Citations de Roger Caillois (171)
Les pierres, immensément, sont anonymes et durables […] Par ultime et indéracinable nostalgie, je n'éprouve alors de révérence que pour celles qui sont visiblement ordonnées, quoique plus impersonnelles encore que l'univers ou la vie. Elles me persuadent que, par la seule syntaxe, la durée préserve sa chance
L'architecture de ténèbres demeure imperturbable. Certes, il est commun d'être couleur d'encre. Mais cette nuit, d'une espèce nouvelle, est partout exacte et construite, formée de flancs parallèles, de biseaux homologues, de justes médiatrices, d'angles inévitables. Une géométrie stricte proclame qu'elle n'est pas un néant à combler, encore moins un oubli à réparer, mais un ordre qui a ses lois et qui publie sa valeur d'ordre
Je parle des pierres qui ont toujours couché dehors ou qui dorment dans leur gîte et la nuit des filons.
(Pierres)
Dans l'île du Milieu, il existe une pierre qui a des enfants. Dans le milieu du cycle Wen lou, un homme ramassa cette pierre, qui était alors petite. Il la laissa dans un coin. Au bout de quatre-vingts ans, elle était devenue très grande et avait donné naissance à un millier de petites pierres : sa descendance.
(Pierres)
Ces fougères fausses, qui n'ont de la plante que l'apparence et qui appartiennent à un règne incompatible, avertissent l'esprit qu'il est de plus vastes lois qui gouvernent en même temps l'inerte et l'organique.
Le fait de rêver est une des données plus nombreuses qu'on ne le pense qui, mieux encore que le soleil et la pluie, placent les hommes de tout climat, de toute époque et de toute condition devant des problèmes identiques.
Chaque système implique déjà par nature un impératif de cohérence. Celui-ci pousse tout élément nouveau à occuper sa place dans la case qui lui revient plus ou moins visiblement. Si l'opération opportune relève quelque peu de l'ingéniosité ou de l'acrobatie, elle n'apporte que davantage de satisfaction à l'esprit.
Le mot le plus bref est immanquablement le plus chargé de sève.
Je ne pouvais faire que le côté nocturne de la nature fût en fin de compte le seul qui me seduisît. M'attachant à l'explorer dans la mesure de mes moyens, je redevenais clandestinement fidèle à mon instinct premier. Je me servais de la cohérence comme d'une arme pour avoir raison de la raison et en démontrer la dangereuse, l'injuste étroitesse.
Quelques années plus tard, je fus si frappé par une randonnée en Patagonie que je ne pus m'empêcher de jeter sur le papier quelques-unes des impressions que j'y avais ressenties. Le jour où je les publiai, épurées cependant de tout détail anecdotique ou pittoresque pour donner à mes pages la même nudité que celle de la contrée qu'elles s'efforçaient de décrire, ce jour-là, je devins écrivain malgré moi.
Petit à petit, j'en suis même arrivé à tenir la presque totalité de mes recherches et travaux pour une gigantesque "parenthèse", que j'ai laissée se refermer sur moi, qui aura duré presque toute ma vie et à laquelle appartiennent presque tous mes livres.
J'alimentais mes poisons secrets au cours de mes voyages ou par des objets insolites ou par des réflexions sur la condition végétale, enfin par la description méticuleuse de pierres, paradoxalement aussi par l'intermédiaire d'une certaine espèce de livres et d'images.
À mi-hauteur, j'éprouvais pour la première fois le vertige, l'affreuse montée du vide qui se rapproche de vous sans qu'on y puisse rien et qui vous commande d'aller à sa rencontre.
Ce sont les temples ici qui sont eux-mêmes les cavernes.
Un pilier pouvait être fort bien suspendu à une voûte au lieu de la soutenir. Il pouvait non moins aisément se passer d'atteindre le sol.
La citerne est romaine, mais l'atmosphère orientale de la ville, les enfilades des colonnes qui ouvrent de toute part des perspectives dont les ténèbres empêchent d'apercevoir la fin, font penser quasi irrésistiblement à la Grande Mosquée de Cordoue, dédoublée, présente au-dessus comme au-dessous de soi par le maléfice d'un démon. L'architecture en creux qui, ici, n'est sans doute qu'une apparence, est mise sur le chemin de sa véritable vocation.
Mais là où la forêt immémoriale règne à nouveau avec ses mousses et les feuilles géantes, ses papillons et ses chauves-souris, la sérénité l'emporte : le sentiment d'un dénouement inévitable.
Mais, disaient-ils avec la pensée qu'il fallait en profiter, "c'est la guerre".
Parfois, ils jetaient des grenades dans la Saulx. Des poissons remontaient aussitôt à la surface, le ventre en l'air, blanc comme je n'imaginais pas qu'il pouvait être.
De cette sorte d'enfance, peut-être n'y a-t-il plus.