Citations de Sascha Arango (79)
Moreany lui avait fait sa demande en mariage dans la Jaguar, sur le parking devant la maison d’édition. Il avait évoqué avec franchise ses sentiments pour elle et le fait qu’elle hériterait de ses biens le jour où il ne serait plus là. Betty en fut surprise et vraiment touchée, mais elle sentit aussi monter la nausée dans sa gorge et le pria de lui accorder un délai de réflexion, ce dont elle se repentit aussitôt, car c’était tout réfléchi.
Elle se souvint avoir entendu Henry dire un jour que celui qui réalise ses rêves doit ensuite vivre avec. Dans sa bouche, cela semblait signifier que le bonheur est une expérience traumatisante qu’on ne peut jamais assumer pleinement. Lui-même n’avait plus de rêves, avait-il ajouté, il avait tout obtenu. A cette exception près, Henry ne se confiait que rarement. Jamais il ne parlait de son passé, comme si c’était un truc susceptible de couper l’appétit et qu’il vaut mieux cacher sous le tapis avant l’arrivée des invités. Et s’il lui arrivait de l’évoquer, il ne remontait jamais au-delà de l’époque où Betty l’avait rencontré. C’était comme s’il choisissait dans son passé ce qui convenait à chacun selon les circonstances. Il le faisait tourner comme un kaléidoscope donnant à voir la même chose sous différentes facettes.
Quelque chose ne collait pas dans l’histoire d’Henry. Martha ne s’était pas noyée sur la plage. Betty avait la conviction qu’elle n’était pas revenue de la falaise. Le fait était que sa Subaru était toujours portée disparue, qui sait, peut-être était-elle en train de rouiller au fond de la mer avec Martha assise au volant. Dans ce cas, elle était elle-même impliquée dans l’affaire. A proprement parler, elle était même complice de la mort de son mari, ou bien était-ce le destin ? Si la voiture était retrouvée, il s’ensuivrait une foule de questions fort désagréables. Betty décida de voir le côté positif de la situation. La mort de Martha lui ouvrait la possibilité de vivre avec Henry et leur enfant.
Il était convaincu depuis toujours que la compassion ne fait que ralentir le processus de guérison. Une petite blague remet plus vite sur pied un malade qu'un suppositoire de pitié.
"Les menteurs parmi nous savent très bien que, pour être convaincant, un mensonge doit contenir un minimum de vérité. Une goutte de vérité suffit en général, mais elle est indispensable, comme l'olive dans le Martini"
L'avenir est incertain, celui qui prétend le contraire est un menteur. Le passé n'est que mémoire, et donc pure affabulation- le présent est la seule certitude, il offre un espace pour s'y déployer puis disparaître aussi sec.
Le silence, ça s' achète, mais pas la sympathie. ( p 208 )
[...]Henry, dans la pièce adjacente , lisait sur un canapé Le Grand Vizir Iznogoud , la meilleure BD du monde, soit dit entre nous.
Une voix intérieure murmura à Henry qu’il était censé connaître cette phrase, aussi décida-t-il - comme si souvent - de s’en remettre à la bonne vieille heuristique et de deviner à l’aveugle. Nous faisons bien trop rarement usage de notre aptitude cachée au raccourci cognitif. Au-delà de l’entendement et de la conscience, une armée anonyme de neurones calcule pour nous. Les charges électriques se muent en souvenirs, un savoir profondément enfoui surgit et produit les visions de l’inconscient. Il suffit de s’en remettre à elles.
Les humains se trompent parce qu’ils croient, les humains courent à leur perte parce qu’ils espèrent. Les bêtes n’espèrent pas, elles n’ont aucune vision de l’avenir et ne doutent pas d’elles-mêmes.
C’était l’histoire d’un autiste qui devient policier pour retrouver le meurtrier de sa sœur.
Non, il n’avait pas vendu les droits. Le premier roman, Frank Ellis, s’écoula à dix millions d’exemplaires à travers le monde. Un thriller, comme on dit si joliment, avec beaucoup de bagarres et peu de réconciliations.
– Vous avez écrit là quelque chose de merveilleux.
Quelque chose de tout à fait merveilleux. Avez-vous déjà
vendu les droits ? »
Qu’aurait-il pu dire ? La situation était déjà assez grave, ce machin dans son utérus commençait certainement à remuer, et si Henry avait appris une chose, c’était bien à ne rien révéler de ce qui doit demeurer non dit.
Nos erreurs les plus graves, c'est bien connu, sont celles que nous commettons sans les voir.
... jouer à l'imbécile, mais intelligemment.
La lumière du soleil entrait à flots dans la pièce, il repoussa les couvertures, l'ombre portée de son érection matinale indiquait sept heures un quart.
Henry tint la promesse qu’il avait faite à Martha et se présenta comme l’auteur. C’était on ne peut plus simple, en vérité. Il n’eut rien de particulier à dire ou à prouver, car un auteur, comme chacun sait, n’est capable de rien d’autre que d’écrire, et écrire est à la portée de n’importe qui. Pas besoin d’avoir des connaissances ou des compétences spécifiques, ou des choses particulières à dire sur soi, aucune formation digne de ce nom ne s’impose, il suffit d’avoir un peu vécu, personne ne vous demande de présenter un diplôme. Juste un texte. On laisse aux critiques et aux lecteurs l’évaluation définitive, car moins on en dit sur son activité, plus brillante est l’aura. Henry expliqua que la littérature ne l’intéressait pas, qu’il voulait juste écrire. Ça marcha au petit poil.
Elle se souvint avoir entendu Henry dire un jour que celui qui réalise se rêves doit ensuite vivre avec. Dans sa bouche, cela semblait signifier que le bonheur est une expérience traumatisante qu'on ne peut jamais assumer pleinement.
Les menteurs parmi nous savent très bien que, pour être convaincant, un mensonge doit contenir un minimum de vérité. Une goutte de vérité suffit en général, mais elle est indispensable, comme l'olive dans le martini.