Sarah Chiche

Il faudrait beaucoup d’envergure, d’amour, de temps. Moi, je renonce. Vous ignorez ce qu’elle est. Et ce n’est pas beau. Mais tout être peut changer, avec la grâce de Dieu. Si vous êtes, comme moi, croyant, commencez par prier pour elle. Elle est une malheureuse bête qui tourne en rond dans ses propres pièges, et elle mord. Il faut en avoir à la fois une profonde pitié et s’en garder prudemment.

C’est très aride. Ce qui importerait serait de la sauver. C’est un être perdu si rien ne change. Moi, je n’ai rien pu changer, et il me reste une profonde compassion, quelles que soient les apparences. Ève ressemblera à sa mère ; mais elle est pire, car elle n’en a pas le courage. Il ne sert à rien d’enjoliver, de dissimuler pudiquement ; cela ne ferait que vous tromper, retarder, pour vous faire reculer de mépris si vous étiez pris au dépourvu. Son cœur est trouble, comme de l’eau sale qui n’a jamais été assainie.

Ce qui rend triste, raconte-t-il, c’est précisément quand on sent que des efforts d’originalité ont été désespérément tentés pour faire oublier, par la présence d’un cerf ou d’un vol d’oiseaux peints sur un mur, que, derrière les portes colorées, certains ont mal mais sont très seuls, d’autres ne s’en sortiront pas, d’autres encore ont tout simplement envie ou tout simplement peur de mourir. Une famille arrive, les bras chargés de fleurs.

Qui de nous, avait-il dit, qui de nous n’a pas été atteint par la tristesse, la perte du goût de vivre pendant quelque temps ? C’est une idée folle de penser que les mères n’ont pas des périodes de dépression comme nous en avons tous. Heureusement, on en guérit. Dans la salle, une quiétude épaisse s’était fait sentir.

L’homme dont je suis amoureuse préfère les hommes, je ne veux pas le comprendre. Aujourd’hui, je sais pourtant que rêver à cet homme qui ne m’aimait pas m’a sauvée – sinon je me serais couchée en boule contre ma mère, j’aurais été avalée, engloutie par son envie de mourir.

Ce n’est pas très convenable de vous dire ce que je vais vous dire. Je ne vous aurais jamais abordée directement. Je ne vous l’aurais jamais dit si le hasard ne nous avait pas fait nous recroiser aujourd’hui. Mais je vous ai trouvée très belle, à ce moment-là, dans ce parc, et je veux que vous le sachiez.

Des anges et le diable tournent autour de lui. Au matin, une accalmie, durant laquelle il recouvre fugitivement sa lucidité, lui révèle que ce qu’il a craint toute sa vie est tout simplement ce qu’il est en train de vivre : il devient fou. Dans un ultime effort, il se jette sur les épreuves des feuilles qu’il lui reste à relire. Il ne dort plus. Il envoie ses corrections à son éditeur puis, six jours plus tard, il quitte sa maison en peignoir et pantoufles, enlève son alliance, la jette dans le Rhin et s’y précipite.

Il se demande s’il va finir complètement sourd. Il dit que c’est de pire en pire. Mais il n’y a pas que ça, la mémoire aussi lui fait défaut. Il oublie les noms des gens qu’il a croisés, des livres qu’il a lus et pourtant aimés. Cela arrive avec l’âge, dit-il, d’abord sans qu’on le remarque, les choses se ternissent et s’éteignent, tout doucement. Les sensations s’assèchent. La vie s’aplatit. Le monde se rétrécit et devient plus silencieux.

Les Afghans, c’est déjà des chiens pour les Français. Alors, tu vois, je suis le chien des chiens. Et puis il avait levé la tête vers le toit et m’avait dit en riant, désignant du menton les marches d’escalier, C’est drôle, la psy, je te parle assis exactement là où j’aurais dû tomber si j’avais réussi mon coup.

C’est bien plus que de mourir d’une maladie cardiaque, c’est la vie qui, tout d’un coup, on ne peut pas le dire autrement, les déserte. La pensée se gèle. Le corps cesse de fonctionner.

Ça brûle tout, la faim, c’est comme un grand feu, il n’y a plus de place pour le reste.

Une multitude de jeunes gens se retrouvèrent sans emploi. Et puis, humilié par la police, un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, à qui l’on refusait, faute de bakchich, un quelconque permis, s’aspergea d’essence, craqua une allumette et s’immola devant la préfecture. Métamorphosé en esprit vengeur, le vent souffla alors plus fort, plus rageusement.

Les marchés agricoles s’affolèrent face à cette calamité extraordinaire ; en peu de jours, la valeur du quintal de blé fut multipliée par trois. Il fut décidé d’un embargo sur les exportations de blé russe. Mais la sécheresse gagna bientôt la Chine – d’autres évoqueraient, plus tard, des températures anormalement hautes au Canada, d’autres encore diraient que tout avait peut-être aussi commencé en Australie. Malgré les gouvernements, les cours explosèrent partout. Le prix du pain monta en flèche.

Dans le monde organique, nous constatons que plus la réflexion est obscure et faible, plus la grâce qui en surgit est souveraine et rayonnante.