Pierre Péju vous présente son ouvrage "
Effractions" aux éditions Gallimard.
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effractions
Note de musique : © mollat
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J'ai cherché partout le bonheur, mais je ne l'ai trouvé nulle part; sinon dans un petit coin, avec un petit livre ...
-Instants amoureux-
Respectons tous ceux qui ont gardé cette faculté de "tomber" amoureux; de tomber immobile et sur place, souffle coupé, appétit perdu, regard soudain lavé et vague. Personne ne sait : c'est leur secret. Ils ne vivent que dans une attente qui est aussi un état de douceur extrême. Ils vivent dans l'attente d'"instants" qui ne seront de "beaux instants" que parce qu'un lien , parfois ténu comme un cheveu, les reliera à l'être désiré.(p.72)
Maladie de l'écriture: espoir pathologique d'atteindre, même fugitivement, le noyau parlé de chaque moment vécu, puis l'amande amère de ce qui se tait dans toute parole. (p. 130)
Je me souviens de ce jour de grippe et de fièvre où seul, roulé dans une couverture, je lisais un conte dans lequel il neigeait à gros flocons. Fasciné par ces seuls mots : « il neigeait… », quand soudain, levant la tête du livre et comme alerté par un étrange silence, je découvrais que dehors, dans les rues de la ville, il neigeait magiquement aussi, que tout devenait blanc. Puissance du conte ! Transfiguration du monde par la neige et les mots.
- C'est quoi le plus grave ?
- Le plus grave, c'est que, quand vous faites arriver quelque chose de terrible à quelqu'un et quand vous décidez que ça tourne au drame, pour vous, c'est une simple pièce dans un grand jeu de construction.Je me trompe ?
- Tu sais, on ne peut pas non plus
" écrire" n'importe quoi.Il y a des équilibres à respecter, la nécessité d'une logique narrative...
- La vraie souffrance, vous vous en foutez, hein ?
Il n'y a que votre roman qui compte! Les gens...oui, les gens, pas les personnages...vous les utilisez.
Je crois que pour écrire il faut avoir le cœur dur...
( p.179)
Qui saura, dans un avenir pas très lointain, ce que représentaient, pour des gens comme moi, les libraires et les librairies ?
Ce que signifiait dans une ville, grande ou petite, la présence de ces lieux où l'on pouvait entrer dans l'espoir d'une révélation?
Qui se souviendrait de la façon paisible dont on pénétrait dans ces antres à l'odeur de papier et d'encre, de cette façon de pencher la tête pour déchiffrer un titre nouveau, puis un autre, des noms d'auteurs familiers ou inconnus, afin de glaner des indices et des signes vivants sur les couvertures claires ?
Qui se souviendra de cette façon de poser l'index au sommet de l'ouvrage pour le basculer en arrière, l'attirer à soi, l'ouvrir, le parcourir ? Lire le quatrième de couverture?
Debout, dans le bruit des pages tournées, découvrir les quelques mots qui paraissent s'adresser précisément à soi ?
L'inespéré noir et blanc, intime universel, Musique silencieuse...
Je savais, lecteur clandestin, que toute lecture commence par une effraction mais qu'au bout d'un moment le lecteur devient l'ami de ce qu'il a violé, que son audace ou sa persévérance lui donnent un droit mystérieux sur l'univers du livre, qu'il peut enfin, fantôme-voyeur, aimer ouvertement les pages qu'il hante, se les approprier, s'en souvenir, s'en nourrir, en revendiquer désormais, à la face du monde, la musique ou les images. (p. 114)
-L'idiot de Shangaï-
C'était non seulement cette infirmité soudaine qui me paralysait, mais aussi une sorte de honte. Longtemps, j'avais été un voyageur plutôt cultivé, ne cessant jamais de lire et d'écrire. Je sentais que j'étais devenu un de ces êtres incapables d'habiter pleinement le monde, faute d'en déchiffrer les signes les plus simples. (p.53)
Car notre enfance n'est jamais de l'histoire ancienne. L'enfant que nous avons été, même si nous ne tenons pas à le revoir, même si nous ne l'avons pas convoqué, est soudain là. Il hante notre présent qui se trouble et s'obscurcit. Il a l'éclat légèrement tremblant des revenants.
Tant qu'il avait eu de l'argent, le prix des choses n'avait été que leur prolongement obscur mais, peu à peu, le prix s'était transformé en un spectre menaçant qui empêchait d'approcher des marchandises.Les objets péniblement acquis se cassaient ou s'ébréchaient.D'autres tombaient en panne.
Schulz avait alors décidé de se passer de tout, même de l'essentiel afin de ne pas s'engager dans cette pâte faite des choses et de ce qu'elles coûtent. Il portait des habits élimés.Il avait su apprécier les bonnes choses mais, sans argent, les sensations s'émoussent.