Citations de Sébastien Japrisot (389)
Quand un homme qui vous a aimée de toutes les manières, pendant des mois, commence à fatiguer, ne vous creusez pas la tête à chercher des raisons. Il n’en existe que deux : ou bien il est allé voir ailleurs, ou bien il n’y est pas allé depuis trop longtemps.
Parce que c'est pareil partout, d'aimer, c'est pareil pour tout le monde, ça fait le même bien, le même mal.
A nouveau, ce sentiment de vivre éveillée dans le rêve de quelqu'un d'autre. Et je ne souhaite plus, moi, de toutes mes forces, que de dormir aussi - ou bien alors que celui qui rêve s'éveille, et que tout soit silencieux et paisible, que je meure, que j'oublie.
Les yeux des enfants me sont insupportables. Il y a toujours, derrière, la petite fille que j'étais, qui me regarde venir.
Il faut toujours une exception qui confirme la règle.
Ils s'étaient unis pour s'aimer et pour se chérir toute la vie, jusqu'à ce que la guerre les sépare.
Des larmes coulent sur ma figure, mademoiselle, mais c'est la fatigue, c'est la maladie. Ne les regardez pas, ce sont des larmes d'après la misère, elles n'ont plus de signification.
Le troisième homme, qui ramassait les perles répandues sur le plancher, leva les yeux et demanda, patron, ce qu'il avait à faire, lui. Il y eut un gros rire, puis la voix assourdie par le rhume dit pauvre nouille, qu'il n'avait qu'à enfiler ce qu'il tenait. Qu'est-ce qu'il pouvait faire d'autre ?
L'homme au chapeau se retourna vers celui qui regardait toujours par la vitre, un homme maigre, très grand, au pardessus bleu marine élimé aux manches, aux cheveux d'un brun terne, aux épaules voutées par trente-cinq ou quarante ans de soumission quotidienne. Devant son visage, il y avait de la buée sur la vitre. Il ne devait pas voir grand chose.
L'homme au chapeau dit qu'il n'oublie pas, lui, Grazzi, de jeter un coup d'oeil sur les autres compartiments, on ne sait jamais et même quand on trouve que dalle, ça fait du poids dans le rapport. Faut développer.
Il voulut ajouter autre chose, mais il haussa les épaules, dit à nouveau bon Dieu, qu'il en tenait une carabinée, toi, l'enfileur de perles, je te trouve au Quai vers midi, ciao, et il s'en alla sans refermer la porte.
L'homme debout devant la vitre se retourna, visage blafard, yeux bleus, regard tranquille, et dit à l'autre, penché sur la couchette où la femme tendait un dos mort, des muscles morts, qu'il y avait vraiment des coups de pied quelque part qui se perdaient.
S il n y a pas d enfer, je serai bien attrapé d avoir gâché ma vie.
Dieu est-il mort ? Y a-t-il quelqu un d'autre que nous ? Nous ensemble ? Dieu est mort. Il n y a personne d autre que nous.
Elle donnait à la vie des coups d’accélérateur comme je n’en connaissais pas. (p. 49)
Mathilde regarde souvent son propre sourire, dans la glace. Elle le fait gentil, méchant, sardonique, merlan-frit, bécasse, polisson, subjugant, extasié. Il n'y a qu'heureux qu'elle ne sait pas. Enfin, pas bien. C'est comme à l'école, on ne peut pas être bonne en tout.
Les marseillais sont des gens très bien. D'abord, ils ne vous insultent pas plus que les autres, si vous essayez de leur passer dessus, mais en plus ils prennent la peine de regarder votre numéro d'immatriculation, et quand ils voient que vous êtes un 75, ils se disent qu'évidemment, il ne faut pas trop vous en demander, ils se tapent la tempe de l'index, comme ça, mais sans méchanceté ni rancœur, seulement pour faire ce qu'il faut, et si à ce moment vous déclarez: "Je suis perdue, je n'y comprends rien à votre ville pourrie, il y a plein de stops partout qui me veulent du mal, et moi je cherche la Gare Routière à Saint-Lazare, est-ce que seulement ça existe?", ils compatissent, ils s'en prennent à la Bonne Mère de votre infortune, ils s'agglomèrent une douzaine pour vous renseigner.
Mon rêve, depuis que je me suis faite à l’idée que ça ronfle la nuit, c’est un bonhomme, peu importe finalement lequel, grand ou petit, beau ou moche, riche ou pauvre, con ou pas, pourvu qu’il soit à moi, pas trop casse-machins et très, très gentil.
"Les maux des hommes, par trop d'enflure, vont quelquefois au néant plus vite qu'eux".
(...) il s'était enfin rendu à l'évidence, comme n'importe qui avant lui, que cette guerre ne finirait jamais, simplement parce que personne n'était plus capable de battre personne sauf à jeter armes et canons à la première venue des décharges publiques pour règler ça au cure-dents. Ou encore mieux à pile ou face.
Je suis une paumée pro-esclavagiste: ce que j'imagine de meilleur au monde, c'est d'être à quelqu'un.
Et, des mois plus tard, c'est le même désordre, les mêmes poings tendus qu'il retrouve sur les marches d'un palais de justice du Mii, d'où il sort apparemment libre. Et la même haine impuissante dans tous les regards.
Début d'après-midi, dans le Morvan.
La D. S. est arrêtée, portières ouvertes, devant un restauroute. D'autres voitures stationnent à l'écart.
Installé sur le siège à côté du volant, un plateau devant lui, Barran avale avec appétit un hamburger et de la salade.
Isabelle, debout près de la voiture, finit de dessiner, avec du rouge à lèvres, sur le côté extérieur du pare-brise, une sorte de plan.