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Critiques de Sebastian Haffner (74)
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Une lecture franchement impressionnante... A plusieurs reprises j'ai même eu du mal à croire que ce récit sur le basculement de l'Allemagne dans le nazisme avait réellement pu être écrit à chaud, tant son analyse est lucide. Au point que j'ai ressenti le besoin de faire quelques recherches pour me convaincre que oui, en effet, ce texte avait bien été rédigé en 1939. Avant la guerre, avant les écrits d'Hannah Arendt, et avant que le fonctionnement des systèmes totalitaires ne devienne un objet d'étude.

On ne croise pourtant aucun des grands responsables du nazisme dans le livre d'Haffner, pas plus que ses théoriciens. L'auteur s'en excuse d'ailleurs, craignant que cela enlève toute pertinence à son propos : il n'a voulu témoigner qu'à son échelle individuelle, celle d'un citoyen absolument banal qui se retrouve à vivre l'agonie d'une démocratie, puis la mise en place de la dictature avant celle de la pensée totalitaire.

De fait, ce livre est en quelque sorte le portrait du nazisme au coin de la rue : l'embrigadement insensible de l'employé de bureau, le fascisme de cour d'immeuble, la raison qui s'éteint un peu plus chaque jour dans les propos de votre voisin. Rien de moins spectaculaire, mais rien de plus glaçant que de voir à travers les yeux d'Haffner comment une société qui se pense normale renonce à ses libertés sans résistance, et sans même s'en apercevoir. L'auteur n'a pourtant pas été préparé à cet effondrement moral. Ainsi qu'il le dit lui-même, « les familles consciencieuses élèvent toujours excellemment leurs fils en vue de l'époque qui vient de s'écouler ». Mais Haffner a beau être effaré par le spectacle auquel il assiste, il ne se départit jamais de son regard clinique, affûté comme un scalpel. Et il ne constate autour de lui qu'apathie, résignation et petites lâchetés. De minuscules défaites qui s'accumulent, se nourrissent et grossissent, jusqu'à ce que l'impensable devienne une nouvelle normalité. A la fin, il ne reste plus qu'à se chercher une place dans cette folie collective ou bien s'exiler. C'est ce qu'a fait Haffner, et c'est la pulsion vitale qui lui a donné la force d'écrire ce texte irremplaçable. Tout simplement saisissant.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Indispensable.

Bouleversant.

Inquiétant.

C'est par ces trois qualificatif que je caractériserais le témoignage de Sebastian Haffner.

Étonnant comme je suis un fil, sans le vouloir apparemment, de personnages atteints par le grand vent de l'histoire et qui en sont profondément affectés, sans en être vraiment acteurs. En l'occurrence, il n'était pas possible de ne pas être affecté par le nazisme dans les années 1930 en Allemagne. Et dans ce cas-ci, ce n'est pas de la fiction. Sebastian Haffner s'exila en Angleterre en 1938 et entama ce volume de souvenirs à la demande de l'éditeur Warburg. Le début de la guerre vint contrecarrer sa parution. Le manuscrit dormit chez l'auteur jusqu'à sa mort en 1999. Il fut publié à titre posthume en 2000.

Ce qui est très particulier dans ce récit, c'est à la fois que l'auteur livre des souvenirs très personnels, montrant comment les événements affectent (ou pas) la population dans sa vie quotidienne et en même temps que le récit est dû à un auteur à la perspicacité d'analyste et d'historien.

Haffner décrit avec une précision touchante, à partir d'un point de vue subjectif, les changements dans la vie des Allemands entre 1914 et 1933: la première guerre quand il était enfant, les révolutions, le calme relatif et enfin la montée et l'arrivée au pouvoir du nazisme.

Ce qui rend ce livre à la fois indispensable, bouleversant et inquiétant c'est que les similitudes avec la période actuelle sont frappantes et aussi l'identification très claire de ce qui a permis l'avènement du nazisme, à savoir la lâcheté et l'absence de réaction des démocrates.

Un exemple. Haffner parle de mouvements pré-nazis et nazis comme luttant contre le "système", ce qui n'est qu'un autre nom pour la démocratie. Je vous laisse faire l'analogie avec l'actualité.

Il montre aussi comment le nazisme ne laissait aucune possibilité de repli sur une vie privée qui ne serait pas touchée par les mesures prises par le régime: la vie professionnelle, la vie personnelle, les convictions, les relations amoureuses même, tout était broyé et emporté par les nazis. Cette perspective rappelle Quand les lumières s'éteignent d'Erika Mann. Mais le point de vue subjectif de Haffner rend le totalitarisme encore plus terriblement concret.

Effrayant mais indispensable.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Beaucoup... je devrais dire chacun s'est interrogé, s'interroge et s'interrogera sur le pourquoi et le comment du nazisme, sur les raisons qui ont fait qu'un homme a pu convaincre et entraîner une des sociétés les plus avancées de son temps dans le meurtre de masse. Sur ce que certains appellent "le mal absolu".

Des historiens, des philosophes, des sociologues, des psys de toutes chapelles essaient depuis des décennies d'entrouvrir la porte qui mène à cette énigme qui ronge les fondements de la civilisation, parce que le nazisme s'est épanoui au coeur d'une des sociétés les plus civilisées de la fin de la première moitié du XXème siècle.

Le nazisme, c'est cette crainte d'un mal qui aurait pu emporter l'homme, et c'est parce qu'il sait qu'il n'est qu'en rémission que cet homme doit en permanence rester vigilant, s'interroger, se remettre en question, penser contre lui-même... bref, s'interdire de baisser la garde.

Hannah Arendt, célèbre politologue a été la première à oser une approche à contre-courant des explications trop rapides et trop faciles.

Viktor Frankl, Victor Klemperer, James Q. Whitman, Boris Cyrulnik et récemment Johann Chapoulot tentent avec et après tant d'autres d'apporter leur pierre philosophale, leur antidote intellectuel à cette tumeur, cette bête immonde dont on sait que le ventre de n'importe quel quidam citoyen du monde pourrait demain la féconder encore.

Il est une approche plus "prosaïque", moins conventionnelle, moins académique, il est une voix venue de Londres qui nous a fait vivre, dès 1939, le phénomène d'insinuation, d'insidiosité, d'imprégnation, d'emprise, d'accaparement, de cet enkystement malin que fut le nazisme sur plus de 90% des Allemands.

Cette approche "de terrain" a été relatée dès 1939 par un Allemand exilé en 1938 en Angleterre, dans un livre intitulé - Histoire d'un Allemand ... souvenirs (1914-1933) -, livre hélas publié à titre posthume ... après sa mort donc, survenue en 1999.

Cet homme avait pour pseudonyme Sebastian Haffner, nom d'emprunt pour ne pas mettre en péril les membres de sa famille demeurés en Allemagne.

De son vrai nom Raimund Pretzel, né à Berlin en 1907 dans une famille de la bourgeoisie moyenne, a chroniqué avec une lucidité presque invraisemblable le quotidien des Allemands de 1914 à 1933 et la "résistible ascension d'Arturo Ui".

Au point que, lorsque le livre parut en 2000, les tenants et partisans du "nous ne pouvions pas savoir", ont crié au faux, à la supercherie.

"C'est l'analyse scientifique du manuscrit original qui a «prouvé que le document découvert par les enfants de Sebastian Haffner est effectivement un inédit vieux de soixante ans», comme le dit la préfacière Martina Wachendorff.

Dans cette chronique témoignage, nous assistons avec saisissement... un peu comme les premiers spectateurs de "Entrée en gare d'un train à la Ciotat", à la vie des Allemands, ceux que l'histoire générise au point que l'individu finit par se dissoudre dans ladite histoire, pour céder la place à des Bismarck, des Hindenburg, des Hitler... le lambda fait l'histoire pour ces derniers... !

Et ces vous-et-moi vous apparaissent soudain dans toute leur authenticité, toute leur vérité, toute leur contemporanaité.

Hommes, femmes, enfants, jeunes, adultes ou vieillards, ouvriers, employés, fonctionnaires, cadres, patrons, chômeurs, bourgeois, gens de la classe moyenne, prolétaires ou miséreux, croyants de toutes religions, agnostiques ou athées, membres d'un parti politique ou pas... ils reprennent vie devant vous sous la plume de Sebastian Haffner.

Et ils nous disent, nous expliquent parfois, pourquoi et comment depuis le début de la Grande Guerre, la défaite de leur pays, la révolution de novembre 1918, la République de Weimar... comment et pourquoi depuis le putsch de la Brasserie à Munich le 8 novembre 1933, perpétré et mené par Adolf Hitler, secondé de ses lieutenants, Hermann Göring, Ernst Röhm, Rudolf Hess, Heinrich Himmler et Julius Streicher... ils commencèrent à se laisser progressivement mais sûrement nazifier, antisémitiser...

Sebastian Haffner était l'un des leurs.

Il a vécu auprès d'eux.

Il a vécu ce qu'ils ont vécu.

Ils ont cédé... lui pas... au prix de cette lucidité que Char a su magistralement définir.

Haffner chronique, comme personne ne l'a fait avant lui, le processus de nazification d'un pays qui, tel un organisme humain envahi par une tumeur maligne somatisée, la laisse métastaser jusqu'à la dernière de ses cellules.

Et Haffner qui voyait ce que beaucoup se refusaient simplement à regarder, non seulement nous parle de ce qui a précédé la maladie, de la maladie elle-même... mais de ce qu'en seront probablement les conséquences.

Un homme exemplaire... ils sont faits de vapeur et de vent... ; un livre qu'il faut avoir lu : clair, accessible, incroyable... mais vrai !

"Des milliers de ces gens-là se trouvent aujourd'hui en Allemagne, nazis à la mauvaise conscience qui portent leur insigne du parti comme Macbeth sa pourpre royale, qui, complices malgré eux, se chargent d'une faute après l'autre, cherchent vainement une échappatoire, boivent et prennent des somnifères, n'osent plus réfléchir, ne savent plus s'ils doivent espérer ou redouter la fin de l'époque nazie», lesquels, «le jour venu, nieront bien certainement toute responsabilité. En attendant, ils sont le cauchemar du monde, et il est effectivement impossible de savoir de quoi ces gens, dans leur délabrement moral et nerveux, peuvent bien être capables avant de s'effondrer. Leur histoire n'est pas encore écrite." (écrit en 1939...).

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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

L'arrivée du nazisme au pouvoir nous semble être une bévue intolérable qui témoigne au mieux de la cécité d'un peuple, au pire d'une inclination dissimulée au vice. On se défend de faire revenir de tels extrémismes sur le devant de la scène en affirmant que maintenant que nous sommes éclairés, cela ne nous arrivera plus jamais. Alors certes, cela ne nous arrivera sans doute plus jamais sous cette forme, mais derrière quels masques se dissimuleront les extrémismes des années à venir ? On aura beau écarquiller les yeux, encore faudrait-il que nous sachions sur quoi porter notre attention.





Sebastien Haffner nous fait comprendre que la vigilance est nécessaire mais pas suffisante. Il témoigne de l'endoctrinement invisible de sa génération –celle des Allemands ayant passé leur enfance dans l'exaltation de la Première Guerre Mondiale. Toutes les générations sont endoctrinées –même si elles ne le sont pas de la même façon- et il serait faux de croire qu'on peut y échapper. En revanche, on peut prendre conscience de cet endoctrinement et essayer de s'en éloigner, de prendre un brusque recul pour l'observer depuis des hauteurs où il ne pourra plus être aussi actif. Sebastian Haffner nous invite à prendre ce recul avec son Histoire d'un Allemand.





Il ne propose rien de plus que de s'ériger en témoin de son époque et il semble en effet qu'il ne cherche jamais à modeler son éthos pour se conformer à une image conventionnelle, que ce soit celle de la victime, du collaborateur ou du moralisateur je-le-savais-mais-vous-ne-m'avez-pas-écouté. Son histoire personnelle intervient certes au milieu des événements historiques mais elle ne sert qu'à démontrer la réalité de l'Histoire pour qu'elle ne se fige pas, comme dans un manuel scolaire, en une notion désincarnée.





« L'historiographie traditionnelle ne permet pas de faire la distinction. « 1890 : Guillaume II renvoie Bismarck. » C'est certainement une date importante, inscrite en gros caractères dans l'histoire de l'Allemagne. Mais il est peu probable qu'elle ait « fait date » dans l'histoire d'un Allemand, en dehors du petit cénacle des gens directement concernés. […]

Et maintenant, en regard, cette autre date : « 1933, Hindenburg nomme Hitler chancelier ». Un séisme ébranle soixante-six millions de vies humaines ! Je le répète, l'historiographie scientifique et pragmatique ne dit rien de cette différence d'intensité. »





Sebastian Haffner va nous permettre de moduler notre perception. C'est l'histoire de la grenouille échaudée : si on la plonge brutalement dans le bain bouillant, elle bondira aussitôt hors de l'eau, mais si on augmente progressivement la température, elle s'y habituera et ne remarquera pas qu'elle risque bientôt sa vie ; ainsi en fut-il de l'installation du nazisme en Allemagne au siècle dernier. Quels furent les différents paliers traversés par les allemands avant de finir ébouillantés ?



- Exaltation d'une Première Guerre Mondiale vécue de loin et considérée comme une lutte pour la grandeur de l'Allemagne et de sa nation, saisissant d'enthousiasme toute une génération d'enfants.



- Epreuve douloureuse de la défaite allemande de 1918. Elle ne ramène pas les Allemands à la réalité mais les fait tomber dans une sous-réalité. Ce n'est pas eux qui ont tort mais le reste du monde. C'est peut-être même parce qu'ils sont les plus forts qu'on s'unit contre eux pour cadenasser et limiter leurs forces vitales.



- Révolution confuse de 1918, physiologiquement intolérable : « La guerre a éclaté au coeur d'un été rayonnant, alors que la révolution s'est déroulée dans l'humidité froide de novembre, et c'était déjà un handicap pour la révolution. On peut trouver cela ridicule, mais c'est vrai. »



- Brutalisation des pratiques politique avec l'apparition des corps francs parmi les hommes qui trahissent la cause révolutionnaire.



- Regain d'intérêt pour la politique à partir de 1920 avec l'arrivée de Walther Rathenau au pouvoir, malheureusement assassiné par trois jeunes gens en 1922, confirmant ainsi l'enseignement de 1918/1919 selon lequel rien de ce que n'entreprenait la gauche ne réussissait. « Rathenau et Hitler sont les deux phénomènes qui ont le plus excité l'imagination des masses allemandes le premier par son immense culture le second par son immense vulgarité. »



- Période d'hyper-inflation en 1923. le père de Sebastian se dépêche d'acheter le maximum de biens de consommation possible sitôt après avoir reçu sa paie pour ne pas conserver des marks quotidiennement dévalués. « Une fois cent millions pouvaient représenter une somme respectable, peu de temps après, un demi-milliard n'était que de l'argent de poche. »



- Période de paix entre 1924 et 1929 avec l'arrivée au pouvoir de Streseman. Et pourtant, la fin des tensions publiques et le retour de la liberté privée ne sont pas vécus comme un cadeau mais comme une frustration. Personne ne savait quoi faire de la liberté personnelle octroyée. La mort de Streseman en 1930 souleva toutefois cette inquiétude : « Qui, maintenant, dompterait les fauves ? »



- Brüning est élu chancelier en 1930. Pour la première fois de son existence, Sebastian Haffner se souvient avoir connu une direction ferme dont l'austérité provoquera en réaction l'arrivée au pouvoir de Hitler. Une autre de ses erreurs fut d'avoir considéré la politique comme un jeu de privilèges : « Comme son existence politique était directement liée à sa lutte contre Hitler, et donc à l'existence de celui-ci, il ne devait en aucun cas l'anéantir. »



- Hitler arrive au Parlement en septembre 1930 et s'impose en 1933. Les nazis ne sont d'abord pas pris au sérieux, comme en témoigne l'incendie du Reichstag (« L'aspect le plus intéressant de l'incendie du Reichstag fut peut-être que tout le monde, ou presque, admit la thèse de la culpabilité communistes. […]

Il fallut beaucoup de temps aux Allemands pour comprendre que les communistes étaient des moutons déguisés en loups. le mythe nazi du putsch communiste déjoué tomba sur un terrain de crédulité préparé par les communistes eux-mêmes »). Et pourtant, les faits sont incontestables : liquidation de la république, suspension de la constitution, dissolution de l'Assemblée, interdiction de journaux, remplacement des hauts fonctionnaires, tout cela se déroulait dans la joie et l'insouciance. Peut-être parce que Hitler comprenait mieux que personne l'attente des forces vives de la nation ? « Au-delà de la simple démagogie et des points de son programme, [Hitler] promettait deux choses : la reprise du grand jeu guerrier de 1915-1918, et la réédition du grand sac anarchique et triomphant de 1923. »





Nous connaissons la suite et Sebastian Haffner met ici un terme à son témoignage. Son histoire personnelle nous aura entre temps permis de prendre conscience des processus souterrains qui ont conduit cet homme intelligent à accepter la domination collective et politique. Ce sont ces processus qu'il faut surveiller, et non pas les formes les plus ostentatoires que revêtent les menaces –ce ne sont jamais les plus grossières qui finissent par nous dévorer. Plutôt que de cultiver une culpabilité qui n'a plus lieu d'exister, Sebastian Haffner se pose les questions essentielles qui feraient aujourd'hui avancer un débat encore miné par l'émotionnel :





« Où sont donc passés les allemands ? le 5 mars 1933, la majorité se prononçait encore contre Hitler. Qu'est-il advenu de cette majorité ? Est-elle morte ? A-t-elle disparu de la surface du sol ? S'est-elle convertie au nazisme sur le tard ? Comment se fait-il qu'elle n'ait eu aucune réaction visible ? »





Ce qui se passe souterrainement mérite d'être exposé davantage que les fariboles provocatrices des grandes gueules du moment…
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Considérations sur Hitler

Considération : fait de considérer.

Considérer : envisager par un examen attentif, critique.

Tel est selon le dictionnaire ce que fait Sebastian Haffner dans son essai intitulé - Considérations sur Hitler - paru en 1978.

J'ai fait connaissance récemment avec cet Allemand antinazi exilé en Angleterre en 1938, ayant travaillé pour l'Observer et ayant écrit un livre à succès posthume (édité en 1999) - Histoire d'un Allemand - Souvenirs 1914-1933 -, lequel offre une immersion en 3D dans ce que fut l'Allemagne... et les Allemands durant cette période.

Après cette lecture, sachant que Raimund Pretzel de son vrai nom, avait écrit cette "biographie" à succès sur Hitler, j'ai voulu en savoir plus.

Haffner, en sept essais donne sa vision sur Hitler et le nazisme.

Sa thèse est que l'Allemagne fut davantage sous l'emprise de l'hitlérisme que du nazisme.

Dans ces sept essais, il analyse ce que furent la vie, les réalisations, les succès, les fautes, les crimes et la trahison de cet homme qui passant de trente ans d'obscure médiocrité, dix ans de piteux ratages, de la plus crasse obscurité, va, à force de volonté et d'obstination, connaître la plus "éblouissante lumière", vivre comme führer dix ans de surprenants et figurants succès, puis cinq années de gâchis et de destruction.

Pour Haffner, ce qui caractérise Hitler, c'est sa dualité.

Orateur qui fascine, subjugue et homme médiocre, sans culture.

Homme politique habile mais qui n'est pas un chef d'État.

Conquérant à l'intuition visionnaire et meurtrier de masse.

En dehors de la thèse de la dualité, il y a celle de l'homme qui ayant compris dès la fin novembre 1941 qu'il ne gagnerait pas la guerre, se lance dans une folie suicidaire, s'entêtant sur le front russe dans un combat d'arrière-garde perdu d'avance et, suprême folie, déclarant la guerre aux USA... ce à quoi il n'était absolument pas obligé, ce qui signa sa perte et celle de l'Allemagne... perte volontaire, quasiment planifiée.

À partir de là son but de guerre va être de faire durer celle-ci, "gagner du temps", afin, prétend Haffner, de réaliser le projet qui tenait tend à son esprit malade : anéantir les Juifs d'Europe.

Des sept essais, celui qui reste le plus controversé concerne les réalisations.

Trop laudatives au goût de certains historiens.

On lui a aussi beaucoup reproché d'avoir affirmé qu'Hitler ne voyait rien d'autre qu'Hitler, ne préparant pas sa succession et ignorant au passage "le testament d'Hitler" dicté la veille de son suicide.

L'offensive de 1940 et ses buts... "la paix sur le sable de Dunkerque", qui expliquent que l'Allemagne est passée tout près d'une victoire durable à cause d'une Angleterre fortement encline à abandonner la lutte échappe en partie à Haffner qui "s’approche de beaucoup de vérités (la psychose d' Hitler, ses talents, sa centralité dans son propre régime) mais gâche sa synthèse par un certain nombre d’affirmations bien peu étayées : sa joie de tuer, sa haine des Allemands, son aspiration démente à la domination du monde…"

Une ou des thèses que Sebastian Haffner défend avec conviction force analyse, démonstration, explications, références... qui contiennent des vérités historiques, des lacunes, mais qui apportent un plus dans la vision de qui fut Hitler, et qui donnent à réfléchir.

En conclusion, à la limite de la lapalissade, Hitler qui a un sens politique mais aucune vision d'État, qui fut un conquérant pour l'espace vital, qui n'a jamais compris qu'une guerre devait aboutir à la paix... qui ne voyait dans celle-ci que la victoire sous la forme de l'anéantissement de l'adversaire, qui devint l'un des plus grands meurtriers de masse qu'ai connu l'humanité, occupe une place à part, mais une "grande" place dans celle-ci, parce qu'il a bouleversé le cours du XXème siècle et changé la face du monde... entre autres...

Un livre bien structuré, bien séquencé, bien pensé et bien écrit.

Un livre dont je ne regrette pas la lecture.

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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

L'histoire de ce livre n'est pas banale.

Sebastian Haffner, jeune juriste né en 1907 dans une vieille famille bourgeoise protestante installée à Berlin, et dont le père fut lui-même juriste, s'exile en Angleterre en 1938, pour échapper à l'atmosphère délétère de son pays. Là-bas, vivant dans des conditions précaires, il y commence la rédaction de ce livre, mais le laisse de côté. Par la suite, il en écrira d'autres et de retour en Allemagne en 1954, il deviendra un journaliste et historien reconnu, avec des livres notamment consacrés à l'Allemagne prussienne et hitlérienne, et ne reviendra jamais sur son manuscrit.

Ce n'est qu'après sa mort en 1999 que ses enfants découvrent ce texte et le publient en 2000.

On y découvre un récit saisissant qui relate, de façon autobiographique, ce que l'enfant, l'adolescent puis le jeune adulte, a vécu et ressenti depuis le début de la guerre 1914-1918 jusqu'à la fin de la terrible année 1933, où la narration s'arrête brusquement.

C'est un récit à hauteur d'homme, d'une incroyable acuité d'analyse. Haffner insiste beaucoup, pour justifier son témoignage, sur l'importance qu'il y a, pour comprendre le cours de l'Histoire, d'avoir accès au récit de "citoyens ordinaires inconnus".

Même si ce récit est incomplet, car on pense que l'auteur voulait raconter son histoire personnelle jusqu'en 1938, c'est suffisant pour comprendre le terrible engrenage qui conduit à l'installation du régime totalitaire nazi.

De la guerre de 1914-1918 perdue par l'Allemagne et vécue comme une humiliation collective, des soubresauts de l'après-guerre, des crises internes du pays, en 1923, 1929, séparées par une relative quiétude et prospérité sous la direction de Stresemann, on assiste à l'arrivée au pouvoir d'Hitler.

Arrivée dont on comprend qu'elle n'était pas inéluctable, son parti étant minoritaire encore en 1932, mais qu'elle est due à la lâcheté des dirigeants politiques de l'Allemagne, et à la passivité de la population. L'auteur n'est d'ailleurs pas tendre avec la mentalité du peuple allemand, trop ancré dans la vie individuelle et le respect de l'ordre.

La narration des événements de 1933 se mêle à la vie personnelle de l'auteur, ses amis qui quittent l'Allemagne, ses amies dont on ne saura ce qu'elles sont devenues, ces Charlie juive, Teddy, autrichienne vivant à Paris,..le groupe de ses camarades juristes stagiaires qui éclatera entre ceux qui choisiront le nazisme et les autres.

La relation de ce qui se passe, vu du simple citoyen qu'est Haffner, m'a stupéfait. Cette ambiance orchestrée de liesse populaire journalière, qui va durer plusieurs mois, et derrière laquelle se déroule sans bruit une répression impitoyable, les exécutions sommaires, les emprisonnements dans les camps de concentration, la première vague d'humiliation des juifs, c'est étrange et terrible. Car ainsi, toute opposition disparaît dans l'indifférence d'une population anesthésiée.

Et dès lors, l'état totalitaire s'installe, qui règne par la terreur, qui contrôle tout de votre vie, vous oblige à la pensée unique, réduisant à néant la vie individuelle. La scène où Haffner nous décrit son vieux père, éminent juriste, soumis au dilemme de devoir répondre à un questionnaire détaillé concernant son passé, ses opinions, pour finalement le renseigner dans la douleur, est bouleversante.

Le récit se termine sur la narration du "stage" obligatoire que passera le jeune juriste avec d'autres à candidats à un concours pour devenir "référendaire", qui montre ce que l'Etat nazi a mis en place pour embrigader les jeunes, même les plus cultivés comme le sont ces jeunes gens. C'est terrifiant, et saisi avec une formidable acuité. En effet, avec ces jeunes cultivés, pas de brutalité, pas de brimades. Mais un discours exaltant la rigueur, l'amour du "Vaterland", revenant sur la guerre de 1914-1918, et stimulant ce mal terrible dénommé par l'auteur "l'encamaradement". Haffner y décrit combien l'esprit de groupe qui implique la démission de l'individu au profit du groupe, est facile à obtenir, et même dans des esprits évolués. L'embrigadement des jeunes, pilier d'un régime ou d'un mouvement totalitaire, c'est une constante hélas, qui nourrit encore notre présent.

Dans son récit, Haffner dit espérer que les puissances étrangères, France, Angleterre réagissent. On sait ce qu'il en advint, la lâche capitulation des accords de Munich de 1938, qui firent dire à Churchill: "ils ont voulu la paix dans l'honneur, ils auront la guerre et le déshonneur".



Des récits comme celui-ci nous font ressentir que le pire est toujours possible dans nos démocraties, mais aussi que rien n'est inéluctable. Sans entrer dans cette discussion de savoir si l'Histoire se répète ou pas, la leçon, s'il y en a une, que j'en tire, c'est qu'un gouvernement, un peuple ne doit jamais céder, "sous peine de danger mortel" aurait dit De Gaulle, sur ses valeurs fondatrices, par exemple en ce moment sur la liberté d'expression. Et que la lâcheté se paie très cher.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

C'est un livre que j'ai choisi de lire car j'aime l'Allemagne, son histoire, que je connais bien, et que je partage avec un ami très cher mes lectures allemandes. Car il est sûr que ce n'est ni un roman, ni un livre d'histoire.

Ce récit, témoignage, est à mes yeux fabuleux. Car il ne supporte ou n'est supporter d'aucun parti pris politique. L'auteur l'écrit lui même : il est conservateur, un peu libéral, mais pas opposé au progrès social, mais pas socialiste, ni communiste, pas nazi non plus... Alors, tout jeunot, puis jeune, il observe son pays, de la défaite, la naissance de la républque de Weimar, la révolution rouge échouée des spartakistes, les hommes politiques corrompus, les purs sincères qui ont tendance à se faire assassiner, et évidemment l'avènement de qui on sait. Mais cela n'est pas le plus intéressant.

Ce qui est passionnant est le décorticage des faillites et des corruptions passives de ce qui se prétendait une démocratie. Et comment les puissances étrangères et les puissances d'argent se sont gavées sur cette petite république et comment un pauvre type répugnant a été déposé sur la plus haute marche du pouvoir.

Ce journal est d'une lucidité remarquable. Il n'est ni propagande, ni repentir. Il est juste le regard d'un jeune type, plutôt intelligent, honnête, qui nous plonge au coeur des Allemands. Le titre est significatif.

Certes, pour celui ou celle qui ne connaît pas cette partie de l'histoire allemande, cela risque d'être un peu fastidieux. Mais le récit est touchant car c'est l'histoire avant tout d'un jeune homme, qui a reçu une certaine éducation, et qui découvre au fur et à mesure, une réalité qui va de l'espoir à l'effondrement.

Pour ma part, j'ai été submergée d'émotions en lisant ce récit, je l'ai lu comme j'aurais lu un roman policier.
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La Commune de Paris

Petit livre bilingue ( Français/Allemand) qui développe tous les grands événements de la Commune de Paris.

En effet, en soixante pages en français, l'auteur réussit l'exploit de vous informer de tout ce qui a fait la Commune mais en plus parvient à mettre des citations ainsi que des articles de presse.

Il est évident que ce petit livre ne peut que constituer une entrée en matière pour ceux que cet événement historique intéresse.

Il a le mérite de donner envie d'en savoir plus ou alors d'avoir un minimum de connaissances sur ce sujet et de faire illusion dans les dîners en ville.(humour ! )
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Un livre témoignage sur la montée du nazisme, un livre écrit par un jeune allemand, futur avocat, qui décidera quelques années plus tard de quitter l'Allemagne pour aller vers la liberté, vers Paris et l'Angleterre

L'auteur fait un rappel des faits historiques depuis l'armistice de 1918, en passant par la grande crise et l'inflation galopante, le gouvernement de Brüning qui limite la liberté de la presse, impose les désertions pour empêcher les exils, « une semi -dictature au nom de la démocratie pour empêcher la dictature véritable »…..tous ces événements sur lequel il s'appuie pour présenter la lente évolution de la mentalité des allemands, qui pour 55% d'entre eux, à l'occasion d'un vote, ne faisaient pas confiance au parti nazi en mars 1933….



Des nazis arrivant au pouvoir du fait de la trahison des représentant des partis majoritaires en mars 33. « Seule cette trahison explique le fait apparemment inexplicable qu'un grand peuple, qui ne se compose quand même pas exclusivement de poltrons, ait pu sombrer dans l'infamie sans résistance » dans « Une Allemagne fondamentalement impropre à la démocratie »

Un regard et une analyse sans complaisance sur ses compatriotes : « L'aptitude de mon peuple à la vie privée et au bonheur individuel est plus faible que celle des autres peuples », « le grand danger qui guette les allemands à toujours été et est encore le vide et l'ennui, excepté peut être dans quelques régions marginales comme la Bavière et la Rhénanie, où l'on trouve une trace de romantisme et d'humour méridionaux ».

Un ouvrage indispensable pour comprendre le basculement du peuple allemand vers le nazisme : « On avait cru en Saint Marx, il n'avait pas secouru ses fidèles. Saint Hitler était manifestement plus puissant. Brisons donc les statues de Saint Marx placées sur les autels pour consacrer ceux- ci à Saint Hitler. Apprenons à prier : »C'est la faute au juifs » au lieu de « C'est la faute au capitalisme ». Peut-être est-ce là notre salut. »

Un texte découvert dans les archives de l'auteur après 1999, date de son décès. Une analyse clairvoyante des dangers que fera courir ce régime, des suites possibles… . On en arrive à se demander si l'auteur n'a pas modifié son manuscrit original après la guerre….Mais une analyse scientifique a confirmé que le manuscrit retrouvé en 1999, n'a jamais été corrigé ou remanié par l'auteur après la guerre…

Après ce régime, tout le monde a dit « Plus jamais ça », mais on en arrive à se poser des questions…. que peut faire un peuple désespéré, humilié!!

Des remarques qui conservent toute leur actualité : « Les exilés sont une charge pour n'importe quel pays, et il n'est pas agréable de se sentir à charge. Ce n'est pas du tout la même chose d'arriver dans un pays comme une sorte d'ambassadeur, comme quelqu'un qui a quelque chose à faire et à offrir, ou comme un vaincu qui cherche un asile. Pas la même chose du tout. »



Une leçon d'histoire à méditer
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Considérations sur Hitler

J'apprécie énormément les livres de Sebastian Haffner, notamment sur son expérience du régime nazi d'Hitler. Il s'agit du troisième livre que je lis de ce journaliste et historien, témoin de l'installation d'Hitler au pouvoir. En 1938, il émigre car il est opposant au régime nazi.



Cette analyse de ce qui a permis à Hitler de se hisser au pouvoir, de s'y maintenir et d'échouer jusqu'au suicide est pertinente, en tout cas, elle se tient.



Je ne sais pas s'il a raison sur tous les points mais là où je reconnais que sa thèse est pertinente, c'est lorsqu'il indique qu'Hitler a bénéficié d'un régime de Weimar en perte de vitesse et d'une certaine faillite du traité de Versailles qui n'était quasiment plus effectif.



Enfin, Hitler a eu des opposants, soit mineurs, soit en perte de vitesse en amont de sa prise de pouvoir. Ce qui m'a étonné à la lecture de cet essai est de constater que les conservateurs allemands ont été les opposants à Hitler les plus compliqués à combattre, et ce, jusqu'à la chute de ce régime. Les tentatives d'attentat contre Hitler venaient majoritairement du parti conservateur.



Selon Haffner, Hitler a eu des succès intérieurs et extérieurs liés surtout à la faiblesse de ses opposants et non à sa compétence. Cela l'a conforté entre 1934 et 1941 au rang de politique capable. Après les pertes et défaites en URSS le vent tourne.



Et cette obsession raciale d'Hitler basée sur la hiérarchie entre les "races" blanches supérieures ou inférieures voire nuisibles selon que l'on soit aryen (c'est quoi un aryen d'ailleurs ?), slave ou pire, juif l'a entraîné vers des actes inhumains. La théorie de l'espace vital a été le socle de cette idéologie.



Ce qui m'interroge le plus est que Haffner suggère que le régime national socialiste est plus proche de la dictature stalinienne que du fascisme. Pour lui le nazisme est un populisme de gauche dictatorial alors que le fascisme s'appuie sur les classes dominantes. Ça fouette !



En tout cas cet essai est très intéressant du point de vu d'un intellectuel allemand, opposant au régime nazi, qui l'a vu s'installer jusqu'à devoir le fuir.



Ce livre est passionnant et interroge y compris notre époque.
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La Commune de Paris

Commençons d’abord par l’ouvrage le plus essentiel pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas du tout le contexte et qui souhaiteraient en découvrir les bases : « La Commune de Paris ». Journaliste et écrivain politique allemand du XXe siècle réputé pour son opposition au régime nazi, Sebastian Haffner est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le IIIe Reich et Hitler aussi bien que sur Churchill ou encore Bismarck. On lui doit aussi un petit ouvrage très synthétique consacré à la Commune parisienne de 1871, co-édité en 2019 par les éditions de Fallois et Europolis qui mettent à disposition des lecteurs le texte à la fois en version originale (allemand) et en version traduite (français). Long d’une cinquantaine de pages seulement, l’ouvrage n’en reste pas moins assez complet et permet de bien cerner les grands enjeux de la période et ses principaux acteurs, ainsi que la manière dont cet événement a pu être récupéré et analysé depuis aussi bien par la gauche que la droite, chacun avec une interprétation évidemment très différente. Sebastian Haffner organise son propos en trois grandes parties qu’on retrouvera globalement dans la plupart des autres ouvrages sur le sujet tant cette séparation semble aller de soi : l’instauration de la Commune ; ses réalisations et ses particularités ; sa fin et la sanglante répression qui a suivi. L’auteur revient donc dans un premier temps sur la guerre franco-prussienne de 1870 et la chute de Napoléon III (fait prisonnier lors de la bataille de Sedan le 2 septembre). Deux jours après, la République est proclamée et un gouvernement de défense nationale instauré. Seulement les avis divergent quant aux décisions à prendre concernant la poursuite de la guerre : si Léon Gambetta (ministre de l’intérieur) est plutôt partisan de continuer le combat coûte que coûte en mobilisant la province pour former une nouvelle armée, certains, comme le général Trochu (commandant en chef), se montrent plus frileux tandis que d’autres (le ministre des affaires étrangères Jules Favre en tête) militent ouvertement en faveur de la capitulation. A Paris, les habitants se rangent majoritairement du côté des bellicistes : il faut dire que la capitale est assiégée depuis des semaines, et que les privations et les bombardements réguliers ont contribué à renforcer la haine du Prussien chez les citadins.



Sebastian Haffner revient ensuite en détail sur les différentes tractations avec Bismarck, mais aussi sur la résistance tenace des Parisiens qui multiplient les insurrections et les proclamations faisant part de leur refus de baisser les armes. L’armistice sera finalement signée en dépit de leurs réticences le 29 janvier, et des élections sont organisées dans la foulée pour élire des représentants qui siégeront à la toute nouvelle assemblée nationale. Après huit jours seulement de campagne électorale, les Français élisent une majorité de députés monarchistes, moins par réelle conviction que parce que ces derniers sont alors de farouches partisans de la paix quand les républicains militent pour la poursuite de la guerre. Sans surprise, l’assemblée vote la fin des combats, renonce à l’Alsace et la Moselle et accepte de verser des dédommagements importants. Adolphe Thiers est pour sa part élu pour exercer le pouvoir exécutif tandis que Paris et ses turbulents citoyens se trouvent délaissés, l’assemblée siégeant à Bordeaux et le nouveau gouvernement multipliant les vexations à l’encontre des Parisiens : les Prussiens sont autorisés à rentrer dans la ville pour défiler sur les Champs Élysées, les loyers impayés pendant le siège deviennent dus du jour au lendemain, la solde de la garde nationale est supprimée, les journaux de gauche interdits, les meneurs du soulèvement du 31 octobre condamnés à mort par contumace, et surtout le gouvernement annonce sa décision de s’établir à Versailles. C’est finalement la nuit du 18 mars 1871 que tout va basculer, et ce en l’espace de quelques heures seulement. Thiers prend en effet la décision d’envoyer discrètement l’armée dans la capitale afin de désarmer la garde nationale et d’occuper les quartiers ouvriers. L’objectif principal est de récupérer les 700 canons de la garde nationale, et notamment les 171 mis en sécurité dans les hauteurs de Montmartre. Tout se déroule sans accroc, sauf à Montmartre, justement, où une foule composée, entre autre, de l’institutrice Louise Michel et du maire de l’arrondissement George Clemenceau, commence à se former. Celle-ci refusant de se disperser, le général Claude Lecomte ordonne à ses hommes de tirer, ce que les soldats se refusent à faire. Ces derniers fraternisent alors avec les habitants et procèdent même à l’arrestation de leurs officiers, une scène qui se répétera tout au long de la nuit dans de multiples quartiers de la capitale. Apprenant l’échec de son opération, Thiers ordonne au gouvernement et aux administrations de fuir Paris pour Versailles. Le comité central de la garde nationale prend le pouvoir… et annonce aussitôt qu’il y renonce : des élections sont organisées afin que la ville puisse se doter de ses propres représentants, à même de négocier avec Thiers et son gouvernement.



Après ce récit des événements clair et concis, l’auteur se focalise sur l’expérience politique novatrice que constitue la Commune, en revenant notamment sur un certain nombre d’idées reçues. Première erreur : non, les insurgés de mars 1871 n’ont absolument pas l’ambition de diriger la France et de remplacer le gouvernement élu en février. L’auteur insiste avec justesse sur le fait que ce qui anime très clairement les Parisiens révoltés c’est avant tout le désir de se doter de leurs propres représentants, ce que traduit d’ailleurs très bien le terme de « Commune », qui sert tout simplement à désigner un conseil municipal élu (la capitale était jusqu’à présent sous la responsabilité d’un préfet ou d’un maire directement nommé par le gouvernement, période révolutionnaire mise à part). L’autre stéréotype sur lequel revient ici Sebastian Haffner, c’est sur la violence qui aurait émaillé l’instauration de la Commune. Or on constate non seulement que les actes violents sont extrêmement minoritaires, mais en plus que les élections organisées par le comité central sont parfaitement libres puisque les 92 membres élus par les habitants reflètent parfaitement la diversité des opinions politiques de l’époque, conservateurs inclus (ils sont alors vingt-et-un à avoir été élus par les quartiers les plus aisés de la capitale). Autre idée reçue, qui vient cette fois contrecarrer la légende dorée que la gauche a abondement contribué à construire autour de la Commune : bien que démocratique, antimilitariste et anticléricale, celle-ci n’est absolument pas socialiste ou communiste. A aucun moment elle ne touchera au trésor de la Banque de France, ni même n’empêchera la Bourse de Paris de boursicoter comme à son habitude. De même, on ne constate ni expropriation massive, ni nationalisation (à l’exception du décret qui prévoit que les entreprises dont les propriétaires auront fui la capitale seront réouvertes sous la forme de coopératives gérées par le personnel). Certes, les mesures prises sont radicales pour l’époque (séparation de l’église et de l’état, laïcisation et démocratisation de l’enseignement, législation du travail et des syndicats…), et d’importantes lois de justice sociale ont été prises, mais l’auteur fait remarquer que toutes ces orientations seront reprises par les radicaux-démocrates trente ans plus tard sous la IIIe République. Reste que certains symboles demeurent, comme l’annulation des loyers en retard (« considérant que le travail, l’industrie et le commerce ont supportés toutes les charges de la guerre, il est juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifice »), mais aussi la restitution gratuite des biens de premières nécessités cédés au mont-de-piété par les plus démunis pendant le siège, sans oublier l’intrusion fracassante des femmes dans la vie politique ou encore la reconnaissance du divorce et de droits pour les enfants illégitimes.



Ce qu’il est essentiel de comprendre selon l’auteur pour bien appréhender cet événement, c’est que la Commune n’a pas vocation a mener une révolution politique et sociale comme cela avait pu être le cas en 1789 ou en 1848 : le but premier est ici de mettre en place une auto-gestion locale (de gauche) qu’on n’imagine a aucun moment exercer le pouvoir seul, mais plutôt en collaboration avec l’assemblée nationale bordelaise. Thiers n’est cependant pas de cet avis, et la contre-offensive versaillaise va commencer dès le 2 avril 1871. Attaque à laquelle la garde nationale répondra aussitôt de façon désorganisée lors d’une sortie catastrophique. La Commune réagit à cette humiliante défaite en tentant de reprendre en main la garde nationale, mais les pertes sont lourdes (on estime qu’entre mars et mai, les forces parisiennes passent de 100 000 à 30 000 hommes). L’armée versaillaise, elle, reçoit enfin les renforts attendus après la signature de la paix définitive le 1er mai 1871 qui permet le retour des soldats faits prisonniers à Sedan et Metz. A la mi-mai, les 30 000 gardes nationaux restant sont confrontés à une armée de plus de 100 000 hommes. Le 21 mai, les Versaillais pénètrent dans la ville grâce à une brèche non gardée (faute d’effectif) dans la muraille ouest. S’en suit une semaine de combats et de massacres. Les quartiers ouest sont pris rapidement, mais le reste de la ville se barricade et lutte, maison par maison. C’est finalement le massacre qui suit l’arrêt des combats qui va participer à faire rentrer la Commune dans l’histoire. Partout, des habitants sont arrêtés et envoyés à l’échafaud sans aucune preuve ni procès, après une simple sélection des officiers. Une nouvelle sélection attend même les prisonniers ayant échappé au premier « tri » puisque le général marquis Gallifet (auquel Didier Lallement, actuel préfet de Paris, s’est lui-même comparé l’an dernier) passe en revue ceux qui sortent porte de la Muette et ordonne arbitrairement de tuer tel ou tel prisonnier (111 personnes seront ainsi fusillées pour avoir eu le simple tort d’avoir les cheveux blancs et donc d’être « plus coupables que les autres » car ayant vraisemblablement également participé à la révolution de 1848). Les historiens estiment aujourd’hui que la Semaine Sanglante et ses suites auraient causé la mort de 20 à 30 000 personnes. Après les carnages viendra le temps des procès qui engendreront des déportations massives dans les bagnes de Cayenne et de Nouvelle Calédonie. Cet acharnement des vainqueurs sur la Commune aura eu, selon l’auteur, des conséquences importantes tout au long de la IIIe République, et donna un modèle et un mythe à la révolution sociale. La lutte de la Commune devient donc à la fois un exemple pour les révolutionnaires du monde entier, mais aussi une mise en garde : voilà le sort terrible qui vous attend en cas d’échec.



En l’espace d’une cinquantaine de pages seulement, Sebastian Haffner revient sur l’épisode particulièrement célèbre de la Commune de Paris de 1871, dont il décrit l’avènement, les achèvements, ainsi que la destruction. Le récit est évidemment synthétique, et passe donc sous silence un certain nombre d’événements, mais en dit suffisamment pour permettre au lecteur de se repérer historiquement et politiquement. L’auteur nous livre aussi sa propre analyse, insistant bien sur l’absence de volonté de la part de la Commune de faire la révolution et sur son désir de mettre en place une forme d’auto-gestion locale animée par des idées résolument de gauche, sans pour autant pousser jusqu’au socialisme. L’auteur insiste aussi sur la violente répression dont le mouvement aura été victime, et sur les conséquences à long terme de ces massacres. Un ouvrage court mais dense, qui constitue une très bonne introduction à la période.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

l y a deux ans, je découvrais ce livre grâce à une amie allemande. Je ne lui dirai jamais assez merci.



Je l’ai relu pour le mettre, avec ses cinq coquillages tellement mérités, dans mon blog.



J’avais acheté ce livre car Ursula m’avait expliqué que la jeunesse allemande l’avait plébiscité : Sebastian Haffner permettait de comprendre le basculement de toute la nation allemande vers le nazisme.



La lecture est tout aussi intéressante pour les Français.



Le destin de ce livre est étonnant, il est écrit à chaud en 1938 par un homme qui a refusé le nazisme et qui s’est réfugié en Angleterre. Il ne sera pas publié.



En 1999, à la mort de Sebastian Haffner, devenu un journaliste et un écrivain de renom allemand, ses enfants trouvent ce manuscrit et le publient.



La puissance du livre vient de là : il est écrit à chaud au plus près des événements, parfois au jour le jour, à travers les yeux d’un enfant puis d’un adolescent et enfin d’un jeune adulte.



On comprend qu’il s’en est fallu de peu pour que lui-même accepte sans jamais l’apprécier, la tyrannie nazie.

On suit avec dégoût toutes les veuleries des partis politiques traditionnels.



On est horrifié par la façon dont les gens se tuent pour des causes plus ou moins claires.

Puis l’horreur s’installe et là c’est trop tard plus personne ne pourra se défendre.



Mais peut-on en vouloir au peuple allemand alors qu’aucune puissance étrangère ne saura résister aux premières provocations d’Hitler quand cela était encore possible.



L’analyse est très poussée, et brasse l’ensemble de la société allemande, comme Haffner fait partie de l’élite intellectuelle, c’est surtout les élites que l’on voit à l’œuvre. Elles ont longtemps méprisé Hitler qu’elle prenait pour un fou sans importance, « un comploteur de brasserie », mais elles n’ont compris le danger que lorsqu’il était trop tard.



La cause principale du nazisme est à rechercher dans la guerre 14/18, comme on l’a déjà souvent lu, ce qui est original ici, c’est la façon dont cet auteur le raconte.

Sebastian Haffner a sept ans quand la guerre éclate, pendant quatre longues années, il vivra en lisant tous les jours les communiqués de victoire de l’armée allemande, pour lui c’est cette génération là qui sera le fondement du Nazisme.





" Enfant j’étais vraiment un fan de guerre…. Mes camarades et moi avons joué à ce jeu tout au long de la guerre, quatre années durant, impunément, en toute tranquillité- et c’est ce jeu-là, non pas l’inoffensive « petite guerre » à laquelle il nous arrivait de jouer à l’occasion dans la rue ou au square, qui nous a tous marqués de son empreinte redoutable."





Son récit séduira bien au-delà du cercle habituel des historiens, car il est vivant, concret émouvant parfois. Il permet, soit de revivre une période étudiée en lui donnant le visage de la réalité, soit de comprendre le nazisme à travers la vie d’un allemand embarqué bien malgré lui dans la tourmente de son pays.
Lien : http://luocine.over-blog.com/
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Décryptage passionnant de la vie du "petit" peuple allemand, de son quotidien si difficile économiquement, et du racisme "ordinaire", qui ouvrira la voie au plus affreux régime politique du 20eme siècle.

Un livre indispensable pour comprendre la montée du nazisme.
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Allemagne, 1918. Une révolution trahie

Cet essai de Sébastian HAFFNER sur la révolution allemande entre 1918 et 1920 est passionnant.



Il traite d'une période méconnue de l'histoire allemande qui porte pourtant en germe l'accession d'Hitler au pouvoir et la création de corps francs, précurseurs de la SA nazie, avec, malheureusement, le soutien du SPD, parti social-démocrate allemand.



Automne 1918, les allemands savent que la guerre est perdue pour eux. Afin de ne pas endosser la responsabilité de la défaite et du futur armistice, les dirigeants militaires comme Hindenburg ou Lüdendorff, portent le SPD et les partis bourgeois à la tête de l'Etat. Guillaume II doit s'enfuir précipitamment et Ebert, dirigeant du SPD, accepte d'être nommé chancelier.



Une mutinerie intervient dans la marine, une grève générale est organisée et le SPD tient enfin cette révolution qu'il appelle de ses voeux depuis au moins cinquante ans.



La révolution en cours est pacifiste, républicaine et plutôt modérée si on la compare à la révolution de 1917 en Russie. Les sociaux-démocrates tiennent le pouvoir et les conseils ouvriers et militaires. Pourtant, le SPD va, à plusieurs reprises, manipuler et trahir un mouvement qu'il aurait dû, en raison de son histoire, soutenir.



Les spartakistes, qui pourtant n'ont pas tenu un rôle majeur dans la révolution, seront assassinés et plus particulièrement Karl LIEBKNECHT et Rosa LUXEMBOURG avec l'assentiment de Ebert et Noske. Le SPD s'avère plus proche des partis bourgeois que des autres partis de gauche plus radicaux.



Au même titre que la crise économique des années 20 avec son lot d'inflation et de chômage de masse, la trahison du SPD à l'encontre du peuple de gauche permettra aux nazis de prendre le pouvoir.



Ce livre rend compte d'une page de l'histoire qui aurait peut-être pu, si elle n'avait pas été trahie, changer la face du monde ! Peut-être pas mais le SPD a mis le ver dans le fruit et la suite lui a donné tort.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

"Je vais conter l'histoire d'un duel.

C'est un duel entre deux adversaires très inégaux : un État extrêmement puissant, fort, impitoyable - et un petit individu anonyme et inconnu."



C'est comme ça que ça commence, beaucoup de modestie et pourtant important, crucial, indispensable pour comprendre ce qui a pu se passer dans la tête d'un peuple durant presque vingt ans pour aboutir à une tragédie inhumaine.

Chaque année est décryptée et nous les revivons en compagnie d'un jeune garçon qui petit à petit voit son univers évoluer.

Des années de guerre vécues comme une aventure passionnante se déroulant loin de chez lui, avec ces matchs de foot, les prisonniers et les morts étant comptés comme des buts .... à suivre ... la folie des années dites révolutionnaires avec leur lot de prises de pouvoir plus ou moins réussies, plus ou moins délirantes .... à suivre ... l'année de toute les folies, dévaluation après dévaluation, où plus personne ne sait ce que valent les choses, ... l'année où il faut apprendre à s'occuper, à se passionner pour le sport ... entre 1925 et 1930, les jeunes allemands n'étaient pas "seulement xénophiles mais véritablement xénolâtres".



Et puis tout s'accélère, tout dévie, dévisse ... les valeurs auxquelles on croit sont toujours les mêmes mais certains de plus en plus nombreux crachent dessus, et d'autres se taisent, rient sous cape font semblant de ne rien voir, de ne pas croire que cela soit possible .... les hommes du peuple se perdent au son des sirènes du populisme, de la facilité ... les soi disant élites, se taisent, craignent pour leur vie, acceptent des compromissions en se disant que cela ne va pas durer et tout doucement ... tout dérape ... ce qui était inacceptable devient courant ... on ne veut pas voir ... on ne veut pas croire que ce soit possible, admissible.

Plus c'est gros, énorme, incroyable ... cela devient la norme et tout le monde laisse faire .. et encore le récit s'arrête en 1933 ...



Un livre remarquable.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Jeune allemand né en 1907 dans une famille de bourgeoisie moyenne, Sebastian Haffner fait partie de ceux qui ont vu arriver le nazisme, l’ont subi et ont osé le rejeter. Son diplôme de magistrat en poche, il comprend vite que rien n’arrêtera le système en marche, il s’exile alors en Angleterre et tente de faire paraître ce livre. Il ne sera publié qu’en 2002, après sa mort.

Haffner constate très jeune la dangerosité du régime qui se met en place, son témoignage est essentiel car ce qu’il voit, montre et explique, il l’a vécu personnellement.

Il entend que, cette société vaincue en 1918, écrasée par la dette de guerre imposée par les vainqueurs, le chômage, la faim, est à l’écoute dès qu’une voix s’élève et parle de grandeur de l’Allemagne, de revanche.

Très vite, les plus faibles sont embrigadés dans des mouvements para militaires, ils découvrent une « camaraderie », l’ennemi est montré du doigt, d’abord l’ennemi intérieur : le politique, le magistrat, le juif. Les « hésitants » sont un peu « houspillés » et très vite rejoindront les rangs confortables du groupe et enfin l’élite rêvera de grandeur.

Petit à petit, toute résistance sera annihilée et un peuple entier sera mené dans la barbarie.

A lire absolument pour comprendre comment la barbarie, si l’on n’y prête attention, pourrait renaître demain

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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

La montée du nazisme vu par un individu lambda, qui pourrait être n'importe lequel d'entre nous. Une analyse très intéressante, et sans doute pertinente, des mécanisme qui conduit un pays à la situation qu'a été le nazisme. Ce n'est pas une plaidoirie, mais un avertissement. Ce genre d'histoire pouvait arriver n'importe où, à n'importe qui, c'était une affaire de condition. Un livre à lire absolument pour ne pas oublier le passer et ne pas être condamné à le revivre.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Une analyse et un témoignage indispensables sur l’Allemagne de 1914 à 1933. La partie la plus dense et la plus troublante évoque la mise en place du système nazi, l’année 1933 : l’usurpation de l’état de droit, la suppression des libertés, la quasi obligation de hurler avec la meute et le règne de la terreur (par les SA = organisation paramilitaire). Cela fait froid dans le dos. On partage le profond désespoir de l’auteur, témoin de cette tragédie nationale. A ce moment-là il avait 26 ans.





On découvre également une dizaine de pages consacrées à la période précédant cette année 33, une époque particulièrement instable : la République de Weimar. Cette partie est une lecture plutôt ardue, les figures historiques étant méconnues du publique francophone.





Un éclairage intéressant sur l’accès au pouvoir de Hitler. Nombreux sont ceux qui pensent qu’il a été nommé chancelier dans le cadre d’un processus démocratique. Haffner est d’un autre avis. Les structures démocratiques ont été sapées petit à petit bien avant 1933, à commencer par la répression de la Révolution de 1918 qui a succédé à la défaite allemande.



Un moment fort que j’ai gardé en mémoire :

En 1918, à la fin de la Guerre, l’auteur avait 11 ans. Pendant la Guerre, pétri de ferveur patriotique, il avait suivi dans les journaux les rapports quotidiens venus du front. A quelques exceptions près, c’était une suite de victoires. Mais tout à la fin, l’effondrement de l’armée le blesse durablement – il comprend que les journaux ont menti. Comment cette suite de victoires peut-elle déboucher sur un tel désastre ? Il apprend qu’il y avait des règles du jeu qui lui échappait. Ses compatriotes vivent le même choc. Cela agit comme une sorte d’immunisation : désormais il reste très circonspect face aux informations officielles.





Autre moment fort, l’hyper inflation de 1923. Une fois par mois, le lendemain du jour de paye, le père avec toute la famille, en voiture et avec une carriole, se précipitaient au marché afin de s’approvisionner pour trente jours : patates, haricots, viande fumée… Le surlendemain, la paye ne valait plus rien !



Sur l’ensemble, un document fondamental - avec des échos dans l’actualité. Par exemple, l’hébétement et la peur des Allemands en 1933 sous la dictature nazie me fait penser au peuple russe en 2022.



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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Sebastian Haffner, citoyen allemand, ne supportant plus ce qu'était devenu son pays, s'est exilé à Londres à partir de 1938 malgré son statut privilégié (magistrat débutant et non juif). Dès cette année-là il a mené une réflexion approfondie et très convaincante sur les mécanismes qui ont permis la montée du nazisme entre les deux guerres. Il a tiré de la désagrégation de l'Allemagne et de l'avilissement de son peuple un enseignement éblouissant de simplicité, de clarté et de lucidité : la dernière partie du livre, intitulée "L'adieu" est un sommet qui devrait être mise entre toutes les mains.

Car si l'auteur pense que ce sont précisément les caractéristiques du peuple allemand (autrement dit le mélange de ses qualités et de ses défauts propres ) qui ont mené à la catastrophe, je n'en suis pas aussi sûre que lui. Chaque peuple sombre avec son génie particulier et la guerre qu'il n'avait pas encore traversée l'a bien montré.
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Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933

Ce livre est extraordinaire, à plus d'un titre. Ecrit avant la seconde guerre mondiale, il a fait été publié très tardivement: après la mort de son auteur (1999). Mais il y a encore plus remarquable: Sebastian Haffner était un jeune Allemand tout simple, sans attaches politiques définies; et pourtant il a été le témoin incroyablement lucide de la fatale dérive de son pays.



Enfant pendant le premier conflit mondial, pour lui « la guerre [était] un grand jeu excitant, passionnant, dans lequel les nations s'affrontent ». Mais la défaite conduit à la République de Weimar, faible, car instaurée "par défaut". Pour survivre, elle est d'abord obligée de s'appuyer sur ses adversaires (les militaristes), mais se révèle incapable de gérer le pays déchiré (cf. l'astronomique inflation monétaire). Beaucoup d'Allemands se sont alors tournés vers l‘extrémisme - mais pas Sebastian Haffner. Son analyse au sujet de la nation allemande est sans concession: « Le soldat, l'officier allemand, qui fait sans nul doute d'une bravoure exemplaire sur le champ de bataille (…) devient couard comme un lièvre, sitôt qu'on lui demande de s'opposer à l'autorité » (p. 66). Il assiste, scandalisé, à la montée en puissance des nazis. « [Hitler] ne cessa de surenchérir, devenant de plus en plus dément, de plus en plus monstrueux, et parallèlement de plus en plus célèbre, si bien que le monstre se mit à fasciner » (p. 137). Il ajoute: « Les nazis étaient des ennemis, des ennemis pour moi-même et pour tout ce qui m'était cher. (...) Mais je ne savais pas qu'ils seraient des ennemis aussi redoutables » (p. 159). Le 30 Janvier 1933, quoique minoritaires au Reichstag, ils parvinrent facilement au pouvoir... tout en demeurant dans la légalité (formelle). Mais, ensuite, ils eurent besoin de deux mois seulement pour imposer leur dictature et instaurer un Etat totalitaire ! L'opposition, en particulier les communistes (des « moutons déguisés en loups »), ne surent pas faire face à cette marée brune. « Le Troisième Reich est né de la trahison de ses adversaires et du sentiment de désarroi, de faiblesse et de dégoût qu'elle a suscité » (p. 200). Dans leur majorité, les Allemands déboussolés se laissèrent embrigader, tout en sauvegardant une façade de vie normale. Dans cette « apocalypse », Sebastian Haffner résiste passivement mais la pression, qui s'exerce sur lui et ses amis, est terrible. En 1938, il finira par s'exiler.



Ce que je trouve terrifiant - comme un cauchemar - c'est la totale impuissance des démocrates devant l'irrésistible ascension de Hitler. Et aussi l'incroyable promptitude des nazis à mettre au pas toute la nation allemande. Ce livre-témoignage est lucide, très sombre et tout à fait indispensable.

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