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Henri Coulet (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070412679
160 pages
Gallimard (15/09/2003)
3.81/5   8 notes
Résumé :
Les amours de Lucidor et d'Angélique sont compliquées de stratagèmes, de pièges, d'hésitations. Chacun travaille à rendre l'autre jaloux, pour voir s'il est aimé. C'est une comédie où l'on pleure avant de sourire. On ne sait où l'auteur a pris l'idée de ses combinaisons incompréhensibles, extravagantes et cruelles. De combien de personnes faut-il faire le malheur, pour s'assurer de la fidélité, de la sincérité de celle qu'on aime ? Marivaux, ici, est, comme Musset p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Outre le texte des trois pièces annoncées en couverture, vous trouverez dans cette édition GF un supplément intéressant. Il s'agit du texte du prologue qui fut ajouté à La Dispute dans la mise en scène de Patrice Chéreau qui fit sensation en 1973.

Ce texte constitue carrément une pièce à part entière de par sa longueur comparable à la pièce même. C'est le fruit d'un montage réalisé par François Regnault et Patrice Chéreau à partir de découpages de morceaux de textes et de répliques toutes issues de la main de Marivaux.

Je pense que les auteurs aimeraient à nous faire accroire que c'est Marivaux qui s'exprime ici car toutes les phrases sont de lui, or, tous les confectionneurs de lettres anonymes savent qu'avec une paire de ciseaux et un bâton de colle on peut faire dire ce que l'on veut à un texte écrit par un autre.

Je suis certaine qu'avec un peu d'entraînement je pourrais n'écrire mes critiques qu'avec des fragments De Balzac, Gide ou Céline sans pour autant qu'ils traduisent moindrement le fond de pensée de ces auteurs disparus. Il en va de même ici. C'est un travail fort intéressant et que je vous conseille vraiment à titre de curiosité, mais c'est le penser des auteurs qui s'y exprime et pas nécessairement celui de Marivaux.

J'ai déjà apporté ailleurs des commentaires spécifiques à ces trois pièces en un acte. Je les recopie donc ici tels quels en spécifiant simplement que ce recueil GF, de par le choix judicieux des pièces et ce supplément me semble être un bon investissement.

1) L'ÉPREUVE.
Lucidor aime Angélique. Angélique aime Lucidor. Mais ils ont l'un et l'autre le coeur qui tambourine tellement à l'approche de l'autre, ils redoutent tellement un refus en cas de déclaration explicite qu'aucun des deux amoureux n'ose risquer le premier pas.

Sachez encore que Lucidor est un grand bourgeois plein aux as, et qu'Angélique, sans être dénuée de ressources financières, aurait tout de même beaucoup à gagner d'une telle alliance. Lucidor le sait, Lucidor le sent qu'Angélique en pince pour lui, mais de ce pincement il ne connaît la cause profonde. Est-ce le seul attrait de sa personne ou est-ce l'espérance d'un beau mariage lucratif ?

Question suffisamment importante à ses yeux pour mettre sa bien-aimée à l'épreuve. Voilà pourquoi il imagine d'affubler son domestique Frontin d'un costume de gentilhomme et de le nantir d'une réputation de richissime garçon à marier. le présentant à Angélique comme l'un de ses amis intimes, il imagine le lui dépeindre comme un prétendant à sa belle main doublé d'un parti avantageux.

Que dira, que pensera la belle Angélique ? Ajoutons à cela un gros lourdaud de fermier, Maître Blaise ; une domestique rusée de la belle Angélique, Lisette, qui a eu le loisir de subir les avances de Frontin dans une autre vie du temps où elle officiait à Paris et nous aurons les ingrédients d'un cocktail qui pourrait bien tourner au vinaigre.

J'aime beaucoup toutes ces petites comédies de moeurs de Marivaux, qui sait à la fois saupoudrer ce qu'il faut d'humour à toutes ses compositions, tout en perçant à jour les tréfonds de notre psychologie amoureuse. Un siècle ? deux siècles ? trois siècles après son écriture ? qu'importe quand le propos touche au coeur de ce qui est constitutif de l'humain, de ce qui est de notre horlogerie intime et qu'on a tous un peu ressenti et que dans des milliers de générations ils ressentiront encore s'ils demeurent des humains, nos graines de mauvaises herbes que nous semons ici ou là.

Encore une fois, on peut éventuellement reprocher quelque peu à Marivaux la nécessaire fin heureuse, à tout le moins fin morale — époque oblige — à laquelle il s'astreint (et nous astreint). Tout retombe sur ses pieds là où il faut, tout se goupille bien alors qu'on perçoit un phénoménal potentiel au capotage et à la dérive explosive qui aurait été, je pense, beaucoup plus drôle et édificatrice, mais bon, la première moitié du XVIIIème siècle était ce qu'elle était.

2) LA DISPUTE.
La Dispute est l'une des admirables comédies sociales de Marivaux qui se présentent presque sous forme d'expériences scientifiques à scène ouverte. Il y est ici question de l'origine de l'infidélité conjugale. Est-elle chose mâle ou chose femelle ?

À main gauche, Hermiane, convaincue qu'il s'agit d'une malfaçon viscéralement masculine. À main droite, le Prince, qui, somme toute n'en disconvient pas mais considère que la chose doit être analysée plus finement.

Pour ce faire et puisque la controverse avait déjà éclaté du temps de son père, le Prince propose de mettre à exécution une expérience préparée de longue date par son défunt aïeul, qui lui était convaincue que l'inconstance était de sexe féminin.

Le vieil homme avait soigneusement fait élever trois couples de jeunes enfants, trois garçons et trois filles, tous isolément et n'ayant pour seule fenêtre sur le monde extérieur que deux domestiques noirs qui pourvoyaient à leurs besoins, tels des parents adoptifs.

Le temps est donc venu, dix-huit ans plus tard de libérer ces jeunes jouvenceaux et jouvencelles afin d'étudier leurs réactions vis-à-vis de leurs semblables du sexe opposé et d'allure si différente des domestiques qui les ont élevés jusqu'alors.

Il s'agit donc d'une mise en abîme de théâtre dans le théâtre puisque nous sommes spectateurs de la dispute entre Hermiane et le Prince, eux-mêmes spectateur des moindres faits et gestes d'Églé, Azor, Adine, Mesrin, Dina et Meslis.

Je vous laisse le loisir de découvrir les résultats de l'expérience dans cette comédie sociale en un acte, lesquels résultats dont je puis seulement vous dire qu'ils ne se révèleront exactement à la hauteur des spectateurs ni des commanditaires. Toutefois, c'est encore l'occasion pour Pierre de Marivaux d'étriller un peu plus les a priori d'où qu'ils sortent et de nous faire réfléchir sur la condition de l'humain, avec ses qualités et ses travers.

3) LES ACTEURS DE BONNE FOI.
Chez Marivaux, le démarrage d'une pièce est souvent sensationnel, mais, eu égard à l'époque, de peur d'être trop innovant, trop dérangeant, trop décapant comme il ne manquerait pas de l'être, l'auteur tempère le premier élan pour accoucher d'une fin qui satisfasse aux convenances de son temps et de son milieu.

Les lecteurs ou spectateurs anachroniques que nous sommes peuvent peut-être le déplorer aujourd'hui mais dans son temps comme maintenant, c'est avec délice que l'on voit poindre en ses pièces les brillants de cette impertinence muselée, les bonheurs de ce qui n'a pu être écrit mais qui a été pensé si fort qu'il transperce le papier.

Les Acteurs de Bonne Foi ne déroge pas à la règle. La première moitié de cette pièce en un acte est savoureuse à souhait, absolument tordante par moments, puis vient l'attiédissement réglementaire pour retomber peu ou prou sur les pattes de la morale et des convenances du XVIIIème siècle.

Pas aussi fanfaronnant qu'un Voltaire ou qu'un Beaumarchais, moins accro à la fulgurance d'une répartie qu'à la finesse générale de la formule, il m'évoque plus le talent et la retenue d'un Laclos ou d'un Stendhal appliqué au canevas de la comédie.

Ici, il est encore question de théâtre dans le théâtre, le genre de mise en abîme dont il est l'un des maîtres et dont, évidemment, le niveau ultime est le nôtre, c'est-à-dire le théâtre de nos propres vies dans lequel le miroir du théâtre doit nous faire nous reconnaître.

La première pièce dans la pièce à laquelle nous assistons est celle conçue pour faire plaisir à Madame Amelin. Elle est commanditée par son neveu Éraste. Merlin, le valet d'Éraste, est désigné grand enchanteur : auteur, acteur, metteur en scène de l'impromptu qui doit mettre aux prises Lisette, sa propre fiancée, et un autre couple de promis, les valets campagnards que sont Colette et Blaise.

Dans la comédie, il est question d'inconstance et que Colette fasse les yeux doux à Merlin. Vous imaginez sans peine l'emberlificotage qui va se produire entre la comédie et le réel, Blaise étant convaincu que Colette veut réellement le tromper et Lisette non moins persuadée que Merlin a une double vue.

Ce passage est jubilatoire à mes yeux, et assurément le très digne devancier d'une mécanique comique comme celle qui est à l'oeuvre dans le Dîner de Cons de Francis Veber. Je vous laisse jouir du crêpage de chignon qui va s'ensuivre et vous signale simplement que devant les complications des répétitions, la représentation risque fort d'être annulée, si bien que Madame Amelin risque alors d'en être pour ses frais de la comédie qu'elle aime tant. Va-t-elle se satisfaire de cela ? Ne pourrait-elle pas commanditer une autre sorte de théâtre avec d'autres sortes de gens ?

CHHUUUTTT ! n'en disons pas plus car d'aucuns pourraient se méfier s'ils se savaient observés. Il me reste à vous dire que, de bonne foi, j'aime ces acteurs, mais quel genre de public suis-je pour émettre des avis à la cantonade ? Assurément bien peu de chose et le meilleur avis que l'on vous donnera de cette pièce sera toujours le vôtre, alors que le rideau s'ouvre…
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Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir mettre le coeur des jeunes filles à "L'épreuve" ? Comme chez Molière ou Musset, Marivaux s'y met aussi avec cette comédie bien enlevée dans laquelle les femmes savent ce qu'elles veulent. Ce n'est pas le cas des hommes qui manigancent pour aboutir à leurs fins ; quand il s'agit d'argent, le mensonge semble être leur réponse pour dévoiler les sentiments... et pourtant !
Lucidor est amoureux d'Angélique et pense que c'est réciproque mais il veut être sûr qu'elle s'intéresse plus à sa personne qu'à son argent. Il demande alors à son valet Frontin de jouer le riche prétendant pour en avoir le coeur net. C'est sans compter sur maître Blaise, un jeune fermier du village bien bourru qui souhaite également se marier avec Angélique. Mais ce dernier est plus intéressé par l'argent que par la jeune fille alors Lucidor passe un marché avec lui pour qu'il séduise Lisette, la suivante d'Angélique, qui, de son côté, connaît Frontin et s'intéresse à lui.
On comprend bien le chassé-croisé amoureux.
Pour autant, ce ne sont pas les deux amoureux qui n'arrivent pas à se dévoiler qui sont les plus intéressants même si "L'épreuve" est la révélation d'un coeur pur et sincère, celui d'Angélique. le fermier et les deux domestiques ont des répartis bien plus drôles dans cette comédie campagnarde en un acte et en prose représentée pour la première fois en 1740.


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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
CARISE : Mais il y a une chose à observer, si vous voulez vous aimer toujours.
ÉGLÉ : Oui, je comprends, c’est d’être toujours ensemble.
CARISE : Au contraire, c’est qu’il faut de temps en temps vous priver du plaisir de vous voir.
ÉGLÉ (étonnée.) : Comment ?
AZOR (étonné.) : Quoi ?
CARISE : Oui, vous dis-je, sans quoi ce plaisir diminuerait, et vous deviendrait indifférent.
ÉGLÉ (riant.) : Indifférent, indifférent, mon Azor ! Ah ! Ah ! Ah !… La plaisante pensée !
AZOR (riant.) : Comme elle s’y entend !
MESROU : N’en riez pas, elle vous donne un très bon conseil; ce n’est qu’en pratiquant ce qu’elle vous dit là, et qu’en nous séparant quelques fois, que nous continuons de nous aimer, Carise et moi.
ÉGLÉ : Vraiment, je le crois bien, cela peut vous être bon à vous autres qui êtes tous deux si noirs, et qui avez dû vous enfuir de peur la première fois que vous vous êtes vus.
AZOR : Tout ce que vous avez pu faire, c’est de vous supporter l’un l’autre.
ÉGLÉ : Et vous seriez bientôt rebutés de vous voir si vous ne vous quittiez jamais, car vous n’avez rien de beau à vous montrer ; moi, qui vous aime, par exemple, quand je ne vous vois pas, je me passe de vous, je n’ai pas besoin de votre présence, pourquoi ? C’est que vous ne me charmez pas ; au lieu que nous nous charmons, Azor et moi ; il est si beau, moi si admirable, si attrayante, que nous nous ravissons en nous contemplant.

LA DISPUTE, Scène VI.
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LUCIDOR : Pendant ma maladie, j'ai songé à marier Angélique à quelqu'un de fort riche, qui va se présenter, qui ne veut précisément épouser qu'une fille de campagne, de famille honnête, et qui ne se soucie pas qu'elle ait du bien.
MAÎTRE BLAISE : Morgué ! vous me faites là un vilain tour avec voute avisement, Monsieur Lucidor ; velà qui m'est bian rude, bian chagrinant et bian traître. Jarnigué, soyons bons, je l'approuve, mais ne foulons parsonne, je sis voute prochain autant qu'un autre, et ne faut pas peser sur ceti-ci, pour alléger ceti-là. Moi qui avais tant de peur que vous ne mouriez, c'était bian la peine de venir vingt fois demander : « Comment va-t-il, comment ne va-t-il pas ? » Velà-t-il pas une santé qui m'est bian chanceuse, après vous avoir mené moi-même ceti-là qui vous a tiré deux fois du sang, et qui est mon cousin, afin que vous le sachiez, mon propre cousin garmain ; ma mère était sa tante, et jarni ce n'est pas bian fait à vous.

Scène II.
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FRONTIN : Mademoiselle, l'étonnante immobilité où je vous vois intimide extrêmement mon inclination naissante ; vous me découragez tout à fait, et je sens que je perds la parole.
LISETTE : Mademoiselle est immobile, vous muet, et moi stupéfaite ; j'ouvre les yeux, je regarde, et je n'y comprends rien.
ANGÉLIQUE : Lisette, qui est-ce qui l'aurait cru ?
LISETTE : Je ne le crois pas, moi qui le vois.
FRONTIN : Si la charmante Angélique daignait seulement jeter un regard sur moi, je crois que je ne lui ferais point de peur, et peut-être y reviendrait-elle : on s'accoutume aisément à me voir, j'en ai l'expérience, essayez-en.
ANGÉLIQUE (sans le regarder) : Je ne saurais ; ce sera pour une autre fois. Lisette, tenez compagnie à Monsieur, je lui demande pardon, je ne me sens pas bien ; j'étouffe, et je vais me retirer dans ma chambre.

Scène XI.
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BLAISE : Tenez Monsieur Merlin, je ne saurions endurer que tu m'escamotiais ma maîtresse.
MERLIN : " Tenez Monsieur Merlin ", est-ce comme cela qu'on commence une scène ? Dans mes instructions, je t'ai dit de me demander quel était mon entretien avec Colette.

LES ACTEURS DE BONNE FOI, Scène V.
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LUCIDOR : Tout sûr que je suis de son cœur, je veux savoir à quoi je le dois ; et si c'est l'homme riche, ou seulement moi qu'on aime, c'est ce que j'éclaircirai par l'épreuve où je vais la mettre.

Scène I.
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« La double inconstance » de Marivaux, c'est à lire en poche dans la collection Etonnants Classiques.
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