groupe de Métal qui rouille les tympans, les « Belzebuth Carnivores ». Alors ?

J’abandonne. Vous n’êtes définitivement pas très underground. Louis le Magnifique fait partie de cette race d’artiste dont les œuvres sans concessions ne cherchent pas à trouver leur public. Musique ou poésie, son crédo a toujours été celui de la confidentialité. Une telle virtuosité dans l’indigence ne pouvait que séduire une certaine critique de niche. Certes, le beau n’a pas le monopole de l’émotion artistique. Le moche peut satisfaire certains sens. Tout est art ou tarte.

Un ancien camarade de classe, momentanément privé d’emploi, de compagne et d’argent, décide d’occuper son temps perdu pour partir à la recherche de ce Louis disparu au Tibet. Il va croiser des anciens compagnons de route et compagnes de lit et découvrir le parcours décalé du bonhomme, de ses tournées avec son groupe de métal hurlant, à sa reconversion dans la coiffure avant de se consacrer à plein temps à la poésie.

A la différence de son personnage, Patrice Jean a du style. Hélas, ce n’est pas avec ce roman qu’il le met le plus en évidence. Je conseille davantage « L’homme surnuméraire » et « La Poursuite de l’Idéal » pour découvrir cet auteur car cet opus manque de finesse. Pour rester dans le thème de l’ouvrage, ce roman c’est un gars bien peigné qui sort du salon de coiffure avec les cheveux violets et trois bigoudis égarés. J’ai trouvé le récit un peu bâclé, qui comme toujours chez cet auteur, sulfate la bien-pensance et la modernité, mais sans la finesse habituelle de sa prose.

La nuance n’a pas trop sa place dans cette Collection « Borderline » du Cherche midi (pas à quatorze heures) qui revendique l’odeur du souffre et un espace liberté pour les auteurs dont les idées heurtent la moraline.

Pas de quoi me fâcher avec ce romancier mais à la caricature acide, je préfère la subtilité qui pique.

Pulp mirliton.

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L'homme surnuméraire

L'Homme Surnuméraire de Patrice Jean est un excellent roman. Il ne propose nulle évasion, nulle illusion, nulle émotion qui valoriseraient le lecteur. Il contient deux récits alternés : celui dont Serge le Chenadec, agent immobilier malheureux en ménage, est l'anti-héros, et celui que raconte Clément, jeune oisif littéraire embauché par une maison d'édition pour réécrire et résumer les passages incorrects des grands chefs-d'oeuvre. Voici deux personnages qui ont tout du "loser" : deux "mâles blancs hérérosexuels", dont on sait aujourd'hui ce qu'il faut penser. Ces deux hommes si différents sont des perdants de la guerre des sexes : donc, leur point de vue sur le monde est particulièrement intéressant, précieux, drôle et lucide. Flannery O'Connor disait que le Sud des Etats-Unis n'aurait pas donné naissance à ses grands romanciers s'il était sorti vainqueur de la Guerre de Sécession. Un bon roman, c'est le récit du vaincu.



Si l'on s'en tenait là, L'Homme Surnuméraire ne serait qu'une variation romanesque sur un motif déjà illustré magnifiquement par Michel Houellebecq : satire irrésistible du contemporain, de ses "auteures" (incroyable pastiche de Léa Lili, mais aussi, au chapitre VII, un autre pastiche possible d'Etienne Weil, l'ennemi des auteures à moraline, des pondeurs rebelles de polars bien-pensants) ; on y rit de ces éditrices citoyennes de livres pour enfants ("Le petit renard qui voulait être imam"), de ces Bovary habiles à travestir leurs intérêts égoïstes en causes généreuses, sans parler des sociologues, des universitaires. Depuis Cervantès et Molière, les vrais écrivains ne se lassent pas de rire des Père-La-Vertu et des Tartuffe sous leurs masques divers (aujourd'hui, de la Diversité). Cette veine est classique dans le roman français, même contemporain. Patrice Jean va plus loin dans l'art et l'ironie.



D'abord, le destin singulier de ses personnages est un miroir de notre monde : loin des sociologues, ces astrologues du quotidien, le romancier nous montre la société (et nous-mêmes, lecteurs) et nous aide à la connaître. Ensuite, il sait jouer des miroirs infinis du roman pour faire rimer ses récits entre eux, pour inclure les lecteurs, les critiques, les éditeurs et nous-mêmes, dans la réception de l'histoire. La fiction se négocie entre un auteur (nommé ici M. Horlaville, surnom du romancier qui dit bien qu'on écrit toujours à distance), des lecteurs, des cuistres universitaires, des éditeurs, des étudiants, et la meute journalistique. Cette construction du roman rappelle fortement "Jacques le Fataliste" de Diderot, cauchemar des esprits simplistes qui le font figurer dans leurs "pires souvenirs scolaires". Ce jeu sauve le roman de l'engagement sartrien. C'est à première vue "un livre réac", comme disent ses lecteurs dans le livre même : significativement, ceux qui portent un tel jugement n'ont lu que le premier chapitre (ce sont des étudiants, et leur professeur). Or ce n'est pas un pamphlet anti-moderne, engagé dans une Cause généreuse contre les pouvoirs culturels établis. Avec sagesse, Patrice Jean nous fait bien voir que le combat frontal entre idées et intérêts opposés perpétue le règne de la bêtise au lieu d'y mettre fin.



Il faudrait encore parler d'un dernier débat dans le livre, évoqué en peu de pages par souci de légèreté : celui qui oppose les sciences, surtout "humaines", nouvelle figure de la bêtise et du mensonge, et la connaissance du monde par l'art. Patrice Jean le signale avec discrétion par une citation de Gombrowicz en exergue du roman, et par l'image du sein féminin tel que le voit un médecin qui pratique une mammographie, et comme le contemple un amant. Cette échappée théorique, la parabole de la mammographie, est laissée à la curiosité du lecteur et à son enquête ultérieure.



Enfin, on ne sort pas intact d'une telle lecture. Non, on ne "prend pas des claques", on n'a pas des "coups de coeur" devant pareille "pépite", comme on dit à France-Culture, et autres ressentis vertueux. On est un peu vexé, on rit beaucoup, mais jaune. Une belle page, déjà citée deux fois sur Babélio (la p. 166), ridiculise les critiques improvisés d'internet (avec deux réactions comiques de clients d'Amazon) : comment oser écrire sur Babelio une critique de plus ? Eh bien, on dira de moi que "ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît". Patrice Jean s'amuse à écrire un cours d'université imaginaire où le professeur débite de pompeux contresens sur ... L'Homme Surnuméraire. Alors ...
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L'homme surnuméraire

Cher Patrice Jean,

je vous écris par l'intermédiaire de Babélio pour vous parler de votre livre, « L'homme surnuméraire ».

Ici, comme un peu partout de nos jours, le simple lecteur / utilisateur peut donner son avis, une note, distribuer bons et mauvais points, de manière relativement détendue et unilatérale, car possiblement anonyme... internet, quoi. Un système basé sur la popularité et l'assiduité hiérarchise avec plus ou moins de bonheur les interventions de chacun, créant une myriade de micro-sociétés plus ou moins spécialisées, s'égayant sur un site ayant érigé comme vertu totémique la Bienveillance. Elle a du bon, quand il s'agît de pacifier, voir de nettoyer les trolls en bandes organisées, protégeant les échanges des dérives obligatoires, omniprésentes sur toute plateforme proposant un espace d'expression… Et comme il faut bien faire tourner un bazar pareille, la politique éditoriale n'a d'autres opinions que celles financées et commandées par les éditeurs, cela va de soit… comment leur en vouloir…?

Tout ceci implique forcément un découpage par genres littéraires bien identifiés, sans aucune « hiérarchie », chacun ses goûts, et tout ira bien… Voyez-vous où je veux en venir…? Oui, ça glisse… et je risque d'écraser un ou deux chats mignons au passage (pas les miens, ils m'auront vidé de mon sang avant que je n'ai le temps de lever la main…), mais j'ai la faiblesse de penser que toute chose n'équivaut pas une autre, subissant le concert de problèmes « moraux » engendrés par cette assertion…

Je vous parle d'abord de ce lieux, car il est aussi peuplé d'un grand nombre d'amoureux de la littérature ou de la bande-dessinée, celle qui marque, appelle ou fait débat. Avec un peu de patience et d'application, on peut en faire un outil merveilleux.

A l'heure où certains auteurs annoncent, spécialistes, n'écrire que des « cosy-mystery avec animaux », rappelant par là les chapelles bien délimitées de la pornographie « kink-specialized » (abyssal…) : il y en a pour tous les goûts, et c'est bien ça le problème… car on oublie que notre richesse, notre profusion, nos choix, ne sont que le produit d'une société qui vit bien au dessus de ses moyens, énergétique en premier… Il y en a juste beaucoup trop, on verra bien où cela nous mènera…

Votre livre de « lettré » nous parle de tout cela, avec un profond cynisme, qui vous place d'emblée dans la case-express, telle une laverie-automatique, d'héritier de Michel Houellebecq…

Phénomène troublant du mauvais bord, celui de la presse brune ricanante, qui aime à citer ou placer, comme vous, le nom de De Montherlant, balançant des seaux d'eau bénite sur le progressiste effarouché, mais qui au final nous parle peut-être des livres dont on se souviendra… Preuve en est avec l'oeuvre de jeunesse de Nikolaï Leskov, « A couteaux tirés », dont seuls Valeurs Actuels et Causeur en ont salué la sortie tardive (sic)…

Car selon moi, et d'où ma lettre, le problème se situe bien là… ce cloisonnement idéologique car moral, entre deux mondes qui auraient tout à gagner à se regarder… Votre roman ne devrait faire changer d'avis, malgré sa richesse conceptuelle, à ceux qui vous identifient comme réactionnaire, hélas !

Il faudra peut-être attendre de la grande Lionel Shriver qu'elle arrête de courir plusieurs lièvres à la fois, et qu'elle nous sorte le grand roman contre-intersectionnel qu'elle a dans les tripes, pour ouvrir ces discussions qui restent chacune dans leur boite bien étiquetée, rangée bien séparée, chacun ses…

J'ai donc pas mal aimé votre roman, son habile construction, sa langue avec juste ce qu'il faut de manières et d'érudition, ses clichés fédérateurs, tout cela… Mais l'impression pénible d'un propos qui s'arrêtera sur les frontières du cynisme et de l'ironie.

C'est le premier livre que je lis de vous, pas le dernier sûrement… Petite suggestion : un livre sous pseudonyme (Jenny Patricia ?) édité dans la collection « Sorcières » de chez Cambourakis (on en reparlera à l'occasion : un cas d'école du capitalisme triomphant que cette maison d'édition…), s'emparant jusqu'à la nausée des codes en vigueur, tel le magnifique canular académique d'Helen Pluckrose et de James Lindsay envers les études de genre… Allez-voir, c'est vraiment très drôle et légèrement rassurant…

Inconvenablement vôtre.

Paul



P.S: Et parmi les autres critiques de ce livre, il y en a une que vous trouverez, sûrement, particulièrement savoureuse...
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L'homme surnuméraire

Serge Le Chenadec se fait progressivement évincer par sa famille, sa femme a rencontré des amis beaucoup plus intéressants « intellectuels souriants, préoccupés par les droits de l’homme, le sort du monde, » en un mot « de belles personnes »à côté de qui, lui, pauvre agent immobilier a l’air d’un plouc. Descente, prévue depuis le début par la meilleure amie « on n’embrasse pas une femme qui a bu ! C’est dégueulasse ! Bérénice avait même conseillé d’appeler les flics.

Son bureau, de débarras, devient un dépotoir. Lui aussi. Par rapport aux vraies questions sociétales et au réchauffement de la planète, ce gros beauf ne fait pas le poids, ni devant Claire, sa femme, une autre Emma Bovary, qui se met à étudier la linguistique et à se passionner pour les luttes sociales, ni devant ses enfants. Il a perdu pied, point.

Un deuxième anti-héros, Clément, dans ce monde pétri des idées morales indéboulonnables ( au contraire des statues)voit sa relation, elle aussi, contaminée par les intellectuels que fréquente sa femme : un philosophe traduit en vingt quatre langues, et qui attend éminemment la traduction « de son oeuvre en wolof, à laquelle il portait une tendresse particulière, ne voulant pas priver l’Afrique noire de sa pensée », un Grand professeur d’Université, un prix Goncourt. Clément perçoit, lui le chômeur, bien vite que derrière les discours Starobinsky-Genette- Foucault, se cache la tyrannie pas avouée du sexe.

Puis, renversement admirable ( tout le livre est admirable, par sa perspicacité sur les tartuferies de notre temps) Le roman « L’homme surnuméraire » est un roman , justement, comme s’il sortait du livre lui même ; son auteur s’appelle Horlaville-(Hors la-ville)et le grand universitaire va le démonter avec son jargon « roman où la verticalité s’absente … Et pose la question : qu’a voulu dire l’auteur ?Le cercle carré répétitif , puis les dérives inadmissibles ( ???) le condamnent de toute façon, comme son héros est condamné et banni. Dehors, le livre que l’on a commencé à lire.

Enfin, récit dans le récit, les bonnes pages de Léa Lili, racontant la délivrance de Claire, avec des mots modernes, scandés, sa reprise en main, sa promesse de protéger ses enfants « contre les maris, contre la finance, contre les chiffres. Elle en fait le serment. A elle-même. Dans le silence du crépuscule. Dans le silence de son cœur : » !!!Bonnes pages à tomber par terre de rire !



Mais Patrice Jean ne s’arrête pas là. Clément est embauché dans une maison d’édition qui se propose d’expurger certaines œuvres littéraires, à commencer par le Dom juan de Molière, dont le rapport abject à la paysannerie contrevient à la morale élémentaire.

J’ai beaucoup ri, j’ai beaucoup analysé nos travers, j’ai parfois eu peur de ce monde puritain qui interdit de plus en plus, au nom d’une tolérance qui accouche de l’intolérance. Plus personne, à la fin du livre ne peut se permettre de lire le Bloc Notes de Mauriac( en tant que croyant, n’est-il pas partie prenante de l’Inquisition ?) et le lire dans le métro, c’est plus que manquer de respect à la neutralité de l’espace public, c’est provoquer.

Bien sûr, le vitriol porté sur des expressions, des tics de pensée, sur « le vertige de l’indignation hypocrite » dont parle Philip Roth dans la Tache, m’a paru congruent.

Le vrai sujet, cependant, à mes yeux, du livre de Patrice Jean, est la place donnée aux idées, pouvant aller jusqu’à détruire les couples. Idées qui sont souvent pétries d’idéologie, idées ne permettant plus la remise en cause, idées toutes faites, et pourtant toutes puissantes. Idées qui, elles et leur contraire, parlent la plupart du temps d’autre chose et véhiculent Dame bêtise.

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La Poursuite de l'idéal

Cyrille Bertrand vient de terminer une licence de lettres complétée par un diplôme en gestion. Il se rêve poète et s'identifie surtout à Valery Larbaud, bien qu'il regrette de ne pas avoir, contrairement à cet auteur, de fortune personnelle. Peut-être son amitié avec Ambroise d'Héricourt, issu d'une famille très aisée et pleine d'entregent, va-t-elle pouvoir l'aider à accomplir ses rêves ? Pour l'instant, après une période de chômage, il n'a réussi qu'à dégoter un poste peu glorieux d'employé au contentieux de Salons&Cuisines. ● C'est un roman riche et plein d'intérêt. L'ironie est constante et se manifeste par exemple dans la délectation que prend l'auteur à nommer Cyrille « notre héros », à la manière de Stendhal dans Le Rouge et le Noir. La critique sociale est fort bien menée et a pour cible principale la décadence de l'Occident en général et de la France en particulier sous les coups de butoir du capitalisme américain. ● Les folies de la postmodernité sont particulièrement bien mises en évidence, par exemple grâce à ce musée de la littérature française, accusé de fascisme parce qu'il n'a pas pour objet les autres littératures du monde. ● La façon dont fonctionne le panurgisme bien-pensant est magistralement montrée, avec au sommet de la pyramide quelques grands pseudo-penseurs qui entraînent derrière eux en les manipulant les foules abruties par les réseaux sociaux, la télé, l'air du temps et même – horresco referens – l'école. ● C'est aussi un roman d'apprentissage et l'on voit le « héros » ballotté dans sa vie, presque toujours impuissant à lui donner le cours qu'il souhaite, jouet de forces qui le dépassent ou de personnages qui l'influencent. Son angoisse est de savoir quoi faire de sa vie, et de parvenir à le faire. Souvent revient sa hantise de n'être qu'un « figurant », qu'un membre anonyme de la fourmilière humaine. Réussir sa vie, au sens que l'on donne habituellement à cette expression, ne permet pas selon Cyrille de se distinguer du lot. L'idéal de création qu'il poursuit, selon le titre du roman, se heurte sans cesse et tragiquement aux dures réalités du monde. ● le style est classique, parfois même un peu précieux, osant par exemple utiliser l'imparfait du subjonctif. C'est pourquoi l'on comprend mal que l'auteur confonde, comme la plupart des gens maintenant, les verbes « se colleter » et « se coltiner » (page 303), et ne sache pas manier la particule de noblesse. ● Autre réserve : les multiples longueurs de l'ouvrage ; l'auteur aurait pu dire la même chose avec cent ou deux cents pages de moins. ● En tout cas Patrice Jean est incontestablement un auteur à suivre et ce roman à recommander vivement.
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Tour d'ivoire

Antoine Jourdan végète dans un emploi subalterne à la médiathèque de Rouen. Parallèlement, il codirige une revue élitiste de littérature avec son ami Thomas Dabrowski. Un jour, il découvre que dans l’héritage de ses parents figure le tableau d’un petit maître du XVIIe siècle, qui peut valoir un peu d’argent. Une dispute va éclater avec son frère et sa sœur pour savoir qu’en faire. ● Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman qui semble surtout écrit pour diffuser les idées de l’auteur. Celles-ci, du propre aveu du narrateur, peuvent être qualifiées de « réactionnaires ». En tout cas, il est certain qu’elles vont à contre-courant des idées « mainstream ». Cela ne me dérangerait pas, mais je trouve ce livre lourdingue et caricatural. L’élitisme exige plus de finesse ! Ici le style flirte avec le kitsch et l’intrigue, réduite à la portion congrue, est loin d’être palpitante. ● On ne retrouve pas vraiment non plus l’humour qu’il y a dans L’homme surnuméraire, La Poursuite de l’idéal, ou même La France de Bernard, le premier roman de Patrice Jean, trois romans que j’ai nettement préférés à celui-ci.
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Rééducation nationale

Bruno Giboire travaillait à la mairie d’Orvault mais il change de voie avec enthousiasme pour entrer à l’Education nationale, où il va être professeur de lettres au lycée André-Malraux. Il va ainsi pouvoir découvrir la novlangue de ce ministère et toutes les innovations pédagogistes, plus absurdes et obscurantistes les unes que les autres. ● Quelle déception ! J’ai beaucoup aimé la plupart des précédents livres de Patrice Jean, malgré une certaine tendance au kitsch et aux gros sabots, fussent-ils camouflés par une écriture des plus classiques qui ne renâcle pas devant l’imparfait du subjonctif. La Philosophie selon Bernard, L’Homme surnuméraire, La Poursuite de l’idéal, et, le dernier, Le Parti d’Edgar Winger firent ainsi ma joie de lecteur. ● Mais ici, quelle caricature pataude ! quel manque de finesse ! On ne croit pas une seconde à ses professeurs si investis dans leur pédagogisme qu’ils en dédaignent leurs vacances ; l’intrigue autour de la statuette, d'une minceur étique, est ridicule ; l’histoire est mal menée : sur un livre de 140 pages il y a des longueurs… ● On voit bien l’intention de Patrice Jean ; on pouvait faire une belle satire du pédagogisme et de la mise à l’écart de la culture classique au sein même de l’institution scolaire (et dans la tête des professeurs), mais cela aurait exigé de la dentelle quand ici on a un tricot raté ; c’est bien dommage car c’est un combat qui vaut la peine d’être mené. ● Même dans le détail rien ne va : ainsi il paraît que La Celle-Saint-Cloud est une « banlieue décriée » où abondent les HLM : je conseille à l’auteur d’aller y faire un tour…
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Le parti d'Edgar Winger

Romain est un membre convaincu du Parti Révolutionnaire (PR) qui associe le marxisme le plus sourcilleux aux tendances woke les plus avant-gardistes. du parti, il a reçu la mission d'aller à la rencontre d'Edgar Winger, le théoricien génial qui a inspiré ses thèses puis a disparu. Comme Edgar Winger a semble-t-il été aperçu dans un café à Nice, Romain est envoyé dans cette ville et passe ses journées au Café de Lecce pour espérer avoir la chance de le croiser et ainsi l'inciter à reprendre ses réflexions théoriques pour de nouveau nourrir le corpus idéologique du PR. ● Patrice Jean poursuit son chemin que d'aucuns appelleraient «réac » après La France / La Philosophie selon Bernard, Revenir à Lisbonne, L'Homme surnuméraire, Tour d'ivoire et La Poursuite de l'idéal, toujours pourfendant les ridicules du progressisme woke. ● Cette fois, son roman prend des allures plus théoriques, en raison même du sujet traité, puisqu'on suit un personnage membre d'un parti, révolutionnaire woke convaincu, qui nous fait part de ses thèses, que ce soit dans ses propres réflexions ou dans ses échanges avec d'autres personnages. ● Par conséquent, l'intrigue est malheureusement des plus minces, comme le montre l'absence de fin, ou plutôt la fin en queue de poisson, en tout cas bien décevante. ● Bien sûr, l'auteur ne perd pas une occasion de nous montrer les ridicules du personnage, tout en lui accordant des moments de doute pour éviter un manichéisme trop évident. On voit cependant clairement le parti de Patrice Jean, comme dans ses autres romans du reste : « Malgré les stages et les universités de formation du PR, tu n'as pas compris qu'en t'invitant chez un dominé tu imposais à celui-ci ton corps blanc, ta prose de Blanc, ta posture de dominant. Si on accepte, dans le parti, des bourgeois, c'est parce que personne ne doit être stigmatisé à cause de sa peau, pas même les Blancs. Mais en contrepartie, ils ne doivent jamais oublier la violence symbolique que leur existence impose aux racisés. » ● « Convoquez les membres du prolétariat que vous connaissez, imaginez-les au pouvoir, débilités par la richesse, enivrés de puissance, et, sans faiblir, osez dire qu'une autre classe aurait amélioré, plus que ne l'a fait la bourgeoisie, la condition misérable de l'homme sur terre. » ● « J'ai assez d'ennuis avec ma propre vie, alors changer la face du monde, ce n'est pas mon problème… Et je les ai connus, les révolutionnaires… Quand on les a fréquentés de près, on doute que ces songe-creux puissent instaurer un jour une société plus juste… Ils passent leur temps à se tirer dans les pattes… Comment voulez-vous que des gens qui ne sont pas meilleurs que les autres construisent un monde meilleur ? » ● Mais il me semble que ce roman-ci n'est pas au niveau de ses trois précédents dans lesquels l'intrigue était plus développée. Ici, on a un peu l'impression d'un essai plus ou moins adroitement déguisé en roman où l'intrigue sert seulement de prétexte : « Celui qui se veut progressiste, n'est pas plus honnête ni moins vicieux. du reste, de nos jours, le capitalisme prétend appartenir – et à juste titre – au camp du progrès : il lutte pour la planète, pour l'égalité entre les hommes et les femmes, contre le racisme. En se confondant avec ces combats politiques et sociaux, il détourne l'attention sur la bassesse de ses objectifs : faire du fric. Comment pourrait-on l'accuser d'être vil quand il ne pense qu'à dénoncer le racisme, l'islamophobie, le sexisme ? Les bourgeois qui sans ces combats d'arrière-garde (présentés comme d'avant-garde) auraient honte d'être des bourgeois peuvent, en toute bonne conscience, poser sur leur chef la couronne de l'anarchiste et le béret du progressiste. Ils cracheront sur les pauvres, les exploités, les sans-grade, en les accusant de sexisme ou de racisme : avant la Révolution française, la noblesse méprisait le paysan comme on rabroue un animal (lisez La Bruyère) ; aujourd'hui, la noblesse de gauche méprise le petit Blanc comme on se moque des attardés et des ploucs. » ● « En s'imaginant être du bon côté de la morale, on devient immoral, c'est dans ce paradoxe qu'il faut chercher l'origine du Mal. » « J'ai fini par me dire que nos sociétés sont miraculeuses. Les hommes sont si fragiles, leur vie si brève, leurs intérêts si opposés, parfois ennemis, tout est si troué de mort et de maladie que l'établissement d'une société où règnent (bon gré mal gré) la paix, le confort, l'entraide, la civilité et la sécurité relève de la grâce. Alors, tout casser pour établir des cités plus justes que celles qui se sont lentement érigées avec les siècles, c'est une folie, et, pourquoi ne pas l'écrire, une manifestation du Mal. Il ne faut vraiment avoir aucune intelligence du tragique de l'existence pour croire qu'un autre monde est possible. » ● Pourtant Patrice Jean chante la supériorité du roman : « J'ai toujours cherché à saisir la vie comme on attrape une anguille dans un ruisseau, d'un geste guerrier, qui ne rate pas sa cible. Les concepts de la philosophie sont trop larges, trop épais, la vie est fluide et fragile… le roman révèle la conscience des individus, il est amarré au réel, quand la théorie s'envole dans les généralités. » ● Ainsi, j'ai été plutôt déçu par ce roman (qui cependant est quand même très bon), par rapport aux autres du même auteur, et je conseillerais au lecteur qui ne connaît pas cet auteur de commencer par La France de Bernard, L'Homme surnuméraire ou bien La Poursuite de l'idéal. ● Deux détails pour finir : il m'a paru curieux que l'auteur parle de l'océan en voulant dire la mer Méditerranée : « des filles en maillot de bain offraient leur épiderme aux rayons du soleil, d'autres, debout, regardaient l'océan ou marchaient vers la mer. » (P. 61, on est à Nice). ● Patrice Jean n'a toujours pas compris que le terme « ci-devant » signifie non pas « de façon flagrante » mais « antérieurement » ; ainsi parle-t-il d'un « ci-devant progressiste » (p. 65) en voulant dire que le personnage est « excessivement progressiste ».
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Rééducation nationale

Vous pensez que les heures de natation scolaire ont pour but d'apprendre aux élèves à nager ?

Que nenni ! D'après les programmes officiels, il s'agit de « traverser l'eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête ».

Vous pensez qu'en cours d'eps on exerce les enfants à courir ?

Tss ! On leur fait « créer de la vitesse ».

Vous pensez que le but des cours d'anglais ou de toute autre langue étrangère est de savoir comprendre et s'exprimer ?

Vous êtes bien naïfs ! Il s'agit d' « aller de soi et de l'ici vers l'autre et ailleurs ».

Si !



Serait-ce trop demander que d'avoir des programmes rédigés en langage clair, simple et compréhensible par tous ? Manifestement, oui.

Ce jargon permet à nos grands penseurs pédagogues qui ont conduit l'éducation nationale française dans le gouffre de se donner de l'importance ; il permet à ces Diafoirus de se pavaner et de tenter de faire croire qu'ils sont dans de hautes sphères intellectuelles, alors que sous leur férule les élèves français sont devenus d'un niveau affligeant dans toutes les matières.

Quelle escroquerie !



Je suis ravie que Patrice Jean les ridiculise si bien dans cet ouvrage. Parce qu'ils le valent bien.

Merci monsieur pour ces moqueries salutaires ! Pour cette satire jubilatoire qui pourra paraître exagérée à ceux qui n'ont jamais fréquenté une "salle des profs" mais dans laquelle les autres, dont je fais partie, reconnaîtront des situations vécues.



Ce texte tout en ironie m'a ravie et m'a fait glousser de rire à de nombreuses reprises.

Pendant cette courte lecture j'ai oublié un moment la tragédie du réel et me suis laissée embarquer avec bonheur dans cette fiction réjouissante.

Merci Patrice Jean !

Merci à Babelio pour son opération Masse critique et aux éditions rue fromentin pour l'envoi de ce livre formidablement drôle.

Une bonne idée de cadeau à faire à tous vos amis enseignants.



Voilà mon avis.

Vous pouvez vous arrêter de me lire ici, la suite ne vous apprendra rien de plus puisque je ne veux rien dévoiler de l'histoire, préférant vous laisser le plaisir de la découverte.

Mais je tiens à saisir l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer au sujet de l'enseignement en France.

Voici donc mon gros coup de gueule.



Quiconque n'a jamais enseigné en France et n'a jamais lu les programmes de notre éducation nationale passe à côté de myriades de perles.

Une précision : je sais que l'on doit écrire le nom de ce merveilleux ministère avec des majuscules, ce n'est pas une erreur de ma part de ne pas le faire.

Cette "omission" n'en est pas une, elle volontaire.

Des majuscules, ça se mérite ! Et ce nid de pédagogistes rivalisant de théories fumeuses et néfastes ne le mérite en aucun cas.

Quand les petits écoliers français sauront lire, écrire, compter, raisonner, réfléchir, etc. bref, quand au lieu de les abrutir on les instruira de nouveau, alors je remettrai les majuscules.

Ce n'est malheureusement pas près d'arriver...



Que l'on cesse de vouloir faire faire aux élèves une « mise en écriture dialoguée, ancrée dans une situation d'énonciation familière à l'apprenant » avec le résultat que l'on connaît − niveau d'orthographe et de syntaxe à pleurer, vocabulaire ultra réduit, incapacité à rédiger − et qu'on revienne à l'enseignement précis et rigoureux de notre langue, qui est la base de tout !

Sans cela, on condamne les enfants à l'ignorance, on les condamne à ne pas comprendre ce qu'ils lisent et à ne pas savoir s'exprimer correctement.

On les condamne également à ne pas pouvoir vraiment faire de mathématiques : eh oui, les mathématiques ne sont pas qu'affaires de "chiffres" mais de logique et de raisonnements qu'il est impossible de mener sans maîtrise fine du langage.



Je me souviens d'une époque (lointaine) où j'étais écolière.

Je me souviens de journées de travail en classe. D'heures entières au cours desquelles j'apprenais de la grammaire et du vocabulaire, où j'étudiais l'orthographe à l'aide de règles et d'exercices, où je lisais des livres écrits en bon français et mémorisais des poésies.

Je me souviens de tout cela... et j'en ai d'excellents souvenirs !

Adulte, je suis consciente que c'est grâce à ce travail que je peux m'exprimer, que je peux lire des ouvrages exigeants, que je peux penser et confronter ma pensée à celles des autres.

Bref, c'est grâce à ces années formatrices que je suis qui je suis et que je suis libre.

Pour terminer ce tableau, j'ajoute que j'étais dans un quartier relativement privilégié, mais que tous les enfants ne baignaient pas forcément dans la culture chez eux, et que c'est grâce à l'école / au collège / au lycée que certains ont pu acquérir culture et instruction qu'ils n'auraient jamais pu acquérir ailleurs.

Que certains ont fait de brillantes études bien que venant d'un milieu très modeste.



J'éprouve une haine viscérale envers tous ceux qui ont oeuvré depuis des années à la destruction de notre système d'enseignement qui n'était certainement pas parfait mais qui permettait à des enfants défavorisés de s'en sortir, chose qui est totalement impossible maintenant.

Et ce sont les mêmes, ne reculant devant aucune hypocrisie, qui dénoncent le caractère inégalitaire de notre enseignement ! Qui dénoncent la panne du fameux "ascenseur social" !

Ils font semblant de s'indigner des effets que leur politique a produits.

Bande de @$% !
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Louis le magnifique

Le narrateur, Jacques Rodenbach (comme le poète belge), a connu Louis Gilet, dit P'tit Louis, au collège et au lycée dans les années quatre-vingt. Bien plus tard, il a la surprise de le revoir au journal télévisé régional de France 3, en tant que poète ayant pour pseudonyme Zéphyr. Puis, en 2014 un entrefilet du journal Ouest France signale que Zéphyr a été porté disparu au Tibet (comme Tchang...). le narrateur, qui vient d'être licencié de l'entreprise d'import-export dans laquelle il travaillait, décide d'en savoir plus, puis de mener une véritable enquête afin de publier un Tombeau de Zéphyr, chez un éditeur qui accepte l'ouvrage à condition de ne pas avoir à trop dépenser pour ce faire. ● Dans la lignée de son précédent ouvrage, Rééducation nationale, Patrice Jean nous offre ici une satire à gros traits de la société actuelle, en un peu moins mauvais quand même. Les « intellectuels de gauche », les adeptes du « vivre ensemble », les thuriféraires du wokisme en prennent pour leur grade. ● Un raté, musicien maladroit d'un groupe de métal adolescent, les « Belzébuth Carnivores », devenu entre temps coiffeur, va pouvoir connaître son quart d'heure de célébrité en tant que poète, malgré les piètres vers qui nous sont cités, grâce aux efforts conjugués d'une belle éditrice, Alice Liu, et d'un spécialiste du marketing, qui disent à P'tit Louis, alias Mike the Fool, alias Zéphyr, à quelles actions de rue participer pour se faire remarquer. ● Ainsi encensons-nous des minables qui trouvent leur chemin grâce à l'alliance objective des cultureux de gauche et du capitalisme cupide. ● J'ai l'impression que Patrice Jean, qui nous a donné quelques romans excellents, La Philosophie selon Bernard, L'Homme surnuméraire, La Poursuite de l'idéal, ou encore le Parti d'Edgar Winger, se laisse emporter sur la pente de la facilité, s'éloignant de la finesse dont il est capable, pour aller vers la grosse farce kitsch, qui menaçait de façon sous-jacente dès le début de son oeuvre. ● On est ici dans la caricature grasse et lourdingue qui ne fait même pas sourire, malgré quelques allusions littéraires pseudo-savamment placées comme « C'était donc ça, une vie » (Maupassant), « Télaime-sur-Rouergue » (Rabelais) et « Il faut imaginer P'tit Louis heureux » (Camus), par exemple, et malgré l'emploi du subjonctif imparfait, qui n'est pas exempt de quelques dérapages comme : « Les spectateurs applaudirent mollement à la fin des échanges, redoutant sans doute que nous reprîmes une controverse qui n'intéressait personne » au lieu de « que nous reprissions ». Quand on joue à ce petit jeu, mieux vaut ne pas faire ce genre de bévue… ● Cela donne des passages comme : « P'tit Louis fut l'un des derniers à s'en aller du salon. Même le stand des juifs homosexuels était presque vide. Avant d'abandonner son emplacement, P'tit Louis entendit qu'on sifflait, il se retourna et aperçut Francis Tabarin qui clignait de l'oeil. Il demeura interdit : que lui voulait le petit moustachu ? C'est alors qu'il sursauta de dégoût à la vue d'une petite bite toute molle s'échappant de la braguette de Tabarin, lequel souriait bizarrement comme s'il offrait au regard de Louis Gilet la Septième Merveille du monde. » C'est censé faire rire ? ● Ce n'est pas parce qu'on publie dans une collection qui s'intitule « Borderline » qu'on peut faire n'importe quoi… Comme dans Rééducation nationale, Patrice Jean tenait là un sujet pouvant donner naissance à une caricature pleine de finesse ; il a choisi la grosse caisse au détriment de l'orchestre de chambre… J'espère seulement que ses prochains ouvrages renoueront avec ceux que j'ai cités et que j'ai eu plaisir à lire.
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Revenir à Lisbonne

Gilles Ménage, un professeur d’histoire, se fait passer pour un maçon auprès d’Armande, une femme qui travaille dans le secteur culturel, à la fois par plaisanterie et pour la séduire, et va se trouver obligé de continuer à lui mentir. ● Je suis bien déçu par cette petite fable assez niaise, après m’être régalé des deux livres les plus récents de l’auteur, L’Homme surnuméraire et La Poursuite de l’idéal, qui sont d’une toute autre ampleur. ● On trouve déjà ici certains thèmes qui s’affirment dans les deux livres ultérieurs, comme la figure du vieux sage, le dégoût de l’époque contemporaine, une certaine misanthropie, une pensée qu’on pourrait appeler réactionnaire. On y trouve aussi le style très classique ne reculant devant aucun imparfait du subjonctif. ● Mais la forme brève ne semble pas convenir à l’auteur et on reste vraiment sur sa faim. Aucun de ces thèmes n’est vraiment développé, et on n’a affaire qu’à un petit roman racontant un amour mensonger et parsemé de maximes qui veulent peut-être parodier celles de l’honnête homme des siècles classiques – le sous-titre de l’œuvre, « Ou l’Imposture amoureuse », fleure bon le XVIIIe siècle – mais ne parviennent qu’à nous faire bâiller.
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L'homme surnuméraire

Serge le Chenadec, directeur d'une agence immobilière à Clamart, est malheureux en ménage : sa femme le méprise, entraînant ses deux enfants dans son sillage. Il se sent médiocre, « surnuméraire » au sein de sa propre famille. Roman dans le roman, cette trame forme la matière de L'Homme surnuméraire, de Patrice Horlaville, qui sera discuté, dans un second temps, par un petit groupe d'autres personnages, dont des professeurs et des intellectuels, et par Clément Artois, un chômeur amateur de littérature. ● La structure narrative du roman est assez originale et, dans mon résumé, paraît peut-être plus complexe qu'elle ne l'est en réalité : elle n'est pas un obstacle à la lecture, même si le roman joue avec le rapport entre la réalité et la fiction. ● Cela dit, c'est un roman assez dense, éloigné de l'ordinaire de la fiction littéraire actuelle, et donc très intéressant. ● On pourrait reprocher à l'auteur une certaine préciosité (dont il est conscient), un peu à la Éric Rohmer, même s'il ne répugne pas à employer de temps en temps des termes grossiers voisinant avec des imparfaits du subjonctif. Mais pour ma part cela ne me gêne pas, bien au contraire, cela change de la prose relâchée de bien des romans contemporains. Ici nul doute que l'écriture est travaillée (parfois peut-être un peu trop). ● J'adresserais un autre reproche à l'auteur : celui de parler de milieux qu'il ne connaît pas suffisamment, car cela se voit (c'est la même chose dans La Poursuite de l'idéal, roman plus récent par lequel j'ai commencé à lire son oeuvre). ● En inventant une collection de « littérature humaniste » dans laquelle les grandes oeuvres classiques sont expurgées de leurs passages ne répondant plus aux critères actuels de la morale droit-de-l'hommiste (Voyage au bout de la nuit réduit à un opuscule de vingt pages !), il fait une satire virulente, hilarante et très efficace des ravages de la « cancel culture ». ● On trouve déjà dans ce roman des personnages auxquels ceux de la Poursuite de l'idéal feront écho, soulignant les obsessions de l'auteur : le vieux sage véritablement humaniste et néanmoins roublard, à la fois dans le système culturel et le critiquant ; le jeune loser cultivé finissant par se compromettre ; la jeune femme simple et pure au physique qu'elle ne sait pas mettre en valeur et qui rappelle la Félicité de Flaubert (d'autres passages aussi sonnent flaubertiens) ; et bien sûr la cohorte des modernes grotesques superbement caricaturés. ● le roman ne prend véritablement son envol qu'à la moitié ; ce qui précède me paraît trop long. ● Patrice Jean s'amuse des critiques que son roman pourra recueillir sur les réseaux sociaux comme Babelio, il en donne quelques exemples p. 240, c'est bien vu. Il ajoute p. 241 : « Chaque roman, qu'il soit d'un inconnu ou d'un génie, passait devant le tribunal des lecteurs, tous flattés d'évaluer la chose, sans jamais douter de leur compétence. L'évidence critique, comme le bon sens, était la chose du monde la mieux partagée. Personne n'estimait manquer de goût. Personne. » ● Par la voix de ses personnages, il n'hésite pas à faire dans le politiquement incorrect : « L'art ne se maintient qu'en des temps où les élites terrorisent les foules plébéiennes ; mais si les élites s'inclinent devant le nombre, le peuple, les ventes, eh bien, l'art disparaît dans l'indiscernable. Nous y sommes. Je ne crois pas que l'Europe s'en sortira. Encore quelques dizaines d'années, peut-être… Un jour, Molière et Verlaine ennuieront tout le monde, on leur préférera des récits à la mode, les chanteurs du jour, les films en 3D, le tout-venant de l'industrie culturelle… le lien avec le passé sera coupé, et nous nous écraserons le nez sur le présent… Fin de partie… » ● Ou encore : « Elle fréquentait de plus en plus d'amis de gauche, ce qui déclenchait chez elle des réflexes vertueux et une propension à soupçonner tous ceux qui ne pensaient pas comme elle d'être des racistes et des salauds. » ● Je recommande vivement ce livre qui ose sortir des sentiers battus.
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