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Critiques de Pierre de Marivaux (446)
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L'Île des esclaves

Il doit bien y avoir quelques grammes de Rousseau dans Marivaux, tout au moins de précieux germes, avec la verve et le mordant gracieux d’un Voltaire ou d’un Beaumarchais.



En effet, quelle brûlante petite comédie met-il sur le feu de l’aristocratie d’alors avec cette Île des Esclaves ! Ouh ! Que ça devait faire mal d’entendre ça ! Car Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux sait très bien de quoi il parle et sait également à qui il s’adresse.



Il faut saluer ce beau courage de dire tout haut, dès 1725, à une époque où les Lumières sont encore au stade de l’étincelle, que l’aristocratie se comporte envers le peuple de la façon la plus abjecte ; qu’elle est, même vis-à-vis d’elle-même, mesquine, superficielle et viciée. Rien que ça. Chapeau bas Monsieur de Marivaux.



Elle est petite cette comédie — un seul acte —, mais elle est corrosive à souhait et l’on y sent déjà comme un avertissement à la classe dirigeante, comme un avant-goût de révolte. Assez parlé ! L’histoire, quelle est-elle ?



Au large de la Grèce (On éloigne un peu l’action histoire de ne pas trop s’attirer les foudres de la cour de Louis XV, mais tout le monde s’y reconnaît cependant.), un bateau transportant des personnes de qualité et leurs domestiques fait naufrage.



Or, le naufrage a lieu sur l’Île des esclaves, une île où, des années auparavant, des domestiques ou des esclaves (Marivaux emploie le terme esclave pour désigner les domestiques ce qui renforce le trait) mutinés ont trouvé refuge et ont, au passage, trucidé leurs maîtres.



Depuis lors, dès qu’un arrivage se fait sur l’île, ces compagnons démocrates de l’île (eux-mêmes ex-serviteurs) infligent une inversion des positions sociales aux naufragés.



C’est ainsi qu’Iphicrate, le maître et son serviteur Arlequin ainsi qu’Euphrosine et sa servante Cléanthis vont faire l’expérience d’une inversion des rôles sous la houlette de Trivelin, le grand ordonnateur de l’île. Ceci est bien sûr le prétexte à de nombreuses répliques comiques, mais aussi et surtout à une prise de conscience de l’iniquité avec laquelle les maîtres ont conduit leur destinée jusqu’alors, notamment envers leurs subordonnés.



Je vous laisse savourer la chute et ce qui a bien pu l’inspirer à Marivaux en cet Ancien Régime flamboyant. Il demeure une très belle comédie sociale, pleine d’allant et de sous-entendus, que j’élèverais sans honte au firmament de mes cinq étoiles s’il n’était une impression de trop grande brièveté. Je vous la conseille sans hésitation, mais tout ceci n’est que mon valétudinaire avis, c’est-à-dire, bien peu de chose sur le continent.
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L'Île des esclaves

L’île aux esclaves est un bon livre, étonnant notamment par le fait qu'il n'a absolument pas vieilli depuis 1725, que ce soit dans l'écriture ou les sujets abordés.

Ce qui m'a particulièrement plu dans cette oeuvre, c'est l'idée directrice du livre, qui est à la fois originale, plaisante mais qui porte également à réfléchir. En effet, les rapports dominants/dominés seront toujours présents et pose, encore de nos jours, nombre de problèmes. (Pour ceux qui n'ont pas lu le livre, arrêtez vous là). L'idée d'inverser les conditions entre esclaves et maîtres apporte un intérêt à l'oeuvre, du fait qu'elle apporte à la fois des situations relativement drôles mais porte aussi la base de la réflexion que va développer Marivaux. Ces deux duos de personnages (avec notamment le personnage d'Arlequin) vont finalement, sur cette île aux règles un peu spéciales, nous apporter quelques leçons de vie sans aucune prétention. Un bon livre à lire!
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Les Fausses Confidences

Les Fausses Confidences est une pièce considérée par beaucoup comme l'une des toutes meilleures de Pierre de Marivaux. Et il est vrai qu'elle possède un côté alerte et plaisant.



On y sent un peu de ruse du personnage principal, Dorante, mais pour la bonne cause, ce qu'on est tout de suite prêt à lui pardonner. La ruse en question vient du fait qu'il est certes issu d'une très bonne famille, mais qu'il se retrouve tout à fait désargenté, donc, un parti peu avantageux aux yeux des gens de la sphère à laquelle il appartient. (Est-ce que cela a beaucoup changé de nos jours, surtout en temps de crise ?)



Pourtant Dorante a quelques arguments à faire valoir auprès des dames : il est beau comme un prince, délicat comme un ange, noble comme un chevalier (bon, ça fait beaucoup, je vous l'accorde, dans la vraie vie, c'est louche). Aussi, délicatesse oblige, lorsqu'il tombe fou amoureux d'une très, très riche veuve, a-t-il grand peur que l'on croie qu'il la convoite uniquement pour sa fortune.



Aïe, aïe, aïe… Il est là le hic ! Il va falloir s'introduire habilement auprès d'Araminte (la belle veuve), elle-même convoitée par un riche et noble comte, qui a, lui, les faveurs de la vieille et acariâtre mère d'Araminte qui ne rêve, elle, que d'unir deux belles fortunes.



Mais ce n'est pas tout, Dorante va devoir composer avec son oncle, Monsieur Rémy, qui, très honnêtement, essaie de lui arranger le coup avec la suivante d'Araminte, Marton, elle-même qui, pas folle la guêpe, voit bien que Dorante est un parti très engageant.



Bref, ça s'annonce compliqué, aussi Dorante mise-t-il l'essentiel du paquet sur un coup de pouce de son ancien domestique, Dubois, qui est entré au service d'Araminte depuis quelque temps. Peut-être échappera-t-il au valet quelques fausses confidences ? Peut-être lesdites fausses confidences n'auront-elles pas toutes l'effet escompté ? Je n'en sais rien, moi, c'est à vous de lire ou de voir la pièce si vous désirez en connaître le fin mot.



Selon moi, une pièce plaisante mais à laquelle j'ai tendance à préférer grandement les comédies sociales comme L'Île des Esclaves, La Colonie, etc. car, on l'oublie souvent, Marivaux était beaucoup plus fin et engagé et tenant des Lumières que ce que le ravalement au théâtre léger et au terme " marivaudage " pourraient laisser supposer.



Eh oui, c'était un esprit, ce Marivaux, mais que, malheureusement, l'on était pas prêt, en son temps, à écouter comme il se doit, à écouter là où il avait les choses les plus intéressantes à dire. Et, bien entendu, s'il voulait vivre de sa plume, il était bien obligé de faire ce qui plaisait et ce pour quoi l'on acceptait de le payer. C'est bien dommage.



Car, à bien des égards, c'est presque lui le premier représentant des Lumières en France, et même, littérairement parlant, son Paysan parvenu, qui annonce Les Liaisons dangereuses et le Rouge et le noir, ou encore, certaines de ses pièces dont l'agencement est quasiment de la science-fiction avant l'heure, méritent vraiment le détour. Mais ce ne sont là que les fausses confidences d'un avis doublement inconstant, c'est-à-dire, fort peu de chose.



P. S. : j'ai toujours mieux aimé les vrais confits denses que les fausses confidences…
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Le Jeu de l'amour et du hasard

Marivaux - Le Jeu de l'amour et du hasard - 1730 : L'amour est un jeu ! Il faut dire ça a tous ceux qui souffrent d'avoir approché d'un peu trop près sa lumière et qui s'en trouvent blessés jusqu'à la fin de leur vie. Marivaux utilisait ce sentiment dans l'immédiateté de comédies badines souvent très réjouissantes. Celle-ci par sa témérité et son rythme entraînait le lecteur dans un tourbillon de répliques qui lui faisaient tourner la tête. Il fallait être attentif pour s'y retrouver dans cette galéjade qui voyait les maitres jouer le rôle des valets et les valets celui des maitres. En laissant libre choix à sa fille de choisir ou pas l'homme qui venait lui demander sa main, monsieur Orgon validait une machination sensée découvrir la probité et le caractère de l'aspirant fiancé. Celui-ci se méfiant d'une personnalité orgueilleuse ourdissait le même complot afin de pouvoir jauger le comportement de sa future femme. Évidemment les quiproquos pleuvaient et c'est l'amusement qui prévalait avant tout dans cette pièce qui n’avait d’autres ambitions que de faire rires les spectateurs. Même si l'histoire était d'une facilité déconcertante les rebondissements perpétuels et les chassés croisés amoureux rendaient cette simple bacchanale absolument jouissive. Il faut dire que cette pièce pétillante était faite pour être jouée devant un parterre de nobles qui à l'instar de Louis XIV et de sa cour quand ils assistaient aux représentations de Molière se montrait en cette occasion capable de rire d'eux même. Il est d’ailleurs étonnant de constater que cette population tellement fière de son élitisme ait pu se divertir avec des pièces de théâtre qui de façon plus ou moins détournée cherchait à les ridiculiser. Sans doute que la longue tradition des fous qui se moquait ouvertement des monarques du moyen-âge et de la renaissance pour les distraire survivait ici. Souvent mise en scène à la comédie française car elle est une bonne école pour les jeunes acteurs se destinant aux classiques, "Les jeux de l'amour et du hasard" emporte encore l'adhésion du clampin moderne par sa légèreté certes mais aussi par sa langue déliée qui prouve qu'on peut faire rire en soignant son écriture... un bel exercice
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Le Jeu de l'amour et du hasard

Voilà une comédie bien plaisante de Pierre de Marivaux, basée sur un double quiproquo. Plaisante, vous dis-je, magnifiquement écrite dans cette langue du XVIIIème qui vous ravit les oreilles, mais cependant assez peu profonde, comparée notamment à d'autres comédies du même auteur.



Je l'avais trouvé tellement plus profond dans L'Île des Esclaves ou La Colonie, par exemple, que je ne me cache pas d'une toute petite déception. C'est divertissant, voilà tout.



L'histoire en deux mots tient dans le pitch suivant : Silvia est une belle demoiselle de bonne famille à marier. Son père, Monsieur Orgon, qui est un homme ouvert et soucieux du bonheur de sa fille lui destine Dorante, à propos duquel les meilleurs bruits circulent.



Mais Silvia est fort méfiante sur les choses du mariage. Ainsi, plutôt que de s'engager à la légère avec un inconnu pouvant contrefaire sa nature véritable, la demoiselle préfère en juger par elle-même (on se saurait lui donner tort). Elle se fera donc passer pour sa femme de chambre et observera de loin comment Dorante s'y prendra avec sa domestique contrefaite en elle-même.



L'ennui, c'est qu'évidemment, Dorante pourrait avoir la même idée avec son valet Arlequin, de sorte que le terrain de l'expérience s'en trouverait considérablement modifié. Qu'adviendrait-il ? Ça, je vous laisse le soin de le découvrir par vous-même si vous ne connaissez pas cette pièce.



Un bon cru, en somme, mais pas aussi jubilatoire, d'après moi, que d'autres écrits de Marivaux quant à la forme (Le Paysan parvenu) ou quant au fond (L'Île des Esclaves, La Colonie). Mais bien entendu, au jeu d'exprimer son amour des pièces on se hasarde car, en définitive, cela ne représente sans doute jamais grand-chose.
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Les Sincères - Les Acteurs de bonne Foi

Cet ouvrage regroupe intelligemment deux courtes comédies de mœurs en un acte qui vont très bien ensemble.



Tout d'abord Les Sincères, où Pierre de Marivaux règle son compte tant à la mondanité ordinaire qu'à un certain snobisme social qui prétendrait en prendre le contre-pied.



À main gauche, mettez l'hypocrisie, le cortège de mensonges et de doux euphémismes qu'il faut développer en société pour ménager son prochain, en le lissant dans le sens du poil, en le mettant toujours plus ou moins en valeur pour le flatter ou, à tout le moins, pour éviter de lui mettre la réalité vraie en face.



À main droite, mettez l'outre franchise, dites tout ce que vous pensez des gens sans rien garder sous le pied et mesurez, ou du moins essayez d'imaginer, le joyeux bazar que cela va mettre partout où votre parole cinglera comme un fouet des vérités pas toujours bonnes à dire.



Et en plein milieu, mettez des personnes qui élèvent la sincérité au rang de dogme et faites-les interagir ensemble. Marivaux essaie de nous dire, je pense, que dans ce monde d'alors, comme dans celui de maintenant, où flagornerie et hypocrisie sont les deux mamelles qui nourrissent la réussite en société, un soupçon de franchise, de temps en temps, ça fait quand même du bien.



Mais dans le même temps, il prétend que ces sincères, quand il s'agit d'eux-mêmes, ne perçoivent peut-être plus exactement la sincérité de la même façon qu'avec autrui. Intéressant, non ? Je ne vous en dis pas plus sur cette pièce qui, sans être déplaisante du tout ne m'a pas non plus transportée d'enthousiasme.



Dans Les Acteurs de Bonne Foi, il est également question de sincérité, et plus exactement d'inaptitude à la distanciation. Ici, la première moitié de la pièce est savoureuse à souhait, absolument tordante par moments, puis, comme souvent chez Marivaux pour satisfaire aux convenances de son siècle, vient l'attiédissement réglementaire pour retomber peu ou prou sur les pattes de la morale judéo-chrétienne.



Pas aussi fanfaronnant qu'un Voltaire ou qu'un Beaumarchais, moins accro à la fulgurance d'une répartie qu'à la finesse générale de la formule, il m'évoque plus le talent et la retenue d'un Laclos ou d'un Stendhal appliqué au canevas de la comédie.



Ici, il est question une nouvelle fois de théâtre dans le théâtre, le genre de mise en abîme dont il est l'un des maîtres et dont, évidemment, le niveau ultime est le nôtre, c'est-à-dire le théâtre de nos propres vies dans lequel le miroir du théâtre doit nous faire nous reconnaître.



La première pièce dans la pièce à laquelle nous assistons est celle conçue pour faire plaisir à Madame Amelin. Elle est commanditée par son neveu Éraste. Merlin, le valet d'Éraste, est désigné grand enchanteur, auteur, acteur, metteur en scène de l'impromptu qui doit mettre aux prises Lisette, sa propre fiancée, et un autre couple de promis, les valets campagnards que sont Colette et Blaise.



Dans la comédie, il est question d'inconstance et que Colette fasse les yeux doux à Merlin. Vous imaginez sans peine l'emberlificotage qui va se produire entre la comédie et le réel, Blaise étant convaincu que Colette veut réellement le tromper et Lisette non moins persuadée que Merlin a une double vue.



Ce passage est jubilatoire à mes yeux, le très digne devancier d'une mécanique comique comme celle qui est à l'oeuvre dans le Dîner de Cons de Francis Veber. Je vous laisse jouir du crêpage de chignon qui va s'ensuivre et vous signale simplement que devant les complications des répétitions, la représentation risque fort d'être annulée, si bien que Madame Amelin risque fort d'en être pour ses frais de la comédie qu'elle aime tant. Va-t-elle se satisfaire de cela ? Ne pourrait-elle pas commandité une autre sorte de théâtre avec d'autres sortes de gens ?



CHHUUUTTT ! n'en disons pas plus car d'aucuns pourraient se méfier s'ils se savaient observés. Il me reste à vous dire que sincèrement, de bonne foi, j'aime ces acteurs, mais quel genre de public suis-je pour émettre des avis à la cantonade ? Assurément bien peu de chose et le meilleur avis, le plus sincère j'entends, que l'on vous donnera de cette pièce sera toujours le vôtre, et celui-ci qu'est-il dans le fond ? Assurément, pas grand-chose…
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Le Paysan parvenu

Quel bonheur de lire cette langue dont notre petit français actuel n'est qu'un vestige ! Marivaux, tout en finesse, tout en touches successives, brosse un portrait, non pas tant de son héros, dont on devine dès le titre son devenir, mais bien plutôt de toute la société parisienne dans laquelle il va graviter.



Il n'est évidemment pas usurpé, comme il a déjà été fait, de comparer ce Jacob au Julien Sorel du Rouge Et Le Noir car, notre homme tient son ascension dans le monde grâce à l'attrait qu'il exerce sur la gent féminine. Mais là où il y avait un magnétisme de l'esprit chez Stendhal, Marivaux n'hésite pas à ne considérer que le physique, ce qui n'est pas si fréquent à l'époque pour un personnage masculin.



Notre Jacob, fraîchement débarqué de sa Champagne natale, va apprendre les usages à vitesse grand V (du moins c'est ainsi qu'il le raconte bien des années plus tard car le narrateur nous conte son ascension sociale a posteriori) et savoir utiliser ses atours physiques pour obtenir des dames l'amélioration de son quotidien avec un souci de la morale parfois assez peu prononcé.



Ensuite, deuxième et inévitable comparaison moult fois faite, celle avec Les Liaisons Dangereuses. Comment ne pas voir dans le libertinage éhonté de Jacob quelques accents du grand Valmont ? Pourtant, je trouve qu'il y a un tantinet plus du Jacques dans Jacques Le Fataliste Et Son Maître que du Valmont dans la façon dont Jacob s'adonne à la question des femmes. Quelque chose de très terre à terre, de très opportuniste, un simple appel du plaisir, plus qu'une recherche de performance ou un challenge.



Quoi qu'il en soit, quel roman savoureux et quel affreux dommage que notre bon Marivaux n'ait pas jugé bon de l'achever car ces cinq premières parties sont tout bonnement succulentes d'ironie, de truculence, de sarcasme parfois. On ne peut probablement pas en dire autant des trois suivantes, fruit d'une autre plume, mais ceci, bien évidemment, n'est que mon avis de paysanne pas revenue, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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L'Île des esclaves

Après avoir lu Le jeu de l'amour et du hasard, qui m'avait franchement plu (voir ma critique) j'ai souhaité continuer avec celui-ci. Iphicrate et son valet Arlequin, Euphrosine et sa servante Cléanthis se retrouvent sur une île où les règles changent, où les rôles s'échangent : les valets prennent la place des maîtres.

Cette comédie est très courte, je l'ai lue en à peine une demi-heure. Comme dans "Le jeu de l'amour et du hasard", on jette le superflu, on va au plus efficace. On ne s'embarrasse pas d'expliquer le contexte : quelle est cette mystérieuse île ?

La pièce se révèle donc vraiment concise et agréable à lire. Il y a des scènes réellement drôles mais il y a derrière une vraie réflexion. Les maîtres ne devraient-ils pas faire un peu plus de cas de leurs valets ? Toujours sur un ton léger et avec humour, évidemment. On assiste a des scènes cocasses lorsque les valets tentent de "jouer aux nobles".

Ce que j'apprécie particulièrement dans les deux oeuvres de Marivaux que j'ai pu lire c'est la modernité, la fraîcheur. Il y a une volonté de remuer, de questionner les classes et l'ordre établi. Il y a peu de personnages, on se concentre vraiment sur l'essentiel. Cependant la fin me laisse presque sur ma faim (haha) : c'est si court ! Et puis je la trouve un tantinet caricaturale, pleine d'effusions mais au final je pense que c'était la meilleure manière de conclure brièvement. Il est vrai que l'oeuvre m'a laissé un goût de trop peu, j'aurais bien aimé approfondir plus la réflexion au travers de cette île utopique. Quoi qu'il en soit au moins c'est très facile à lire, et ça on apprécie !

Encore un bon point de marqué pour Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, je commence vraiment à aimer ces pièces toujours drôles, de bon ton et menées avec brio.
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La Dispute

La Dispute est l’une des admirables comédies sociales de Marivaux qui se présentent presque sous forme d’expériences scientifiques à scène ouverte. Il y est ici question de l’origine de l’infidélité conjugale. Est-elle chose mâle ou chose femelle ?



À main gauche, Hermiane, convaincue qu’il s’agit d’une malfaçon viscéralement masculine. À main droite, le Prince, qui, somme toute n’en disconvient pas mais considère que la chose doit être analysée plus finement.



Pour ce faire et puisque la controverse avait déjà éclaté du temps de son père, le Prince propose de mettre à exécution une expérience préparée de longue date par son défunt aïeul, qui lui était convaincue que l’inconstance était de sexe féminin.



Le vieil homme avait soigneusement fait élever trois couples de jeunes enfants, trois garçons et trois filles, tous isolément et n’ayant pour seule fenêtre sur le monde extérieur que deux domestiques noirs qui pourvoyaient à leurs besoins, tels des parents adoptifs.



Le temps est donc venu, dix-huit ans plus tard de libérer ces jeunes jouvenceaux et jouvencelles afin d’étudier leurs réactions vis-à-vis de leurs semblables du sexe opposé et d’allure si différente des domestiques qui les ont élevés jusqu’alors.



Il s’agit donc d’une mise en abîme de théâtre dans le théâtre puisque nous sommes spectateurs de la dispute entre Hermiane et le Prince, eux-mêmes spectateur des moindres faits et gestes d’Églé, Azor, Adine, Mesrin, Dina et Meslis.



Je vous laisse le loisir de découvrir les résultats de l’expérience, pas exactement à la hauteur d’aucuns des spectateurs et commanditaires. Toutefois, c’est encore l’occasion pour Pierre de Marivaux d’étriller un peu plus les a priori d’où qu’ils sortent et de nous faire réfléchir sur la condition de l’humain, avec ses qualités et ses travers.
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La colonie - L'Ile des esclaves

Dans La Colonie, Marivaux se fait le chantre, dès 1750 c'est notable (et même, dans sa version initiale, dès 1729 !) des droits de la Femme, ouvrant grand la porte à notre vaillante Olympe de Gouges.



D'ailleurs c'était tout à fait inutile, Monsieur de Marivaux, puisque la société française était (et est toujours) très égalitaire, qu'il ne lui a fallu qu'à peine deux cents ans, après la parution de votre pièce, pour accorder le droit de vote aux femmes, une bagatelle !



Merci et bravo, en tout cas, pour ce courage-là, car il fallait oser, et vous le fîtes, sans peur et sans honte, et vous ne vous laissâtes point démonter par l'insuccès de la première mouture de 1729.

Le principe est le même dans cette pièce que dans l'Île des Esclaves, à savoir un échouage sur une île ou en un lieu sans repère (on sent l'influence déterminante de Robinson Crusoé, publié en 1719), où il s'agit d'édifier des règles de conduite.



En l'espèce, les femmes, frustrées d'être cantonnées à des tâches subalternes et d'obéissance, réclament leur droit à édicter des lois conjointement avec les hommes et à avoir accès à tous les types d'emplois. Ce n'est donc pas peu dire que Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux était fort en avance sur son temps.



On peut certes s'interroger sur ses intimes convictions, notamment quant aux limites du pouvoir féminin, le penchant viscéral qu'il dépeint au crêpage de chignon, le fait que placées dans la même position de supériorité que les hommes, les femmes, de la même façon aiment à jouir et abuser de leurs privilèges et ne se montrent pas plus que les hommes prêtes à partager les meilleurs morceaux…



Ceci vient probablement du fait que l'auteur ne se faisait pas beaucoup d'illusions sur le genre humain dans son entier. Saurait-on lui donner tort ?... Donc, une belle petite comédie sociale, qui appuie là où ça faisait mal pour l'époque (et même pour beaucoup d'autres époques ultérieures dont je n'exclus pas la nôtre).



Avec l'Île des Esclaves, c'est à l'aristocratie qu'il s'en prend et qu'il met le feu. Ouh ! que ça devait faire mal pour ces beaux messieurs, ces belles dames, d'entendre ça ! Car Marivaux sait très bien de quoi il parle et sait également à qui il s'adresse.



Il faut saluer là-encore ce beau courage de dire tout haut, dès 1725, à une époque où les Lumières sont encore au stade de l'étincelle, d'un feu tout juste ébauché, à peine allumé par le philosophe anglais John Locke, que l'aristocratie se comporte envers le peuple de la façon la plus abjecte, qu'elle est, même vis-à-vis d'elle-même, mesquine, superficielle et viciée. Rien que ça. Pour la deuxième fois, chapeau Monsieur de Marivaux.



Elle est petite cette comédie, un seul acte, mais elle est corrosive à souhait et l'on y sent comme un avertissement, comme un tintement de sonnette à l'adresse de la classe dirigeante, comme un avant-goût de révolte, n'est-ce pas ?... Assez parlé ! L'histoire, quelle est-elle ?



Au large de la Grèce (On éloigne un peu l'action histoire de ne pas trop s'attirer les foudres de la cour de Louis XV, mais tout le monde s'y reconnaît cependant.), un bateau, transportant des personnes de qualité et leurs domestiques, fait naufrage. Or, le naufrage a lieu sur L'Île des esclaves, une île où, des années auparavant des domestiques ou des esclaves (Marivaux emploie le terme esclave pour désigner les domestiques ce qui renforce le trait) mutinés ont trouvé refuge ici bas et ont, au passage, trucidé leurs maîtres.



Depuis lors, dès qu'un arrivage se fait sur l'île, ces compagnons démocrates de l'île (eux-mêmes ex-serviteurs) infligent une inversion des positions sociales aux naufragés. C'est ainsi qu'Iphicrate, le maître et son serviteur Arlequin ainsi qu'Euphrosine et sa servante Cléanthis vont faire l'expérience d'une inversion des rôles sous la houlette de Trivelin, le grand ordonnateur de l'île.



Ceci est bien sûr le prétexte à de nombreuses répliques comiques, mais aussi et surtout à une prise de conscience de l'iniquité avec laquelle les maîtres ont conduit leur destinée jusqu'alors, notamment envers leurs subordonnés.



Je vous laisse savourer la chute et ce qui a bien pu l'inspirer à Marivaux en cet Ancien Régime flamboyant. Il demeure une très belle comédie sociale, pleine d'allant et de sous-entendus, que j'élèverais sans honte au firmament de mes cinq étoiles s'il n'était une impression de trop grande brièveté. Je vous la conseille sans hésitation, mais tout ceci n'est que mon avis, de femme et de servante, c'est-à-dire, à l'époque comme de nos jours, bien peu de chose.
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Les Acteurs de bonne foi ou Les effets surp..

Chez Marivaux, le démarrage d’une pièce est souvent sensationnel, mais, eu égard à l’époque, de peur d’être trop innovant, trop dérangeant, trop décapant comme il ne manquerait pas de l’être, l’auteur tempère le premier élan pour accoucher d’une fin qui satisfasse aux convenances de son temps et de son milieu.



Les lecteurs ou spectateurs anachroniques que nous sommes peuvent peut-être le déplorer aujourd’hui mais dans son temps comme maintenant, c’est avec délice que l’on voit poindre en ses pièces les brillants de cette impertinence muselée, les bonheurs de ce qui n’a pu être écrit mais qui a été pensé si fort qu’il transperce le papier.



Les Acteurs De Bonne Foi ne déroge pas à la règle. La première moitié de cette pièce en un acte est savoureuse à souhait, absolument tordante par moments, puis vient l’attiédissement réglementaire pour retomber peu ou prou sur les pattes de la morale et des convenances du XVIIIème siècle.



Pas aussi fanfaronnant qu’un Voltaire ou qu’un Beaumarchais, moins accro à la fulgurance d’une répartie qu’à la finesse générale de la formule, il m’évoque plus le talent et la retenue d’un Laclos ou d’un Stendhal appliqué au canevas de la comédie.



Ici, il est encore question de théâtre dans le théâtre, le genre de mise en abîme dont il est l’un des maîtres et dont, évidemment, le niveau ultime est le nôtre, c’est-à-dire le théâtre de nos propres vies dans lequel le miroir du théâtre doit nous faire nous reconnaître.



La première pièce dans la pièce à laquelle nous assistons est celle conçue pour faire plaisir à Madame Amelin. Elle est commanditée par son neveu Éraste. Merlin, le valet d’Éraste, est désigné grand enchanteur : auteur, acteur, metteur en scène de l’impromptu qui doit mettre aux prises Lisette, sa propre fiancée, et un autre couple de promis, les valets campagnards que sont Colette et Blaise.



Dans la comédie, il est question d’inconstance et que Colette fasse les yeux doux à Merlin. Vous imaginez sans peine l’emberlificotage qui va se produire entre la comédie et le réel, Blaise étant convaincu que Colette veut réellement le tromper et Lisette non moins persuadée que Merlin a une double vue.



Ce passage est jubilatoire à mes yeux, et assurément le très digne devancier d’une mécanique comique comme celle qui est à l’œuvre dans Le Dîner De Cons de Francis Veber. Je vous laisse jouir du crêpage de chignon qui va s’ensuivre et vous signale simplement que devant les complications des répétitions, la représentation risque fort d’être annulée, si bien que Madame Amelin risque alors d’en être pour ses frais de la comédie qu’elle aime tant. Va-t-elle se satisfaire de cela ? Ne pourrait-elle pas commanditer une autre sorte de théâtre avec d’autres sortes de gens ?



CHHUUUTTT ! n’en disons pas plus car d’aucuns pourraient se méfier s’ils se savaient observés. Il me reste à vous dire que, de bonne foi, j’aime ces acteurs, mais quel genre de public suis-je pour émettre des avis à la cantonade ? Assurément bien peu de chose et le meilleur avis que l’on vous donnera de cette pièce sera toujours le vôtre, alors que le rideau s’ouvre…
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La dispute suivi de L'île des esclaves

La Dispute est l’une des admirables comédies sociales de Marivaux qui se présentent presque sous forme d’expériences scientifiques à scène ouverte. Il y est ici question de l’origine de l’infidélité conjugale. Est-elle chose mâle ou chose femelle ?



À main gauche, Hermiane, convaincue qu’il s’agit d’une malfaçon viscéralement masculine. À main droite, le Prince, qui, somme toute n’en disconvient pas mais considère que la chose doit être analysée plus finement.



Pour ce faire et puisque la controverse avait déjà éclaté du temps de son père, le Prince propose de mettre à exécution une expérience préparée de longue date par son défunt aïeul, qui lui était convaincue que l’inconstance était de sexe féminin.



Le vieil homme avait soigneusement fait élever trois couples de jeunes enfants, trois garçons et trois filles, tous isolément et n’ayant pour seule fenêtre sur le monde extérieur que deux domestiques noirs qui pourvoyaient à leurs besoins, tels des parents adoptifs.



Le temps est donc venu, dix-huit ans plus tard de libérer ces jeunes jouvenceaux et jouvencelles afin d’étudier leurs réactions vis-à-vis de leurs semblables du sexe opposé et d’allure si différente des domestiques qui les ont élevés jusqu’alors.



Il s’agit donc d’une mise en abîme de théâtre dans le théâtre puisque nous sommes spectateurs de la dispute entre Hermiane et le Prince, eux-mêmes spectateur des moindres faits et gestes d’Églé, Azor, Adine, Mesrin, Dina et Meslis.



Je vous laisse le loisir de découvrir les résultats de l’expérience dans cette comédie sociale en un acte, lesquels résultats dont je puis seulement vous dire qu'ils ne se révèleront exactement à la hauteur des spectateurs ni des commanditaires. Toutefois, c’est encore l’occasion pour Pierre de Marivaux d’étriller un peu plus les a priori d’où qu’ils sortent et de nous faire réfléchir sur la condition de l’humain, avec ses qualités et ses travers.



L'Île Des Esclaves prend elle aussi la forme d'une expérimentation scientifique de théâtre. Avec la verve et le mordant gracieux d’un Voltaire ou d’un Beaumarchais, Marivaux met le feu au système de l’aristocratie d’alors avec cette brûlante petite comédie sociale. Ouh ! que ça devait faire mal d’entendre ça ! Car Monsieur Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux sait très bien de quoi il parle et sait également à qui il s’adresse.



Il faut saluer ce beau courage de dire tout haut, dès 1725, à une époque où les Lumières sont encore au stade de l’étincelle, que l’aristocratie se comporte envers le peuple de la façon la plus abjecte, qu’elle est, même vis-à-vis d’elle-même, mesquine, superficielle et viciée. Rien que ça. Chapeau Monsieur de Marivaux.



Elle est petite cette comédie, un seul acte, mais elle est corrosive et l’on y sent comme un avertissement à la classe dirigeante, comme un avant-goût de révolte à la 1789.



Assez parlé ! L’histoire, quelle est-elle ? Au large de la Grèce (On éloigne un peu l’action histoire de ne pas trop s’attirer les foudres de la cour de Louis XV, mais tout le monde s’y reconnaît cependant.), un bateau transportant des personnes de qualité et leurs domestiques fait naufrage.



Or, le naufrage a lieu sur l’Île des esclaves, une île où, des années auparavant des domestiques ou des esclaves (Marivaux emploie le terme esclave pour désigner les domestiques ce qui renforce le trait) mutinés ont trouvé refuge ici bas et ont au passage trucidé leurs maîtres. Depuis lors, dès qu’un arrivage se fait sur l’île, ces compagnons démocrates de l’île (eux-mêmes ex-serviteurs) infligent une inversion des positions sociales aux naufragés.



C’est ainsi qu’Iphicrate, le maître et son serviteur Arlequin ainsi qu’Euphrosine et sa servante Cléanthis vont faire l’expérience d’une inversion des rôles sous la houlette de Trivelin, le grand ordonnateur de l’île. Ceci est bien sûr le prétexte à de nombreuses répliques comiques, mais aussi et surtout à une prise de conscience de l’iniquité avec laquelle les maîtres ont conduit leur destinée jusqu’alors, notamment envers leurs subordonnés.



Je vous laisse savourer la chute et ce qui a bien pu l’inspirer à Marivaux en cet Ancien Régime flamboyant. Il demeure une très belle comédie sociale, pleine d’allant et de sous-entendus, que j’élèverais sans honte au firmament de mes cinq étoiles s’il n’était une impression de trop grande brièveté et, comme pour La Dispute, une fin un peu trop " gentille " à mon goût. (Je ne vous en veux pas mon cher Marivaux, je sais bien que vous n'aviez pas vraiment le choix sous peine de vous faire sérieusement malmener par les gens d'en haut.)



Je vous les conseille néanmoins sans hésitation, mais tout ceci n’est que mon avis, sujet à disputes et dont il ne faut pas trop être l'esclave, c’est-à-dire, bien peu de chose, en somme.
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L'épreuve

Outre le texte des trois pièces annoncées en couverture, vous trouverez dans cette édition GF un supplément intéressant. Il s'agit du texte du prologue qui fut ajouté à La Dispute dans la mise en scène de Patrice Chéreau qui fit sensation en 1973.



Ce texte constitue carrément une pièce à part entière de par sa longueur comparable à la pièce même. C'est le fruit d'un montage réalisé par François Regnault et Patrice Chéreau à partir de découpages de morceaux de textes et de répliques toutes issues de la main de Marivaux.



Je pense que les auteurs aimeraient à nous faire accroire que c'est Marivaux qui s'exprime ici car toutes les phrases sont de lui, or, tous les confectionneurs de lettres anonymes savent qu'avec une paire de ciseaux et un bâton de colle on peut faire dire ce que l'on veut à un texte écrit par un autre.



Je suis certaine qu'avec un peu d'entraînement je pourrais n'écrire mes critiques qu'avec des fragments de Balzac, Gide ou Céline sans pour autant qu'ils traduisent moindrement le fond de pensée de ces auteurs disparus. Il en va de même ici. C'est un travail fort intéressant et que je vous conseille vraiment à titre de curiosité, mais c'est le penser des auteurs qui s'y exprime et pas nécessairement celui de Marivaux.



J'ai déjà apporté ailleurs des commentaires spécifiques à ces trois pièces en un acte. Je les recopie donc ici tels quels en spécifiant simplement que ce recueil GF, de par le choix judicieux des pièces et ce supplément me semble être un bon investissement.



1) L'ÉPREUVE.

Lucidor aime Angélique. Angélique aime Lucidor. Mais ils ont l’un et l’autre le cœur qui tambourine tellement à l’approche de l’autre, ils redoutent tellement un refus en cas de déclaration explicite qu’aucun des deux amoureux n’ose risquer le premier pas.



Sachez encore que Lucidor est un grand bourgeois plein aux as, et qu’Angélique, sans être dénuée de ressources financières, aurait tout de même beaucoup à gagner d’une telle alliance. Lucidor le sait, Lucidor le sent qu’Angélique en pince pour lui, mais de ce pincement il ne connaît la cause profonde. Est-ce le seul attrait de sa personne ou est-ce l’espérance d’un beau mariage lucratif ?



Question suffisamment importante à ses yeux pour mettre sa bien-aimée à l’épreuve. Voilà pourquoi il imagine d’affubler son domestique Frontin d’un costume de gentilhomme et de le nantir d’une réputation de richissime garçon à marier. Le présentant à Angélique comme l’un de ses amis intimes, il imagine le lui dépeindre comme un prétendant à sa belle main doublé d’un parti avantageux.



Que dira, que pensera la belle Angélique ? Ajoutons à cela un gros lourdaud de fermier, Maître Blaise ; une domestique rusée de la belle Angélique, Lisette, qui a eu le loisir de subir les avances de Frontin dans une autre vie du temps où elle officiait à Paris et nous aurons les ingrédients d’un cocktail qui pourrait bien tourner au vinaigre.



J’aime beaucoup toutes ces petites comédies de mœurs de Marivaux, qui sait à la fois saupoudrer ce qu’il faut d’humour à toutes ses compositions, tout en perçant à jour les tréfonds de notre psychologie amoureuse. Un siècle ? deux siècles ? trois siècles après son écriture ? qu’importe quand le propos touche au cœur de ce qui est constitutif de l’humain, de ce qui est de notre horlogerie intime et qu’on a tous un peu ressenti et que dans des milliers de générations ils ressentiront encore s’ils demeurent des humains, nos graines de mauvaises herbes que nous semons ici ou là.



Encore une fois, on peut éventuellement reprocher quelque peu à Marivaux la nécessaire fin heureuse, à tout le moins fin morale — époque oblige — à laquelle il s’astreint (et nous astreint). Tout retombe sur ses pieds là où il faut, tout se goupille bien alors qu’on perçoit un phénoménal potentiel au capotage et à la dérive explosive qui aurait été, je pense, beaucoup plus drôle et édificatrice, mais bon, la première moitié du XVIIIème siècle était ce qu’elle était.



2) LA DISPUTE.

La Dispute est l’une des admirables comédies sociales de Marivaux qui se présentent presque sous forme d’expériences scientifiques à scène ouverte. Il y est ici question de l’origine de l’infidélité conjugale. Est-elle chose mâle ou chose femelle ?



À main gauche, Hermiane, convaincue qu’il s’agit d’une malfaçon viscéralement masculine. À main droite, le Prince, qui, somme toute n’en disconvient pas mais considère que la chose doit être analysée plus finement.



Pour ce faire et puisque la controverse avait déjà éclaté du temps de son père, le Prince propose de mettre à exécution une expérience préparée de longue date par son défunt aïeul, qui lui était convaincue que l’inconstance était de sexe féminin.



Le vieil homme avait soigneusement fait élever trois couples de jeunes enfants, trois garçons et trois filles, tous isolément et n’ayant pour seule fenêtre sur le monde extérieur que deux domestiques noirs qui pourvoyaient à leurs besoins, tels des parents adoptifs.



Le temps est donc venu, dix-huit ans plus tard de libérer ces jeunes jouvenceaux et jouvencelles afin d’étudier leurs réactions vis-à-vis de leurs semblables du sexe opposé et d’allure si différente des domestiques qui les ont élevés jusqu’alors.



Il s’agit donc d’une mise en abîme de théâtre dans le théâtre puisque nous sommes spectateurs de la dispute entre Hermiane et le Prince, eux-mêmes spectateur des moindres faits et gestes d’Églé, Azor, Adine, Mesrin, Dina et Meslis.



Je vous laisse le loisir de découvrir les résultats de l’expérience dans cette comédie sociale en un acte, lesquels résultats dont je puis seulement vous dire qu'ils ne se révèleront exactement à la hauteur des spectateurs ni des commanditaires. Toutefois, c’est encore l’occasion pour Pierre de Marivaux d’étriller un peu plus les a priori d’où qu’ils sortent et de nous faire réfléchir sur la condition de l’humain, avec ses qualités et ses travers.



3) LES ACTEURS DE BONNE FOI.

Chez Marivaux, le démarrage d’une pièce est souvent sensationnel, mais, eu égard à l’époque, de peur d’être trop innovant, trop dérangeant, trop décapant comme il ne manquerait pas de l’être, l’auteur tempère le premier élan pour accoucher d’une fin qui satisfasse aux convenances de son temps et de son milieu.



Les lecteurs ou spectateurs anachroniques que nous sommes peuvent peut-être le déplorer aujourd’hui mais dans son temps comme maintenant, c’est avec délice que l’on voit poindre en ses pièces les brillants de cette impertinence muselée, les bonheurs de ce qui n’a pu être écrit mais qui a été pensé si fort qu’il transperce le papier.



Les Acteurs De Bonne Foi ne déroge pas à la règle. La première moitié de cette pièce en un acte est savoureuse à souhait, absolument tordante par moments, puis vient l’attiédissement réglementaire pour retomber peu ou prou sur les pattes de la morale et des convenances du XVIIIème siècle.



Pas aussi fanfaronnant qu’un Voltaire ou qu’un Beaumarchais, moins accro à la fulgurance d’une répartie qu’à la finesse générale de la formule, il m’évoque plus le talent et la retenue d’un Laclos ou d’un Stendhal appliqué au canevas de la comédie.



Ici, il est encore question de théâtre dans le théâtre, le genre de mise en abîme dont il est l’un des maîtres et dont, évidemment, le niveau ultime est le nôtre, c’est-à-dire le théâtre de nos propres vies dans lequel le miroir du théâtre doit nous faire nous reconnaître.



La première pièce dans la pièce à laquelle nous assistons est celle conçue pour faire plaisir à Madame Amelin. Elle est commanditée par son neveu Éraste. Merlin, le valet d’Éraste, est désigné grand enchanteur : auteur, acteur, metteur en scène de l’impromptu qui doit mettre aux prises Lisette, sa propre fiancée, et un autre couple de promis, les valets campagnards que sont Colette et Blaise.



Dans la comédie, il est question d’inconstance et que Colette fasse les yeux doux à Merlin. Vous imaginez sans peine l’emberlificotage qui va se produire entre la comédie et le réel, Blaise étant convaincu que Colette veut réellement le tromper et Lisette non moins persuadée que Merlin a une double vue.



Ce passage est jubilatoire à mes yeux, et assurément le très digne devancier d’une mécanique comique comme celle qui est à l’œuvre dans Le Dîner De Cons de Francis Veber. Je vous laisse jouir du crêpage de chignon qui va s’ensuivre et vous signale simplement que devant les complications des répétitions, la représentation risque fort d’être annulée, si bien que Madame Amelin risque alors d’en être pour ses frais de la comédie qu’elle aime tant. Va-t-elle se satisfaire de cela ? Ne pourrait-elle pas commanditer une autre sorte de théâtre avec d’autres sortes de gens ?



CHHUUUTTT ! n’en disons pas plus car d’aucuns pourraient se méfier s’ils se savaient observés. Il me reste à vous dire que, de bonne foi, j’aime ces acteurs, mais quel genre de public suis-je pour émettre des avis à la cantonade ? Assurément bien peu de chose et le meilleur avis que l’on vous donnera de cette pièce sera toujours le vôtre, alors que le rideau s’ouvre…
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Le Jeu de l'amour et du hasard

Quelle brillante pièce de théâtre ! Décidemment, je suis charmée par les dramaturges français ! Après Molière, Alfred de Musset et Edmond Rostand, je découvre Marivaux, avec sa pièce Le Jeu de l’Amour et du hasard.



J’ai été emportée par l’histoire : une jeune femme, Silvia, est promise à Dorante, qui possède toutes les qualités d’un bon mari, honnête, beau, riche…Mais Silvia est farouchement opposée au mariage, et tente donc, avec la collaboration de sa femme de chambre Lisette, et de son père Monsieur Orgon, de découvrir si son prétendant est vraiment digne d’être aimé. Pour cela, elle a décidé d’échanger sa place avec Lisette, et ainsi, de mieux observer Dorante. Or, ce dernier a imaginé le même stratagème avec son valet Arlequin. Les rôles étant inversés, Silvia et Dorante seront-ils finalement faits l’un pour l’autre ?



Le Jeu de l’Amour et du hasard est une pièce relativement courte, mais tellement passionnante ! On décèle d’ailleurs de légères touches d’humour, à travers le couple Arlequin / Lisette, parfaite copie de leurs maîtres, mais plus ridicules et superficiels. Finalement, la modernité de cette pièce est ce qui m’a le plus marquée ; le mariage arrangé est ici parfaitement dénoncé par Monsieur Orgon, père compréhensif, affectueux et sincère, et l’inversion des rôles, surtout pour des aristocrates, est plutôt rare à l’époque de Marivaux. C’est sans doute pour cela que Le Jeu de l’Amour et du hasard est une pièce si célèbre encore aujourd’hui, traversant les siècles sans jamais être démodée…



A lire !!

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L'Île des esclaves

Quand un maître se voit contraint de devenir l'esclave de son esclave, ça ne se passe pas sans anicroches …

C'est ce que vont réaliser deux duos maître/esclave, l'un féminin, l'autre masculin. Après avoir échappé à un naufrage, ils échouent sur cette île régie par des lois très particulières. L'heure de la revanche des esclaves aurait-elle sonné ?

Marivaux ne remet pas radicalement en cause les classes sociales mais en inversant les rapports de force et en donnant le pouvoir aux serviteurs, il égratigne vertement les codes de la noblesse et de l'aristocratie. Sans doute souhaite-t-il leur ouvrir les yeux sur leur comportement.

Je me demande comment cette pièce a été perçue quand elle a été jouée pour la première fois en 1725. Certains ont dû grincer des dents. La bonne société tournée en ridicule par les domestiques, pour l'époque, il fallait tout de même oser.

En bref, c'est un bon divertissement mais qui aurait cependant mérité d'être un peu plus étoffé. L'évolution des personnages est en effet parfois si abrupte qu'elle perd en vraisemblance. Il y a bien sûr quelques répliques savoureuses, notamment d'Arlequin, l'ex-serviteur devenu maître. (Un sacré loustic cet Arlequin, soit dit en passant.) La scène où les deux serviteurs tentent d'imiter le marivaudage de leurs maîtres (ex-maîtres !) est également assez cocasse. Mais je m'attendais à quelque chose de plus subversif, plus caustique et sans doute moins utopique. Cela étant, le message est noble, si je puis dire. Au-delà des pointes d'ironie, c'est finalement une belle leçon de vie que nous offre Marivaux.

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L'Île des esclaves

Cette comédie de Marivaux se lit avec une rapidité incroyable tellement elle est amusante.



Iphicrate et son esclave Arlequin font naufrage sur l’île des esclaves. Le maître souhaite retrouver son équipage mais Arlequin connaissant l’île se réjouit de la situation et décide de ne plus être son esclave. Iphicrate le menace de son épée mais le chef de l’île, Trivelin, arrive à temps et impose les lois sur son île. Iphicrate sera dorénavant l’esclave d’Arlequin et il devra porter son nom et ses habits. Ils font la rencontre de deux autres personnages : Euphrosine et Cléanthis qui sont dans la même situation qu’eux.

Trivelin demande à Cléanthis de faire le portrait de sa maîtresse et cette dernière doit reconnaître que c’est bien ce qu’elle est si elle veut en finir avec son rôle d’esclave. Puis viendra le tour d’Arlequin de faire de même avec son maître.

Mais les maîtres ont du mal à reconnaître leur façon d’être…



La comédie est jouée entre cinq personnages principaux :

Trivelin est le chef de l’île des esclaves, il est là pour faire respecter la loi sur son île à savoir inverser les rôles entre maîtres et esclaves.

Euphrosine et son esclave Cléanthis ainsi que Iphicrate et son esclave Arlequin.

Arrivés sur l’île, les rôles des personnages s’inversent et les esclaves deviennent les maîtres et sont libres de faire subir à leurs anciens maîtres ce qu’ils veulent afin de leur faire comprendre le mal qu’ils font à leurs esclaves. Le but étant de les guérir de leur folie et surtout de les faire changer.

Avec beaucoup d’humour, Marivaux arrive à faire évoluer ses personnages et se moque ouvertement de la noblesse et de leur manière très déplace envers le petit peuple.



La finalité de cette comédie est assez stupéfiante mais c’est le propre d’une comédie.

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Le Jeu de l'amour et du hasard

Il ne s'agit surtout pas des éclats de rire qu'on a en lisant du Molière, cependant, la bonne humeur et le sourire sans au rendez-vous.

Marivaux traite d'un sujet en vogue au XVIIIème siècle (et peut-être encore à notre époque), à savoir le mariage forcé. La famille riche qui impose un mari à sa fille. Marivaux est plus proche de La Bruyère que Molière puisqu'il suit le acheminement naturel du caractère de ses personnages. Lui qui trouvait que Molière forçait leur caractère.

Marivaux choisit le déguisement comme moteur à sa pièce (et vous savez ce que cela a donné). L'absurdité et la préciosité ridicule des servants et surtout Arlequin assurent le ton comique, ainsi que les apparitions furtives de Mario qui ricane et se moque de sa sœur.

Marivaux nous présente deux visions des choses chez les deux héroïnes: la soubrette qui cherche un mari qui lui assure protection et tendresse et sa maîtresse qui veut vivre les délices de l'amour conjugal.

Une dernière chose, on apprécie ce marivaudage, style précieux apanage de ce grand dramaturge. Surtout dans les répliques de Dorante.

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Le Jeu de l'amour et du hasard

Cette première rencontre avec Marivaux est un succès car j'ai adoré Le jeu de l'amour et du hasard.

C'est une pièce très drôle qui mêle quiproquo et jeu d'acteur.



On y fait la connaissance de Silvia, sur le point d’épouser Dorante, mais ils ne se connaissent pas et pour mieux s'observer et apprendre a se connaître, ils ont tous deux la même idée : de se déguiser et se faire passer pour leur servante / valet. C'est forcement très drôle de voir les domestiques qui surjoue leur rôle, et puis pour les deux aristocrates, c'est assez déstabilisants. Le père et Mario, le frère de Silvia, sont au courant de la supercherie et bien sur ils ne perdent pas une miette.



C'est une pièce tellement drôle qu'elle se lit très vite, la plume de Marivaux est aussi très belle et n'a pas pris une ride ce qui rend la pièce très fluide a la lecture bien sur la voir jouer et bien mieux.



Dans la foulé, j'ai donc visionné sur youtube, la pièce mise en scène par Galin Stoev en 2011 a la Comédie Française avec les merveilleux avec Léonie Simaga et Alexandre Pavloff qui interprètent a merveille Silvia et Dorante.



Si au départ, je m'attendais a une version plus traditionnelle avec de beaux costumes d'époque, j'ai aimé par la suite la modernité et le jeu des acteurs est tellement bon que je me suis vite laissée séduire.





La première partie est disponible ici :

https://www.youtube.com/watch?v=YWSwrFM1nUE
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
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Le Jeu de l'amour et du hasard

Voilà une comédie bien agréable pour une fin d’année.



On est chez des bourgeois aisés. Monsieur Orgon veut marier sa fille Silvia avec Dorante, le fils d’un très bon ami. Les deux jeunes gens ne se connaissent que par des ouï-dire favorables, mais ils se méfient : il y a tant de gens qui cachent sous une masque public une âme sombre, ma bonne dame ! Chacun dans son coin décide d’échanger les rôles avec leur servante / valet lors de la rencontre, afin de prendre le temps d’étudier leur promis(e).



Et Dorante en serviteur de trouver Lisette (en réalité Silvia) bien plus alléchante que sa maîtresse. Et Silvia de juger Arlequin (en réalité Dorante) plus urbain que son grossier maître.

Et l’amour naît… mais le mur infranchissable du statut social les sépare : comment ! S’enticher d’un serviteur ? Inacceptable ! S’amouracher d’une servante ? Impossible !

Et la situation se reproduit en papier calque chez les serviteurs qui jouent les maîtres. Comment ! Se laisser aimer d’un seigneur ? Inimaginable ! Accepter les avances d’une Dame ? Impensable !

Seuls Monsieur Orgon et son fils Mario savent, et jouent de la situation, laissant pousser les graines de l’amour avant de dévoiler le pot aux roses, à Silvia d’abord, qui va pousser loin son avantage (trop à mon goût) afin d’acquérir l’absolue certitude de l’amour que Dorante lui porte.



Le jeu des quiproquos proche du théâtre de boulevard est très efficace et je m’en suis beaucoup amusé. On sent toutefois qu’il s’agit d’aller plus loin que simplement faire rire. Il s’agit de ridiculiser les structures de classe qui obligent de se déplacer avec un masque et de considérer le monde à travers un filtre faussé. De la part d’un noble, même provincial, c’est assez révolutionnaire je trouve.



Mais foin de détails satiriques ! J’ai lu cette pièce pour m’amuser et elle a atteint son but. Seul petit écueil : les tournures de phrases sont parfois bizarres, obligeant à comprendre le sens de manière globale seulement. J’ai eu un peu de mal à saisir « Voilà un garçon qui me surprend, malgré que j’en aie. » ou bien « je suis fâchée de vous dire que c’est une idée » ; cette dernière signifiant probablement « je suis contrainte de vous dire que vous vous faites des idées ». Parlait-on vraiment comme ça au 18ème siècle ? Apparemment, d’Alembert considérait Marivaux comme auteur de phrases particulièrement alambiquées, ce en quoi je suis d’accord.

Mais moi j’aime bien Marivaux, alors que d’Alembert non.

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Le Jeu de l'amour et du hasard

Je n'aurai pas la prétention de rédiger une critique approfondie. Juste un témoignage après avoir vu cette pièce dans une adaptation réunionnaise. En créole réunionnais ça donne "Kan l'amour ek lo azar i zoue avek". L'adaptation en creole n'a pa du être facile. Les dialogues sont savoureux tant le créole regorge d'expressions accentuant le côté comique et parfois burlesque du jeux des acteurs. La représentation fut une veritable réussite. Je pense que Marivaux aurait apprécié de voir sa pièce jouée en créole à la Réunion. Lui qui dénonçait déjà les inégalités, le culte des apparences, l'esclavage, les conventions...
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